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vendredi 3 novembre 2023

182 - Deux articles récents pour un nouveau livre à paraître en Janvier 2024.

 

Vous l’avez peut-être déjà vu annoncé dans quelques sites de librairies en ligne : mon nouvel ouvrage «(Re) trouver le sens au cœur de la classe - Une pédagogie de la vie mentale » paraîtra en effet en janvier prochain (pour mon 85e anniversaire… joli cadeau de mon éditeur !).

Le 16 novembre prochain, dans une conférence en Visio, prélude au colloque de l’IIGM (Institut International de Gestion mentale), je donnerai quelques éléments qui permettront de découvrir un petit coin du contenu de cet ouvrage. Mais sans en dévoiler l’essentiel, on peut dire déjà qu’il est essentiellement consacré à  l'éveil à la vie mentale des élèves, à tous les âges de leur scolarité, par des pratiques adaptées dans la classe même

Ce livre est le résultat d'un travail d'écriture, fruit d’une  réflexion de plusieurs années. Cette réflexion a été particulièrement marquée par trois articles que je veux partager ici. Le premier, très élogieux, est une recension par le Président de l’IIGM de l’époque,Yves Lecocq, de mon livre « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux » édité en 2009. 13 ans après sa parution, ces éloges sur mon travail m’ont beaucoup touché… et sans doute réveillé mon envie de prolonger ce partage d’expérience et de réflexion avec des lecteurs, qu'ils soient proches ou plus éloignés de la pensée d'Antoine de la Garanderie.

Le deuxième article est ma réponse à Yves : « Ce livre que je n’ai pas écrit avec Antoine ». Dans ce texte, j’exprime la conviction que 13 ans après la disparition de son fondateur, la GM est toujours d’une urgente actualité et qu’elle a encore beaucoup de choses à apporter à une société en perte de sens. Je développe l'idée que la vie mentale non seulement appartient à tout le genre humain et non à ses seuls initiés, mais aussi qu’il est de plus en plus nécessaire de la réveiller chez tous nos contemporains. Et cela commence en famille, certes, mais plus particulièrement à l’Ecole d'où elle a malencontreusement disparu.

Par ailleurs, j'avais partagé pour mes amis professeurs mon sentiment sur l'état de cette École et proposé des voies possibles de son redressement dans un autre article publié dans mon Blog : 161 - Ecole sans conscience, ruine de l'Homme et du sens ! La GM attitude.


Ce livre est en cours de préparation chez mon éditeur. Il veut retracer l'histoire de cette disparition et appeler à un redressement de la perspective éducative en replaçant la conscience et la vie mentale au cœur de nos classes. 

Voici la quatrième de couverture et un résumé de cet ouvrage.


dimanche 18 décembre 2022

176. "Elle a le sens du jeu". D'ou vient donc ce sens chez les enfants ?


 Eh ! bien ! Voilà ! La grande course à la Coupe du monde 2022 est terminée, nous donnant à vivre en finale un match superbe où deux équipes à égalité de talent et de force morale n'ont été départagées qu'à l'ultime seconde par une "saute de chance" comme on le dirait d'un vent capricieux. Les sports en France ne se portent pas si mal à voir ce type de résultats. Et l'histoire d'un des héros du jour, Kylian Mbappé, est assez exemplaire d'un parcours dont les racines se trouvent à la fois dans une éducation familiale "intelligente" (il parle plusieurs langues et a obtenu le bac) et l'action positive d'un petit club local dirigé par son propre père, lui-même ancien professionnel de ce sport. Mon post d'aujourd'hui est justement consacré au "sens du jeu" dont ce footballeur d'exception a fait preuve pendant les matches que j'ai eu l'occasion de regarder. Il concerne pourtant ma petite-fille elle aussi passionnée de sport du haut de ses 10 ans ! Ce matin au téléphone, elle me disait : « Kylian joue bien, il marque des buts et il fait des passes décisives". Ma petite-fille a-t-elle, comme Kylian, le sens du jeu ? Et d'où cela lui viendrait-il ?

« Elle a le sens du jeu… »

Un jour que je prenais des nouvelles de ma petite fille, O., 10 ans, sa mère me dit qu’elle s’éclatait dans le sport, au centre hippique avec ses poneys comme sur le terrain de handball où son équipe était victorieuse de quasiment tous les matches qu’elle effectuait. Elle ajouta qu’elle était une des meilleures joueuses de cette équipe, précisant même : "Elle a le sens du jeu" comme le lui avait dit son entraîneurRien ne pouvait me faire plus plaisir que d’entendre cette appréciation. Elle traduit ce qui est à mes yeux le plus important dans l’éducation d’un enfant : qu’il ait acquis toutes les clés pour décrypter le sens des situations qu’il vit et vivra toute sa vie, dans tous les domaines, de façon à s’y adapter le mieux possible tout en travaillant à leur amélioration.

Je n’ai jamais vu O. jouer au handball (les entraînements ont lieu le mercredi et nous la voyons plutôt en week-end. Mais j’avais déjà remarqué combien elle était bien "dedans" ce sens lors de son premier concours hippique officiel (10 ans… ! Tout va tellement vite pour cette génération…Z… comme Zorro ?).

J’étais un peu inquiet en arrivant sur les lieux de cette "première" – l’équitation est un sport par essence dangereux et je tenais à ce qu'elle porte un gilet spécial pour protéger son dos lors des chutes toujours possibles. Mais assez vite mon inquiétude baissa lorsque je la vis se préparer au paddock : les gestes étaient précis, coordonnés, aucune excitation n’apparaissait dans son comportement, aucun signe d’inquiétude sur son visage concentré. Lors de la reconnaissance à pied du parcours d’obstacles, je la vis écouter sérieusement les explications de son instructrice, puis parcourir, toujours à pied et très consciencieusement, le parcours qu’elle aurait à effectuer un peu plus tard à cheval, sans en omettre la moindre partie, le moindre virage, sans "couper le fromage" comme le faisaient  plusieurs de ses camarades. Quand vint le moment du parcours officiel, je la vis avec un certain étonnement se comporter comme une vraie professionnelle, attendant patiemment le signal sonore indiquant qu’elle pouvait commencer – signal qui se fit attendre à cause d’un problème avec le concurrent précédent. Elle respecta la volte avant le départ et mit calmement son cheval au galop sur le bon pied… toujours sans aucun énervement apparent. Même si les obstacles n’étaient pas bien hauts, le parcours était assez complexe pour ce niveau d’âge, avec de nombreux virages souvent serrés. Tout se déroula impeccablement. Toujours aussi surpris, je vis O. guider sa jument calmement mais sans hésitation, l’amenant bien droit sur les barres ; au moment du saut son regard quittait l’obstacle actuel pour déjà viser le suivant, signe de grande confiance intérieure... Cela aurait pu n’être que le fruit d’un heureux hasard, d’un alignement favorable des planètes équestres… Je me disais en moi-même que ma petite-fille n’était sans doute pas aussi extraordinaire, que mon amour de grand-père m’aveuglait, faussant mon regard sur ce qui n’était après tout que des qualités bien ordinaires… Pourtant, n’ayant commis aucune faute dans ce premier parcours, O. fut invitée à en effectuer un second, identique mais avec des obstacles légèrement plus hauts. Ce fut un parcours aussi parfait  en tous points que le premier, effectué toujours aussi calmement, aussi efficacement, manifestation d’une parfaite entente entre la cavalière et sa ponette. Une vraie pro ! Dans cette occasion, elle fit la parfaite démonstration qu’elle avait acquis "le sens du jeu" dans le sport équestre tout autant qu’au handball.

Et à l’école ? Là aussi, tout se passe fort bien, avec les erreurs bien compréhensibles et tout à fait nécessaires à ses apprentissages. On peut dire qu’elle fait partie des "bons élèves" comme on les aime en salle des professeurs. Qu’est-ce qu’un bon élève ? C’est un élève qui sait quoi faire, pourquoi et pour- quoi le faire, comment le faire - en général et lui/ elle en particulier, quand et où le faire, en autonomie ou avec des partenaires. Il/ elle est "juste" en toute occasion. Il/ elle a "le sens du jeu scolaire". Manifestement, ce sens-là aussi ma petite fille le possède.

Serait-elle donc un cas spécial qui relèverait de la génétique ? Ou bien le "sens du jeu", en sport ou à l’école, lui serait-il venu de façon magique, comme un "don" offert par de bonnes fées réunies autour de son berceau ? Ce serait dramatique et profondément injuste pour les enfants qui n’auraient pas eu cette chance ! Alors… d’où ce sens lui vient-il donc ?

