vendredi 2 février 2024

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "VM attitude", la conviction fondamentale, profonde et intime qui orientait mes pratiques d'accompagnement, autant individuel que collectif. Il fait partie, outre les livres d'ADG eux-mêmes, de ces témoignages oraux (et donc plus rares) qui ont bien inspiré certains passages de (Re)trouver le sens au coeur de la classe, surtout pour les passages concernant le dialogue pédagogique collectif (DPC) en classe.

La médiation est un concept assez galvaudé vers la fin du XXe siècle. Détourné de son sens profond par une pédagogie essentiellement béhavioriste, exclusivement "sensorimotrice" dans laquelle le couple perception-action ne laisse aucune place à l'intériorité des élèves, à ce troisième temps (ou plutôt second temps… intercalaire, intérieur , d'intensité et de durée variable) qui leur permet de se reconnaître en tant que sujets et de trouver en eux-mêmes, par eux-mêmes avec notre aide au besoin, leurs moyens personnels d'entrer dans l'exigence si humaine de connaître bien plus satisfaisante et épanouissante que le seul devoir d'apprendre.

On notera également qu'on est assez loin de la métacognition prônée aujourd'hui. Cette fausse médiation qui voudrait, de l'extérieur, comme avec de longues baguettes, gérer l'apprentissage d'un enfant selon les critères de réussite d'une société qui ne le reconnait pas en tant que "personne"*. Loin de cette extériorité distante, dépersonnalisante, qui provoque souvent  chez les élèves des réactions "d'encontre" (refus, fuite, violence… ), la médiation que propose La Garanderie est une véritable "rencontre" humaine. Mieux que la béate bienveillance que l'on nous vend trop souvent aujourd'hui (certes nécessaire ,  mais qui  bien souvent demeure superficielle), plutôt une "r(é)assurance" bien plus à même de soulager à sa racine, en profondeur et durablement, l'anxiété éprouvée par tant de jeunes aujourd'hui : 

* Ce mot, on ne l'emploie plus guère que négativement, pour "nier" la personne, comme lorsque, dans une classe  non "résonnante", on déclare "il n'y a personne qui répond" comme pour le téléphone de Gaston (Nino Ferrer) ... Avec la pédagogie de la vie mentale, "il y a personne"  dans la classe, tant du coté du professeur que des élèves...

"Pour cela, il faut que, d’une part, l’action du formateur ou de l’enseignant soit rassurante, et, d’autre part, qu’elle ouvre au sens des efforts à faire : « Tu as à te rencontrer toi-même, tu n’as pas à te fuir en cherchant de répondre tout de suite à la question, en cherchant éperdument un modèle dans la tête de ton enseignant, tu n’as pas à te fuir en refusant le travail. Tu as à t’accepter en ayant foi en toi, et tu vas voir que si tu t’acceptes de l’intérieur, tu vas pouvoir te trouver, te rencontrer et tu vas pouvoir progresser ».

Voici le texte entier d'Antoine de la Garanderie, extrait de son allocution de clôture du Colloque de l'IIGM de 1996 :


Extrait de l’allocution finale d’Antoine de la Garanderie

au Colloque de gestion mentale de 1996.

 Nous communiquons ici un extrait de l’allocution finale consacrée à une réflexion sur le rôle de la médiation et de l’introspection en gestion mentale comme moyen de développement de l’individu.

« Le souci, l’exigence de cette introspection que nous pratiquons permet d’être proches de l’autre et c’est ce qui est au cœur de la médiation que nous établissons.

Le sens du mot « médiation » doit être approfondi. Il y a quelque chose à vivre au cœur de la médiation : c’est la rencontre. Lorsque nous interrogeons des sujets sur leur manière de s’y prendre dans une situation de tâche, nous ne souhaitons pas tellement être médiateurs, nous voulons aller à leur rencontre, pour qu’ils puissent se rencontrer eux-mêmes.

