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mercredi 20 juin 2018

124 - Je regarde le plafond avant toute opération délicate.


Dans mon message 86 : « J ’ai ouvert mes oreillesintérieures », j’ai décrit une conversation avec un ophtalmologue de mes amis qui me racontait comment, vers ses 15 ans, il avait décidé un beau jour de se mettre au travail et comment il avait alors, et pour la première fois,  "ouvert  ses oreilles intérieures" en lisant un cours de physique qui le rebutait particulièrement. Cette « ouverture », purement mentale, lui avait procuré la compréhension * de cette matière pour laquelle  jusqu’ici il n’éprouvait que peu d’intérêt. À partir de ce jour, il avait  connu le succès dans sa scolarité jusqu’à devenir un spécialiste (et un professeur) reconnu et apprécié de sa clientèle.

Un autre ophtalmologue, chirurgien qui a réalisé dernièrement sur l’un des mes yeux une opération très délicate, m’a raconté lui aussi une anecdote qui fait le pendant à la précédente. C’est également un ami, et de plus un de mes anciens élèves. Je l’avais aidé lorsqu’il était en seconde et que sa scolarité avait pris une bien mauvaise tournure en fin de collège. Avec le groupe dont j’étais le tuteur, je l’avais éveillé à sa vie mentale et à la façon de l’utiliser dans ses études : cela lui a semble-t-il bien réussi puisqu’il est devenu un des chirurgiens ophtalmologues les plus en pointe dans son secteur au niveau international. Voici ce qu’il m’a raconté.

Tout récemment, il a opéré un jeune homme dont la paupière était totalement fermée après une maladie. Comme avant toute opération, il avait fait le dessin très précis de ce qu’il comptait faire. Mais son infirmière de confiance lui a dit après l’opération : « Je savais que ce serait quelque chose de difficile et délicat. » – « Et à quoi l’avez-vous su ? » répondit mon ami. – « Avant l’opération vous êtes resté un long moment silencieux à regarder le plafond !»
« Je ne m’en rends pas toujours compte, mais c’est toujours ainsi que je procède avant une opération qui sort de la routine ou qui présente une difficulté particulière : je me fais le plus exactement possible le film de ce que je vais faire *» me confirma-t-il. «  C’est toi qui me l’as appris en seconde, cela m'a toujours aidé et je n’ai plus jamais cessé depuis. »

Que ce soit à l'occasion d'un évenement de son environnement comme dans le premier cas, ou, dans le second, par une initiation individuelle ou collective à la gestion mentale, l'évocation, qu'elle soit auditive ou visuelle, est bien le passage obligé de toute réussite scolaire ou, comme on le voit, professionnelle. Que les neurosciences redécouvrent actuellement cette qualité essentielle de l’être humain ne peut que nous encourager à continuer à initier le plus grand nombre de jeunes ou de moins jeunes à ce trésor dont les tiennent éloignés toutes les incitations de la vie moderne.

* On a ici une illustration de ce qu'est l'évocation, ainsi décrite par A; de LA GARANDERIE dans le Vocabulaire de la Gestion Mentale :
"Il est des consciences d’êtres humains où, pour être  sentantes, elles se trouvent en passe de devoir utiliser leurs nerfs moteurs soit visuels, soit auditifs, soit tactiles, quel que soit l’objet de sens en question (soit visuel, soit auditif, soit tactile). Ainsi on entendra dire ceci : il faut que je me parle ce que je vois ; ou : il faut que je voie ce que j’entends (Napoléon à ses officiers : faites en sorte que lorsque je vous aurais entendu, je pense avoir vu) ; ou encore : il faut que je me dessine ce que je vois ou j’entends pour le comprendre."

Et aussi :Les objets de connaissances ainsi constitués par l’être humain en situation perceptive peuvent être mis en situation d’évocations selon une modalité différente de celle par laquelle ces objets se sont présentés à lui en perception. Ces images lui sont personnelles et peuvent devenir accessibles à sa conscience par l’introspection.

lundi 30 avril 2018

123 - Comprendre ou mémoriser… Faut-il vraiment choisir ?