Pour le savoir, on pourrait relire mon message numéro 172.  "Savoir par cœur" un texte pour le théâtre ou une poésie pour la classe… au CM1. Apprentissage avec la Gestion mentale.  J’y décris comment, un an plus tôt, j’avais mené avec elle une séance d’apprentissage d’un texte pour son activité de théâtre, après, l’année précédente, celui d’une poésie à déclamer en classe. Il est peut-être hâtif de conclure à un rapport de causalité directe, mais quand même…  Après ses deux parcours de saut d’obstacle, pendant le pique-nique qui a suivi, j’ai demandé à O. comment elle avait fait pour installer le parcours dans sa tête au moment de la reconnaissance à pied, et comment elle l’avait réalisé plus tard à cheval. Sa réponse nous éclaire : « Je l’avais mis dans ma tête quand je faisais la reconnaissance, après je le voyais défiler dans ma tête quand je sautais en me disant ce qu’il fallait que je fasse* ». Comme pour la poésie et le texte de son atelier théâtre. 

Il est probable que l’acquisition de ce "sens du jeu" qu’elle manifeste aussi bien en sport qu’à l’école doive beaucoup à sa personnalité déjà bien formée et à son éducation familiale basée sur l’expérimentation autonome, le dialogue et la réflexion partagée avec ses parents **. Elle a aussi trois demi-sœurs, beaucoup plus âgées mais très proches, ayant reçu la même éducation, et cela lui fournit des exemples et un étayage très favorables. Toutefois, l’explicitation des habitudes mentales mises implicitement en place dans la famille et leur adaptation aux tâches scolaires a pu également jouer un rôle. On dit parfois que la gestion mentale pourrait se résumer à cette boutade : "Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant". Cela est vrai pour éveiller à elle-même une conscience encore ignorante de ses potentialités, à l’aide des descriptions explicites des "gestes mentaux de la réussite". Mais aussi pour accompagner le transfert d’habitudes mentales acquises en milieu concret et familier (famille, activité manuelle, sport...) à des situations nouvelles aussi abstraites et symboliques que celles de l’école ; transfert qui, on le sait, ne va pas toujours de soi, surtout lorsque l’école se dispense d’en fournir les clés aux élèves qui ne les ont pas acquises ailleurs et qui souffrent tant de cette lourde inégalité.

Nous n’avons qu’un seul et même cerveau pour mener nos activités manuelles, sportives ou scolaires ; et nous n’avons qu’une conscience pour diriger notre cerveau. Cette conscience, exercée implicitement ou, mieux encore, explicitement, dans des situations différentes, dans des domaines différents, à différents niveaux d’abstraction, là est sans doute la véritable source du "sens du jeu" manifesté par ma petite fille dans toutes ses actions.

Pour conclure ce message, on ne me reprochera pas de faire un rapprochement entre les prouesses équestres d’O. et sa connaissance, implicite ou explicite, de la manière de gérer "Pégase"***, la cavale mythique qui d’un coup de son merveilleux sabot libère la source du sens et de la connaissance. Sur les terrains de sport comme à l’école.

* Cela m’a rappelé une anecdote tirée de ma propre expérience. J’étais moi-même cavalier autrefois et j’avais une certaine pratique du saut d’obstacles, surtout du Concours Complet, une épreuve qui réunit un Cross (épreuve de vitesse avec obstacles fixes), un CSO (parcours d’obstacles à barres mobiles) et une épreuve de dressage (démonstration du calme et de l’obéissance du cheval, de son degré de dressage). Lorsque, en 1990, j’ai débuté la formation de Profil pédagogique à l’Institut Supérieur de Pédagogie (ISP), Antoine de la Garanderie ayant demandé un volontaire pour faire une démonstration de cet exercice si particulier, je m’étais proposé. Il m’avait demandé de détailler une activité qui m’était familière. J’avais alors raconté comment je m’y prenais pour reconnaître les parcours de Cross avant une épreuve : l’observation des obstacles, de leur construction, de leurs abords, leurs difficultés particulières, la consistance du terrain, son inclinaison, etc. Je précisais la manière dont j’enregistrais tout cela en me parlant intérieurement et comment j’imaginais que j’allais conduire mon cheval en me faisant le film de cette approche accompagné de mes commentaires ; je voyais dans ma tête se dérouler le parcours, d’abord comme un spectateur qui me verrait passer, puis moi-même en selle ne voyant plus que l’avant de mon cheval et le chemin/paysage qui défilait devant nous, les obstacles qui se rapprochaient, tout en me formulant les consignes adéquates : ralentir, conduire, rééquilibrer, envoyer de l’énergie...

**  Dans les années 1980 des recherches ont été effectuées pour vérifier s’il y avait un rapport entre l'éducation familiale et la réussite scolaire. Parmi d’autres facteurs pouvant être déterminants - notamment socio-économiques -  J. Lieutrey, un chercheur qui fait encore référence aujourd’hui, distinguait alors trois modèles d’éducation parentale pouvant favoriser ou contrarier cette réussite   :

  • un modèle autoritaire, dans lequel "un contrôle trop rigide vient inhiber chez l’enfant l’envie d’explorer le monde, pousse à la conformité plus qu’à la curiosité, entraînant passivité, anxiété face à l’échec, voire des comportements obsessionnels" 
  • à l’exact opposé, un modèle laxiste, dans lequel "aucune limite n’est proposée à l’exploration du monde par l’enfant, ne lui permettant pas de structurer le réel, ni d’avoir assez de repères pour s’y mouvoir et se construire" 
  • entre les 2, un modèle dit "démocratique" qui "conjugue la confiance en l’enfant autorisé à explorer les lieux, les objets, les idées, les contacts avec d’autres, enfants ou adultes, et une initiation aux règles et aux normes sociales en les expliquant plus qu’on les imposant, ce qui facilite leur appropriation raisonnée et durable. Cette éducation concoure à développer l’autonomie et la responsabilité". 
(Source : Le rapport à l’Ecole des élèves de milieux populaires, J. Bernardin. De Boeck. 2013). C’est ce dernier modèle qu'ont adopté les parents de ma petite fille : il a très probablement sa part dans l’accès au sens dont elle témoigne.

***P.E.G.A.S. Projet Global d’Apprentissage Scolaire… ou Sportif…

 


jeudi 27 août 2020

153 - Libérons la source du sens chez nos élèves ! Les cinq questions en primaire !

En cette période de rentrée scolaire... regardons juste un peu par dessus nos masques... un peu plus loin que le bout de notre nez... ce livre à mettre entre toutes les mains des enseignants de tous niveaux... comme le recommande Farfa (en primaire) dans son superbe Blog ! Libérons pour tous les jeunes les voies de la connaissance et la source de leur plaisir d'apprendre !

http://dezecolle.eklablog.com/les-5-questions-de-comprehension-a185921374

J'apprécie tout particulièrement de voir mon livre apprécié par des enseignants du primaire. Cela est déjà arrivé plusieurs fois depuis sa parution, Mais trouver un tel message en avril 2020, en plein confinement Covid, plus de 10 ans après sa sortie en librairie, me prouve le bien-fondé de ce que j'avais imaginé à l'époque. Si je savais que ce livre ne ferait pas une sortie fracassante dans les gazettes, j'espérais qu'il se diffuserait dans la durée, sans faire de bruit, dans des publics très différents, des profs de lycée voire d'université, à ceux du primaire qui sont si importants pour l'éveil au sens de leurs élèves dès le début de leur parcours scolaire. Et bien sûr auprès des orthopédagogues, coaches divers, tous ces accompagnateurs de ces jeunes que notre système scolaire devenu si "scientifique" ne veut pas ou tout simplement ne sait pas conduire sur les chemins de la connaissance comme il le faudrait, aujourd'hui encore plus qu'hier. Plutôt que de s'épuiser à transmettre des savoirs morts du haut d'une autorité magistrale plus que vacillante, révéler à  chacun les voies de la connaissance qui sont déjà en lui bien avant de rencontrer les savoirs scolaires qui n'ont rien à perdre d'être appréhendés de cette façon "vivante". C'est la clef d'une scolarité acceptée, vivifiante et épanouissante ! Mais c'est aussi un autre paradigme... Plutôt (ré)ouvrir le pouvoir du "connaître" que d'essayer de tenter de forcer "l'apprendre".

Ce témoignage me prouve que j'avais vu juste et je ne peux que m'en réjouir. D'autant qu'il correspond à un autre message, celui d'Azraelle, rencontré il y a plusieurs mois déjà et qui m'avait lui aussi agréablement surpris : http://azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034. (Voir message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire  originale et stimulante !)

