samedi 19 septembre 2015

91 - La "pédagogie des gestes mentaux", qu'est ce que c'est ?

Lors des stages avec les classes "seconde de méthodologie", je suis amené à préciser pour les parents l'approche pédagogique que je propose à leurs enfants. Cela permet de situer mes propositions "intériorisantes", alors qu'ils s'attendraient plutôt à ce que je leur "donne " des méthodes venues de l'extérieur (voir mon message n° 88). J'ai donc rédigé le texte suivant pour les stages de cette année. 

CONTENU DES STAGES EN CLASSE DE SECONDE DE METHODOLOGIE 

Le contenu des stages est directement inspiré de la Pédagogie des Gestes mentaux (Gestion mentale)
 d’A. de LA GARANDERIE.

Qu’est-ce que la pédagogie des gestes mentaux ?

1.         Une pédagogie de l’intériorité, de l’épanouissement personnel et de la relation.
Bien que les stages soient dits de « méthodologie », ils n’ont pas pour objet de transmettre de l’extérieur des conseils ou des méthodes qui seraient réputés efficaces pour tous.

Ces stages visent au contraire la découverte d’une méthode de travail personnelle qui peut ainsi  varier d’un élève à l’autre. Il s’agit d'amener les élèves à entrer en eux-mêmes, à contacter leur activité mentale intérieure, à la découvrir et à la partager avec l’aide du formateur.  Comment ça se passe dans ma tête quand je lis un texte, quand je cherche à comprendre un passage difficile, quand j’apprends du vocabulaire, etc. ?  Comment font les autres ? Comment pourrais-je améliorer ce fonctionnement  personnel pour le rendre plus efficace ?

Chaque élève découvre que son activité mentale est différente de celle de ses camarades.
En prenant connaissance du mode d'activité mentale des autres, il  peut modifier le sien, le développer et l’enrichir pour l’adapter au mieux aux attentes scolaires. En même temps qu’il se découvre lui-même, il découvre ses camarades dans une partie de leur intériorité (la partie "cognitive" et non l'affective). Il peut ainsi les considérer avec un intérêt nouveau et nouer avec eux une relation plus authentique. C'est la base solide qui permet d'entrer dans une relation d'entraide mutuelle, si favorable à la réussite de tous. Les professeurs, témoins de ces découvertes, peuvent eux-aussi entrer dans une relation de plus grande proximité "pédagogique" et humaine avec leurs élèves et les accompagner au mieux par la suite.

2.         Une pédagogie du sens de l’école.
Lors des stages, un éclairage est donné aux jeunes sur les attendus du lycée, aux différents moments de leur « métier d’élève ». Qu’est ce qui est réellement en jeu
·        -  lorsqu’ils acquièrent  une information et qu’ils cherchent à la comprendre et à la mémoriser (dans une lecture, pendant un cours…),
·         - lorsqu’ils réutilisent leurs acquis dans une situation le problème (contrôle, examen),
·        -  lorsqu’ils communiquent  le résultat de leur réflexion dans une production orale ou écrite.

Comme pour un travail manuel ou une activité sportive, il y les bons gestes qui font réussir. C’est le sens de l’expression « gestion mentale » : connaître ces gestes et apprendre à les pratiquer de mieux en mieux en s’y entraînant. Quels sont les bons « gestes mentaux » à effectuer pour être et rester longtemps attentif, pour mémoriser, pour comprendre, pour réfléchir, pour bien m’exprimer par oral ou par écrit ? Comment me servir de mon imagination dans les tâches scolaires ?

Cet éclairage leur permet d’être vraiment autonomes dans leur travail personnel. Ils savent quoi faire, quand le faire, comment le faire, en général et eux personnellement, et  pour quoi le faire en anticipant au plus juste les réutilisations futures de ce qu’ils apprennent. 

Mais  cet accès à l’autonomie est menacé par une difficulté de taille : les élèves n’arrivent pas en seconde sans avoir certains « savoirs », certaines croyances à propos de ce qu’il convient de faire dans leur travail, de comment mémoriser, comprendre, etc. De mauvaises habitudes se sont installées en eux. L’objectif  des stages est de faire évoluer ces habitudes défectueuses vers une adéquation plus juste avec les vrais enjeux du lycée. Une adéquation qui ne vise nullement une adaptation standardisée, comme "robotisée", aux objectifs scolaires, mais au contraire une libération des potentialités personnelles pour optimiser ce que ces objectifs  permettent d'ouverture à une culture humanisante et à une créativité épanouissante.