Un vieux débat, une querelle stérile comme les français en ont le secret, traverse depuis près d'un demi-siècle notre pédagogie hexagonale, un peu à la manière de celle des « anciens » et des « modernes » : vaut-il mieux comprendre d’abord et mémoriser ensuite... si on y pense et si on en prend le temps ... ou bien plutôt mémoriser d’abord et comprendre ...peut-être... par la suite en faisant confiance au temps ?
Les partisans de la première solution, les « modernes », pensent que mémoriser quelque chose que l’on n’a pas compris est non seulement difficile, mais surtout peu efficace pour les réutilisations qui suivent et qui ne sont plus, ou alors très peu, de la simple récitation mot à mot. Au contraire les partisans de la seconde, les « anciens », considèrent que la compréhension est une lente digestion et qu’il faut d’abord ingérer l’aliment et le maintenir en soi avant qu’il ne soit totalement assimilé.
Pour sa part, Antoine de la Garanderie confiait qu’il mémorisait des textes entiers dont au départ il n’avait pas une parfaite compréhension, laquelle lui venait avec le temps par des confrontations avec d’autres lectures, par d’autres réflexions. Mais il précisait toutefois qu’il mémorisait avec le projet de comprendre plus tard : une synthèse entre anciens et modernes… ? On peut comprendre cette position, mais à une condition : faire confiance au temps, et tout simplement avoir le temps de cette compréhension/digestion aboutie. Cela est tout à fait envisageable dans la vie ordinaire, quand rien ne nous presse trop, ou dans les méditations d’un philosophe qui a du temps devant lui. Cela est moins facile à admettre lorsque les réutilisations de ce qui doit être mémorisé sont à court ou moyen terme, ce qui est le cas de la mémorisation scolaire - que d'ailleurs l'on ne se soucie plus d'accompagner dans le temps).
On sait par ailleurs que les élèves se montrent encore plus radicaux : certains comprennent ce qu’ils apprennent mais ne se soucient nullement de le mémoriser, alors que d’autres mémorisent ce qu’ils apprennent sans prendre le temps ni même chercher à le comprendre. Quels sont donc les liens à établir entre ces deux activités fondamentales de l’apprentissage scolaire ?


Un texte déjà ancien (1994) éclaire ce débat d’un jour intéressant car pour une fois il nous vient d’ailleurs que des "spécialistes" de l’école. C’est un extrait d’un texte plus important qu’Yves Beaupérin [1] consacre à Marcel Jousse, un anthropologue de la mémoire dont les recherches sur les traditions de style oral ont fait l’objet de plusieurs publications (notamment « Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs », 1925) et de cours donnés à la Sorbonne sur ce sujet dans la première moitié du siècle dernier. Dans cet extrait intitulé  « Système scolaire et mémorisation », véritable plaidoyer pro-mémorisation, il est question notamment de son rapport avec l’intelligence et de la création d’automatismes (sur ce dernier point on ne peut éviter de faire le lien avec le texte d’Antonio Damasio cité dans mon message 121 : « Neurosciences et pédagogie : les exercices d’entraînement »). 


Cet extrait me semble être un bon reflet, venu d’un point de vue inhabituel, de cette querelle et de sa responsabilité dans l’état actuel de notre Ecole. On notera que de compréhension il n’est nullement question explicitement, sauf tout à la fin pour signaler l’importance des automatismes pour comprendre. Il n’est question que d’intelligence… souvent confondue avec la compréhension, ce geste mental si important, mais si peu étudié et décrit... jusqu'à ce qu’Antoine de la Garanderie ne s’y intéresse spécifiquement.
On trouvera ainsi dans ce texte, entre autres :
-  l’importance de la mémorisation pour l’intelligence, la science, la création… : « Il n’y a pas d’intelligence sans mémoire »... (ni, donc, de compréhension...)
-  la question du rejet par l’école du « psittacisme » (apprentissage mécanique façon perroquet, rabâchage, élèves "photocopieurs"…) au profit de la seule compréhension, après le tournant des années 1970 : toujours l'exclusion plutôt que la synthèse...
- le rejet de la répétition au moment de la mémorisation, mais sa nécessité dans les réactivations, ces remémorations répétées indispensables à une bonne assimilation des connaissances (la " rumination" dans le processus de digestion...),
- l’importance des habitudes et des automatismes : «Créer des automatismes est une condition de l'intelligence » (de la compréhension ?),
- la dictature « du programme » et les rythmes scolaires actuels (1994... !) comme la vie moderne en général et la culture adolescente de l'immédiateté, peu propices à la mémorisation comme à ses réactivations/remémorations nécessaires à une compréhension post-mémorisation.


Pour une sortie par le haut de ce débat stérile.
Lorsque j’ai commencé à me préoccuper de fournir aux élèves que j’accompagnais une méthode de travail plus performante que ce que je leur voyais faire au quotidien, la littérature pédagogique n’en était qu’à ses balbutiements, en France tout au moins. Les ouvrages à disposition du lecteur lambda que j’étais concernaient tous… la mémoire, dont le grand prêtre était (et se voudrait toujours…) A. Lieury[2] (le pourfendeur acharné de l’introspection en général et de la Gestion Mentale en particulier), bientôt secondé par T. Buzan (le pape des moyens mnémotechniques et des schémas heuristiques). Rien sur la compréhension… jusqu’à la parution en 1987 de « Comprendre et imaginer » (Centurion). Ce fut pour moi une vraie révélation...  que j’attendais depuis si longtemps !


