mercredi 10 décembre 2014

83 - Concilier Ecole et Gestion mentale : Pégase à la rescousse !

(Re)concilier Gestion mentale et monde scolaire : Pégase à la rescousse !

« Pour enseigner les maths à Jean, il faut connaître les maths et il faut connaître Jean ». Cet adage a servi en son temps à définir ce que la gestion mentale pouvait apporter au monde scolaire. Des professeurs ont ainsi essayé en toute bonne foi de connaître le mieux possible le fonctionnement mental de chacun de leurs élèves… Jusqu’à s’y perdre parfois. Sauf à avoir recours à des tests simplificateurs, portant souvent plus sur les perceptions que sur les évocations. Ces questionnaires n’apprenaient rien à personne mais ils ont donné de la gestion mentale une image caricaturale jusqu’à l’extrême. Et pourtant, je reprends cette phrase en l’adaptant à mon propos d’aujourd’hui : pour concilier la Gestion Mentale et l'École, il faut connaître la Gestion Mentale et il faut connaître l’Ecole. Aucun rapprochement possible entre ces deux mondes sans leur connaissance conjointe.


La mission principale de l’Ecole est la transmission des savoirs et des moyens de leur acquisition, c’est-à-dire les différents langages et leurs structures constitutives. Pour que cette transmission soit réussie, il faut, bien sûr, que l’émission soit performante mais il convient que la réception le soit également. L’émission est le domaine d’activité du professeur, c’est l’objet de la didactique des disciplines et de la pédagogie. La réception des savoirs est le domaine de l’activité mentale des élèves. Certes, la gestion mentale peut apporter une aide à la transmission elle-même (analyse d’objets et de tâches, gestion du temps de la classe, prise en compte des différents fonctionnements mentaux…) ; mais son objet essentiel demeure d’éclairer les processus mis en oeuvre par les élèves eux-mêmes dans la réception de ces savoirs. C’est déjà beaucoup, mais c’est insuffisant. Il y a un troisième pôle que l’on oublie trop souvent : ce que l’élève est amené à faire des savoirs après leur réception.

Au football, les entraîneurs travaillent avec les joueurs les conditions d’une bonne réception du ballon. Ils distinguent ainsi deux aspects dans un même mouvement. Les actions du joueur sont en effet commandées à la fois par 
  1. le souci prioritaire de bien réceptionner et de conserver le ballon hors d’atteinte des adversaires, sans quoi la suite n'aurait pas d'existence : qu'adviendrait-il s'il laissait échapper le ballon ?
  2. mais également et en même temps, par l’anticipation de l’endroit où il lui faut à son tour le renvoyer (le transférer), en fonction du mouvement général et actuel du jeu. 

Dans le premier aspect, c’est la trajectoire du ballon reçu qui détermine l’action ; dans le deuxième, c’est la trajectoire anticipée vers l’endroit où le joueur souhaite le renvoyer (le transférer). Cette anticipation influe fortement sur le premier aspect du mouvement : certes, on ne reçoit pas le ballon de la même façon s'il arrive par le haut ou par le bas, par la droite ou par la gauche ; mais on le reçoit aussi selon la direction où l’on souhaite l’envoyer après : vers l’avant ? vers l’arrière ? à droite, à gauche ? Par le haut, par le bas ? 

Ce sont ces deux aspects qui déterminent le positionnement global du corps dans la réception : il doit être cohérent avec le double sens de ce mouvement. On conçoit bien alors combien il est nécessaire pour un joueur d'avoir de bons automatismes de réception, mais aussi de posséder intimement le sens du jeu auquel il joue, ses règles, ses spécificités. On ne joue pas au handball comment joue au football, même si la direction générale est toujours dans le mouvement vers l'avant.

On notera qu’en aucun cas le joueur n’est supposé recevoir le ballon et le garder pour lui. Dans l’apprentissage scolaire, c’est la même chose. Apprendre à l’école n’a jamais voulu  dire « prendre pour soi »[1] comme on peut le lire sous des plumes parmi les plus autorisées. Cette interprétation ferme la porte à toute possibilité de transfert, ce qui est un des problèmes majeurs de l’école, comme du reste de la gestion mentale dans ses différentes interventions à visée scolaire. L’erreur pourrait venir de ce que l’on considère l’ « apprendre » comme une fonction globale et naturelle qui permettrait l’adaptation d’une personne aux objets et aux situations de la réalité, essentiellement concrets, et qu'il conviendrait donc aussi bien aux objets et aux situations de l’école, essentiellement culturels, artificiels, abstraits et symboliques. On n’apprend pas à faire un gâteau ou à façonner un pot d’argile tout à fait de la même façon qu’on apprend à lire, écrire, compter, à formuler une problématique, à résoudre un problème, à préparer un exposé ou à rédiger un raisonnement argumenté. Dans l’apprentissage naturel, « prendre pour soi » peut sans doute convenir et suffire ; dans l’apprentissage scolaire, non seulement cela ne convient pas toujours et ne suffit pas, mais c’est un projet qui dévie le sens même de l’apprentissage à l’école qui est de « prendre des autres et pour les autres »[2]. On n’apprend pas de la même façon pour survivre en autarcie sur une île déserte ou pour se préparer à vivre de façon autonome dans une société humaine.

Comment donc la gestion mentale peut-elle aider les élèves à cultiver le bon positionnement de leur esprit de façon à satisfaire le mieux possible aux deux aspects d’une bonne réception des savoirs ?

Habituellement, la gestion mentale se préoccupe d’éclairer tout ce qui concerne la réception et la bonne conservation des savoirs par l’élève. Pour cela, il est nécessaire de pratiquer non seulement des évocations dans le paramètre adapté et en tenant compte des projets de sens personnels qui les animent, mais aussi de produire les gestes mentaux en rapport avec la trajectoire des savoirs reçus : attention, réflexion visant à une bonne compréhension, imagination, mémorisation. Mais ceci ne concerne que le premier aspect de la réception et du bon contrôle des savoirs transmis. Qu’en est-il du second : que faire de ces savoirs ? À quoi les destine-t-on ? Quel est le mouvement global du jeu dans lequel il s’agit de les insérer, de les transférer ?

Si la connaissance approfondie de la gestion mentale est nécessaire pour satisfaire le premier mouvement, une connaissance tout aussi approfondie des règles du jeu de l’école est indispensable pour bien maîtriser le second. Et cette connaissance est difficile du fait de l’opacité et du faux consensus qui règne  actuellement dans le monde scolaire. Tout le monde sait ce qui se passe à l’école, n’est-ce pas ? Tout le monde en a une idée précise et largement partagée… Du moins le croit-on. Il y a une vingtaine d’années, j’ai commencé à introduire mes stages de formation de professeurs par cette première question : « que mettez-vous sous le mot apprendre ? » Dès le début j’ai été très surpris du résultat. Les professeurs travaillent d’abord individuellement puis en petits groupes. Les rapports des groupes mettent en évidence la grande divergence des formulations, leur imprécision. Lorsqu’il y a convergence, elle se borne le plus souvent à la seule restitution au professeur des savoirs mémorisés. Si, exceptionnellement,  apparaît quelque chose qui ressemble à une réutilisation en situation inhabituelle (problème), jamais l’activité de réflexion n’est mentionnée explicitement. Quant à la transmission aux autres, absence quasi totale dans les représentations professorales toujours si autocentrées… Et l’on ne dira rien de l'évaluation par compétences, nouveau paradigme de l'école française, parfois si mal interprétée : malgré l’intention déclarée en haut lieu, elle laisse les élèves aussi ignorants que par devant des vraies règles du jeu scolaire.