3.         Une pédagogie de l’engagement.
Malgré tout,  cet éclairage, ces informations, ces découvertes personnelles, cela ne suffit pas toujours à provoquer le « déclic » tant espéré, la décision personnelle et durable de se mettre au travail. L’élève reste libre de s’engager ou non dans le jeu, si nouveau pour beaucoup et parfois un peu déstabilisant, qui lui est proposé. L’arrière-plan affectif, souvent chargé négativement, peut empêcher un jeune de croire en lui-même et en ses possibilités. Le poids de ce passé, la peur toujours présente de se tromper, de ne pas y arriver, de décevoir, bloque parfois toute motivation pour un travail scolaire encore synonyme de difficultés insurmontables et pénalisantes.

Pourtant l’expérience prouve qu’avec le temps, toutes ces nouvelles acquisitions «  travaillent » de manière plus ou moins consciente dans la tête de ces jeunes. Le changement espéré s’opère selon des rythmes individuels très diversifiés.  L’encadrement des professeurs et de l’institution, l'accompagnement attentif et bienveillant des parents, vont jouer leur rôle en proposant un cadre et des incitations diverses propres à stimuler la mobilisation [1] attendue. Les premiers à se mettre en route voient assez vite les résultats de leur engagement dans un travail devenu source de meilleure réussite, et même bien souvent de plaisir.

Cette possibilité de découverte et d’épanouissement de soi-même ouvre pour chacun un avenir de réussite scolaire et humaine : à chacun d’en profiter s’il en a le désir. 

4.       Contenus des trois stages.

  • Stage de Septembre.
Découverte de son fonctionnement mental personnel. Découverte des gestes mentaux d’attention (concentration), de compréhension, de mémorisation. Ce stage se termine sur une question : que faire de ce que j’ai compris et mémorisé ? Restituer ? Réutiliser ?

  • Stage de novembre.
Découverte du geste mental de réflexion en résolution de problème et de l’activité de communication orale ou écrite. Où l’on voit que la mémorisation et la réflexion sont intimement liées et ne vont pas l’un sans l’autre. Le stage se termine sur une question : comment faudrait-il que je comprenne dès le départ pour pouvoir assurer la réussite de ces deux activités centrales de la réussite au lycée ?

  • Stage de mars.
Découverte de l’activité complexe de compréhension approfondie des contenus scolaires. Qu’est-ce qui fait sens pour moi quand j’apprends ? Comment dépasser mes limites personnelles de compréhension et accéder à une compréhension plus générale et plus efficace des contenus scolaires ?


[1] la motivation, c’est ce qui nous pousse en avant, ce qui vient donc de derrière nous, de notre passé. La mobilisation,  c'est ce qui nous tire en avant, vers un avenir de réussite.

mardi 15 septembre 2015

90 - Plan numérique national ou comment prendre le problème à l’envers.

Extrait du rapport de l'OCDE du 15/09/2015 :
"Le rapport intitulé « Students, Computers and Learning: Making The Connection » indique que même les pays qui ont considérablement investi dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable de leurs résultats aux évaluations PISA de compréhension de l’écrit, de mathématiques et de sciences. (C'est moi qui souligne)

D’après l’OCDE, le fait de s’assurer que chaque élève atteigne un niveau de compétences de base en compréhension de l’écrit et en mathématiques contribuera davantage à l’égalité des chances dans notre monde numérique que le simple fait d’élargir ou de subventionner l’accès à des services et des appareils de haute technicité. "


Ce rapport vient comme une confirmation de mon article paru dans le Lettre Fédérale IF, intitulé
Plan numérique national ou comment prendre le problème à l’envers.

