lundi 7 août 2017

115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire originale et stimulante !

Au hasard d'une navigation sur le net, je découvre cette fiche qui applique à une règle de grammaire ("m" devant "m", "b", "p") la nécessité de dévoiler aux élèves l'origine, la "raison causale" de ce qu'ils doivent respecter. A en croire cette enseignante, il n'y a pas que ses élèves "expliquants" qui y ont trouvé intérêt ! Voici d'ailleurs le mail reçu d'elle avec son autorisation de publier son travail :

"Bien entendu, vous avez mon entier accord pour toute utilisation que vous jugerez utile! Et je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD !"

Cette remarque est très intéressante. Elle vérifie le vieux principe appliqué au commandement que je cite à propos de cette "compréhension expliquante" (Voir  « Accompagner… », pages 212-213) : « Un ordre dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre accepté à contrecœur sera saboté consciemment ou non. » Une règle n'est jamais qu'un principe d'ordre dans un domaine donné et il convient bien sûr de la respecter si l'on veut réussir dans ce domaine. Mais pour bien la respecter, il vaut mieux l'avoir bien comprise. Voici un exemple d'un sabotage inconscient, également cité dans "Accompagner..." :

Exemple de « sabotage inconscient » dans l’application d'une règle. Dans l'exercice d'orthographe proposé dans le chapitre sur la réflexion [accorder le mot cueilli dans la phrase "ces fleurs que Gisèle et Paul ont (cueillir)"], un élève avait écrit sur sa feuille « cueilli » au lieu de « cueillies ». Lorsqu'on lui demanda de « justifier » son orthographe, il récita la règle sans faute. Devant l’étonnement général, il précisa ceci : « quand j'ai réfléchi, dans ma tête j'ai vu « cueillies », et quand j'ai écrit, ma main a écrit « i. » Il s'agissait d'un 
véritable « sabotage inconscient » de l'exécution de la règle. Interrogé sur la raison de cette règle, il donna cette réponse : «  ça doit être deux ou trois vieux barbus (en fait il a dit autre chose…) qui ont décidé ça un jour où ils s'ennuyaient ! » Dépourvu de l'explication logique de cette règle de grammaire, que pourtant il avait bien mémorisée, il était dans l'incapacité de l'appliquer « avec conscience et efficacité ». Voir en fin de chapitre la démonstration de cette règle si « bien de chez nous » : l’accord des participes passés.


















Modèle à suivre donc et sans modération !

114 - Relations parents-profs...en 1909 : le bon sens vous dis-je !

Poursuivant ma lecture du petit carnet noir à l'écriture serrée de l'aïeule de mon amie, maîtresse d'école de son état en ce début de XX° siècle, je tombe sur cette conférence pédagogique du 18 octobre 1909, dont le sujet est la relation du maître avec les parents. Elle vaut son pesant de bon sens et de brûlante actualité. On y trouvera pêle-mêle : l'absentéisme comme une des sources du décrochage scolaire, le besoin d'utilité des savoirs transmis aux plus âgés, l'absolue nécessité "d'unité de conscience" (sic) entre les parents et les enseignants, de franche collaboration, et même de cordialité entre eux, avec cette image forte et tellement représentative de cette époque disparue, de "la main blanche et fine" (re-sic) de l'instituteur serrant avec estime  "la main calleuse du travailleur" (re-re-sic). On notera la création d'associations de "pères de famille"... les temps ont changé...Sans oublier l'appel au patriotisme : cinq ans après éclate la première guerre mondiale qui scellera la réconciliation de l'instituteur, du curé et du travailleur dans la fraternité cimentée par les souffrances et la boue des tranchées. Mais pour combien de temps ?


Conférence pédagogique du 18 octobre 1909

Rapport du maître avec les parents

Les associations des Pères de famille qui se fondent un peu partout ont donné l’idée du sujet de la conférence.
Les associations créées dans le but de soumettre l’instituteur à une surveillance étroite, tant au point de vue de son enseignement que des livres qu’il emploie, et de lui créer des difficultés, si possible, ne doivent pas nous effrayer outre mesure.
Si nous avons su gagner, conserver et fortifier la confiance et la sympathie les familles, les associations ne sont pas bien à craindre.

