lundi 27 septembre 2021

171 – La gestion mentale au cœur même de la classe. Témoignages.

J'ai lancé il y a quelques temps un appel à coopération en vue de la réalisation soit d'un site internet dédié soit d'un ouvrage papier, en direction des enseignants de toutes disciplines * et de tous les niveaux d'âge. Mon intention est de compléter les ouvrages déjà édités, Accompagner le travail des adolescents (2009, pour les adultes accompagnants en général) et J'apprends à travailler (2018, pour les jeunes eux-mêmes), avec un troisième opus destiné spécifiquement aux enseignants dans leurs pratiques de classe. N'étant pas enseignant moi-même, j'ai fait appel à des ami(e)s professeurs dont je sais qu'ils utilisent la gestion mentale dans leurs classes depuis plusieurs années - et avec bonheur ! - et que cette approche mentaliste de la vie de la "conscience connaissante" a profondément bouleversé leur regard sur leurs élèves donnant à leurs pratiques professionnelles une tout autre visée de sens.

J'ai déjà publié le témoignage de l'une d'entre eux dans mon message précédent 170 -Une séance d'accompagnement personnalisé en lycée avec la gestion mentale. Mais, il s'agit là d'une aide à l'apprentissage en dehors du cours lui-même, et donc pas d'une pratique spécifique de transmission de savoirs. Il faut s'approcher encore davantage du coeur même du métier d'enseignant : la transmission des savoirs.

Aujourd’hui, je mets en ligne deux autre témoignages concernant directement la pratique en classe. Ils émanent d’un enseignant d’histoire-géographie en collège, Mikel Erramouspé, et de l’un de ses collègues en EPS. 

Mikel Erramouspé, tout jeune retraité, a été directeur de plusieurs collèges privés du Pays basque. Il a fortement contribué à implanter la gestion mentale dans les établissements dont il a animé les équipes professorales. Lui-même formateur labellisé et expérimenté en gestion mentale, et toujours actif au sein de l’Institut Supérieur de Formation de la Gironde, il est en effet un fervent défenseur de la réintroduction de la conscience au cœur des apprentissages dans le lieu même de la classe.

Voici les deux témoignages qu’il m’a envoyés (et qu'on pourra relier à tel ou tel point du texte du message 168 : La GM Attitude). Deux très beaux exemples (et non modèles...) d'attitude professorale inspirée par la Gestion mentale, à suivre sans modération et facilement adaptables à toutes les disciplines :

1. En classe histoire-géographie, sur le geste d’attention et de compréhension en classe... et la motivation des élèves.

En début de cours. L’enseignant fait rentrer les élèves en classe. Auparavant il a écrit une consigne au tableau. Exemple : je fais exister la carte de l’empire romain dans ma tête pour pouvoir la communiquer aux autres.

Le professeur se tait  et attend que les élèves s’installent à leur place ; il montre du doigt la consigne écrite au tableau.

Peu à peu les élèves rentrent en eux-mêmes. Les voilà en activité mentale. Les uns ferment les yeux et dessinent mentalement la carte, d’autres se parlent intérieurement…

Pendant ce temps le professeur observe, passe dans les rangs, encourage du regard ceux qui ont du mal à se lancer .

Un grand silence très habité s’est installé. Le prof n’a toujours pas ouvert la bouche.

Lorsqu’il sent que les élèves sont prêts, il leur donne la parole. Ceux-ci apportent le fruit de leur réactivation. Les uns racontent, d’autres décrivent, d’autres encore posent des questions.

Le professeur accueille, suscite le débat, encourage …

Puis il dit : "Je vais à présent vous montrer la carte et vous allez comparer avec ce que vous aviez dans la tête. Au bout de quelques minutes je vais l’enlever."

Le professeur se tait pour laisser les élèves travailler, puis enlève la carte.

Il donne la parole aux élèves qui  commentent, complètent ….

Il peut à présent continuer le cours dans un climat d’extrême attention, d’élèves actifs dans leur tête.

Il ménagera des pauses évocatives ** régulières  pendant le cours et n’oubliera pas 5 mn avant la fin de laisser du temps pour une nouvelle mise en projet  de réutilisation.

Cette activité ne se met pas en place facilement car les élèves n’y sont pas habitués. Mais il devient peu à peu un rituel. La mise au travail devient instantanée, le climat de classe paisible  et surtout, les apprentissages deviennent efficaces ! L’enseignant doit accepter que cela prenne du temps. Il peut, au départ,  avoir l’impression d’en perdre. Mais en fin d’année, le chemin parcouru est incomparable. Savoir perdre du temps pour en gagner.

Que l'on aimerait avoir (eu) de tels professeurs  ! Et quel formateur doit être Mikel !