Ainsi, la connaissance du  « jeu scolaire » n’étant pas assurée chez leurs enseignants (pas plus d’ailleurs  que chez leurs parents), comment pourrait-elle l’être dans la tête des élèves ? Pas plus qu'il y a 40 ans, "l'école n'enseigne explicitement à tous ce qu'elle exige de tous (les élèves)". Alors, comment dans ces conditions peuvent-ils positionner leur esprit de façon cohérente pour la seconde trajectoire qui vise à insérer les savoirs reçus dans le mouvement de ce jeu si obscur [3] ? Imaginons une partie de football dans un épais brouillard…

 C’est ce constat qui m’a amené, il y a une quarantaine d’années, à creuser la question des enjeux de l’apprentissage scolaire de façon à les rapprocher de la gestion mentale. Cette synthèse a fécondé le modèle Pégase. Ce modèle, en effet, correspond aux deux aspects du mouvements de la réception du footballeur : le premier consiste en la réception et la conservation des savoirs, il est commandé par la trajectoire de réception qui dépend elle-même de la transmission du professeur ; le second est commandé par l’anticipation des utilisations futures de ces savoirs. Mais cette anticipation influence aussi le premier mouvement : à quoi sert-il de mémoriser (et comment d’ailleurs le faire bien), par exemple, du vocabulaire anglais ou espagnol si ce n’est pas pour s’en servir plus tard dans une conversation ou une rédaction quelconque ? Si c’est seulement pour le réciter au professeur en classe, quel sens cela a-t-il pour l’élève ? Et combien de temps travaillera-t-il avec cette perspective dénuée de sens où ce qui lui tient lieu  de "règle du jeu" est un stérile et démobilisant "retour à l'envoyeur" ? De l'avis de tous les chercheurs qui se penchent sur les difficultés d'apprentissage, c'est ce mauvais "rapport au savoir", ce détestable "rapport à l'école" qui est la cause première des difficultés de très nombreux enfants. C'est justement ce rapport à l'école que cherche à éclairer le modèle Pégase, en permettant aux jeunes d'y voir plus clair dans le jeu scolaire auquel ils sont confrontés, et dans lequel ils ont à insérer les savoirs dont la gestion mentale leur a assuré la meilleure réception/conservation possible. C'est bien cela qu'exprime cette élève de Seconde à l'issue d'un stage sur la réflexion et l'expression "pour les autres" :
« J’ai appris à mieux comprendre le système du projet d’apprendre (Pégase). Avant je ne faisais pas ces étapes et maintenant je vais les faire dans l’ordre. J’ai appris également à mieux comprendre ce que l’on me demande dans les exercices. »

En réalité, le modèle Pégase comporte trois phases, la première correspond à la trajectoire de réception des savoirs transmis, les deux autres à celle de leur transfert :
·     l’intégration des savoirs, c .a.d. leur réception et leur conservation-mémorisation (qui devrait anticiper les utilisations à venir, ce qui nécessite donc de les connaître précisément…d'où l'importance des étapes suivantes) ;
·     la réutilisation de ces savoirs dans la résolution de problèmes, fruit d’une activité mentale de réflexion [4] complexe et explicite ;
·     la transmission à autrui du produit de la réflexion, dans une communication le plus souvent orale ou écrite (qui est la seule manifestation externe et évaluable des étapes précédentes, essentiellement internes et inobservables de l'extérieur, et donc non évaluables).

Si dans la première phase la gestion mentale est « en première ligne », dans les phases suivantes ce sont les « rendez-vous » scolaires qui prennent le pas sur elle, lui permettant de s’y adapter et donnant à cette « pédagogie des gestes mentaux » toute sa pertinence et son actualité. Pour  (re)concilier la gestion mentale avec le monde scolaire, il faut se soucier d’éclairer ces rendez-vous, ces enjeux cachés pour leur adapter, sans la dénaturer, cette merveilleuse pédagogie qui, pour l’instant tout au moins, est toujours la seule à pouvoir éclairer ce qui se passe dans le secret de la tête de ceux qui apprennent à l’école.

Guy SONNOIS - Novembre 2014




[1] On pourrait rapprocher cette interprétation erronée de celle d’ Heidegger : « … ce qui est donné à l'élève, c'est seulement l'indication lui permettant de prendre par lui-même ce qu'il a déjà. » Ou encore : «  Là seulement est le véritable apprendre, où prendre ce qu'on a déjà, c'est se-donner-à-soi-même… » (Qu’est-ce qu’une chose ? M. Heidegger, Gallimard, 1988). Apprendre signifie alors « prendre PAR soi-même » assez loin de l’égocentré « prendre POUR soi-même ». Il est vrai qu’ Heidegger n’indique pas le « POUR quoi faire » de l’apprendre… Mais sans doute dans ces citations ne se contente-t-il pas d’une interprétation strictement étymologique. Voir message 61 de mon blog : « Enseigner avec la Gestion Mentale ».
On pense aussi à Marcel Gauchet (Transmettre, Apprendre, 2014) : « Personne  n'apprend que par lui-même et pour lui-même en vue de sa seule utilité, contrairement à l'illusion qu'entretient l'individualisme contemporain. Apprendre, en dernier ressort, symboliquement parlant, c'est toujours apprendre de quelqu'un pour transmettre à quelqu'un ». En 1974, dans « Une pédagogie de l'entraide », page 42, la Garanderie écrivait : « On apprend quelque chose pour quelqu'un ».

[2]  La Garanderie souligne dans le même ouvrage de 1974 : « la valeur culturelle et non naturelle des actes constitutifs de l'apprentissage scolaire ». Pourquoi ces actes seraient-il culturels si ce n'est par le fait de leur nécessaire relation à autrui ? Par ailleurs, l'apprentissage scolaire se distingue de l'apprentissage naturel dans ses objets eux-mêmes : les objets de la culture (fruit du travail et des acquis des générations passées, etc). Leur possession par l'enfant lui permet d'accéder aux fonctions cognitives supérieures, qu'il a certes en potentialité en lui-même, mais que cet apprentissage va lui permettre de libérer et de développer. Si les objets sont culturels, quoi d'étonnant à ce que les gestes mentaux effectués pour les acquérir le soient aussi ?

[3]  « L’école n’enseigne pas explicitement à tous ce qu’elle exige de tous, tout en exigeant de tous ceux qu’elle accueille qu’ils aient ce qu’elle ne donne pas »  (Bourdieu & Passeron, 1970).  On lit dans toutes les enquêtes sérieuses les plus actuelles sur les élèves en difficulté d'apprentissage, que la raison principale de leur échec se trouve dans une mauvaise compréhension de ce qui est réellement en jeu dans les tâches d'apprentissage au delà de leurs aspects concrets de premier niveau. Loin de faire découvrir aux élèves ces enjeux cachés, ces « objets d'apprentissage », le morcellement accéléré de ces tâches, tel le  zapping qui leur est tant reproché, contribue à les leur rendre encore plus opaques. On m'a rapporté que dans une classe de maternelle, on  insistait pour que l'on ne passe pas plus de cinq minutes sur une tâche ... parce que les enfants avaient des difficultés d'attention ! Quand la conséquence est prise pour la cause ! A lire sur ce sujet deux ouvrages récents : La construction des inégalités scolaires, Au cœur des pratiques des dispositifs d'enseignement, (Jean-Yves Rocheix et Jacques Crinon, Presses Universitaires de Rennes, octobre 2011). Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires, (Jacques Bernardin, de Boeck octobre 2013).