Moyens pour gagner cette confiance.
Pour cela, plusieurs moyens sont à notre portée :

1.    Réclamer le concours des parents dans le but que nous poursuivons. Mais cela avec mesure. Nous ne devons pas les laisser s’ingérer dans notre façon d’enseigner, dans notre manière d’appliquer des méthodes. Pour accomplir sa tâche, l’instituteur a fait des études spéciales et très longues que les parents n’ont pu faire. Ils ne peuvent donc ni surveiller, ni contrôler le maître. Sur ce point là, n’admettre ni discussion ni explication, elles ne sont pas possibles.
Mais on peut leur demander de veiller au travail que l’enfant fait à la maison. Ils doivent se rendre compte si l’enfant sait ou ne sait pas ses leçons ; s’il a accompli le travail à lui imposé : problèmes, cartes, etc.… Et s’il est fait d’une façon convenable.

2.    Les entretenir souvent de la fréquentation scolaire. Un petit nombre de parents comprennent le mal qu’ils font à leurs enfants en leur faisant manquer la classe. Leur expliquer que l’enseignement est un enchaînement qu’il faut suivre d’un bout à l’autre. La leçon de la veille explique celle du jour comme celle-ci expliquera celle du lendemain. Si l’enfant perd un jour, c’est un chaînon qu’il perd et qu’il ne remplacera pas. Ne pouvant comprendre la leçon le jour où il sera à l’école, il se dégoûtera, fera un mauvais élève.
Nous savons tous qu’il est des conditions économiques contre lesquelles il est difficile de lutter : besoin qu’a la famille du travail de l’enfant,  misère, etc.… Contre cela, utilité des cantines scolaires, des fournitures gratuites, etc.
Mais l’instituteur surtout peut beaucoup pour assurer la bonne fréquentation de son école. C’est lui qui doit faire comprendre à l’enfant le tort qu’il se fait à lui-même en manquant la classe. Et si les enfants prennent intérêt aux leçons faites, ils seront nos meilleurs avocats auprès de leurs parents. Et ces derniers regretteront davantage d’être obligés de les garder s’ils voient le chagrin de l’enfant à manquer l’école.

3.    Cours d’adultes. Les cours d’adultes nous sont aussi un bon moyen de gagner la confiance des parents. Mais pour ces cours, utilité qu’il y a à faire collaborer les jeunes gens à l’emploi du temps. Ils demandent que toutes les connaissances qu’on veut leur faire acquérir aient une valeur pratique, utilisable. Il faut donc leur apprendre à arpenter, à cuber… il faut leur montrer la manière de dresser un bail, d’écrire un reçu, une lettre d’affaires, etc.…

4.    Communication avec les parents. Il existe dans certaines écoles un carnet de correspondance à peu près inutile dans les écoles rurales. les enfants le font signer ou non, par leurs parents ou des étrangers, etc. Le travail demandé à l’instituteur n’est plus en rapport avec le bénéfice qu’on peut en retirer. On peut se servir du cahier mensuel. À la fin du mois, l’envoyer chez les parents avec une note particulière sur l’application, le travail de l’enfant. L e mois où la note sera trop mauvaise, se dispenser d’envoyer le cahier, tout en prévenant l’enfant qu’on le montrera à ses parents. Cela pour ne pas l’exciter à user d’ une supercherie, etc.

5.    Il doit encore chercher à obtenir unité de conscience dans l’école et dans la famille. Ce qui a été blâmé par le maître doit l’être par les parents.
Un enfant a un défaut. Les parents et les maîtres doivent s’entendre pour le punir. Un enfant est menteur. Retirons- lui notre confiance. S’il s’aperçoit qu’on ne le croit plus, même lorsqu’il dit la vérité, s’il voit qu’il n’a plus l’estime de ceux qui l’entourent, il fera tout pour la regagner.
Un autre manque de courage, d’énergie. Le jour où nous aurons besoin du concours d’un élève, refusons lui de nous aider et demandons l’aide d’un autre de ses camarades qui aura su se montrer plus énergique. Et cet enfant fera encore son possible pour se corriger

Il faudrait enfin pouvoir obtenir que dans la famille, jamais un mot ne soit dit contre l’instituteur. Mais à son tour, celui-ci ne doit pas avoir l’air de dédaigner le travailleur. Par sa tenue, ses actes, ses paroles, il doit lui montrer qu’il estime. Il faut qu’il règne entre les parents et le maître une franche allure de cordialité.
Qu’un courant de cordialité s’établisse quand  la main douce et fine serre la main calleuse de l’ouvrier.