+++++++

2. En cours d'EPS, sur l'ensemble des gestes mentaux, la communication à autrui et l'entraide... 

et la gestion de l'hétérogénéité, la motivation des élèves, l'argumentation... 

Dyades dissymétriques

Entendu au cours d’une journée d’échange de pratiques entre professeurs de Collège.

L’un des moteurs puissants des apprentissages est le projet de communication à et avec autrui. C’est le dernier rouage du "PEGASE"*** de Guy Sonnois. Comme lui, Patxi, professeur d’EPS en collège, a observé le manque de motivation de certains élèves, qu’ils soient bons ou moins bons. Ils travaillent ou font quelques efforts pour faire plaisir au prof … Le changement opéré par les dyades dissymétriques relève d’un changement de posture. Le projet est à présent de communiquer aux autres le fruit d’une expertise et, pour les autres, d’accepter de la recevoir.

A la fin d’une séquence, Patxi met les élèves en binôme. Celui qui a eu la meilleure performance avec celui qui a eu la plus faible, etc … 

Dans les 2 cas, les élèves doivent opérer un retour réflexif sur ses gestes à la fois mentaux et physiques. Il doivent faire travailler les gestes (mentaux) d’attention, de mémorisation, de compréhension… Pas de surprise donc qu'ils progressent.

Les binômes sont amenés à trouver des solutions. Pour cela il sont obligés de clarifier leur propos, de négocier, d’argumenter, d’observer, d'imaginer…

Patxi souligne à juste titre les nombreux avantages de cette pratique. Il démontre que l’hétérogénéité de la classe peut devenir un atout. Mis dans de telles situations tous les élèves progressent. 

En lisant le rapport de Patxi, on ne peut s’empêcher de penser aux obstacles qui se dressent à toutes les étapes des apprentissages, mais aussi aux solutions à inventer pour les surmonter.

+++++++++

Plusieurs ouvrages ont déjà été publiés sur l'utilisation de la Gestion Mentale en classe, certains à partir de champs disciplinaires spécifiques : par exemple le Français à l'École avec Ch. Piganneaules Mathématiques en Collège pour A. Géninet, la  Physique en Lycée pour G. Gidrol ; d'autres plus généralistes : à L'École pour Ch. Pébrel, au Lycée et les grands Collégiens pour MF. Le Meignen (ouvrages épuisés mais on en trouve en occasion sur internet). On trouvera les références de ces ouvrages et de bien d'autres plus récents dans cette bibliographie exhaustive de l'IIGM 

** Voir mon message 62 : Pauses structurantes, pauses évocatives, rythmes d'apprentissage.

*** PEGASE est un "modèle pédagogique" qui décrit l'intégration de la GM dans la réalité des exigences du système scolaire actuel . Après l'écriture d'Accompagner… qui le décrit en détail, je l'ai exposé lors d'une conférence au CRDP de Rouen dans le cadre d'une Journée Interacadémique consacrée à l'Accompagnement personnalisé des élèves, lycéens en l'occurence, mais ce modèle est transversal - il vaut pour toutes les disciplines scolaires - aussi bien que vertical - il vaut pour tous les âges.

 

mercredi 8 septembre 2021

170. Une séance accompagnement personnalisé (AP) en classe de première avec la gestion mentale.

Il y a quelques jours, j'ai demandé à des amis enseignants de me communiquer le récit de quelques applications de la gestion mentale qu'ils auraient eu l'occasion de mener avec leurs élèves. Il s'agit de nourrir d'exemples concrets une éventuelle future publication destinée aux nouveaux enseignants (et qui ne nuira en rien aux anciens…). Nous n'en sommes qu'au début de cette contribution collective. 

Voici le témoignage, tout frais arrivé, d'un professeur d'anglais qui a participé au dispositif de classe de méthodologie dans un lycée privé de Toulouse pendant une douzaine d'années (dont j'ai été l'animateur et dont j'ai rendu compte assez souvent dans ce blog). Il s'agit d'une séquence d'accompagnement personnalisé.

Il est très représentatif de ce que peuvent proposer des enseignants dans ce type d'accompagnement qui vise à (re)mettre l'activité de la conscience des élèves au centre de leurs apprentissages. 

Il est remarquable également parce qu'il s'agit d'un enseignant spécialiste d'une discipline différente de celle qui sert de support dans ce dispositif spécifique mené avec des élèves qui n'étaient pas les siens. C'est bien là que l'on voit la transversalité des opérations mentales, quels que soit le cadre et le domaine disciplinaire dans lesquels on les exerce.