Depuis, je me suis efforcé de réintégrer ces deux gestes mentaux, mémoriser et comprendre, dans un ensemble cohérent. Cela a donné le « modèle des Cinq questions » (dont le « à quoi ça sert ? » base de toute mémorisation véritable), modèle qui reprend les projets de sens de compréhension de La Garanderie, associés aux rythmes de réactivations/remémorations de Buzan, le tout favorisant ainsi une bonne assimilation de connaissances  ET comprises ET mémorisées ET réactivées...et donc de mieux en mieux comprises en profondeur...et donc mémorisées dans le long terme... Tout cela, au service de bonnes réflexions et de bonnes communications, indispensables à toute réussite scolaire.


Déjà dét
aillé dans « Accompagner… », on retrouvera cet ensemble désormais mis à la portée des jeunes eux-mêmes dans le Cahier d’exercices à paraître à La Chronique Sociale (juillet 2018) : 

 

« J’apprends à travailler »
ou
<<Jules et les 10 préceptes de l'Apprenti Sage >>.

 


 

[1] Directeur pédagogique de l’Institut de Mimopédagogie.

[2] Mémoire : théories et résultats, Mardaga 1975.

 


mardi 3 avril 2018

120 - Le travail, une torture ? Non ! Un projet !


J’ai toujours été gêné par l’origine communément admise du mot « travail » selon laquelle il viendrait d’un instrument de torture des Romains, le « tripalium ». D’une part parce que l’étymologie proposée me semblait assez éloignée de la forme du mot français (tra viendrait de tri… et vail de pallium…). D’autre part, parce que, pour moi, le travail est loin d’être aussi négativement connoté. En cavalier assumé, j’avais trouvé plus intéressant de rapprocher ce mot de l’appareil utilisé par un maréchal-ferrant pour soigner ou ferrer un cheval un peu nerveux  et qu’on appelle également un travail. Dans « Accompagner le travail des adolescents…» j’avais donc inséré un encadré sur le sens du mot travail accompagné de photos d’un tel appareil…comme on peut en rencontrer à l’occasion de promenades à la campagne.

Aussi ai-je été très heureux de trouver un article de blog sur ce sujet  qui allait dans mon sens. L’auteur y fait état de l'interprétation d'une chercheuse en linguistique qui va bien plus loin que je ne l’avais fait moi-même (tout en signalant ma propre interprétation « cavalière »). Voici quelques extraits de cet article :

 « En effet, le passage du latin tripalium à l’ancien français travaillier, proche ancêtre du verbe moderne travailler, via un verbe hypothétique tripaliare, est hautement improbable »

« … d’autres éléments invitent à se tourner vers une autre histoire génétique du verbe travailler, d’où découle le nom travail. En particulier, l’étude faite par Marie-France Delport des mots hispaniques médiévaux trabajo (= travail) et trabajar (= travailler), dont elle montre qu’ils expriment une « tension qui se dirige vers un but et qui rencontre une résistance ». L’auteure propose de rapprocher cette description sémantique du préfixe latin trans-, qui se réduit souvent à tra- (tramontanetraversertraboule, etc.), et qui exprime un principe de passage d’un état vers un autre. »

« On peut en déduire que travailler s’est formé sur une base lexicale exprimant un mouvement, qui s’articule au préfixe tra- exprimant la notion de passage assortie d’une résistance »

« Il est préférable de rechercher une source qui serait commune à l’anglais travel et au français travailler, en imaginant une bifurcation vers l’idée du voyage – accompagnée de l’idée d’effort ou d’obstacle à franchir – et une autre vers l’idée plus générale de « tension vers un but rencontrant une résistance ». 

Toutes les personnes intéressées par la gestion mentale ne peuvent qu’adhérer à cette nouvelle interprétation, bien plus cohérente par rapport à l’esprit des travaux d’Antoine de La Garanderie « une tension qui se dirige vers un but et qui rencontre une résistance » et aussi « un mouvement ». N'a-t-on pas là une définition assez proche de ce que nous appelons "projet mental" ? Ce qui m’a amené à préciser dans « J’apprends à travailler » que pour « se mettre au travail » (leur problème récurrent…) il fallait que les jeunes apprennent à « se mettre en état de projet » par rapport à la tâche à entreprendre.