Ce qui est intéressant également dans ces deux messages, c'est la divergence que l'on constate entre deux profils d'enseignants. Azraelle abonde dans le "pourquoi", révélant la causalité et visant le passé et la découverte, auquel Farfa préfère le "pour quoi faire" de la finalité (la cause finale d'Aristote) visant le futur et ouvrant à tous les transferts imaginables ainsi qu'aux inventions.  Mais les deux se rejoignent dans le respect de la spécificité de leurs élèves et la même passion de leur faire partager la totalité des sens contenus dans les objets d'enseignement, règle de grammaire ou complément circonstanciel… Là est le cœur de leur mission.  La source du sens a été obstruée chez beaucoup de jeunes et pour beaucoup de raisons qu'il est difficile de détailler ici. La première mission des enseignants, comme des accompagnateurs en général, consiste essentiellement à dégager cette source de vie, à la faire sourdre de nouveau. Et cela, seule la gestion mentale (ou pédagogie des gestes mentaux) en donne les véritables moyens, n'en déplaise à tous les scientifiques et neuro-quelquechose du monde.

NB. Je n'oublie pas que, dans le récit de la mythologie, Pégase d'un coup de sabot fit jaillir une source en prenant son envol... source du sens, source de la vie de l'esprit "créateur de culture".

mardi 13 mars 2018

117 - Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.


Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.

Je rentre d’un stage sur la compréhension approfondie avec les élèves de seconde que j’accompagne dans des stages répartis au long de l’année. Je mesure une fois de plus combien ces jeunes sont démunis vis-à-vis d’une activité aussi importante que la compréhension.

On pense généralement que la compréhension est une faculté très complexe liée à l’intelligence, et que comme cette dernière, elle n’est pas donnée à tous de la même façon et surtout qu’elle ne s’apprend pas. On comprend ou on ne comprend pas, c’est tout ! Lorsqu’un élève ne comprend pas, ses professeurs ou ses proches, et bien sûr lui-même, commencent à douter de son intelligence : « Il rencontre ses limites… ! » dira-t-on avec résignation. Et pourtant il n’en est rien. Comprendre peut s’apprendre comme tout le reste. Reste à savoir comment, et c’est vrai que ce n’est pas une mince affaire. Voici le récit de ce dernier stage et la façon dont les élèves ont réagi à mes propositions.

Mais tout d’abord il faut se rappeler que lorsque l’on propose des méthodes de travail inspirées de la gestion mentale, il faut se garder de plaquer des modèles qui viendraient de l’extérieur, comme imposés par quelque autorité. Voici ce qu’en dit Antoine de la Garanderie dans Plaisir de connaître, Bonheur d’être, Une pédagogie de l’accompagnement, Chronique Sociale, 2004, page 46 – 47 (c’est moi qui souligne quelques expressions et en rajoute quelques autres en italique) :

« Il y a donc deux missions pour l’enseignant (ou le formateur) :
-          faire découvrir  à l’élève la qualité de l’acte cognitif dont il a fait usage à son insu pour qu’il lui soit rendu présent,
-          lui proposer  des actes cognitifs dont il n’a jamais pensé qu’ils pouvaient être à sa disposition, l’aider à faire ces actes vraiment siens, afin qu’il vive la teneur de plaisir qui les habite. C’est, en effet, en l’invitant à les mettre en œuvre qu’il en saisira les qualités épanouissantes et, en même temps, révélatrices du sens qu’il a à leur donner pour qu’ils atteignent leur fin.

Nous estimons que l’enseignant aura beaucoup à insister, car l’élève en situation d’échec ou de sentiment de doute à l’égard de ses capacités est très, très loin de lui-même et de pouvoir imaginer qu’il en recèle ; (nous estimons) qu’il faudra du temps non pour le convaincre car ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais pour qu’il consente à se reconnaître dans les actes qui ont à être les siens. L’enseignant est en effet tenté de penser que l’éclairage donné, le conseil proposé devrait avoir des effets immédiats… Il n’en sera rien. L’élève a pris l’habitude d’aller chercher dans les lointains de quelque transcendance des potentialités qui sont, en fait, trop proches de lui pour qu’il les voie ! Le travail qui est demandé à l’enseignant est d’une autre forme que celui auquel il s’est accoutumé : rapprocher l’élève des capacités qu’il possède à son insu… lui permettre d’apprendre ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser.

Ce n’est pas un placage de modèle que l’enseignant a à déployer… c’est à puiser dans l’intelligence de sa propre intériorité les propositions que l’élève aura à s’adresser à lui-même ! L’enseignant a à décrire l’acte de connaissance  tel que la conscience du moi vivant a à l’inscrire pour que la chose prenne sens en elle. L’élève peut commencer par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple. La suggestion qui lui est faite, il la ressent comme n’étant pas susceptible d’apporter la réponse à ses échecs : "ce n’est pas cela qui me permettra de comprendre… la règle de trois !" La pensée de l’élève que la conscience de l’échec assiège est la proie d’arguments négatifs qui le détournent de la prise en compte des moyens cognitifs et positifs dont il dispose naturellement et donc il n’imagine pas qu’ils sont ceux grâce auxquels, à l’avenir, il connaîtrait le plaisir de comprendre. »

Loin, donc, d’un plaquage de modèle, l’apprentissage de la compréhension doit passer par "l'épreuve par soi", par l’expérience personnelle de l’élève qui doit reconnaître "ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser" et, s’il ne l’a déjà fait spontanément mais inconsciemment, qu’il pourrait mettre au service de son travail scolaire. Il peut ensuite s’inspirer des témoignages de ses camarades et des descriptions qu’on peut lui faire, pour aller au-delà de ses capacité naturelles et acquérir des moyens auxquels il n’aurait pas pensé pour parfaire sa compréhension. Mais il y aura des obstacles à surmonter car l’élève commencera bien souvent « par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple ». Il faut donc ménager une progression qui permette à l’élève non seulement de prendre conscience
-          de ce qu’il fait déjà lui-même, "intuitivement", dans sa tête pour comprendre (bien qu’il ne l’utilise pas forcément à l’école),
-          mais aussi de ce qu’il pourrait faire et qu’il ne se connaissait pas,
-          tout en surmontant la croyance qu’il ne pourra pas y arriver.

Voir le détail du contenu du stage sur la compréhension dans le message 95 - Comprendre "comme un pro". Troisième stage en Seconde de méthodologie.

Un grand chamboulement intérieur.
Ce stage a débuté par un bilan de l'état actuel des élèves vis-à-vis des acquisitions méthodologiques travaillées depuis Septembre, soit les étapes de Pégase (être attentif, comprendre au premier niveau, mémoriser ce que j'apprends, réfléchir et réutiliser mes connaissances, exprimer ma pensée correctement à l'écrit ou à l'oral).  Puis j'ai introduit le travail des journées suivantes autour de cette question : « Pour réaliser tout cela le mieux possible, comment faudrait-il dès le départ que je comprenne de façon plus approfondie ce que j'apprends ? »

A suivi l'habituel débat autour de la question : « Où est le sens ? ». La plupart des élèves ont répondu sans hésitation, : « En nous ! ». Cette croyance justifie les expressions inexactes : « Donner du sens… Faire du sens… » En réalité, le sens réside dans les choses que nous nous efforçons de comprendre, dans le monde qui nous entoure, dans les situations que nous vivons, et bien sûr dans les objets scolaires que nous apprenons. Mais si le sens est hors de nous, il nous appartient, nous les êtres humains, d'aller le chercher, de nous efforcer de le conquérir pour le combiner avec celui nous avons déjà constitué en nous : c'est ce qu'on appelle "comprendre". C'est dans l'interface dehors/dedans, dans l'interaction du sujet comprenant et de l'objet de sens à comprendre que se joue notre accès au sens. Pour cela la nature nous a dotés des « outils intellectuels intérieurs » (A. Jacquard) nécessaires, et ce sont eux que nous utilisons lorsque nous cherchons à comprendre. Ce sont ces "outils" que le reste du stage a proposé à ces jeunes d'abord de découvrir en eux-mêmes, puis de perfectionner pour les porter à leur meilleur niveau d'efficience.

Tout d'abord, j’ai introduit les notions de compréhension appliquante et expliquante, cette dernière à l’aide de la fiche trouvée sur le blog d’Azraelle (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87086090) dont j’ai déjà fait état dans mon message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire  originale et stimulante !

Puis, après avoir exploité la métaphore de la barque, j'ai montré qu'il y avait cinq directions principales à toute recherche de sens, correspondant aux 5 questions fondamentales : C'est quoi ? Avec quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Comment ? (Voir Comprendre et réutiliser ses connaissances, article publié en  1994 dans la revue de Gestion Mentale n°6)

À la fin de la journée les élèves étaient dans un état de grand trouble manifesté par un comportement inhabituellement agité de certains d’entre eux.  Je savais qu’il traduisait le grand chamboulement intérieur qu’ils vivaient, et que plusieurs ont pu exprimer à peu près ainsi : « Je me rends compte que depuis l’école primaire j’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher à comprendre. J’aurais tellement aimé connaître le pourquoi de ce que je devais appliquer ! ». Cela en effet a de quoi  provoquer quelques rancœurs rétroactives, et le constat de leur « anesthésie intellectuelle » (apprise) était quasi insupportable pour beaucoup. Jusqu’à en vouloir à celui qui leur avait révélé cet état en leur ouvrant une perspective «aveuglante» sur la recherche du sens, désormais de leur seule responsabilité.