[4] - On ne peut s’empêcher de rapprocher cette deuxième phase (réutilisation des acquis) de la définition « officielle » de la « compétence clé », nouvel enjeu scolaire généralement si mal compris et  qu’il nous faut décrypter pour y adapter la gestion mentale :

Qu’est-ce qu’une compétence clé ?
·         Une compétence clé trouve son champ d’expression dans un vaste éventail de contextes (domaine scolaire, professionnel, public, privé, etc.) ; elle est en ce sens nécessairement transversale ;
·        une compétence clé s’exprime à travers des tâches mentales complexes, et va au-delà de la simple reproduction de connaissances enseignées ou de savoir-faire acquis. Pour autant, bien que complexe, elle peut s’acquérir dans un cadre d’apprentissage propice ;
·        l’usage d’une compétence requiert des individus la faculté d’agir de manière réflexive ; elle appelle donc des savoir-faire métacognitifs et un certain esprit critique.

Extrait du rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale : « Les livrets de compétences : les nouveaux outils pour l’évaluation des acquis ». Juin 2007.

mardi 11 novembre 2014

82 - Restituer ou réutiliser ses connaissances, telle est la vraie question !

Un vieil article repris en grande partie dans " Accompagner..." et toujours d'actualité... 

PLAISIR D’APPRENDRE, MOTIVATION ET PROJET DE SENS.

Projet de restituer ou projet de réutiliser ?

Tous les jeunes que je rencontre pour les aider à mieux réussir leur scolarité, de la 4° à la Terminale et même au-delà, présentent une caractéristique commune : une désintérêt, un manque de goût plus ou moins profond, et plutôt mal vécu, pour les activités scolaires. Ce phénomène n’est pas nouveau. Signalée depuis le début des années 90 par les sociologues, observateurs attentifs de la « planète lycée », la perte du sens de l’école semble bien aujourd’hui avoir contaminé des couches entières de la population scolaire, gagnant le collège et même en-deça. Ne peut-on voir là la source de bien des maux dont souffre le monde de l’école aujourd’hui ?  Particulièrement la disparition du plaisir d’apprendre, support incontournable de la motivation pour le travail intellectuel et, partant, accès au bonheur de la connaissance ?

 Certes, la découverte que permet la Gestion mentale de leur potentiel mental et de la façon de l’utiliser intéresse toujours ces jeunes et suffit parfois à remettre en route une partie d’entre eux. Mais pour beaucoup d’autres, et non des moins intelligents, cela ne suffit pas à se remotiver pleinement, et si oui, à atteindre un bon niveau de réussite. Y a-t-il un autre domaine dans lequel il est possible de les aider ? Je me suis alors davantage intéressé à leur projet de sens relatif aux finalités des activités scolaires, projet intimement lié à leur conception de l’école. « C’est quoi l’Ecole, pour toi ? Qu’est-ce que tu penses qu’on attend de toi ? Quelles tâches dois-tu  réaliser pour que l’on te dise que tu as réussi ? A quoi te servent les actions mentales que tu es amené à y consacrer ? Dans quelle perspective de sens les places-tu ?» Ces questions, d’une façon ou d’une autre je les pose dorénavant très tôt dans mes entretiens et elles alimentent une partie importante de mes séquences en stage de méthodologie.

Je suis frappé chez ces élèves par la permanence du « projet de restitution des connaissances » qui vient tôt ou tard émerger au cours de leur prise de conscience. Ce projet limite leur imaginaire de l’avenir à un simple « retour à l’envoyeur » de ce qu’ils apprennent et qu’ils ont bien du mal à réutiliser correctement dans les activités de réflexion.  Tant il est vrai que « nos acquis ont la destinée que nous leur avons donnée » au moment de leur apprentissage et que cette destinée est difficilement modifiable par la suite. Cette expression d’Antoine de LA GARANDERIE montre bien l’importance du projet de sens qui préside aux activités menées par les élèves. Or le projet de sens de restitution occupe le champ mental des élèves en difficulté à tel point que tous les conseils, toutes les informations données par les enseignants pour les aider à entrer dans une logique de formation plus « secondaire », filtrés qu’ils sont par cette conception trop limitée, sont déformés de façon insoupçonnable pour l’observateur : devant les erreurs constatées, il conclue trop vite à un manque de capacités, ou de maturité, ce qui enclenche redoublement, spirale de l’échec, perte de confiance, de plaisir et de motivation.  Ainsi cet élève de Terminale série L qui définissait ainsi la dissertation philosophique : « Il faut redire le cours du professeur d’une manière plus compliquée » (manière que bien sûr il ignorait !). Et, de fait, il « compliquait » si bien qu’il en était illisible, incohérent… et surtout complètement démotivé par un tel « travail ». Même chez ceux qui ont réussi à « passer » d'une classe à l'autre bien qu’ils n’aient en rien modifié leur conception (ce qui est fréquent jusqu’à des niveaux élevés et rendu possible par le jeu d’évaluations peu exigeantes…), des activités ainsi détournées de leur vraie finalité n’ont plus de sens que par rapport à de vagues et trompeuses promesses strictement utilitaires : « avoir un bon métier », « avoir un diplôme coté »…. Je voudrais donner ici un exemple qui illustre bien ce que je rencontre de façon systématique et comment un dialogue pédagogique mené dans cette perspective peut apporter quelque lumière.
.
Nicolas a quinze ans depuis peu ; il redouble sa classe de troisième après une première année somme toute pas si mauvaise que cela. Mais Nicolas paraissait un peu immature à ses professeurs. Il travaille bien, il sait bien ses leçons, étroitement encadré par une mère quelque peu inquiète qui les lui fait apprendre « par cœur ». Il présente un profil très visuel, spatial et globalisant  avec une « seconde langue » verbale qu’il utilise à bon escient pour analyser et réfléchir ; il gère correctement les  quatre paramètres et son imagination créatrice est bien réelle ; sa compréhension vise prioritairement les applications ; il n’accorde aucun intérêt à l’apprentissage de la formulation des règles, les exemples lui suffisant largement à « se débrouiller » en contrôle : A quoi bon, en effet, s’encombrer de ces contenus lourds en mots, dont l’apprentissage est coûteux et dont l’utilité bien obscure ?

Je reçois Nicolas pour la deuxième fois. La première fois, trois semaines auparavant, après avoir mis à jour avec lui ses habitudes évocatives, j'avais montré à Nicolas comment pratiquer des schémas heuristiques pour apprendre ses cours. Je lui avais aussi enseigné le geste de réflexion, mais j’avais senti que ce n’était pas encore le moment, que cela lui passait un peu « au dessus de la tête ». Aujourd'hui, il me montre un schéma qu'il a réalisé à partir d’un cours d'histoire sur Staline et l'URSS dans les années 30. Il est déçu car au dernier contrôle, portant justement sur ce cours, il n'a eu que 9/20. L’an dernier au Brevet des Collèges (qu’il a réussi), sur le même sujet il avait eu 16 (quels critères d’évaluation ?)... Il ne comprend pas pourquoi cette fois-ci cela n'a pas marché. Le devoir est normalement écrit, les phrases sont correctes : je lui avais aussi montré la vraie « cible » d’un écrit et il s’était efforcé dans sa copie d’en tenir compte en imaginant des lecteurs éventuels. Ce qu’il écrit a du sens. Cependant, son professeur lui a dit qu'il avait « raté sa synthèse ». Je demande à Nicolas ce que ce mot signifie pour lui. Il pense que cela veut dire « qu’il n'a pas assez  approfondi » ce qu'il a mis sur sa copie. Il dit aussi « qu’il n'a pas vu la  question derrière la question » dans le sujet. Je lui demande de préciser un peu plus ce qu'il met sous le mot « synthèse ». Sa réponse : « c’est un paragraphe argumenté ». Je comprends que Nicolas ne donne pas au mot « synthèse » un sens bien précis et qu'il fait même un contresens à ce sujet : il confond le fond et la forme de son écrit… comme tant d’autres élèves et de bien plus âgés !