Le « R » du début du mot rencontre est très important parce que, quand on ne va pas à la rencontre de quelqu’un, j’ai très peur que l’on ne se trouve être à son encontre. Ces sujets ont besoin de se rencontrer eux-mêmes, du fait même qu’ils sont en situation d’insécurité, dans une exigence d’effort et de dépassement. Ils ne doivent pas se trouver dans une situation où il y a de l’encontre. Et ce « R » de réconciliation, cette aire (ou ère ?) de communication va leur permettre de s’accepter, de se trouver eux-mêmes. Dans tout ce travail de dialogue pédagogique (…), nous avons ce souci, cette exigence, de communiquer avec le sujet auquel nous parlons. Pour cela, il faut que notre voix, que notre questionnement lui permette d’aller à la rencontre de lui-même. Il est inquiet ce qu’il va rencontrer. Il a besoin d’être rassuré sur lui-même, par un regard prometteur de progrès.

Le point le plus important du dialogue pédagogique est l’éveil du sujet à lui-même dans ses tâches ; il s’éveille par rapport aux façons dont il peut s’y prendre mentalement pour s’adapter aux tâches à accomplir. Il est donc absolument nécessaire qu’il puisse vivre dans un climat d’harmonie avec lui-même, qui sache que l’harmonie peut se faire, va se faire. Pour cela, il faut que, d’une part, l’action du formateur ou de l’enseignant soit rassurante, et, d’autre part, qu’elle ouvre au sens des efforts à faire : « Tu as à te rencontrer toi-même, tu n’as pas à te fuir en cherchant de répondre tout de suite à la question, en cherchant éperdument un modèle dans la tête de ton enseignant, tu n’as pas à te fuir en refusant le travail. Tu as à t’accepter en ayant foi en toi, et tu vas voir que si tu t’acceptes de l’intérieur tu vas pouvoir te trouver, te rencontrer et tu vas pouvoir progresser ».

Toute activité d’acquisition de connaissances réunit dans la conscience d’un sujet l’objet qu’il a à conquérir, les gestes qu’il a à faire et lui-même. Cette mise en examen nécessite un travail d’intériorité. Or, il est certain que la pédagogie a souvent négligé l’intériorité de l’être humain. On a fait une pédagogie de type sensorimoteur : tâche et adaptation à la tâche. Les lois de la grammaire, les théorèmes, les règles sont considérés comme quelque chose d’extérieur, comme si le sujet avait purement et simplement à s’y adapter. On oublie que le sujet a à s’adapter à lui-même par une réflexion qui devrait lui permettre justement de conquérir ces objets d’étude.

Au lieu d’une pédagogie à deux temps : perception et action, il nous faut une pédagogie à trois temps ; il faut que le sujet lui-même se prenne en compte entre la perception et l’action. Il a tout un effort à faire sur lui-même d’adaptation à la tâche, à la connaissance de l’objet. C’est un effort de prise de conscience des moyens mentaux qu’il peut employer pour s’adapter aux tâches.

Telle est la raison profonde de tout le travail que nous avons entrepris. Il n’y aura pas d’acquisition et de développement de connaissances d’une façon démocratique, si on ne met pas le sujet en face d’une régulation par lui-même de ses procédures ; s’il n’y a pas de prise de conscience des moyens d’opérer, il n’y aura pas de développement de connaissance. C’était là, en effet, ma préoccupation : si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne. J’étais préoccupé par le désarroi et l’échec de tant d’enfants malheureux parce qu’on laissait un vide au-dedans d’eux entre l’objet et l’acte à faire (pour l’appréhender) ! 

Antoine de la Garanderie. 31 mars 1996


jeudi 1 février 2024

188 - La gestion mentale au risque de la vérification expérimentale.