Bien sûr,  je ne me réjouis pas d'avoir eu raison en écrivant ce texte.  Mais j'enrage de voir tant d'efforts et de moyens mis en jeu pour finalement rater l'objectif visé : rétablir un peu plus de justice et de réussite pour le plus grand nombre dans une Ecole qui s'obstine à éviter l'essentiel. On ne le dira jamais assez : c'est avec sa tête qu'un élève apprend, comprend, lit, analyse, synthétise, résout des problèmes, élabore son expression surtout écrite... Les moyens d'aider les jeunes dans cette connaissance d'eux-mêmes et dans l'usage de leur intelligence existent mais ils sont rejetés pour de fausses raisons idéologiques ou des croyances héritées d'une psychologie comportementale révolue (et qui a conduit au désastre actuel). Tant qu'on refusera cette "pédagogie de l'intériorité", on continuera de s'enfoncer dans les classements internationaux. Quoiqu'on puisse penser de leur "scientificité" ou de leur adaptation à notre culture, ils ont quand même leur part de vérité dans la compréhension d'un problème aussi complexe que celui de l'apprentissage intellectuel.

lundi 14 septembre 2015

89 - Mémoriser, un geste d'intériorité.

Pour  faire suite à mon précédent message sur l'attention, voici  un texte d'Antoine de LA GARANDERIE qui décrit clairement ce qu'est le geste mental de mémorisation, en le distinguant nettement de la simple répétition "mécanique" auxquelles on assimile trop souvent cet acte de connaissance qui est par nature en totale intériorité. J'y joins la fiche que je donne à mes stagiaires après leur avoir fait découvrir dans leur propre expérience la réalité de ce mouvement de pensée qui s'ouvre à l'avenir.


Extrait de la conférence donnée par ADLG à Lyon en 2008 : « Pour une pédagogie de l’intériorité ».

« Si je prends la mémorisation, vous allez me dire : « eh bien ! la mémoire à partir du moment où on a fait exister dans sa tête, si on a exprimé les choses, on a dû mémoriser. » Que nenni ! Que nenni ! Je connais des sujets, et qui font exister dans leur tête les choses, et qui vont regarder cette bouteille dix fois, puis la faire émerger dans leur conscience dix fois, sans rien mémoriser. Alors même qu’ils l’auront fait dix fois. Mais pourquoi cela ? Normalement le pli devrait se prendre puisqu’il le répète ! Mais la répétition est un acte simplement mécanique, ce n’est pas un geste de sens d’avenir. Faute de pénétrer l’intériorité du sujet, on en reste uniquement à des constats du genre « c’est mécanique. » Mais ce n’est pas un geste mécanique, un geste d’intériorité est nécessaire. Quel est le geste d’intériorité qui permet la mémorisation ? « Quand tu regardes cette bouteille, ou avec des mots, ou avec des images, ou en la dessinant, pense que quand tu ne la verras plus elle peut te revenir dans l’avenir, que tu vas pouvoir la faire exister dans ton avenir ». Ceci est un geste d’intériorité : faire exister dans l’avenir c’est le geste qui permet la mémorisation. Sans intériorité vous n’avez pas de pédagogie de la connaissance. Voyez-vous les gestes les plus simples, celui de l’attention et de la mémoire, sont des gestes d’intériorité. Mets dans l’avenir ce que tu acquières, c’est un avenir d’intériorité que tu vas pouvoir mettre dans l’extériorité de la vie ; c’est intérieurement que tu fais ce geste, c’est dans ton intériorité que tu le vis et c’est dans cette intériorité que tu vas pouvoir l’exprimer. C’est une nouvelle forme d’expression de l’acte de connaissance. »

Pour une pédagogie de l’intériorité. Conférence, Lyon, mai 2008





88 - Se concentrer, oui. Mais sur quoi ?

Se concentrer, oui. Mais sur quoi ?

Les premiers stages de l’année dans « mes » classes de seconde dites « de méthodologie » viennent de se terminer. Cette année, j’ai pris la précaution de faire réfléchir les élèves à ce qu’ils mettaient sous le mot « méthodologie ». Les années précédentes, j’avais remarqué que certains entraient difficilement dans la démarche de découverte de soi-même que je leur proposais.  De plusieurs réflexions de la part de ces « réfractaires », j’ai compris qu’ils s’attendaient à « apprendre des méthodes », c’est-à-dire à ce que je leur donne de l’extérieur des conseils pour améliorer leur travail sans qu’ils aient à s’investir dans la découverte de leurs propres capacités et des véritables enjeux de la scolarité, sur lesquels leurs erreurs sont pourtant constantes. Cette petite mise au clair de leurs représentations erronées au sujet des stages a permis aux élèves d’être beaucoup plus rapidement et intensément partie prenante dans les activités qui ont suivi .