Je lui demande alors de se souvenir avec précision (il a oublié de m’amener sa copie) ce qu'il a marqué sur son devoir. Il se concentre et me dit qu'il a détaillé les principaux chapitres qu'il avait mis en branches sur son schéma, dont il avait une évocation visuelle très nette pendant le contrôle (et qu’il revoyait encore très clairement). D’ailleurs il connaissait ce cours « par cœur » depuis l’an dernier, ce qui rendait cette note encore plus incompréhensible. Il avait aussi essayé de mettre ses connaissances dans un certain ordre... mais sans pouvoir préciser lequel..

L'expérience qu’il revit de ce devoir confirme mon impression du précédent entretien : que sa première rencontre avec le geste mental un peu complexe de la réflexion n’avait été que superficiel. Je lui demande alors s’il se souvient de l'intention qu'il avait eue pendant qu'il travaillait lors du contrôle, ce qu’il cherchait à réaliser tout en écrivant. Ses premières réponses, trop vite venues, comme mécaniques, tournent autour de « rédiger un paragraphe argumenté », « ordonner mes connaissances dans un ordre précis », comme s’il s’accrochait à des consignes extérieures à lui-même, des conseils méthodologiques « venus d’ailleurs ». Je reprends alors en lui demandant d'essayer de se souvenir encore mieux de ce qu'il essayait, au fond de lui-même, de réaliser pendant qu'il écrivait. Cette fois, il hésite et je vois sur son visage tous les signes extérieurs de sa concentration. Au bout d'un moment il me dit : « Mais enfin, ce que veut le professeur, c’est bien savoir si j'ai bien appris, que je lui dise mes connaissances, non ? ». Disant cela, son visage, son regard, le ton de sa voix plus ferme, le débit plus rapide, tout indique qu'il est sincère. Dans cette phrase il exprime son réel projet de sens à propos de ce contrôle, ce projet qui semble globalement le sien : n'apprend-il pas toujours très bien ses leçons ? Et par cœur en plus ? D’ailleurs, sa mère ne lui a-t-elle pas dit que c'est ainsi qu'il faut faire ? Ne lui a-elle pas dit que devant un sujet, « il faut ouvrir le tiroir correspondant dans sa tête et redire ce qu’il a appris » ?

Sans faire de commentaires sur ce que Nicolas vient d’énoncer, je passe à autre chose et lui demande de me redire les termes exacts de l’énoncé de son devoir, exactement tels qu'il s'en souvient. Voici ce qu'il me dit : « Les différentes mutations dans les secteurs économique et social en URSS dans les années 30 ». Je lui demande : « Quelles sont les mots importants de ce sujet ? ». Sa réponse : « Secteur économique et secteur social, URSS, années 30 ». Je reprends : « Tout cela est vrai. Mais que fais-tu de « mutations » ? Que veut dire ce mot ? ». Son regard se fixe un moment, puis brusquement, en accompagnant ses paroles d’un geste de ses deux mains de gauche à droite: « Mais ça veut dire un changement, une transformation, le passage d'un état à un autre... ! ». J’approuve cette traduction du mot « mutations ». Je lui demande alors quelles évocations il a eues dans sa tête qui lui ont donné le sens de ce mot : «J'ai vu une frise, j'ai vu d’abord la tête du Tsar, puis celle de Lénine, et après celle de Staline... En passant de l’une à l'autre, j'ai compris qu'il y avait eu un changement et que c'était ça « la question sous la question » du sujet ».

Je lui demande alors s'il a déjà entendu prononcer le mot « problématique ». Il me répond que certains professeurs, dont justement celui d’Histoire cette année, ont employé ce mot. Mais il ne voit pas bien ce qu’il veut dire. Il suppose seulement qu’il s’agit de quelque chose d’un peu compliqué…

À ce moment de l'entretien nous nous trouvons au centre du conflit qui se déroule en lui entre deux projets de sens que je l’aide à verbaliser. D’un coté, un vieux projet de restitution des connaissances (réciter une leçon, dire ce qu’on sait sur un sujet, refaire des exercices du même genre que ceux du cours…),  projet bien maîtrisé depuis les classes primaires, si habituel, et malgré le désintérêt qu’il engendre, si confortable parce que peu coûteux en investissement réel. De l’autre coté, le projet de réutiliser ces mêmes connaissances dans une situation de problème, jamais rencontrée auparavant et qu’il lui incombe de définir (la « problématique ») avant de s’activer à la recherche et au tri de ses acquis. Situation très nouvelle pour lui, encore obscure mais dont il pressent confusément à la fois les dangers mais aussi les potentialités de plus grand intérêt pour lui. Je lui montre alors de nouveau le schéma des étapes du geste de réflexion (voir messages 18 et 25 sur l’apprentissage de la réflexion)  et notamment celles de l’analyse de l’énoncé et de sa problématisation qui mène à la synthèse, c’est-à-dire à une création personnelle (choix et regroupement pertinents des connaissances) qui l’engagent bien davantage que la simple récitation de son cours. Le regard intense qu'il porte alternativement sur le document et sur moi indique que mes explications entrent en lui et viennent alimenter son débat intérieur, contrariant ses convictions anciennes certes, mais lui ouvrant du même coup un horizon de sens bien plus attrayant où pourra se déployer son intelligence et sa créativité, source de plaisir et par là de motivation renouvelée.


C'était cela que son professeur d'histoire tentait de lui faire vivre en lui reprochant l'absence de synthèse. Il faut dire que les enseignants ne sont pas toujours très au clair à ce sujet. À partir de la classe de quatrième, les élèves sont tiraillés entre deux types d'enseignants : d'une part ceux qui exigent de simples restitutions de connaissances, mêmes si elles se cachent sous des énoncés plus « savants » ; d'autre part ceux qui, anticipant sur les exigences du lycée, exigent des réutilisations synthétiques beaucoup plus complexes, mais sans expliciter ni cet objectif nouveau ni les opérations mentales nécessaires pour les mener à bien. Les premiers engendrent une baisse notable de motivation à mesure de l'avancée en âge de leurs élèves ; les seconds les rebutent par des exigences obscures, parfois sans ménager de transition, et donc inatteignables. Sans l’explicitation de ces nouveaux enjeux, sans cet accompagnement si particulier que permet la Gestion Mentale, comment un enfant peut-il s'approprier cette nouveauté, vivre ce bouleversement de ses habitudes, de toute  sa conception de l'école ? On sait que c’est aux alentours de la puberté que se pose le problème d’une rupture avec le monde de l’école (et de la famille parfois aussi). Bien des explications, toutes intéressantes, sont avancées par les sociologues et les psychologues sur ce phénomène. Mais sans qu’elles n’aident beaucoup les enseignants. Et si, au moment de quitter son enfance, lorsque tout se modifie au plus profond de lui, on oubliait d’aider ces enfants à modifier leur projet de sens quant à l’apprentissage scolaire (leur rapport à l'école et au savoir) ? On comprend mieux alors que, se considérant toujours dans une obligation de « restitution » qui le maintient dans son état d’enfance (menace de régression), de dépendance vis-à-vis de l’adulte, « d’irresponsabilité  pédagogique », le jeune adolescent regimbe, parfois violemment. Finalement, que redoute-t-il d'autre que de se voir empêché d’accéder à l’étape suivante, à la fois incertaine et risquée, mais aussi nouvelle et attirante, de son développement intellectuel, de sa croissance humaine ?

samedi 8 novembre 2014

81 - Réfléchir "plus et autrement"... quand c'est "pour les autres" !