Platon à la rescousse.
Le lendemain matin, j’ai proposé aux élèves un temps de relecture de leur ressenti de la veille et je leur ai proposé de l’analyser à la lumière de l’allégorie de la caverne de Platon. Ils se trouvaient dans un état comparable à celui des hommes enfermés dans la caverne, victimes d’une vision déformée et illusoire de la réalité de l’école ainsi que des mauvaises habitudes de travail que cela avait entraîné. Et voilà que quelqu’un les appelait à une autre vision de l’apprentissage et à une autre manière d’apprendre, plus complexe et plus exigeante, sans doute plus efficace et "libérante", mais aussi très dérangeante par rapport à leur « zone de confort » habituelle. Ils avaient de quoi, en effet, en vouloir à cet initiateur qui les dérangeait si fort.

La recherche autonome du sens.
Maintenant, ils étaient placés devant un choix décisif pour eux : ou bien continuer à avancer dans ce nouveau monde de la recherche autonome du sens qui s’ouvrait devant eux, ou bien revenir à leur état  antérieur (ou se laisser rattraper par ce qui les retenait prisonniers jusque-là). Le tour de table qui a suivi fut d’une profondeur et d’une sincérité peu communes. Seuls deux élèves ont fait état de leur hésitation à passer la porte de la caverne et à affronter l’aventure de la recherche du sens…

Dans la « zone proximale de développement ».
Cette prise de conscience individuelle et collective s’est traduite par un engagement et une maturité nouvelle dans les exercices qui ont suivi autour du modèle des « 5 questions » de la compréhension. Ce modèle n’a pas été imposé de l’extérieur par une «autorité », comme un comportement plaqué de façon artificielle. Nous l’avons construit ensemble à partir de ce que les élèves reconnaissaient être en capacité de comprendre déjà par eux-mêmes : les questions qu’ils se posaient spontanément, même si beaucoup ont cessé -certains depuis très longtemps - de le faire pour les objets scolaires. Apprendre sans chercher à comprendre n’est pas un comportement naturel, c’est un « comportement appris » comme on dit en psychologie, comportement façonné par des années de scolarité où ils s‘étaient interdits (où on les avait empêchés ?) d’exercer leur capacité naturelle de compréhension, leur recherche naturelle de sens. Voir message 119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !

Bien sûr cette capacité naturelle est forcément limitée aux seules questions qu’ils se posent habituellement, à leurs projets de sens naturels, fruit de choix inconscients souvent hérités de l’environnement familial, et qui spécifient leur personnalité cognitive toujours singulière. Le but du jeu était donc de leur montrer non seulement qu’ils avaient le droit de se servir de leurs questions personnelles, mais qu’ils pouvaient aussi s’en poser d’autres auxquelles ils ne pensaient pas (mais que certains de leurs camarades se posaient tout aussi naturellement qu'eux…), et que cela leur ouvrait une qualité de compréhension bien plus large et plus approfondie, couvrant la totalité du sens de ce qu’ils ont à apprendre.

C’est donc à partir de l’existant et par des mises en situation de difficulté progressive (dans la « zone proximale de développement » de Vigotsky : d’abord avec mon aide, puis avec les copains en petits groupes, puis seul dans de petits exposés) que le modèle des cinq questions a été décrit et intériorisé petit à petit par les élèves. Beaucoup d’entre eux ont alors changé radicalement de comportement vis-à-vis du travail et même vis-à-vis de moi. Je pense donc avoir atteint mon objectif de les aider à quitter leur état d’irresponsabilité intellectuelle, inefficace bien que confortable, pour accéder à celui d’une vraie autonomie intellectuelle dans le travail, plus risquée et dont les résultats ne se verront qu’au prix d’efforts et de persévérance de leur part.

Deux témoignages qui reflètent assez bien la tonalité générale des bilans des élèves.
"Actuellement, j’ai l’esprit tout chamboulé. Je ne sais plus si dans ce que je faisais avant tout était mauvais ou si je peux garder certaines choses. Mais une partie de mon esprit s’est éclairé, j’ai compris certaines choses : se poser les bonnes questions, avoir un but, que pour comprendre il faut comparer… Merci d’avoir mis la lumière dans notre potentiel. Je vais essayer d’appliquer cette gymnastique de cerveau. "

"Ce stage a été le plus compliqué (très philosophique) mais le plus intéressant ! C’était très instructif et formateur car pour moi, avant, il n’y avait rien à comprendre à tout ce que l’on m'apprenait ! L’image de la caverne, l’idée d’en sortir, m’a beaucoup marquée car ça me fait prendre conscience qu’il faut encore plus partir à la découverte du monde et éveiller sa pensée. Les 5 questions vont beaucoup m’aider car j’ai du mal à me faire comprendre à l’écrit et à expliquer ma pensée. En tout cas, de mettre des mots sur ce qui n’était pas forcément explicite m’a permis de réaliser que je faisais déjà des choses automatiquement et d’autres non ! Donc celles que je ne fais pas automatiquement, je vais les mettre en place pour encore mieux réussir le troisième trimestre. Merci beaucoup".

Ajout de 2022. La quasi totalité de ces élèves, jugés à leur sortie de troisième inaptes aux études supérieures, ont eu, certains au prix d'un redoublement, des scolarités de lycée "normales",  avec un taux de réussite au Bac identique à celui du reste de leur promotion ; ils ont fait des carrières professionnelles conformes à leur souhait, plusieurs avec des réussites inespérées même de leur entourage : ingénieurs de toutes disciplines, psychologues, orthophonistes, carrières juridiques, médicales ou sociales...

mardi 11 novembre 2014

82 - Restituer ou réutiliser ses connaissances, telle est la vraie question !

Un vieil article repris en grande partie dans " Accompagner..." et toujours d'actualité... 

PLAISIR D’APPRENDRE, MOTIVATION ET PROJET DE SENS.

Projet de restituer ou projet de réutiliser ?

Tous les jeunes que je rencontre pour les aider à mieux réussir leur scolarité, de la 4° à la Terminale et même au-delà, présentent une caractéristique commune : une désintérêt, un manque de goût plus ou moins profond, et plutôt mal vécu, pour les activités scolaires. Ce phénomène n’est pas nouveau. Signalée depuis le début des années 90 par les sociologues, observateurs attentifs de la « planète lycée », la perte du sens de l’école semble bien aujourd’hui avoir contaminé des couches entières de la population scolaire, gagnant le collège et même en-deça. Ne peut-on voir là la source de bien des maux dont souffre le monde de l’école aujourd’hui ?  Particulièrement la disparition du plaisir d’apprendre, support incontournable de la motivation pour le travail intellectuel et, partant, accès au bonheur de la connaissance ?

 Certes, la découverte que permet la Gestion mentale de leur potentiel mental et de la façon de l’utiliser intéresse toujours ces jeunes et suffit parfois à remettre en route une partie d’entre eux. Mais pour beaucoup d’autres, et non des moins intelligents, cela ne suffit pas à se remotiver pleinement, et si oui, à atteindre un bon niveau de réussite. Y a-t-il un autre domaine dans lequel il est possible de les aider ? Je me suis alors davantage intéressé à leur projet de sens relatif aux finalités des activités scolaires, projet intimement lié à leur conception de l’école. « C’est quoi l’Ecole, pour toi ? Qu’est-ce que tu penses qu’on attend de toi ? Quelles tâches dois-tu  réaliser pour que l’on te dise que tu as réussi ? A quoi te servent les actions mentales que tu es amené à y consacrer ? Dans quelle perspective de sens les places-tu ?» Ces questions, d’une façon ou d’une autre je les pose dorénavant très tôt dans mes entretiens et elles alimentent une partie importante de mes séquences en stage de méthodologie.