Après la découverte de la réalité du projet mental et des évocations, nous avons, comme d’habitude dans ce premier stage, travaillé les gestes mentaux d’attention, de compréhension de premier niveau et de mémorisation. J’ai particulièrement insisté sur l’attention, confondue souvent avec la concentration. Il me paraît utile de s’arrêter un moment sur le sens de ces deux mots et ce qui les distingue ou les rapproche.

L’origine latine de « attention » nous renseigne sur le sens de ce mot : AD -TENDERE = se diriger, se tendre vers quelque chose. Cela indique un mouvement vers un objet de la réalité environnante sur lequel une personne décide de « porter son attention ». Cet objet est donc extérieur à la personne. Comment va-t-elle se tendre vers lui ? En  privilégiant le sens de perception correspondant à la nature de l’objet visé et en dirigeant vers celui-ci son activité perceptive : par exemple en classe, la vue pour  ce qui est montré au tableau (je dirige mon regard vers le tableau…), l’ouie pour ce que dit le professeur (je tends l’oreille vers les paroles du professeur…), le sens tactile pour ce qui est des manipulations ou des mouvements (je tends la main vers l'objet, je le tâte, je le manipule…), et dans certaines autres activités, les sens olfactif (je hume...) pour l'œnologue, ou gustatif (je tends les lèvres...) pour le cuisinier... Cette activité est décrite par le neurologue comme l’inhibition des sens de perception qui ne participent pas à cette attention sélective. Pour le pédagogue, il s'agit plutôt de privilégier le sens le plus adapté à la tâche. Cela peut sembler la même chose : le choix (acte volontaire) d'un sens entraîne bien l'inhibition momentanée (acte involontaire) des autres. Mais, si le résultat de ces deux actions est le même au niveau des circuits de neurones, activés ou inhibés, le pédagogue, lui, est en mesure de donner des indications utiles aux élèves : regardez le tableau, écoutez moi. Il serait bien difficile de leur recommander « d’inhiber » (processus involontaire et inconscient) un ou plusieurs de leurs sens perceptifs ! Tout comme, d'ailleurs,  de "faire le vide dans leur tête" ! Les neurosciences et la neuropsychologie expérimentale peuvent être utiles pour comprendre les mécanismes cérébraux en jeu dans l’apprentissage ; il est néanmoins illusoire d’en attendre, du moins directement, des informations pédagogiques.  

 Mais est-ce aussi cela "se concentrer" ?

Que fait-on "dans sa tête" lorsque l’on tend son oreille vers la voix du professeur, ou que l’on pose son regard sur le tableau ou le texte à lire ? Une expérience rapide permet de se rendre compte que l’activité mentale correspondant à la perception choisie est d’une tout autre nature : je peux « me parler » dans ma tête ou former une image différente à propos de ce qui est montré au tableau pour le comprendre, ou « me faire un film » de ce que je lis sur un papier, je peux « voir » ou « me parler » dans ma tête à propos de ce que mon oreille perçoit des paroles entendues, etc. Et c’est bien sur ses « objets mentaux » (intérieurs) que je dois me concentrer, pour en prendre "pleine conscience", pour les « manipuler », les enrichir de mes propres souvenirs,  pour les comparer à l’ « objet de perception » (extérieur) et m’assurer ainsi de leur fidélité.

Ainsi l’attention et la concentration ne sont pas des activités identiques. L’une, la première chronologiquement, est physique et neuronale (même si elle elle dépend de la décision consciente du sujet "attentif"), l’autre, dans un deuxième temps, purement mentale (même si elle fait intervenir en arrière-plan et de façon inconsciente les réseaux neuronaux impliqués dans cette activité mentale). La seconde dépend étroitement de la première. Mais, au-delà de cette différence de nature et d'appellation, elles se combinent pour constituer cette première activité qu’un élève qui veut réussir ses études doit savoir pratiquer de façon prolongée, dès lors qu'il met son cerveau « au travail » : une attention soutenue et approfondie.

Les élèves de ces classes de « méthodologie » ont tous fait l’expérience qu’ils pouvaient ainsi être attentifs et concentrés trois jours durant, au cours de séances d’une heure et demie chacune (même si certains trouvent que c’est parfois un peu fatiguant…). À la fin du stage, la plupart des élèves font ce genre de constat : « je suis très fatigué mais je suis heureux et serein, j’ai repris confiance en moi ».










189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...