Bilan du deuxième stage en seconde de méthodologie à Bordeaux,  novembre 2014

Réfléchir "plus et autrement"... quand c'est "pour les autres" .


Dans ce deuxième stage nous avons travaillé les deuxièmes et troisièmes « rouages » de Pégase : la réflexion en résolution de problèmes et la communication à autrui, orale et écrite.

Comme d’habitude, à l’aide de nombreux exercices, j’ai fait découvrir aux élèves les étapes incontournables d’une réflexion méthodique à laquelle ils sont appelés dans les différentes évaluations, toujours à base de résolution de problèmes (problématique), à partir de maintenant et dans le reste de leurs études. Bien sûr qu’ils savent intuitivement réfléchir dans leur vie quotidienne, mais réfléchir à l’école demande d’expliciter les étapes de ce mouvement naturel assez complexe, pour dépasser justement la seule intuition et accéder au raisonnement construit. Par ailleurs, la communication orale ou écrite, qui suit toujours la réflexion scolaire, avec ses besoins de justifications et d’argumentation, nécessite un éclairage spécifique : une mise en situation « d’écriture pour les autres » leur a permis de mieux appréhender cet objectif scolaire généralement si mal compris. 

L’enjeu pour les élèves était de passer d’un projet enfantin de restitution passive à un projet plus élaboré et plus secondaire de réutilisation réflexive des acquis, compris et mémorisés auparavant (premier rouage de Pégase).

J’ai constaté tout au long des deux journées une attention et une participation des élèves encore plus soutenues qu’en septembre, malgré quelques rappels à l’ordre tout à fait légitimes alors que j’exige d’eux beaucoup de concentration sur de longues durées (six heures/jour par séquences d’1 h 30 environ).

Le travail a toujours été de bonne qualité et la participation, avec ses non moins légitimes variations individuelles, toujours pertinente et témoignant de l’intérêt et de l’intelligence de ces jeunes. Certains des témoignages les plus forts émanent d’élèves n’ayant quasiment pas ouvert la bouche pendant les deux journées (ces élèves participent par une activité mentale toute intérieure…  mais ne perdent rien de ce qui se passe !).

Témoignages des élèves.
Dans le témoignage final des élèves, on retrouve souvent les traces de l'itinéraire intérieur, souvent difficile, que certains ont parcouru pendant ces deux journées. En voici quelques extraits, mais ils tous sont très positifs, certains parlant même de « joie » ou de « fierté », avec toutefois un petit fond  d’inquiétude liée à l’application encore incertaine de toutes ces découvertes. C’est là que réside tout l’intérêt de l’accompagnement des enseignants au long des semaines à venir.

« Durant ces deux journées de stage j’ai découvert qu’il fallait que je m’exprime davantage clairement de façon à ce que tout le monde me comprenne et l’intérêt de se relire. Grâce aux découvertes durant ce stage j’ai été rassuré, j’ai retrouvé un peu de confiance. »

« J’avais tendance à lire les consignes trop vite, ce qui entraînait l’échec dans certains exercices. J’ai ressenti à travers les exercices pratiqués lors de ce stage, de l’amélioration au niveau des consignes et de la réflexion. Je me promets désormais de ne pas me précipiter et de bien réfléchir. »

« J’ai découvert que ma méthode n’était pas bonne et qu’il fallait que je change. Mon sentiment actuel est de la curiosité pour savoir si tout ce qu’on m’a dit allait marcher. »

« J’ai appris comment utiliser ma réflexion, qu’il ne faut pas apprendre pour restituer mais pour les autres et pour moi plus tard. Je suis content d’avoir découvert tout cela mais ce qui me tracasse c’est que j’ai peur de ne pas savoir l’utiliser. »

« J’ai découvert le mécanisme du lycée et les étapes pour aborder une problématique. Je suis content mais je pense que je vais avoir du mal à l’appliquer. Je me promets d’essayer de mieux comprendre le fonctionnement du lycée. »

« J’ai découvert différentes étapes pour bien réussir les exercices, qu’il fallait chercher dans nos connaissances pour essayer quelque chose que l’on arrive pas à faire. »

« Personnellement j’ai découvert comment marche la mémoire, comment bien analyser un texte. Cela est pour moi plus agréable et moins compliqué à comprendre maintenant. Durant les contrôles ou exercices, je me promets de lire mon énoncé jusqu’au bout et de bien l’intégrer dans ma tête. »

« J’ai découvert personnellement des choses dans ma mémoire, je sais que je peux mettre mes idées en place sans être « hors sujet ». Je vais maintenant savoir mieux faire une problématique pour les questions. Je ressens de la joie car maintenant j’ai toutes les méthodes pour réussir mon année. »

« J’ai appris à mieux comprendre le système du projet d’apprendre (Pégase). Avant je ne faisais pas ces étapes et maintenant je vais les faire dans l’ordre. J’ai appris également à mieux comprendre ce que l’on me demande dans les exercices. »

« Pendant ce stage j’ai découvert beaucoup de choses, la réflexion, qu’il ne fallait pas se précipiter, bien lire le sujet. J’ai appris sur moi-même. »

« Durant ce second stage, j’ai appris beaucoup de nouvelles choses comme par exemple au lieu de répondre bêtement à une question demandée, de développer et d’écrire la façon comment j’ai résolu la problématique, pour l’expliquer à autrui, et que la réflexion était importante. Je me sens plus à l’aise dans la compréhension des problèmes. »

« J’ai découvert qu’il ne fallait pas se précipiter quand on lit une consigne ou un texte, qu’il  faut bien lire jusqu’au bout pour avoir tous les renseignements nécessaires. Je me promets de bien lire les consignes jusqu’au bout pour n’oublier aucun élément. »

« Personnellement, j’ai découvert que l’on ne travaille pas pour soi et que l’on peut trouver une réponse en cherchant beaucoup. Je suis content de tout cela et je suis sûr que ça va m’aider. »

« Pendant ce stage j’ai découvert de nouveaux objectifs à viser et comment faire pour les atteindre. Je ressens l’envie de les appliquer correctement et je me promets d’apprendre pour autrui et de ne plus commencer rapidement, avec précipitation, mes devoirs. »

« J’ai découvert personnellement durant ce stage qu’une bonne réussite doit comprendre de l’attention, une bonne compréhension et beaucoup de réflexion. Je pense que ces découvertes vont m’aider : bien lire un énoncé ENTIÈREMENT, réfléchir, et ne jamais baisser les bras, persévérer, établir des liens entre l’exercice et la leçon, bien faire ce que l’on nous demande et pas autre chose, bien rédiger et bien montrer le raisonnement établi. Je me promets de ne jamais baisser les bras et de toujours persévérer pour comprendre. »

« J’ai découvert le mouvement de la réflexion et ses étapes. J’ai découvert comment on doit s’y prendre pour réussir un contrôle. Je me suis rendu compte qu’il fallait que je prenne plus de temps devant un énoncé. Je suis content d’avoir trouvé la solution à certains problèmes. Je suis déterminée à faire comme il faut. Je me promets de suivre les étapes de la réflexion dans mes prochains contrôles. »

« J’ai découvert comment bien lire un texte, un énoncé, comment comprendre une question. J’ai également vu les attitudes à acquérir pour lire tout texte sans en oublier la moitié. Je ressens une sorte de fierté avec ces découvertes. Je me promets de faire des schémas heuristiques, j’ai vu que ça me convenait bien pour mieux apprendre, et surtout plus efficacement, mes leçons. »

« J’ai découvert le cycle de la réflexion, que c’est la réutilisation et non la restitution qu’il faut viser. Cela m’éclaire sur la façon de travailler, de m’exprimer pour les autres.