Cher Guy,

Je te livre une de mes expériences d’utilisation de la gestion mentale qui m’a particulièrement marquée, car il s’agissait pour moi d’assurer des heures d’étude dirigée de français ( AP : Aide personnalisée) avec des élèves de 1ère L que je ne connaissais pas, dans une matière qui n’étais pas la mienne, puisque j’étais alors professeur d’anglais.

Le professeur de français m’avait photocopié deux pages du manuel de français  traitant de l’humanisme. La consigne pour les élèves était de lire ce texte (un peu rébarbatif !) puis de rédiger une fiche qui permettrait de retenir les principales caractéristiques de ce mouvement.

·         La consigne a été écrite au tableau et les élèves ont mis cette consigne en "je" (qu’est-ce que "je" dois faire ?)

Des éclaircissements ont été apportés concernant la tâche à accomplir.

-           Lire : il faut faire des images mentales, dire ce qu’il y a dans le texte.

-          Rédiger une fiche implique que l’on a parfaitement compris de quoi il s’agit.

-          La fiche est personnelle, elle peut avoir la forme que vous voulez.

 

La lecture.  Nous avons employé la méthode des lectures successives.

·         Dans un premier temps, les élèves devaient lire le texte, une fois, puis dire ce qu’ils en avaient retenu. Plusieurs élèves étaient interrogés, mais s’il y avait des contradictions, aucune correction n’était donnée. Simplement on notait la contradiction. Il était parfois nécessaire d’élucider du vocabulaire.

·          La consigne pour la deuxième lecture était de comparer les deux lectures pour compléter, élucider les contradictions. A nouveau un dialogue a permis de confronter la compréhension du texte de chacun.

·         Lors d’une nouvelle/de nouvelles lectures les élèves devaient répondre aux 5 questions de la compréhension à propos de l’humanisme.  Les réponses étaient bien entendu dans le texte.  

C’est quoi ? (définition)

Pourquoi ? (origines. D’où vient ce courant de pensée ?)

Pour quoi ? (ce qui s'en est suivi, les conséquences)

Avec quoi ? A quoi peut-on le rattacher ?

Comment ? Les applications, comment s’en sert-on ?

Voici le travail produit par les élèves :

C’est quoi ?  (la définition)

C’est un courant de pensée qui a traversé l’Europe de la Renaissance  (XVIème siècle).

Ce mot désigne "l’ensemble des qualités intellectuelles, morales et physiques qui distinguent l’homme des autres créatures, dans ce qu’il a de plus accompli".

C’est un idéal :

-         Un monde de paix

-         Un monde de culture

-         Un monde libre

Pourquoi ? = d’où vient ce courant de pensée ?

En raison de découvertes qui jalonnent la fin du XVème siècle et qui révolutionnent la vision que l’on avait du monde.

-          Invention de l’imprimerie

-          Découvertes de manuscrits grecs inédits.

-          Explorations de nouveaux mondes.

-          Découvertes astronomiques.

Pour quoi ?  = Quelles sont les conséquences ?

-         L’homme capable de comprendre seul les textes et de penser par lui-même va s’interroger sur sa condition et le monde qui l’entoure. Il va remettre en question les dogmes et la politique officielle.

-        Eclatement de la chrétienté

-        Découverte de la relativité des valeurs.

Avec quoi ? = Avec quoi peut-on la rattacher ?

-          L’histoire littéraire en général : d’autres mouvements

-          Des auteurs : Rabelais, Montaigne, Pascal, Erasme.

Comment ? = les applications, comment s’en sert-on ?

-         Comme référence à la compréhension d’un auteur (comme Rabelais ou Montaigne)

-        Comme élément de comparaison entre divers auteurs.

-        Comme point de départ d’un devoir.


Puis chaque élève pouvait rédiger sa fiche, sous forme de liste, de schéma, etc.  selon la forme qui lui convenait le mieux. Bien sûr cette fiche peut être complétée et affinée lors des cours suivants avec le professeur de français.

Cette façon d’aborder cet exercice a constamment mis les élèves en activité et ils ont apprécié de découvrir peu à peu le sens d’un document très riche et un peu rébarbatif. Ils ont également compris l’utilisation qu’ils allaient pouvoir faire de cette connaissance et ainsi ils ont donné du sens à cet apprentissage.

Conclusion. 

Quant à moi, j’ai largement utilisé la méthode des lectures successives en anglais, pour la compréhension écrite (lecture de textes en anglais), et les élèves étaient à chaque fois surpris de constater comme leur compréhension s’affinait au cours des lectures successives, même en langue étrangère.

J’ai aussi beaucoup utilisé le schéma de la compréhension pour les sujets d’expression écrite. Ça marche aussi en anglais ! J’en ai gardé quelques exemples. ….