Je publie ici un article que je n'avais pas terminé en son temps, autour de 2018, et que des lectures postérieures m'ont permis de clore aujourd'hui, bien que de façon toujours provisoire comme l'est toute réflexion en ce domaine du lien entre neuronal et mental. Il complète une série d'articles qui ont inspiré la base théorique de mon prochain livre (Re)trouver le sens au cœur de la classe, Une pédagogie de la vie mentale. Voir mon message 182 - Deux articles récents pour un nouveau livre à paraître en Janvier 2024. 

Dans son livre Le code de la conscience Stanislas Dehaene relate de façon très détaillée la façon expérimentale dont il a traqué le cheminement neuronal qui mène un sujet à la prise de conscience d'une de ses perceptions physiques. Cette prise de conscience est très proche de ce que la Garanderie a appelé l'évocation mentale, dont il réclamait, en vain jusqu'ici, que l'on en vérifie la réalité en laboratoire de psychologie. En 1994, il proposait pour cela un protocole très élaboré… que j'ai retrouvé presque à l'identique dans la démonstration de Dehaene, 20 ans après.

Cette concordance ne pouvait me laisser indifférent. J'ai donc rapproché ce protocole de l'expérimentation scientifique que nous livre Dehaene. C'est tout à fait éclairant : bien que les scientifiques divergent encore sur quelques points quant à l'origine de la conscience humaine, celle-ci n'est donc pas un fantasme, elle existe bien et l'on peut donc tabler sur elle pour proposer une pédagogie de la vie mentale. CQFD.


Lire l'article : Critères de la gestion mentale vs Code de la conscience.

mardi 16 janvier 2024

187 - Pour l'éveil et l'accompagnement de la vie mentale : Le dialogue pédagogique collectif (DPC) en classe.

 "Gestion mentale", c'est ainsi que l'on nomme maladroitement l'ensemble des concepts issus des travaux du pédagogue Antoine de la Garanderie, également psychologue et philosophe. Cet ensemble théorique fortement structuré est le fruit de sa patiente et féconde recherche sur la vie mentale, manifestation de la conscience cognitive de l'être humain, en particulier dans les apprentissages scolaires. Cette vie mentale, invisible de l'extérieur, n'est observable qu'au moyen de l'introspection expérimentale. Cette méthode d'investigation psychologique  a été abandonnée à l'aube du XXe siècle lorsque la psychologie s'est voulue une "science pure et dure" (mais certains chercheurs bien actuels la réhabilitent un peu). Contre vents et marées, ce chercheur a poursuivi son travail à la suite de tout le courant humaniste de la psychologie qui a survécu à bas bruit, en Amérique davantage qu'en Europe. L'outil de l'introspection appliquée à la pédagogie a donné lieu à un dispositif simple et très performant : le dialogue pédagogique, pratiqué en relation individuel ou en groupe, notamment en classe. 

Devant le véritable tsunami que représentent les innovations les plus récentes comme Chat GPT ou toutes les IA qui envahissent nos activités en tous domaines,  philosophes, sociologues, psychologues, ou simples pédagogues appellent en chœur à remettre "la conscience à l'ordre du jour" pour contrer leurs effets déshumanisants. Ce sursaut, cette résistance, comment vont-ils concrètement se manifester dans le cadre de notre École en plein désarroi, comment pourraient-ils l'aider à se remettre sur la "bonne voie" ? Tout simplement, et malgré les obstacles, en remettant la vie mentale au cœur des activités quotidiennes de la classe

C'est en pratiquant en toute occasion le dialogue pédagogique "collectif" que cela sera possible. J'y ai consacré une grande partie de mon prochain livre (Re)trouver le sens au cœur de la classe - Une pédagogie de la vie mentale.

En attendant sa sortie en librairie, le  22 février, voici un protocole qui vient compléter mon ouvrage.