Et ces deux derniers, particulièrement éclairants :

« Au début du stage, je pensais que ça ne me servirait pas, alors que j’ai découvert en faisant les exercices lundi après-midi que je tombais dans tous les pièges. Cela me réjouit, car je me rends compte que cette classe ne va pas me servir à rien. Je me promets de lire les énoncés/problèmes jusqu’au bout. »

« J’ai découvert qu’après les objectifs d’être attentif, de comprendre et de mémoriser, il fallait réfléchir et s’exprimer pour les autres. Je suis surpris que personne d’autre que vous ne l’aie déjà dit et je suis content de savoir cela pour l’utiliser. »

Réfléchir « plus ».

Au-delà de la satisfaction d’avoir pu conduire dans de bonnes conditions ces jeunes sur la route du changement de leur « logiciel d’apprentissage », je garderai l’expression de l’un d’entre eux constatant la difficulté qu’il avait à rendre compte au groupe et par oral de la résolution d’un petit problème qu’il venait pourtant de résoudre correctement : « Je constate qu’il faut réfléchir plus si on doit s’exprimer après avoir résolu un problème. » Cette déclaration signifie qu’il a compris, et beaucoup d’autres en ont également témoigné, qu’après la réflexion menée pour résoudre un problème (réfléchir pour soi), une deuxième réflexion s’engage  sur la meilleure manière de faire comprendre aux autres comment on est parvenu à la solution (réfléchir pour autrui).

Un peu plus tard, après un exercice de communication écrite, un autre élève a fait cette remarque : « On est moins  libre dans la réflexion pour s’exprimer, que pour résoudre le problème lui-même.» Ceci est parfaitement juste : lors de la résolution du problème, la réflexion peut procéder par hypothèses successives, avec des allers-retours entre ces hypothèses et l’énoncé (d’où la nécessité de l’avoir à sa disposition dans sa tête à tout moment de la réflexion…) : à ce stade du Pégase, créativité, découverte, invention,  induction et déduction sont à l’ordre du jour. Mais lorsqu’il s’agit d’exprimer le résultat de sa réflexion, les contraintes du discours forcément linéaire, qu’il soit oral ou écrit, avec  la rigueur exigée par les justifications et les arguments (retour explicite sur les règles et les lois) ainsi que les formats spécifiques des exercices d’expression scolaire, encadrent cette liberté  de façon plus étroite.

La deuxième réflexion (pour communiquer ) est donc non seulement un « réfléchir plus », mais aussi un « réfléchir autrement » : c’est une réflexion d’une nature assez différente et beaucoup plus contraignante que la première (pour résoudre le problème). D'où sans doute la difficulté de tant d’adolescents à ce moment-là… Mais on voit mieux ce qui pourrait les aider à dépasser cet obstacle : réfléchir, encore réfléchir, toujours réfléchir !

mercredi 9 juillet 2014

79 - ÉVALUER DES ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ.

Dans mon message 75 « Comprendre ce qu'est comprendre », je faisais allusion à une grille d'évaluation mise en place dans une classe de seconde destinée à des élèves en difficulté :" Le « but c’est le chemin » (en seconde tout au moins). Le but dans cette classe c’est qu’ils (les élèves) soient en mouvement vers ces objectifs mieux repérés, que leur « conversion » soit commencée . Comment évaluer ce mouvement, cette conversion : c’est le rôle de la petite grille d’évaluation que nous avons élaborée ensemble lors de notre réunion du conseil de classe de janvier". Il faut préciser un peu cet outil d'évaluation dans le cadre d'un tel projet.


Évaluation de la progression des élèves en seconde de méthodologie.

Lors de la réunion de milieu d’année de l’équipe de professeurs, juste avant le conseil de classe, la question de l’évaluation des élèves a été posée : fallait-il une évaluation « douce » pour entretenir leur motivation mais au risque de leur cacher la réalité de leur niveau, ou valait-il mieux les noter sans concession, au risque de les décourager ? N’ayant pas travaillé avec ces professeurs l’évaluation formative, ou mieux encore « formatrice », je laissais la question en suspens. Je rappelais seulement le principe que l’année de seconde est une année de transition entre le collège et le lycée. En effet, les élèves ne sont réellement des « secondes » qu’à la fin de l’année, lorsqu’ils ont modifié leurs « logiciels » de collège pour adopter ceux du lycée. L’important dans cette classe est alors d’évaluer une évolution, une dynamique, et non des résultats bruts qui en eux-mêmes n’indiquent pas grand-chose de la mutation qui doit s’opérer pour ces collégiens en difficulté pour qu’ils deviennent de vrais lycéens en voie de réussite.

Auparavant, un tour de table avait permis aux professeurs d’exprimer leurs impressions sur les élèves après les deux premiers stages (le troisième restant à venir). Globalement ils s’accordaient à reconnaître chez leurs élèves des changements en profondeur, même si les effets ne se faisaient pas encore bien sentir dans les notes. Ils remarquaient particulièrement une meilleure attention en cours chez certains malgré des problèmes de discipline dans l’ensemble, une meilleure lecture des consignes, une attitude positive vis-à-vis des erreurs, les élèves comprenaient qu’ils ne comprenaient pas l’exercice ou la consigne, ils posaient davantage de questions…

J’écoutais sans intervenir ces constats qui représentaient pour moi une évaluation positive des objectifs des stages précédents.

Je repris alors les contenus de ce tour de table, en les regroupant de façon à former une sorte de « portrait-robot » de ce que l’on attendait d’un élève dans ce type de classe en termes de savoir-faire et d’attitudes, comme autant de marqueurs de l’évolution de ces jeunes au long de l’année. Cela aboutit à une grille  permettant de porter un regard évaluateur sur cette évolution.

SAVOIR…
++
+-
--
… participer et s’accrocher



… poser les questions, s’interroger, avouer ne pas comprendre



… faire le jeu des hypothèses et les vérifier



… faire des efforts pour surmonter un obstacle,



… mieux lire les consignes



… se taire, être attentif, être réactif



… réutiliser les connaissances dans le bon contexte




Les professeurs ayant approuvé cette proposition, la grille fut expérimentée dès le conseil de classe qui suivait la réunion. Elle fournit un élément supplémentaire qui vint compléter et comme « humaniser » la sécheresse des colonnes de notes et de moyennes : derrière ces chiffres une personnalité, "cognitive" tout au moins, se dessinait, une évolution se concrétisait.

La satisfaction des professeurs et des élèves présents ayant été générale, cette grille nous servit pour les conseils suivants. Elle permit de mesurer des évolutions individuelles parfois spectaculaires, que les notes ne reflétaient pas encore, et d’accompagner positivement les élèves qui s’étaient mis en mouvement, tout en pointant pour mieux les accompagner ceux qui n’avaient pas encore pris le départ ou qui rencontraient encore trop de difficultés pour "démarrer".