Je suis frappé chez ces élèves par la permanence du « projet de restitution des connaissances » qui vient tôt ou tard émerger au cours de leur prise de conscience. Ce projet limite leur imaginaire de l’avenir à un simple « retour à l’envoyeur » de ce qu’ils apprennent et qu’ils ont bien du mal à réutiliser correctement dans les activités de réflexion.  Tant il est vrai que « nos acquis ont la destinée que nous leur avons donnée » au moment de leur apprentissage et que cette destinée est difficilement modifiable par la suite. Cette expression d’Antoine de LA GARANDERIE montre bien l’importance du projet de sens qui préside aux activités menées par les élèves. Or le projet de sens de restitution occupe le champ mental des élèves en difficulté à tel point que tous les conseils, toutes les informations données par les enseignants pour les aider à entrer dans une logique de formation plus « secondaire », filtrés qu’ils sont par cette conception trop limitée, sont déformés de façon insoupçonnable pour l’observateur : devant les erreurs constatées, il conclue trop vite à un manque de capacités, ou de maturité, ce qui enclenche redoublement, spirale de l’échec, perte de confiance, de plaisir et de motivation.  Ainsi cet élève de Terminale série L qui définissait ainsi la dissertation philosophique : « Il faut redire le cours du professeur d’une manière plus compliquée » (manière que bien sûr il ignorait !). Et, de fait, il « compliquait » si bien qu’il en était illisible, incohérent… et surtout complètement démotivé par un tel « travail ». Même chez ceux qui ont réussi à « passer » d'une classe à l'autre bien qu’ils n’aient en rien modifié leur conception (ce qui est fréquent jusqu’à des niveaux élevés et rendu possible par le jeu d’évaluations peu exigeantes…), des activités ainsi détournées de leur vraie finalité n’ont plus de sens que par rapport à de vagues et trompeuses promesses strictement utilitaires : « avoir un bon métier », « avoir un diplôme coté »…. Je voudrais donner ici un exemple qui illustre bien ce que je rencontre de façon systématique et comment un dialogue pédagogique mené dans cette perspective peut apporter quelque lumière.
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Nicolas a quinze ans depuis peu ; il redouble sa classe de troisième après une première année somme toute pas si mauvaise que cela. Mais Nicolas paraissait un peu immature à ses professeurs. Il travaille bien, il sait bien ses leçons, étroitement encadré par une mère quelque peu inquiète qui les lui fait apprendre « par cœur ». Il présente un profil très visuel, spatial et globalisant  avec une « seconde langue » verbale qu’il utilise à bon escient pour analyser et réfléchir ; il gère correctement les  quatre paramètres et son imagination créatrice est bien réelle ; sa compréhension vise prioritairement les applications ; il n’accorde aucun intérêt à l’apprentissage de la formulation des règles, les exemples lui suffisant largement à « se débrouiller » en contrôle : A quoi bon, en effet, s’encombrer de ces contenus lourds en mots, dont l’apprentissage est coûteux et dont l’utilité bien obscure ?

Je reçois Nicolas pour la deuxième fois. La première fois, trois semaines auparavant, après avoir mis à jour avec lui ses habitudes évocatives, j'avais montré à Nicolas comment pratiquer des schémas heuristiques pour apprendre ses cours. Je lui avais aussi enseigné le geste de réflexion, mais j’avais senti que ce n’était pas encore le moment, que cela lui passait un peu « au dessus de la tête ». Aujourd'hui, il me montre un schéma qu'il a réalisé à partir d’un cours d'histoire sur Staline et l'URSS dans les années 30. Il est déçu car au dernier contrôle, portant justement sur ce cours, il n'a eu que 9/20. L’an dernier au Brevet des Collèges (qu’il a réussi), sur le même sujet il avait eu 16 (quels critères d’évaluation ?)... Il ne comprend pas pourquoi cette fois-ci cela n'a pas marché. Le devoir est normalement écrit, les phrases sont correctes : je lui avais aussi montré la vraie « cible » d’un écrit et il s’était efforcé dans sa copie d’en tenir compte en imaginant des lecteurs éventuels. Ce qu’il écrit a du sens. Cependant, son professeur lui a dit qu'il avait « raté sa synthèse ». Je demande à Nicolas ce que ce mot signifie pour lui. Il pense que cela veut dire « qu’il n'a pas assez  approfondi » ce qu'il a mis sur sa copie. Il dit aussi « qu’il n'a pas vu la  question derrière la question » dans le sujet. Je lui demande de préciser un peu plus ce qu'il met sous le mot « synthèse ». Sa réponse : « c’est un paragraphe argumenté ». Je comprends que Nicolas ne donne pas au mot « synthèse » un sens bien précis et qu'il fait même un contresens à ce sujet : il confond le fond et la forme de son écrit… comme tant d’autres élèves et de bien plus âgés !

Je lui demande alors de se souvenir avec précision (il a oublié de m’amener sa copie) ce qu'il a marqué sur son devoir. Il se concentre et me dit qu'il a détaillé les principaux chapitres qu'il avait mis en branches sur son schéma, dont il avait une évocation visuelle très nette pendant le contrôle (et qu’il revoyait encore très clairement). D’ailleurs il connaissait ce cours « par cœur » depuis l’an dernier, ce qui rendait cette note encore plus incompréhensible. Il avait aussi essayé de mettre ses connaissances dans un certain ordre... mais sans pouvoir préciser lequel..

L'expérience qu’il revit de ce devoir confirme mon impression du précédent entretien : que sa première rencontre avec le geste mental un peu complexe de la réflexion n’avait été que superficiel. Je lui demande alors s’il se souvient de l'intention qu'il avait eue pendant qu'il travaillait lors du contrôle, ce qu’il cherchait à réaliser tout en écrivant. Ses premières réponses, trop vite venues, comme mécaniques, tournent autour de « rédiger un paragraphe argumenté », « ordonner mes connaissances dans un ordre précis », comme s’il s’accrochait à des consignes extérieures à lui-même, des conseils méthodologiques « venus d’ailleurs ». Je reprends alors en lui demandant d'essayer de se souvenir encore mieux de ce qu'il essayait, au fond de lui-même, de réaliser pendant qu'il écrivait. Cette fois, il hésite et je vois sur son visage tous les signes extérieurs de sa concentration. Au bout d'un moment il me dit : « Mais enfin, ce que veut le professeur, c’est bien savoir si j'ai bien appris, que je lui dise mes connaissances, non ? ». Disant cela, son visage, son regard, le ton de sa voix plus ferme, le débit plus rapide, tout indique qu'il est sincère. Dans cette phrase il exprime son réel projet de sens à propos de ce contrôle, ce projet qui semble globalement le sien : n'apprend-il pas toujours très bien ses leçons ? Et par cœur en plus ? D’ailleurs, sa mère ne lui a-t-elle pas dit que c'est ainsi qu'il faut faire ? Ne lui a-elle pas dit que devant un sujet, « il faut ouvrir le tiroir correspondant dans sa tête et redire ce qu’il a appris » ?

Sans faire de commentaires sur ce que Nicolas vient d’énoncer, je passe à autre chose et lui demande de me redire les termes exacts de l’énoncé de son devoir, exactement tels qu'il s'en souvient. Voici ce qu'il me dit : « Les différentes mutations dans les secteurs économique et social en URSS dans les années 30 ». Je lui demande : « Quelles sont les mots importants de ce sujet ? ». Sa réponse : « Secteur économique et secteur social, URSS, années 30 ». Je reprends : « Tout cela est vrai. Mais que fais-tu de « mutations » ? Que veut dire ce mot ? ». Son regard se fixe un moment, puis brusquement, en accompagnant ses paroles d’un geste de ses deux mains de gauche à droite: « Mais ça veut dire un changement, une transformation, le passage d'un état à un autre... ! ». J’approuve cette traduction du mot « mutations ». Je lui demande alors quelles évocations il a eues dans sa tête qui lui ont donné le sens de ce mot : «J'ai vu une frise, j'ai vu d’abord la tête du Tsar, puis celle de Lénine, et après celle de Staline... En passant de l’une à l'autre, j'ai compris qu'il y avait eu un changement et que c'était ça « la question sous la question » du sujet ».

Je lui demande alors s'il a déjà entendu prononcer le mot « problématique ». Il me répond que certains professeurs, dont justement celui d’Histoire cette année, ont employé ce mot. Mais il ne voit pas bien ce qu’il veut dire. Il suppose seulement qu’il s’agit de quelque chose d’un peu compliqué…

À ce moment de l'entretien nous nous trouvons au centre du conflit qui se déroule en lui entre deux projets de sens que je l’aide à verbaliser. D’un coté, un vieux projet de restitution des connaissances (réciter une leçon, dire ce qu’on sait sur un sujet, refaire des exercices du même genre que ceux du cours…),  projet bien maîtrisé depuis les classes primaires, si habituel, et malgré le désintérêt qu’il engendre, si confortable parce que peu coûteux en investissement réel. De l’autre coté, le projet de réutiliser ces mêmes connaissances dans une situation de problème, jamais rencontrée auparavant et qu’il lui incombe de définir (la « problématique ») avant de s’activer à la recherche et au tri de ses acquis. Situation très nouvelle pour lui, encore obscure mais dont il pressent confusément à la fois les dangers mais aussi les potentialités de plus grand intérêt pour lui. Je lui montre alors de nouveau le schéma des étapes du geste de réflexion (voir messages 18 et 25 sur l’apprentissage de la réflexion)  et notamment celles de l’analyse de l’énoncé et de sa problématisation qui mène à la synthèse, c’est-à-dire à une création personnelle (choix et regroupement pertinents des connaissances) qui l’engagent bien davantage que la simple récitation de son cours. Le regard intense qu'il porte alternativement sur le document et sur moi indique que mes explications entrent en lui et viennent alimenter son débat intérieur, contrariant ses convictions anciennes certes, mais lui ouvrant du même coup un horizon de sens bien plus attrayant où pourra se déployer son intelligence et sa créativité, source de plaisir et par là de motivation renouvelée.