On note par ailleurs un rapprochement intéressant avec le mot anglais « travel », avec l’idée de voyage. Est-ce par pur hasard que j'appelle mes formations sur (le travail de) la compréhension approfondie "Voyage dans l'univers du sens" (message 117)...?

Alors, travailler, à l’école ou ailleurs, serait un voyage, un mouvement, une tension vers un but (désiré), le passage d’un état à un autre (croissance, développement) au prix de résistances ou d’obstacles à surmonter (efforts, obstacles "didactiques" ou "épistémologiques"). Si de telles conditions ne sont pas réunies, chez un élève, dans une classe ou dans une entreprise, alors il ne convient plus de parler de travail mais... de besogne, de "turbin", d’exploitation ou d’esclavage. 

Que le passage paraît encore difficile d’une école où le travail est pour trop de jeunes synonyme de torture à une autre où il serait source de réalisation et d’épanouissement de soi, ce qui ne se réalise jamais dans l’oisiveté et la facilité... Ni seul... mais c'est  là un autre aspect du  problème.




jeudi 6 juillet 2017

112 - Asperger et difficultés de concentration. On y peut quelque chose ?

Il y a deux ans presque jour pour jour, je publiais sur ce blog un message  intitulé : « J’ai ouvert mes oreillesintérieures ». J’y relatais un entretien relativement bref que j’avais eu avec un élève de seconde, début septembre 2014, lors de notre première rencontre, le premier jour du premier stage de méthodologie de sa classe. Il m’avait été décrit comme ayant de gros problèmes de concentration, dûs à un syndrome d’Asperger, et je me demandais comment j’allais pouvoir l’aider.  A la pause du matin, je le vis seul, à l’écart de ses camarades, accaparé par quelque chose que je ne voyais pas de là où j’étais. M’étant approché, je réalisais l’objet de son attention : des insectes, peut-être des abeilles, qui voletaient dans l’air devant lui. Il avait toute l’apparence de quelqu’un de très concentré, ce qui contrastait avec ce que l'on m'avait annoncé à son sujet. Pour les détails de notre entretien, je vous renvoie à la lecture de mon message 86. Depuis, je pensais parfois à cet élève lorsque j’abordais dans les stages le sujet de l’attention et de la concentration, mais je n’avais plus de nouvelles de lui. Et voici que ce matin je reçois ce message de sa part :

« Cher Guy Sonnois, dont l'enseignement me sera toujours précieux, c'est par cette belle journée du 7 juillet 2017 que j'ai reçu mon baccalauréat avec la mention bien. J'ai encore en mémoire ce que vous m'avez appris lorsque je regardais les abeilles dans l'arbre en vous expliquant mes problèmes de concentration. Vous m'avez dit que si je pouvais regarder si longtemps ces abeilles sans perdre le fil, et les identifier, c'était par mon seul intérêt et ma motivation, et que la concentration ne dépendait que de moi. Je m'en suis rappelé jusqu'à aujourd'hui et je tiens encore à vous remercier car mes problèmes ont lentement disparu après vos leçons. Je vous souhaite de très bonnes vacances, et de pouvoir encore aider de nombreuses personnes. Sincèrement, E. »

Bien que dans ce bref message, E. ne détaille pas l'habitude évocative verbalisante qu'il a découverte en cette occasion et qu'il a ensuite de mieux en mieux utilisée, la "fusée" lancée en Seconde il y a deux ans semble avoir poursuivi sa trajectoire de belle façon ! En effet, voici le bilan qu"E. faisait de son année de "méthodologie" en Juin 2015 : 

"Cette année de seconde a eu le même impact sur moi que la Renaissance sur l’Europe. Tout a été remis en question, et est encore en reconstruction en ce moment même. J’ai compris que la compréhension ne se développait pas en heures penché sur des lignes mais en données décryptées et remanipulées. ... Il me faudra des mois, des années même, avant que mes méthodes s’affinent. Guy, vous avez été le lanceur de la fusée. Maintenant que j’ai quitté la stratosphère, à moi de poursuivre la route en évitant les obstacles, en gérant le carburant. E." 

On voit que ce jeune homme n'est pas dépourvu d'imagination et d'un certain style ! Qualités que, bien sûr, il ignorait jusqu'en début de cette année de renaissance personnelle...


On cherche, pour aider ces jeunes, des dispositifs complexes, des thérapies plus ou moins exotiques, des traitements médicaux de toutes sortes… Parfois un peu d’attention vraie à leur endroit, un petit échange au bon moment, un peu de « savoir » sur les réalités de la vie mentale, et bien sûr une grande confiance dans leurs capacités méconnues, cela peut suffire. La preuve !

vendredi 30 août 2013

64 - Mise en projet des élèves : de l’importance de la précision du vocabulaire utilisé.