6.    Il faut encore avoir le souci de l’opinion. Les instituteurs sont accusés d’antipatriotisme, d’antimilitarisme sans doute les soupçonne-t-on partisans des doctrines d’Hervé. Eh bien, cette opinion est injuste, et il faut que l’on sache que le maître aime et respecte la Patrie.

dimanche 6 août 2017

113 -L’école primaire était-elle tellement meilleure que ça « avant » ?

Il y a des gens, très sérieux et très écoutés actuellement, qui voudraient bien retrouver l’Ecole Primaire de leur enfance… ou de celle de leurs grands-parents… vous savez, l’École qui allait tellement mieux que celle d’aujourd’hui… celle qui savait tellement mieux enseigner aux enfants qui apprenaient si bien tout seuls…  Avec des maîtres tellement mieux formés... bien à l’abri de toutes ces pédagogies nouvelles qui nous mettent la tête à l'envers… Avec de vrais inspecteurs qui leur donnaient de vrais bons conseils… 

Alors pour rétablir un peu de réalité dans la querelle jamais close entre ces nostalgiques du bon vieux temps et les « pédagosfousquionttoutsaccagé », voici un extrait d’un petit carnet prêté par une
amie qui l'a retrouvé dans ses archives familiales. Il est rempli avec une petite écriture soigneuse et régulière, comme on n'en voit plus guère, celle d’une maîtresse d'école du début du XXe siècle (une hussarde de la république ?), qui prenait en note une « conférence pédagogique » (on parlait déjà de pédagogie, même à cette époque…), sans doute pour la transmettre après coup à ses collègues autour de Limoges, tout près d'Oradour-sur-Glane que mon amie a vu bruler depuis sa maison...

Voyons un peu ce que lui conseillait son inspecteur de l’époque, le 5 octobre 1912. Pour la commodité de la compréhension, on pourra remplacer le patois, mis en cause par l’inspecteur, par toute autre langue que les élèves actuels savent si bien manier en dehors de la classe… dans la cour ou dans la rue... voire à la maison...  en lieu et place du bon français que tous les adultes parlent si bien… notamment à la "télé"! En prime, une analyse historique du développement de l’enseignement primaire en France qui ne manque pas de sel…


Conférence pédagogique du 5 Octobre 1912.

Sujet de la conférence : l’enseignement du français à l’école primaire.

" Les résultats obtenus dans l’enseignement du français sont tout à fait insuffisants (il n'y avait pourtant pas encore d'enquête Pisa...)
Cela est dû :
1°/ à la difficulté qu’éprouvent les enfants à parler français lorsqu’ils se servent du patois à la maison.
2°/ à ce que dans l’enseignement primaire, l’instruction s’est développée en France sous sa forme la plus élevée. On s’est d’abord préoccupé de l’enseignement supérieur. Puis les Jésuites ont créé, pour ainsi dire, l’enseignement secondaire et enfin, avec les protestants, l’enseignement primaire est apparu.

L’enseignement supérieur s’étant développé le premier, l’enseignement secondaire s’en est naturellement inspiré et l’enseignement primaire, à son tour, a emprunté au secondaire.

Nos enfants n’ont donc pas un enseignement qui leur convienne, un enseignement qui leur soit approprié. Cela apparaît surtout dans l’enseignement du français.

Il faut, nous répète-t-on sans cesse, partir de ce que l’enfant connaît. Ils devraient trouver leur modèle dans la langue maternelle. Ici, ce n’est pas le cas. Ce modèle qu’ils ne peuvent trouver chez eux, c’est à nous de le leur fournir. Il faut donc leur parler français. Éviter les expressions particulières au Limousin, les locutions vicieuses. Ne pas employer le passé défini, l’imparfait du subjonctif, etc. Dans les petites classes, s’attacher, dans l’étude du verbe, à faire connaître les trois temps principaux, négliger les autres.