C'était cela que son professeur d'histoire tentait de lui faire vivre en lui reprochant l'absence de synthèse. Il faut dire que les enseignants ne sont pas toujours très au clair à ce sujet. À partir de la classe de quatrième, les élèves sont tiraillés entre deux types d'enseignants : d'une part ceux qui exigent de simples restitutions de connaissances, mêmes si elles se cachent sous des énoncés plus « savants » ; d'autre part ceux qui, anticipant sur les exigences du lycée, exigent des réutilisations synthétiques beaucoup plus complexes, mais sans expliciter ni cet objectif nouveau ni les opérations mentales nécessaires pour les mener à bien. Les premiers engendrent une baisse notable de motivation à mesure de l'avancée en âge de leurs élèves ; les seconds les rebutent par des exigences obscures, parfois sans ménager de transition, et donc inatteignables. Sans l’explicitation de ces nouveaux enjeux, sans cet accompagnement si particulier que permet la Gestion Mentale, comment un enfant peut-il s'approprier cette nouveauté, vivre ce bouleversement de ses habitudes, de toute  sa conception de l'école ? On sait que c’est aux alentours de la puberté que se pose le problème d’une rupture avec le monde de l’école (et de la famille parfois aussi). Bien des explications, toutes intéressantes, sont avancées par les sociologues et les psychologues sur ce phénomène. Mais sans qu’elles n’aident beaucoup les enseignants. Et si, au moment de quitter son enfance, lorsque tout se modifie au plus profond de lui, on oubliait d’aider ces enfants à modifier leur projet de sens quant à l’apprentissage scolaire (leur rapport à l'école et au savoir) ? On comprend mieux alors que, se considérant toujours dans une obligation de « restitution » qui le maintient dans son état d’enfance (menace de régression), de dépendance vis-à-vis de l’adulte, « d’irresponsabilité  pédagogique », le jeune adolescent regimbe, parfois violemment. Finalement, que redoute-t-il d'autre que de se voir empêché d’accéder à l’étape suivante, à la fois incertaine et risquée, mais aussi nouvelle et attirante, de son développement intellectuel, de sa croissance humaine ?

mercredi 16 novembre 2011

44 - Sens de la lecture retrouvé... et "dictée magique"...

On croit rêver... Au journal de 13 h de la 2° chaîne, aujourd'hui  même, mercredi 16 Novembre 2011, on nous dit dans un reportage tous à fait sérieux, comme une révélation surprenante, qu'on peut faire gagner 6 mois à ses enfants dans l'apprentissage de la lecture en leur lisant une histoire tous les soirs... Et des parents, des papas surtout, de témoigner que le professeur de leur enfant leur a donné ce bon conseil...  et d'assurer qu'ils s'efforcent de le suivre... certains avec un air un peu goguenard, ou même un peu dubitatif ("ils finissent pas les savoir par coeur"...)... comme s'il s'agissait d'un gadget... Mais gagner 6 mois, hein, cela en vaut la peine... non ? Dans notre univers d'ultra compétition, où tout se mesure en rentabilité et en temps raccourci, prendre 6 mois d'avance sur les autres, c'est important, (re)non ? Même l'écrivain, appelé à la rescousse de ce "scoop", d'en rajouter sur l'intérêt de redonner le goût de la lecture, considérée comme un gage sérieux de réussite scolaire (ce qui au demeurant est parfaitement vérifié). Mais personne n'a relevé qu'il s'agissait  ni plus ni moins de transmettre à de jeunes enfants, bien en amont de l'Ecole, le sens même de la lecture ("ce que lire veut dire" dirait Bentolila) comme accès au monde merveilleux du plaisir du rêve et des émotions, certes, mais aussi à la culture et simplement à la communication entre les hommes. Le sens, dites-vous, mais qu'est-ce c'est que ça ? Combien ça vaut, en temps, en euro ? Et dans un journal télévisé,  vous n'y pensez pas !

Je repense à mes propres enfants, que ni leur mère ni moi n'avons jamais eu à aider, ni au primaire ni après (si ce n'est, peut-être ?, en leur transmettant le goût de l'étude.. et en nous réjouissant ostensiblement de leurs bons résultats, sans appuyer sur les baisses de régime passagères...). Ils ont réussi leurs études sans aucun accroc (ils sont maintenant, lui : professeur et directeur d'Ecole primaire, elle : médiatrice du patrimoine culturel scientifique). Ils savaient presque lire en entrant à l'école. Bien sûr nous pratiquions assidûment les lectures du soir, rituelles, variées et souvent prolongées (on avait quand même la télévision en ce temps-là... mais avec un usage adapté à leur âge), et ils ont continué dès qu'ils ont pu lire par eux-mêmes. A la même époque, ils avaient aussi un simple jouet qui leur a ouvert l'accès autonome au monde des signes (lettres). Il s'appelait  "la dictée magique" et comportait des modules de niveau progressif. Ils y passaient des heures sans s'en lasser... Ils se sont ainsi familiarisés avec les lettres, leur forme écrite comme leur correspondance sonore, leurs assemblages si variés pour former syllabes et mots, déjà connus ou découverts à cette occasion. Ils sont ainsi  passés sans effort ni douleur du phonème au graphène, du concret au symbolique, préfiguration de l'accès à l'abstraction ... enjeu si capital de l'école.  Je ne sais plus ce qu'est devenu cet objet si utile, ou à qui il a été donné...J'ai fait une recherche sur internet et vu qu'on en trouvait sur les sites de ventes d'occasion... je vais m'en procurer un de ce pas, il pourra toujours servir à quelqu'un.

lundi 28 février 2011

24 - Pédagogie du sens, sens de la pédagogie.


Ce message est un développement de ma note à la fin du message 19.Article écrit en février 2011.

C'est une évidence, notre monde scolaire est en crise. Une crise sans précédent sans doute dans son histoire, au point que ce sont les principes mêmes sur lesquels il repose qui semblent mis en question. On voit pointer de ci de là des propositions qui tendraient non seulement à réduire le nombre de professeurs (en plus des mauvaises raisons politiques et économiques actuelles), mais également à résoudre les problèmes immobiliers posés à tous les niveaux d'études. La transmission des savoirs (de plus en plus nombreux et complexes) n’est-elle pas aussi bien assurée chez soi avec un ordinateur personnel (didacticiels en tous genres) qu'en classe ? Au vu du rythme accéléré de l’évolution des technologies informatiques,  il est sûr que des évolutions sont nécessaires en ce domaine, et elles sont déjà engagées. Pourtant je ne suis pas certain que l'usage incontournable, même guidé par un enseignant, de ce qu'on appelle les TICE  (Technologies de l'information et de la communication pour l'éducation), suffira à résoudre le problème posé à notre école. Il me semble qu’il y a à sa dégradation d'autres causes plus profondes (économiques, sociologiques ou « sociétales » comme on dit, mais également cognitives…) qui ne disparaîtront pas avec un bouleversement des seuls moyens de la transmission. L’une de ces causes me semble être d’ordre linguistique. Elle repose sur un contresens largement répandu au sujet du sens même du mot "apprendre".

Souvent lors de stages je pose cette question aux stagiaires à brûle pourpoint. : « Si je vous demandais maintenant d'aller couper du bois, comment le couperiez-vous ? » Invariablement les réponses sont : « avec une scie » ou « avec une hache », ou encore : « en bûches » ou « en tas de branches ». Très exceptionnellement, j'entends quand même quelques rares : « ça dépend pour quoi faire ».  Je demande alors : « Ce bois que vous avez coupé conviendrait-il pour fabriquer un violon ? » Surprise, réactions désappointées, un peu agressives parfois : « Vous ne l'aviez pas dit avant ». Alors pourquoi ne pas l'avoir demandé ? Essayez de faire ce petit test autour de vous et vous verrez par vous-même. Chacun « coupe son bois » en fonction de ses besoins habituels ou de son expertise, c'est-à-dire en fonction de ses automatismes : qui pour se chauffer dans un poêle, qui pour élaguer les arbres de son jardin, qui, menuisier de métier, pour faire des planches, etc. « Pour moi, couper du bois c’est forcément faire des bûches, je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre». Il en est ainsi de toutes choses : nous sommes des êtres d'habitudes, d’automatismes et de croyances. Devant toute situation, nouvelle ou non, ce sont eux qui guident nos réactions ou nos anticipations. Prendre en compte autre chose, comme un besoin ou une attente qui nous soient étrangers, demande toujours une disponibilité, une décentration peu confortable puisqu'elle exige de nous une adaptation à une autre perspective de sens et donc un dérangement plus ou moins agréable du « complexe impur de nos connaissances empiriques déjà constituées » pour reprendre l'expression de Bachelard (message 23).