Dans « Accompagner… », à propos de la mise en projet, j'ai voulu montrer à quel point des imprécisions de vocabulaire dans les consignes orientaient dans des sens différents les projets mentaux  des élèves. Une bonne consigne doit en effet permettre aux élèves de former mentalement des projets le plus possible en rapport avec la tâche à effectuer. On parle alors d'une consigne « univoque », c'est-à-dire qui ne peut donner lieu qu'à une seule évocation de la tâche. Malgré les différences évocatives individuelles, la tâche doit être évoquée de la même façon par tous, et donc les projets d'action de chacun doivent être sinon totalement identiques, du moins conformes aux actes de connaissance devant être produits pour que le travail soit réussi. Par opposition, une consigne dont les termes sont imprécis, ou mal connus par les élèves, sera dite « équivoque » et pourra entraîner des divergences notables, voire des impasses totales (et non conscientes…) dans les projets des élèves

Aujourd'hui, en cette période de rentrée,  je voudrais insister sur ce point qui me semble capital, et qui nécessite, de la  part des enseignants et de tous les accompagnateurs du travail des élèves, la plus grande attention.

Dans un article de ce blog (voir message 42), j'ai développé la différence qu'il y avait entre « savoir » quelque chose par coeur et « apprendre » cette même chose par coeur. Selon que l'on indique à l'élève qu’il doit savoir ou apprendre par coeur, les actes qu'il produira ne seront pas du tout les mêmes. Les uns amèneront au succès, les autres à l'échec, et cela par la faute même de l'enseignant ou du formateur qui sera resté trop « équivoque » dans sa formulation.

Je voudrais ici rapporter trois exemples d'une compréhension ou d'une utilisation  incorrecte de termes pouvant amener pour le moins de la confusion dans la communication pour les adultes et, hélas trop souvent, pour les élèves à des difficultés incompréhensibles autrement .

Mon premier exemple est celui d'une Principale de collège avec qui je discutais de sa demande pour une formation dans son établissement. Dans son discours, j'ai entendu plusieurs fois cette expression : « les professeurs recourent trop facilement au cours marginal … », « on nous a bien dit en formation de Directeurs qu’il fallait lutter contre l’usage abusif des cours marginaux… ». Je pensais tout d’abord qu’elle voulait parler de cours particuliers…  si facilement prescrits en cas de problème… Mais cette interprétation collait mal avec le reste de ses propos. Au risque de paraître bien ignorant, je lui demandais alors ce qu'elle entendait par « cours marginal ». Ses explications assez confuses tournaient autour du fait que les élèves étaient mis en difficulté par cette forme de cours et que mon intervention devait amener les professeurs à se détourner de cette pédagogie. Mon incompréhension grandissait à mesure que je l'écoutais et ses explications avaient bien du mal à  m'éclairer. J'essayais de faire d’autres rapprochements : est-ce qu'elle voulait parler d'un cours trop original ? D’une pédagogie hors des sentiers battus, par des enseignants contestataires ou trop réformateurs et qu'il faudrait ramener dans le droit chemin ? Au détour d'une phrase, je compris soudain de quoi elle voulait parler. Elle évoquait la trop grande passivité des élèves devant cette pédagogie « frontale ». Du coup je compris qu'elle voulait parler de cours « magistral ». Mais il m'avait fallu un bon moment et plusieurs questionnements pour arriver à cette compréhension. Avec quelques précautions, je lui demandais si c'était bien cela à quoi elle pensait, ce qu'elle reconnut… avec confusion… Dire un mot pour un autre… est-ce si important ?  Ecoutons-nous parler aux èlèves…