Dans cette classe, jusqu’à l’an dernier, le projet déjà ancien était « le bac en quatre ans », c’est-à-dire que les élèves doublaient quasi systématiquement la seconde, très peu d’élèves étant admis en première, et encore seulement dans certaines séries réputées "moins exigeantes "(!). Cette année, avec l’apport des stages et l'aide de quelques professeurs rapidement formés l’an dernier, 18 élèves sur 29 sont entrés dans la première de leur choix (2 en ES, 7 en S, 8 en STMG, 1 STSS) , 10 élèves doublent la seconde, une élève a été réorientée.

Cette grille devra sans doute être retravaillée, affinée, complétée… Mais déjà il est sûr qu'elle représente un précieux élément d'appréciation et d'accompagnement de l'évolution d'élèves qui souvent reviennent de très loin.

lundi 7 juillet 2014

78 - L’heure des bilans… La réouverture des possibles !

En cette fin d’année, comme tous les ans, un bilan approfondi a été fait dans les deux classes de secondes « de méthodologie » que j’ai accompagnées cette année, à Toulouse et à Bordeaux. Sur la base d’un questionnaire, chaque élève à pu faire une relecture sérieuse de son parcours et revisiter les différents aspects méthodologiques de l’accompagnement qui lui a été proposé au cours des stages et par l’équipe de professeurs. Après cette étape individuelle, chacun a été invité à comparer son état actuel à celui où il se trouvait en début d’année : « moi en septembre – moi en juin ». Un tour de table a permis à chacun, devant ses camarades et l’ensemble des professeurs, de formuler son bilan personnel. En voici les extraits les plus significatifs, bien qu’il s’agisse ici de témoignages écrits dans le bilan individuel, qui ne reflètent qu’en partie seulement la qualité des témoignages oraux :

Bilan personnel. Moi en Septembre – moi en Juin.:
  • ·        avant : enfantin – stupide – ne réfléchit pas. Aujourd’hui : Plus mature – moins stupide ou même plus du tout – réfléchis plus sur moi-même et sur les autres, sur ma façon d’être.
  • ·        En septembre : un garçon immature qui se cherchait, qui n’avait pas confiance en lui. Aujourd’hui, un garçon beaucoup plus mature qui s’est trouvé et qui a pris confiance.
  • ·        En septembre je ne connaissais pas du tout les stages de méthodologie. J’étais peu autonome, timide, inquiète sur mon orientation : je n’avais pas confiance en moi. Aujourd’hui j’ai plus confiance en moi, je suis plus autonome qu’avant.
  • ·        En septembre je ne connaissais pas la méthodologie, c’était quelque chose de nouveau. Durant les premières heures, je ne comprenais pas tout mais grâce aux exercices variés, j’ai pu réellement comprendre ce que j’apprenais. Plus les stages passaient, plus je comprenais. Aujourd’hui, cela m’a permis de reprendre confiance en moi et de savoir que j’avais des capacités pour réussir.
  • ·        En septembre, j’étais un nouvel élève de seconde qui ne savait pas trop où il allait, surtout pour la classe de méthodologie où l’on m’en avait parlé juste vaguement et où l’on m'avait dit que j’étais un profil pour y rentrer. Je n’avais pas trop confiance en moi mais après le premier stage et m’être intégré dans cette classe, j’ai gagné en maturité et cela m’a apporté beaucoup en assurance et en prise de conscience.
  • ·        En septembre, j’avais peur de décevoir ou de ne pas réussir, mais avec l’envie quand même de m’en sortir. Curieux de la méthodologie, intéressé. Maintenant je suis plus serein, plus confiant, pas gagnant mais confiant. J’ai plus d’envie qu’avant.
  • ·        Avant je tâtonnais pour le travail et les notes étaient irrégulières. Après deux trimestres, les stages, et à l’aide de moi-même, m’ont permis de prendre confiance en moi, de me motiver et de me dire : « oui, je vais réussir, je sais comment faire, je sais appliquer ». J’ai aujourd’hui ma propre méthode de travail et je sais faire face aux difficultés, je pense que ce n’est pas le monde qui bouge, mais nous qui bougeons et nous sommes nous-mêmes la clé vers la réussite.
  • ·        En septembre j’ignorais tout de la méthodologie. Je ne savais pas que apprendre comportait de multiples étapes, qui une à une m’ont aidé à améliorer cet apprentissage.
  • ·        Avant : des petites bases de méthodes d’apprentissage. Maintenant : les méthodes se sont solidifiées au fur et à mesure de la découverte des stages.
Tous les adultes présents ont été frappés par la sincérité, la profondeur de l’analyse et la grande lucidité qui ont imprégné tout ces témoignages. Au-delà de la réussite purement scolaire (voir ci-dessous les résultats de la classe 2011 -2012), on peut dire que la Gestion Mentale apporte à ces jeunes une confiance en eux-mêmes, une maturité et une véritable autonomie qui leur permettent de s’épanouir et de « croître dans leur être », à leur rythme et en fonction de leur désir profond. Ils se sont « réouvert tous les possibles » et s’en montrent particulièrement heureux !

Résultats du bac des élèves ayant suivi la classe de méthodologie (Toulouse) durant l’année 2011 – 2012.
Comme tous les ans, le suivi de chaque promotion est fait par les professeurs. Cette année sur les 24 élèves de l’année 2011 - 2012, 19 ont réussi le baccalauréat normalement en trois ans, (dont 1 mention TB, 5 mention B et 2 mention AB). Et cela selon les séries dans lesquelles ces élèves
s’étaient orientés :
·        2 en L,
·        1 en ES,
·        3 en S
·        9 en STMG,
·        4 en STSS,
·        2 en STIdd,
·        2 en STAV,
·        1 en Bac Pro

Au départ ces jeunes avaient connu des difficultés importantes au Collège (et même pour certains à l’école primaire) et leur passage en lycée général avait été très problématique. A voir le résultat trois ans après, conforme aux autres années depuis 2006,, on ne peut conclure qu’à la pertinence du projet de cette classe « de méthodologie », fortement structuré par le modèle PEGASE qui est une application « pédagogique » de la Gestion mentale d’A. De LA GARANDERIE.


samedi 5 avril 2014

77 - Comprendre avec les "cinq questions" de Pégase : des adaptations et des exemples concrets.

Je mets dans ce message des exemples concrets et des réutilisations disciplinaires des 5 questions de la compréhension; J'ai proposé ce modèle sur la base des projets de sens de compréhension décrits par Antoine de La Garanderie dans la Gestion mentale. 

On pourra voir ainsi que la Gestion Mentale ce n'est pas juste les "visuels" et les "auditifs" de la médiatisation malencontreuse des années 1980... comme s'obstinent encore à la réduire quelques esprits paresseux ou malveillants...

1. Un outil pour améliorer la compréhension en mathématiques ? Quels obstacles rencontre-t-on ? 
Ce texte est extrait des actes de la Journée Des Communautés Éducatives du 6 décembre 2013 à Cambo- les- bains (voir message 73).

Pierre INCHAUSPE, professeur de Mathématiques  au Collège St Michel Garicoitz - Cambo.

Intro : Pierre présente ce qui va suivre en re-situant brièvement le geste de compréhension
dans le schéma global présenté par Guy Sonnois le matin. L’outil sur lequel il a travaillé vise à
améliorer la compréhension des élèves. Il a été pris lors d’une formation avec Mikel
Erramouspé, puis retravaillé avec des collègues pour proposer une version simplifiée aux
élèves.
Les 5 questions pour améliorer la compréhension : A partir d’un schéma élaboré en groupe
par les élèves (de niveau fragile) sur le cosinus d’un angle, Pierre fait découvrir et explique
l’importance des 5 questions suivantes : C’est quoi ? A quoi ça sert ? D’où ça vient ? A quoi je
peux le relier ? Comment vais-je l’utiliser ? En fonction des notions, les 5 questions n’ont pas
la même importance mais leur maitrise permet une meilleure compréhension.