Transposons maintenant dans le domaine scolaire. Demandons à nos élèves : « Comment apprenez-vous vos leçons, vos cours ? (ou abordez-vous un énoncé…ou rédigez-vous une copie…) » Les réponses indiqueront naturellement les moyens (outils ou méthodes) habituellement employés. Beaucoup plus rarement vous entendrez le, pourtant, si important : « ça dépend pour quoi en faire, dans quel but ». Quelles habitudes, quels automatismes ou croyances commandent souterrainement ces moyens pas toujours bien adéquats ? Quelle peut en être l’origine qui les a ainsi constitués à l’insu des élèves eux-mêmes et qui serait donc la cause de leurs difficultés ?




Dans « Accompagner… »  j’ai insisté sur le faux, le « détestable » (message 19) projet de sens,  pourtant si répandu, que représente la restitution au professeur de ce que les élèves ont appris : « pour moi, apprendre c’est pouvoir montrer au professeur que j'ai appris, que j'ai travaillé ». Il me paraît que ce « mauvais » projet est partagé par la plupart des acteurs de l'école : élèves bien sûr, mais aussi professeurs et parents pour une fois d'accord, au moins sur ce point. Et même d'éminents spécialistes... On trouve ce terme de "restitution" dans tous les ouvrages sur l’apprentissage. Jusqu’alors, je m’étais borné à constater cet état de choses et les dégâts qui en découlent pour la réussite et la motivation des élèves. Le projet de restitution détermine, en le pervertissant et en le réduisant, le champ des moyens mis en œuvre dans leur travail (reproductions et rabâchages indigestes, superficialité de la compréhension, désorganisation du travail fait au dernier moment…). Mais d’où vient ce « faux » projet, pourquoi est-il si répandu. Récemment, j'ai réalisé qu’il pouvait avoir une origine tout à fait identifiable… et qui me crevait pourtant les yeux.

J'ai déjà aussi souligné (« Accompagner… », pp 66-67 et message 19) que dans « apprendre » (= ad-prehendere) le préfixe « ad (= pour)» indique un mouvement d'anticipation, donc un pro-jet* visant l'avenir. Apprendre n'est pas un verbe intransitif : on ad-prend toujours quelque chose. Le contenu de l'apprentissage a son importance et ses contraintes, certes, et il serait dangereux de l'oublier. Mais ce qu’on prend (même si les chemins de ce "prendre" sont différents selon les personnes et selon qu’il s’agit d’un cours d’histoire, d’un poème ou d’un théorème, etc.…) c’est aussi toujours pour quelque chose (autre chose que le contenu lui-même) dont on a conscience dans un avenir plus ou moins proche (un but personnel à réaliser, un objectif à atteindre, un besoin ou un désir, un projet de sens à satisfaire...). C’est le sens du « pour » qui donne le sens du « prendre ». Or il est une interprétation de ce pour qui constitue à mes yeux un véritable contresensSouvent en effet on traduit apprendre par « prendre pour soi », alors même que rien n'indique que le « ad » renvoie à soi-même plutôt qu'à autre chose d'extérieur à soi. Sauf si cet « autre chose » est illisible, maintenu dans l’obscurité ou dans une extériorité contraignante et inaccessible,  et, qu’alors, il ne reste plus qu’à s’accrocher à ce qu’on l’on croit si bien tenir : soi-même.

Du reste, cette centration sur soi n'est-elle pas conforme au très vieux (?) modèle pédagogique « du vase  (de la tête) vide à remplir » ? Ce modèle de l'apprentissage-remplissage n'a jamais été complètement détrôné par ses successeurs (comportementalisme, cognitivisme, mentalisme) ni par les découvertes les plus récentes des neuro-psychologues sur le fonctionnement du cerveau et le rôle de la conscience dans toute connaissance. Ce vieux modèle est d’autant plus présent qu’il est accompagné d'une conception, elle aussi discutable, de l'évaluation qui consisterait alors uniquement à s'assurer de ce remplissage et de sa conformité en observant sa « restitution » par l’élève ? « Montre-moi de quoi ta tête s’est remplie » semble dire le professeur. « Voyez tout ce que j’ai mis dans mon vase que vous pensiez vide » semble répondre l’élève en déversant, en "déballant" (restituant) devant son professeur ce qu’il a « incorporé » (mais  souvent si peu « digéré »… ou alors si mal,  si peu en conformité à ce qui a été « versé » au départ…). Des trois sens de « restituer »  (rendre son repas, rendre un objet volé à son propriétaire, rendre à son état d'origine un objet déformé ou dégradé), seul le dernier peut avoir un lien avec le monde scolaire. Il signifie alors que l'on veut vérifier l'état dans lequel l'élève a intégré, a incorporé, s'est approprié les notions transmises par son professeur. Lorsque l'on sait que pour comprendre il est indispensable d'interpréter, de traduire, de transformer (de mettre dans une autre forme, donc avec le risque de déformer) ce que l'on comprend, cette vérification est bien sûr nécessaire. Mais du même coup, elle indique à l’élève, qui n’a guère d’autres éclairages à ce sujet, le « but à atteindre » de son apprentissage. Et les adultes, pas beaucoup mieux conscients d’autres buts à indiquer aux élèves, d’organiser leur action autour de cette représentation.

On ne va donc considérer dans l'apprentissage (versant élève) comme dans l’enseignement (version professeur) que les seuls moyens constitutifs de ce « prendre pour soi ». C'est-à-dire tout ce qui concerne l'intégration des savoirs, leur appropriation par l'élève. Je « prends pour moi » ce qui m’est nécessaire pour satisfaire mes propres besoins, désirs, ou mes propres projets de sens si l'on se réfère à la gestion mentale. Une fois ces besoins et projets de sens personnels satisfaits, l'action d'apprendre se trouve accomplie et donc s'arrête. Et si l’évaluation se porte sur autre chose (acquisition de compétences, résolution de problémes, production réflexive, communication écrite ou orale…), on peut comprendre que l’élève « ne soit plus là » : le « pour soi » n’englobe pas ces objectifs là.

Cette vision tronquée du monde scolaire entraîne au moins deux conséquences. Tout d'abord l'interprétation que l'élève fait du « prendre pour soi » l’amène tout naturellement au « j'apprends, je travaille pour moi », dont nous savons à quelles impasses cela peut le mener dans son apprentissage. Notamment ce « virus » pervertit le sens des activités de réflexion et de communication qui conditionnent la réussite scolaire. Ce "projet trop court"  néglige tout ce que l’élève est appelé à faire (et qu'il ne pourra donc réaliser convenablement le moment venu) avec ce qu’il a incorporé dans la seule perspective d’un « retour à l’envoyeur ». De plus, ce travail ne peut soutenir bien longtemps son activité cognitive et sa motivation « intrinsèque ».

Quant au pédagogue, dont traditionnellement (et symboliquement) la charge est « d'accompagner l'élève sur le chemin de l'école », il voit son trajet* singulièrement raccourci s'il doit conduire l'élève « de soi à soi ». S'occuper exclusivement des moyens personnels d’un élève de prendre pour lui les objets qui lui sont présentés est une activité qui tourne vite en rond. Je ne peux m'empêcher de penser à Guillaume, lycéen grand EIP (élève à l'intelligence précoce ou  à haut potentiel), plein de tics et renfermé sur lui-même, qui me confiait lors d'un stage : «Tout ce que vous nous faites découvrir sur nous-mêmes et nos moyens personnels d'apprendre, je le fais déjà mais tout à la fois. Je ne vois pas ce qui pourrait m'aider à mettre de l'ordre dans tout ça ». Le même, épanoui à la fin du stage, faisait ce bilan : « Je ne me souciais pas de ce que je pouvais faire avec ce que j'apprenais, je n'en avais pas la moindre idée ou je le comprenais mal. Maintenant, j'ai réalisé que mes moyens pouvaient se mettre en ordre par rapport à ces objectifs que je négligeais jusqu'ici, comme résoudre des problèmes et communiquer avec les autres. »**

A l'opposé de cette vision réductrice et dévoyée du monde scolaire, en dévoilant les opérations qui suivent l’étape initiale, toujours nécessaire mais non suffisante, de l’appropriation des savoirs, « Pégase » est la concrétisation d’une autre interprétation d’apprendre, : prendre (a) en soi (étape incontournable) des savoirs "connus" (dont le sens, donc, est "constitué" par soi -même, notamment par l'acte d'évocation),  (b) pour en faire des outils de compréhension du monde et de résolution des problèmes rencontrés (tant au sens de les résoudre que de décider de leur priorité) et (c) pour être en mesure de communiquer (en amont comme en aval) avec ses semblables (par une maîtrise progressive du langage).