Mon deuxième exemple concerne un élève de primaire (je ne me rappelle plus en quelle classe exactement il se trouvait). Je faisais alors une formation à des professeurs de collège et de primaire. La première journée avait été consacrée à la mise en évidence de la dynamique du projet mental. La secrétaire du Directeur, mère d'un jeune enfant dans une école voisine, participait à la formation. Le lendemain matin, lors de la réactivation de la journée précédente, cette jeune maman nous confia ce qui s'était passé la veille, à la sortie de la formation. L'institutrice de son enfant l'avait convoquée et lui avait confié son inquiétude devant une production récente de son fils. Elle lui conseillait même de consulter un psychologue… De quoi s'agissait-il ? L'exercice portait sur la structure des phrases et la consigne était  de remettre en ordre les mots d'une phrase dont la structure avait été bouleversée. Le travail remis par l'enfant n'avait aucun sens (du moins par rapport à l’attente de l’enseignant), d'où l'inquiétude et la dramatisation. On imagine le moment de panique vécu par cette maman à qui on annonçait sans trop de précautions que son fils avait un gros problème psychologique !  Une fois rentrée à la maison, et se souvenant de ce qu'elle avait vécu dans la journée, elle demanda à son fils ce qu'il avait voulu faire dans ce devoir et comment il avait compris la consigne. Et celui-ci de répondre : « C'est facile, quand je mets en ordre mes soldats de plomb, je les range sur mon étagère par grandeur, les plus grands à gauche jusqu’aux plus petits vers la droite. J'ai fait la même chose avec les mots » Et de fait, les mots étaient rangés par ordre de grandeur décroissante. La maîtresse n'aurait-elle pas pu faire cette petite démarche de demander à l'enfant comment il avait interprété la consigne avant de conclure à je ne sais quel dérèglement mental, voire cérébral… ? Reste à savoir, bien sûr, si l’enfant avait bien compris le sens de cet ordre des mots dans la phrase. Mais là on est dans le domaine de la pédagogie, pas de la thérapie…

Enfin, mon troisième exemple concerne un élève de quatrième que j'aidais à reprendre pied dans une scolarité avec laquelle il était quelque peu fâché. Nous analysions un devoir de français et les annotations peu amènes du professeur. Celui-ci avait demandé de relever dans un texte les mots entrant dans un certain champ lexical. Or, les mots sélectionnés par cet élève n'avaient strictement rien à voir avec la consigne.  Je remarquais toutefois qu'ils avaient tous une consonance finale autour des sons « o », « a », « é »… Je lui demandais ce qu'il avait voulu faire et il me dit qu'il avait « cherché les mots qui correspondaient au champ mexical du texte ». Pour être bien sûr que j'avais bien entendu, je lui demandais de me repréciser cela : il s'agissait bien dans sa bouche du champ « mexical »… Mexical, donc Mexique, donc espagnol, donc consonances exotiques ! Y Olé ! Il y avait du sens, du bon sens même, dans les actes de cet élève. Mais ils n'étaient guère adaptés à la tâche… À cause d'une mauvaise compréhension voire d'une méconnaissance du terme de la consigne. Le professeur avait-il vérifié que tous ses élèves avaient de cette notion abstraite et complexe  une connaissance suffisamment assurée pour réussir leur devoir ? Les exemples abondent de ces termes issus de la linguistique et que l'on a transposés dans les programmes scolaires sans trop de précautions pédagogiques, et cela de plus en plus tôt. Parmi les enfants... ou les parents... qui les comprend vraiment ? Une certaine connivence culturelle entre les familles et l'école est toujours source de réussite... On en voit ici un beau contre-exemple.

L’accompagnement de la mise en projet des élèves est un art difficile pour les pédagogues. Mais il est essentiel pour leur réussite. Souvent les évaluations portent plus sur une erreur de l’élève à ce niveau que sur celui de ses connaissances ou de ses compétences. En faisant apparaître les modalités des projets formés par les élèves par un petit dialogue pédagogique (Qu’as-tu cherché à faire ? Qu’as-tu compris de la consigne ?) on s’apercevra vite de la source de la difficulté… et l’élève aura moins le sentiment d’une injustice quand il recevra des annotations qui seront dès lors mieux ciblées. (Voir message 26 : Gestion mentale et évaluation.)

On ne fait jamais trop attention aux termes que l'on emploie dans les consignes données aux élèves. De même il faut être très attentif, dans une écoute bien orientée, pour entendre de la bouche même de ces derniers les distorsions de compréhension  qui les ont conduits à la formation des mauvais projets qui les mènent à l'échec, au découragement, au doute sur eux-mêmes, et finalement au dégoût profond de l'école. Les petites phobies scolaires ordinaires ont bien souvent leurs racines dans ce type de difficultés. Jamais dans l'intelligence de l'enfant. Et si l’on n’y veille, elles peuvent mener très loin et faire très mal.



jeudi 22 décembre 2011

53 - Variation sur le concept de "PROJET" en éducation

Comme un complément à mon message 51, voici une "variation" sur le concept de Projet (en Orientation, mais applicable bien au-delà) inspiré de l'ouvrage de J.P. Boutinet "Psychologie des conduites à projet" (Que sais-je,93) qui m'a beaucoup aidé dans ma pratique d'accompagnement des jeunes lycéens. Peut-être aidera-t-il de nouveau quelque lecteur de ce blog ?