Étudier les adjectifs qualificatifs que l’enfant peut arriver à comprendre. Laisser les possessifs et démonstratifs pour le cours moyen.

Mettre l’enfant en présence d’une phrase, lui faire connaître les principales parties, etc. En un mot, supprimer beaucoup dans l’étude de la grammaire. Et la leur présenter de façon à ce qu’elle leur paraisse moins aride. Pour l’article, leur donner des exemples. On dit : le papier, les papiers ; la porte, les portes. Lorsqu’on met le devant un nom, le nom est masculin, etc.

Dans une phrase, lui faire considérer le sujet et tout ce qu’on dit du sujet.
Le verbe est le mot qui dit ce que fait le sujet. Quelquefois c’est un nom, d’autres fois un pronom.
Pour les compléments, ne s’occuper que des compléments d’objet et des compléments de circonstance.
Apprendre quelques verbes. Ni groupes, ni conjugaisons.
Faire étudier : chanter, finir, courir, etc. et montrer que ceux terminés comme eux s’écriront aussi comme eux aux mêmes temps.
Dans les cours moyens et supérieurs, reprendre ce qui a été enseigné au cours élémentaire et y ajouter quelques précisions.

La composition française.
1°/ choisir un petit texte, un exemple à la portée des enfants, l’écrire au tableau noir, le lire. Causer sur ce texte. Exemple  (il n’y a plus de feuilles après les arbres) : pourquoi, quand y en a-t-il ? Quand poussent-t-elles ? Quand tombent-t-elles ? Les arbres nous semblent-t-ils aussi jolis ? Etc. C’est faire de la composition française.
Continuer par des observations grammaticales. Qu’est-ce que les feuilles ? Animal, chose ? Etc. c’est un nom de choses. On dit une feuille, des feuilles. Il y a un « s ». Parler de tombées, c’est leur qualité, leur manière d’être : c’est un adjectif qualificatif. Feuilles est au pluriel, tombées est au pluriel. Sont est le présent. Si c’était hier, on dirait : étaient.

2°/  exercices écrits. Relever les noms singuliers, les noms pluriels, les verbes, les sujets.
3°/ traiter par écrit une petite question : décrire un arbre en été, en hiver.

La leçon durera au moins une heure.
1.    Lire environ cinq lignes (un quart d’heure)
2.      -  explications grammaticales (10 minutes)
3.       - texte écrit (un quart d’heure)
4.       - exercices de langage.
5.   Reporter par écrit l’exercice de langage.

Dictée. La dictée n’est pas le point initial d’une leçon de grammaire, ce n’est qu’un exercice de révision. Dicter une phrase est suffisant. Ce n’est que plus tard que les dictées seront faites pour elles-mêmes. Il faut que les fautes soient corrigées et comprises par l’élève."

A propos de la dictée, je vous renvoie aux pages 108 à 113 d'"Accompagner..." où sont décrits les complexes projets de sens à l'oeuvre dans l'apprentissage des mots et de la grammaire. En effet, elle ne peut être "le point initial " de cet apprentissage. Mais elle en est toujours une application incontournable et indispensable parce qu'elle "muscle" chez les enfants les circuits de neurones qui sous-tendent les projets de sens de transformation de la signification ou de la forme orale des mots en leur forme écrite conventionnelle. En même temps, elle entraîne chez eux l'application des règles qui régissent l'accord des mots entre eux. Ces mots et ces règles qui justement ont fait l'objet de la leçon de grammaire. M. l'Inspecteur, malgré votre ignorance, tout excusable, des neurosciences et de la Gestion Mentale, vous aviez bien raison et votre intuition était fort juste ! Et vous aviez même une longueur d'avance en ce qui concerne le statut de l'erreur et de leur correction, un des must des pédagogies "nouvelles". La  pédagogie n'est ni ancienne ni nouvelle, elle est l'essence même de l'Ecole.

Le tout en éducation, aujourd'hui comme hier, est toujours de commencer par le début  et de donner la priorité au bon sens !



189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...