A l'Ecole (en général) plutôt que de têtes vides à remplir, que de pâtes tendres à modeler ou de machines intelligentes à régler, il s’agit alors d'aider les jeunes générations à affronter les flux d’informations de toutes sortes dont ils sont bombardés en permanence, à procéder à leur interprétation réflexive (en leur laissant le temps de cette activité toute subjective) et de les utiliser pour mieux vivre dans un monde en mutation accélérée en s'intégrant dans les réseaux d’une communication planétaire et hyper sophistiquée dont nous voyons chaque jour qu'elle inaugure une structuration tout à fait nouvelle de nos sociétés (voir les bouleversements géopolitiques bien d’actualité ***). Ils pourront alors entrer correctement préparés dans une véritable « société de la connaissance », en cours de constitution, et en être des acteurs « constituants » plutôt que les acteurs-assujettis* soumis aux injonctions de pouvoirs plus ou moins occultes, aux diktats de médiocres manipulateurs de ce qui n'est encore qu'une "société de l'information" (mal gérée de surcroît).

Antoine de LA GARANDERIE cite en exergue de Comprendre et Imaginer  cette phrase d’Arthur Mugnier : « Je crois que l’avenir de l’humanité sera la conquête définitive de la liberté intérieure ». Mais pour Spinoza, l’homme devient libre par la connaissance de sa propre nature (le sens de son « soi », de son "pouvoir être") associée à la connaissance de l’ordre du monde (celui qui était avant, celui qui est aujourd’hui et celui qui vient… et qu’on ne connaît pas encore), monde dans lequel il peut déployer pleinement ses "projets de sens". Le pédagogue ne peut alors se contenter de conduire son élève vers la seule découverte du sens de lui-même, il doit aussi prendre en compte le sens du monde, y compris celui du  « monde scolaire » qui a mission de préparer les jeunes à l’avenir par la découverte du sens du monde passé. Quant au sens de cet avenir, il n’est pas écrit d’avance, il est à inventer. C’est le sens de la pédagogie d’aujourd’hui de permettre aux jeunes de constituer « de leurs mains riches de sens ****» » l’ordre de leur monde de demain. Le « trajet » est sans doute un peu plus long et plus risqué… les choix plus complexes que par le passé pour accomplir un tel projet d’accompagnement. Mais il en vaut vraiment la peine.

* J.P. Boutinet (Psychologie des conduites à projet, 1993)  décline les différents sens du « jet » d’un projet en fonction de ses différents préfixes : pro-jet, su-jet, ob-jet, tra-jet, re-jet et sur-jet. Ces distinctions m’ont beaucoup aidé dans ma pratique d’accompagnement des projets d’Orientation des jeunes dont j’avais la responsabilité. C’est une grille d’analyse pertinente de la situation d’un jeune face à ses choix pour l’avenir.  On pourra lire sur ce sujet un texte que j’ai écrit il y a une quinzaine d’années.

** On a là un bon exemple de ce que peux être un "pouvoir être sans projet" qui peut conduire à l'inefficacité la plus belle des intelligence. Voir  La Garanderie, " Critique de la Raison pédagogique", 1997, p. 111.

*** 2011 est l'année qui a vu les bouleversement des "printemps arabes", inaugurant une période de troubles dont nous ne sommes pas encore sortis en 2020.*

**** pour reprendre la belle métaphore de Prométhée " voleur et acteur de sens" développée par A. de LA GARANDERIE dans Critique de la raison pédagogique. 1997. 65-77. Le sens est immanent à la conscience de l'homme et immanent signifie " demeurer entre les mains ". On pense aussi aux "5 questions de la Compréhension"... comme les 5 doigts d'une main riche de promesses de sens..

vendredi 28 janvier 2011

19 Accompagner le changement des représentations des élèves sur leur travail

Voici un "protocole" pour aider des lycéens à faire évoluer leurs représentations du travail scolaire, qui orientent, trop souvent dans le mauvais sens, leurs actes de connaissances comme je l'ai décrit dans "Accompagner..." sans pouvoir développer comme je le fais ici.  Ce texte est une reprise de l'atelier que j'ai animé lors du Colloque de l'IIGM 2009 sur l'anticipation. Il pourra vous aider dans cet accompagnement si particulier.


Accompagner le changement des représentations des élèves.

Dans « Plaisir de connaître, bonheur d’être, Une pédagogie de l'accompagnement », 2004, Antoine de La Garanderie (ALG) appelle à ce que soit mise en place dans toutes les écoles, collèges ou lycées une « pédagogie de l’accompagnement », dans le but que l’élève devienne le pédagogue de ses propres actes de connaissance, seul moyen pour lui de retrouver le plaisir d’apprendre, d’accéder au bonheur de la connaissance, condition de l’épanouissement de tout son être. De son côté, après une année d’un tel accompagnement Léa, en seconde, écrit « J’ai repris du plaisir à apprendre et j’ai plus confiance en moi, en mon travail. »

Mais ce plaisir retrouvé s’obtient-il sans effort de la part de l’élève ? Ecoutons Joyce, en première, à l’issue d’une semaine de stage : « Tout d'abord ça a été très dur, je me sentais un peu mal à l’aise. Je suis super heureuse à présent.»  Pourquoi est-ce si « dur » au début, pourquoi ce sentiment de malaise alors que l’on propose aux élèves une manière de travailler dont ils reconnaissent généralement après coup qu’elle leur convient mieux  et les rend « heureux » ? Quel est donc le prix à payer, l’effort à consentir pour accéder à ce bonheur ? Pourquoi, du reste, un accompagnement particulier est-il nécessaire ?

mardi 23 novembre 2010

8 Deux nouveaux documents.: entretien-profil avec un bon élève, présentation PPT d'"Accompagner..."

Merci à Thérèse et Alix pour leur réponse et leurs encouragements.
J'ajoute ce soir deux documents qui peuvent intéresser quelques-uns parmi vous.

Le premier document est une vidéo réalisée en juillet 1990... Il y a plus de 20 ans ! J'ai du mal à le concevoir... Il s'agit d'un entretien-profil avec un « très bon élève » que j'avais eu dans mon « tutorat » cette année là. Le tutorat etait un lieu et un moment de regroupement d’une demi-classe de seconde autour d'un adulte référent qui assurait le suivi de la scolarité du groupe, aidant chaque élève à mieux se positionner par rapport aux apprentissages du lycée. En formation à ce moment-là au profil pédagogique à l’ISP, j'avais bien évidemment profité de ce terrain d'application pour expérimenter ma connaissance encore fraîche de la gestion mentale. On verra d'ailleurs dans l'introduction de cet entretien que les concepts ont quelque peu évolué depuis. Particulièrement, et bien que l'entretien porte presque exclusivement sur eux, les termes de « projets de sens » et de « structures de projet de sens » n’avaient pas encore cours. Mais la recherche du sens était bien entendu présente dans tous ces entretiens. Vous pardonnerez donc les quelques maladresses de débutant que vous pourrez relever dans cet entretien qui dure un peu plus d'une heure. La progression de l'entretien n'a pas été voulue, et on s'étonnera peut-être de son organisation... peu "didactique"... alors que c'était le but de cette réalisation. Mais dans un entretien de ce genre, c'est plutôt le jeune qui guide l'adulte...

Le second document est beaucoup plus récent puisqu'il m'a été envoyé il y a quelques jours seulement par une personne, Aline Baumgartner, qui vient de passer un certificatif de formateur d'assistants sociaux à l'Université de Genève sur un mémoire effectué à partir de mon livre. J'en suis d'autant plus touché que cette personne était accompagnée par André Giordan, dont j'ai beaucoup apprécié le travail sur les conceptions dans les apprentissages ainsi que par Marie-Louise Zimmermann-Asta, formatrice en Gestion Mentale. J'ai trouvé très intéressante cette présentation qu'elle a faite à ses collègues de formation de sa lecture de mon livre et du transfert qu'elle en a fait sur son terrain propre, l'assistance sociale et la santé. En écrivant,  j'avais voulu confusément réaliser un instrument  "tout-terrain" de la gestion mentale, une sorte de « couteau suisse » : je n'osais imaginer être aussi vite et aussi bien reçu dans ce pays que je ne connais pas... et qui pourtant semble si plein d’attraits ! Ce document pourra aider à une prise de contact simplifiée avec le contenu du livre... et pourra peut-être inciter à le lire...

Présentation PPT du livre "Accompagner..."



193. Notes de (re)lecture du livre "Les Profils pédagogiques - Discerner les aptitudes scolaires" d'Antoine de La Garanderie (1980)

  Fascinante actualité des premières intuitions d'un « enfant à besoin particulier » du siècle dernier… Pour préparer un podcast avec An...