Lire : Pour accompagner la construction du Projet personnel d'orientation.



51 - UN DEFI POUR L’EDUCATION : LE PROJET.

En cette fin d'année 2011 où le ciel s'assombrit comme jamais avec des prophéties alarmistes en tous genres, la tâche d'accompagner des jeunes est vraiment délicate. Comment les guider vers un avenir aussi compromis, sans tomber dans un pessimisme propre à couper les ailes aux plus intrépides d'entre eux ? Je mets aujourd'hui en ligne deux textes (ce message 51 et le suivant 52) qui complètent celui du message 21 "Autonomie et Education".

Le premier est consacré au Projet en éducation : projet personnel, projet d'orientation, projet d'apprendre, projet de vie, sont intimement imbriqués : comment les accompagner pour ce qu'ils sont dans la perspective d'un même projet fondamental : le "projet d'être" qui leur donne leur vrai sens?

Le second est consacré à l'accompagnement vers l'Excellence. Il forme avec les deux autres un triptyque qui donne le sens de l'ensemble à quoi peut se résumer la tâche éducative.  Ecrits tous les trois à la fin  des années 1990 pour la revue de l'établissement scolaire où j'exerçais mon métier d'éducateur, ils n'ont rien  perdu de leur actualité, et même ils correspondent encore mieux, me semble-t-il, à l'époque sombre que nous traversons.


                        UN DEFI POUR L’EDUCATION : LE PROJET.
Si un mot aura marqué la fin de notre siècle, c’est bien celui de « projet . « Il manque un projet à notre société en mutation », « Le gouvernement n’a pas de projet pour le pays « Une entreprise sans projet n’est qu’un bateau ivre ».... Le monde de l’éducation n’est pas en reste. Il est devenu incontournable pour tout établissement scolaire, public ou privé, de publier son « projet d’établissement », ou mieux encore, son « projet éducatif ». Toute équipe d’enseignants qui se constitue a pour première tâche d’écrire son « projet pédagogique ». A partir de quel âge désormais les enfants sont-ils sommés d’élaborer leur « projet professionnel » ? D’ailleurs, s’ils ne travaillent pas comme on le souhaiterait, s’ils ne trouvent pas d’emblée le sens de leurs études c’est bien entendu qu’ils n’ont pas de « projet personnel ». Et quand tout va mal pour l’un ou l’autre d’entre eux, ne s’interroge-t-on pas sur le « projet d’éducation de sa famille », sur son adéquation avec celui de l’établissement ?

Finis les plans, qu’ils soient d’état ou de carrière, les programmes soumis aux électeurs, et autres objectifs de production qui fleurissaient au temps de l’assurance que rien ne changerait avant longtemps. Pour autant, n’est-il pas paradoxal d’exiger des institutions comme des individus qu’ils forment avec précision le dessein de leur avenir dans les temps d’incertitude que nous connaissons ?

Le recours au concept flou de projet peut cependant se comprendre et Jean-Pierre Boutinet, spécialiste en la matière, nous y aide. Pour lui, le projet, parce qu’il valorise « l’inédit, l’idéal recherché, l’inexistant désiré », s’accommode mieux de l’indétermination et de la précarité de notre époque. Plus opaque est la ligne d’horizon, plus nécessaire est-il d’afficher ses intentions et de connaître celles des autres pour avancer avec le minimum de risques. Cela exige des organismes comme des personnes des attitudes nouvelles. La tâche des organisateurs est désormais d’harmoniser, en les articulant les uns aux autres, un foisonnement de projets de tous calibres, de toutes directions, individuels ou collectifs, aux contenus plus ou moins implicites et assez souvent contradictoires. Pour l’éducateur, il s’agit plutôt d’aider à leur promotion et sa tâche est bien souvent aujourd’hui auprès des jeunes celle d’un « accompagnateur de projet ». Dans ce sens, il faut se demander quels sont les éléments constitutifs d’un projet authentique et comment ils peuvent inspirer l’action éducative.

mercredi 6 octobre 2010

3 - MISE EN PROJET ET LUTTE CONTRE LE VERTIGE

Vertige et mise en projet.