Proposition de protocole : https://drive.google.com/file/d/1pxes_ThS3I3zduh4re5PrZxFlAjVuDWV/view?usp=sharing

Avec de grands adolescents(à partir de la 3°), on peut leur proposer une grille d'auto-analyse qui les aidera à mieux contacter leur "monde mental" (expression qui leur plaît bien), cela facilitera d'autant les dialogue collectifs qui suivront les exercices d'initiation. Cela leur facilitera aussi le repérage des constantes dans leur activité mentale :

Proposition d'un exemple de grille d'auto-observation :

https://drive.google.com/file/d/14eXzfUXH_I5gT_ee3bT85fv0pEafongB/view?usp=sharing

vendredi 12 janvier 2024

186 . Une expérience bien déconcertante, mais pleine d'enseignements : quand cerveau en conscience ne correspondent plus....

 

Je viens de faire une expérience un peu surprenante. J’ai été opéré récemment du canal carpien de mon poignet gauche. Opération banale, mais nouvelle pour moi. Le procédé est d’une grande simplicité : on pratique à la base du poignet une petite incision de quelques millimètres par laquelle on introduit une fibre optique ainsi qu’une lame microscopique, le tout commandé par une sorte de revolver actionné par le chirurgien qui visualise l’opération sur un écran (que l’opéré peut voir également). Vraiment l’expérience est intéressante (en plus de bien soulager le patient).

Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est l’anesthésie (loco-régionale, comme ils disent). Il s’agit d’insensibiliser totalement le bras à partir de l’épaule. Le résultat est qu’on ne sent absolument plus rien dans l’ensemble du membre qui ne peut effectuer volontairement aucun mouvement : exactement comme le bras d’une marionnette désarticulée.

En attendant le chirurgien dans la salle d'opération, j’ai eu l’occasion de regarder mon bras et j’ai alors éprouvé une sensation étrange : je regardais cette "chose", que pourtant je savais être mon bras, comme s’il était un objet étranger. N’ayant pu aucune sensation émanant de lui, mon cerveau ne le reconnaissait pas ; il ne faisait plus partie de moi.

À cela s’ajoutait une autre étrangeté. Même si mon bras ne m’envoyait plus aucun signal, j’avais cependant des sensations, de lui-même ou de mes doigts (sensations fantômes, comme après une amputation). Mais ces sensations imaginaires ne correspondaient absolument pas à ce que je voyais : mon bras était soigneusement posé à plat sur la table d’opération alors que je le pensais redressé comme pour un salut. Impression très dérangeante.

Puis, lorsque l’opération fut terminée, l’infirmière a maintenu mon bras replié par une sorte d’écharpe si bien que mes doigts étaient proches de mon visage ( alors que je les imaginais beaucoup plus bas...). À un moment, un mouvement de ma tête les mit en contact avec mon menton. Ce contact d’un corps étranger avec ma peau, mes doigts sensibles comme des bouts de bois, je fus saisi d’une sorte d’effroi qui provoqua un mouvement de recul de ma part, comme on en éprouve dans le "couloir de la mort" dans les fêtes foraines et que des mannequins invisibles nous touchent au passage.

 Ce sentiment d’effroi fut encore renforcé lorsque, plus tard, une fois rentré chez moi, je laissais échapper ce bras que je tenais fermement de mon autre main pendant que l'on m'aidait à me déshabiller : il tomba alors lourdement comme une partie morte, le coude ne jouant plus son rôle et étant devenu totalement inefficace.

Ainsi, je me trouvais dans une situation où une partie de mon corps m’était devenue totalement étrangère et cette sensation était fort déconcertante. L’impression de ne plus commander à mon bras était même éprouvante. Privé des sensations remontant par les nerfs sensitifs jusqu’à ses aires spécialisées, mon cerveau était tout désorienté et ma conscience en éprouvait des sentiments d’étonnement, de désappointement, de légère frayeur. 

S’il me fallait une preuve que la conscience et le cerveau ont partie liée et que l’une ne va pas sans l’autre, avec le trouble qui en résulte pour elle lorsqu'on les separe, je l’ai trouvée à l’occasion de cette petite opération bien banale. 

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...