 Quels obstacles sont rencontrés ? Pierre reprend ensuite les 5 questions en présentant les
soucis que les élèves rencontrent en s’enfermant dans 2 ou 3 questions aux dépens des autres
qui sont alors négligées et donnent une compréhension incomplète.

 Questions posées :
  • Est-ce que ce schéma est utilisé à chaque fois, à chaque séance ? Non, 
Pierre n’utilise pas systématiquement cet outil même si celui-ci a modifié son
questionnement des élèves. Par exemple, pour réactiver le cours précédent, le 1er
 élève interrogé doit poser l’une des 5 questions, le voisin y répond, le suivant pose la 2nde
 question, etc…. . Il l’utilise en ATP ou pour cerner une notion difficile. Les élèves ont le schéma en
ressource méthodologique.
  •  A quel moment intervient la trace écrite de ce schéma ? Dans le cas présent : 
- en 4ème, en fin de chapitre, sous forme de schéma récapitulatif, une fois que tous les
éléments ont été mis en place
- en 3ème, en début de chapitre pour réactiver les notions de 4ème
 et introduire le sinus et tangente d’un angle.

 Sources : formation Gestion Mentale (Mikel Erramouspé) + livre Accompagner le travail des
adolescents (Guy Sonnois). Documents présentés peuvent être demandés à Pierre à
larinch61@gmail.com

On peut consulter les Actes de la Journée des Communautés Educatives du 6.12.2013 en cliquant ICI.

2. Un professeur de Physique en Lycée (Georges GIDROL, auteur du livre "Faites-les réussir en Physique-Chimie avec la Gestion Mentale (Chronique Sociale)

Deux fiches donnée à ses stagiaires lors du stage de prérentrée de Août 2002.





vendredi 21 mars 2014

76 – Comment faire faire des exercices en classe ?

Voici un échange de courrier avec un professeur de mathématiques, utilisateur dans son quotidien du modèle Pégase. Il remonte à trois ans, mais n'a rien perdu de son actualité. Il constitue un bon complément à mon message numéro 15 : « De la meilleure manière de faire des exercices »,  extrait d' "Accompagner...".


Bonjour Guy,
Ce n'est pas parce que je ne donne pas de nouvelles que je t'oublie ; c'est souvent d'ailleurs quand PEGASE est en cause que je pense à toi et à tes précieux conseils.

Si je me permets de t'envoyer ce mail, c'est pour la raison suivante : dans ton livre, tu décris très bien p.215 une méthode pour faire utilement des exercices. On peut penser l'utiliser efficacement au moment de leur découverte aussi bien en classe qu'individuellement.

A ton avis, peut-on l'exploiter à la maison avec des exercices déjà faits et corrigés en cours. L'avantage est que les élèves peuvent se corriger et donc maîtriser la méthode en autonomie ?

Même si les exercices ont déjà été cherchés en cours,  cela me paraît être important de les reprendre pour une bonne compréhension "application" au service d'une bonne réflexion. C'est bien parce qu'il y aura réflexion que ces reprises ont du sens.  

Amitiés. Claude

Bonjour Claude,

Merci de ton intérêt pour le modèle Pégase. Je vais tâcher de répondre à ta question.

Toute connaissance abstraite (théorèmes, règles, concepts, formules ou lois, etc.) comporte un « volet applicatif » qui consiste en une manière de l'utiliser, un « mode d'emploi », c'est-à-dire une « procédure générale » qui peut être donnée à appliquer directement (déduction), ou qu’il s'agit d’abstraire de la pratique d'exercices concrets ou particuliers (induction).

Donc on remarque en premier lieu que l'élève qui fait les exercices connaît la loi qu'il applique (bien qu'on remarque souvent qu'il déconnecte les exercices de la règle ou la loi qu'il applique, premier écueil). C'est en cela que l'exercice se différencie fondamentalement de la réflexion en résolution de problème, dans laquelle l'énoncé n'indique pas directement la règle à utiliser (ce que cherchent désespérément les élèves qui ne savent pas réfléchir), puisque justement c'est à eux de la choisir dans leurs connaissances mémorisées et de l’adapter et de l’appliquer au problème qu'ils ont à résoudre. On voit que les exercices préparent exclusivement la dernière étape de la réflexion, lorsque la règle a été choisie et qu'il faut  l'appliquer au cas proposé par l'énoncé. C'est comme quelqu'un qui voudrait sauver une personne de la noyade et qui chercherait le meilleur moyen pour cela : en voyant une barque il déciderait que c'est le moyen qui convient le mieux, parce que la barque est justement l'outil adéquat à la situation, mais encore faudrait-il qu'il sache la manœuvrer pour être un sauveteur efficace. Connaître les qualités d'une barque, c'est l'apprentissage de la notion abstraite (objet du cours), apprendre à la manœuvrer c'est le but des exercices (qui font aussi partie du cours…). On ne se met pas à apprendre à manier les avirons au moment où une vie est en jeu (ou le redoublement, ou la bonne note espérée...) et que chaque seconde compte...

Donc en classe, le professeur aide l'élève à s'approprier les moyens d'utiliser la notion transmise, il lui montre comment s'y prendre en pratiquant avec lui certains exercices. C'est à ce moment-là bien sûr que l'abstraction de la procédure généralisable doit se faire. Le professeur doit conduire cette "extraction" par des retours évocatifs après chaque exercice et un dialogue pédagogique avec la classe pour faire apparaître sous les éléments particuliers de l'exercice la procédure générale qui va ainsi progressivement apparaître. Elle va ensuite être expérimentée dans toute une série qui va viser à automatiser son application. L'élève doit sortir de la classe avec la connaissance non seulement du volet « explicatif » ("pourquoi" de la démonstration et "pour quoi faire" de la finalité, du domaine d'application) de la notion transmise par le professeur mais aussi de son volet « applicatif », c’est-à-dire la procédure de son utilisation et les moyens de l'automatiser en autonomie.

Ensuite il fera à la maison des exercices d'entraînement (d'automatisation) pour parfaire son habileté à faire fonctionner la procédure. Mais s’il ignore celle-ci, il aura bien du mal à la découvrir seul. Ou s'il le fait à la maison, c'est en retrouvant mentalement (avec son cahier pour vérifier) ce qu'il a fait en classe avec l'aide de son professeur. Il s'agit là de l'application de la « zone proximale de développement » de Vygotsky. D'abord faire avec l’aide de quelqu'un (le professeur, ou des camarades plus avancés), puis ensuite faire seul, pour s'entraîner et se préparer ainsi à la sixième étape de la réflexion.

Ce serait comme quelqu'un qui apprend à manier les avirons au club, puis fait des kilomètres en ramant pour s'entraîner, en se souvenant des consignes découvertes avec l'aide de l'entraîneur et de la manière dont il les a intégrées de façon généralisable : d'abord positionner le buste et les jambes, puis comment tenir les avirons, puis la façon de les enfoncer dans l'eau ni trop ni pas assez, puis enfin la manière de les tirer vers soi, etc.

Est-ce que tu vois mieux apparaître les différences entre ce qui peut être fait en classe avec le professeur, et ensuite à la maison ?

Bien à toi, Guy




189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...