Lors du stage de Septembre avec la Classe de méthodologie de Toulouse, les professeurs et moi, nous emmenons les élèves pratiquer l’activité d' "accrobranches"  (appelée ici « T’es pas cap », http://www.tepacap.fr/p7-le-monde-vertical.html ). Le matin, je leur avais fait découvrir la réalité du projet mental et la manière dont chacun a la possibilité de « se mettre en projet » dans toute activité, physique autant que mentale. J'avais aussi présenté le geste mental d’attention.  Deux élèves, Vincent et Nicolas, déclarent qu’ils ne souhaitent pas participer à l’activité « parce qu’ils ont le vertige ». Dans le car qui nous emmène, je parle avec chacun d’eux. Que se passe-t-il en toi lorsque tu as le vertige ? Après la description du trouble physique éprouvé, on en vient au « matériel » mental : « dans ma tête je vois le vide et j’ai peur de tomber » ou « je me vois tomber et cela me paralyse »… Moi : « Ne pourrais-tu former volontairement d’autres images, plus positives, comme tu l’as découvert ce matin ? » Vincent arrive rapidement à dire : «  je pourrais peut-être m’imaginer arrivé au but au lieu de voir le vide devant moi ? » Nicolas ne voit pas bien où je veux l’amener.

Plus tard, après avoir entendu, très concentrés, les explications de l’animateur (« vous avez là un groupe particulièrement attentif », appréciation entendue tous les ans…), les deux garçons font le premier jeu qui est une mise en application directe des indications techniques et des consignes de sécurité à respecter. Un peu hésitants certes, mais assez rapidement ils sautent dans le vide… Les autres les regardent et les encouragent. Puis les jeunes se dispersent par petits groupes d’affinité, les adultes parcourent les lieux d’un groupe à l’autre (bonne occasion d’observation de l’évolution de chacun…). Vincent fait vite partie d’un petit groupe qui « s’éclate » dans les jeux les moins impressionnants (mais quand même…) et ne montre plus aucune réticence. Pour Nicolas, c’est moins évident, mais il suit un groupe de copains plus téméraires et s’efforce d’y faire bonne figure. Le groupe en arrive au dernier jeu, récemment créé, qui consiste à se lancer d’une hauteur d’une quinzaine de mètres, en tenant des deux mains un petit trapèze coulissant le long d’un long câble (une « tyrolienne ») et à se laisser glisser sur 150 mètres jusqu’à une toile de corde dans laquelle on s’agrippe avant de se libérer des sécurités. On est bien tenu par un solide harnais sous les cuisses et plusieurs gros mousquetons : il n’y a raisonnablement pas de risque. Pourtant, Nicolas reste bloqué sur la plate-forme, un pas en avant, un pas en arrière… Il est le dernier et c’est l’heure de repartir… Exhortations, encouragements, injonctions impatientes…  Cela dure un long moment. On imagine aisément les sentiments qui animent Nicolas… objet des regards de toutes les personnes présentes. Enfin comprenant que, sous l’effet de la peur, les bras de Nicolas refusent de le soutenir sur le trapèze, l’animateur lui précise depuis le sol qu’il peut se lancer en « s’asseyant » dans le harnais et en se tenant simplement aux cordes de sécurité. Nicolas hésite encore un peu puis dans un cri se lance dans le vide…  et réussit fort bien le reste de « l’épreuve ».
Le lendemain, retour sur les activités de la veille. Nicolas et Vincent témoignent de ce qui leur est arrivé et de leur activité mentale au moment du stress. Vincent précise : « Quand j’imaginais le saut à partir du début, je paniquais. Mais quand j’ai pu m’imaginer accroché dans la toile, c'est-à-dire le but du saut, je n’avais plus peur et j’ai sauté ». Pour Nicolas, ce fut plus compliqué, mais « je me suis forcé à me voir à la fin du  trajet, et à partir de là j’ai « remonté » jusqu’au départ et quand j’ai pu tout imaginer du parcours, j’ai pu sauter ».

Dans « Accompagner… », j’avais déjà décrit ce « pouvoir » du projet mental sur la peur du vide. Mais cette année, le « vertige » déclaré de façon si affirmée m’avait fait un peu douter de l’efficacité de mon « truc » (comme ils disent…). Mais force est de constater qu’il n’en est rien. Vincent et Nicolas, et grâce à eux les autres élèves de la classe, ont trouvé ce jour-là le secret de leur concentration et mieux encore le moyen de dépasser le stress qui les envahit si souvent dans la vie scolaire. Ils appellent cela aussi « retrouver confiance en eux »… Tant il est vrai qu’on va si souvent la chercher, cette confiance, en dehors d’eux, dans une vaine « transcendance » de pratiques extérieures alors qu’elle est « immanente » à leur pouvoir mental retrouvé, comme aurait dit Antoine...

193. Notes de (re)lecture du livre "Les Profils pédagogiques - Discerner les aptitudes scolaires" d'Antoine de La Garanderie (1980)

  Fascinante actualité des premières intuitions d'un « enfant à besoin particulier » du siècle dernier… Pour préparer un podcast avec An...