J’ai aussi utilisé les 5 questions de la compréhension en grammaire, par exemple à propos d’un temps, le présent. Puis d’un autre temps, le prétérit  et les élèves devaient ensuite comparer ces 2 fiches, noter les ressemblances et différences. etc. etc… 

La gestion mentale a largement alimenté ma façon d’enseigner !

 


169 . La conscience existe ! Antonio Damasio l’a rencontrée !



 La conscience existe ! Antonio Damasio l’a trouvée !

Dans son dernier ouvrage SENTIR ET SAVOIR – Une nouvelle théorie de la conscience (O. Jacob, mai 2021), Antonio Damasio, cet important neuroscientifique, référence pour beaucoup d’autres chercheurs, poursuit sa longue recherche sur les origines de la conscience humaine. Il refuse d’en faire une simple émanation, assez mystérieuse dans ce cas, du seul système nerveux cortical aussi développé soit-il. Il les trouve plutôt dans un échafaudage complexe dans lequel, outre (a) des capacités - communes à tous les êtres vivants (sentir) - de réagir à leur environnement de façon non réfléchie par des automatismes biochimiques purement homéostatiques, il fait intervenir (b) la présence d’un esprit peuplé d’images (contenus mentaux non conscients fruits d’un processus purement physique, que nous partageons avec d’autres êtres dotés d’un système nerveux complexe), et surtout, nous concernant spécifiquement, (c) l’apparition, au cours de l’évolution, des sentiments qui permettent à cet esprit non seulement de devenir conscient, mais, ce qui est encore plus important, de nous faire éprouver que nous en sommes les uniques propriétaires. Plutôt que de « conscience » il préfère d’ailleurs parler d’ « esprit conscient ».

Au fil des pages l’auteur s’efforce de répondre à cette question : Comment le cerveau nous fournit-il des expériences mentales que nous associons systématiquement à notre être – c’est-à-dire à nous-mêmes ?

Je vous laisse découvrir par vous-même ses "réponses envisageables (qui) s’acheminent vers une transparence désarmante ". En effet, contrairement à ses précédents écrits dont il reconnaît volontiers la trop grande complexité, l’auteur a voulu cette fois nous livrer un ouvrage « très court et condensé sur le thème de la conscience », qui bien que « ne concernant pas uniquement la conscience, s’en approche ». On notera la prudence initiale de principe… qui s’évanouit pourtant bien vite au fil de pages lui permettant d’aborder directement la conscience en elle-même et de nous livrer une description -détaillée mais toujours très claire et débarrassée de détours superflus - de la construction de cette conscience qui n’a donc, pour lui, rien ni de si mystérieux ni de si opaque, mais qui est bien enracinée au plus profond du « vieux monde » de notre corps de chair et de sang, de molécules et de nerfs, de chimie primitive et de biophysique élaborée.

Il n’est pas dans mon intention, ni dans mes capacités, de vous faire ici un compte-rendu exhaustif, et pauvrement déflorant, de cet ouvrage captivant. C’est un livre qu’il faut lire soi-même. Surtout lorsqu’on pratique une approche de l’être humain telle que nous la propose la gestion mentale, basée explicitement sur la vie de la conscience. Et ceci d’autant plus que cet Antonio d’outre-Atlantique vient confirmer de manière limpide l’hypothèse d’un autre Antoine bien de chez nous : que la conscience de l’homme, loin d’être un fantasme sans consistance, est une réalité puissamment ancrée dans notre univers corporel, au cœur du principe de la vie elle-même, de ce qui la crée et lui permet de perdurer "contre vents et marées".

Voici néanmoins quelques passages qui m’ont particulièrement touché et m’ont personnellement conforté, s’il en était encore besoin, dans l'idée que toute entreprise d’apprentissage, et plus généralement d’éducation humaine, qui ne fait pas une place centrale à l’activité de la conscience des élèves (des « apprentis sages ») est vouée à l’échec et à la désolation.

Extraits du livre SENTIR ET SAVOIR (les passages en italique le sont dans le livre ; d’autres sont des précisions que j’ai apportées avec la mention NDLR):

Page 43. « Lorsque les expériences commencent à être enregistrées par la mémoire, les organismes doués de sentiments et de conscience deviennent capables d’entretenir une histoire plus ou moins complète de leur existence : l’histoire de leurs interactions avec autrui, et de leurs interactions avec leur environnement – en un mot, l’histoire de chaque vie individuelle au sein de chaque organisme individuel. L’armature même de ce que c’est qu’être une personne ».

Page 49. « L’intelligence humaine explicite n’est ni simple ni modeste (comme l'est celle des bactéries, NDLR). Elle requiert un esprit, et l’assistance des sentiments et de la conscience, qui sont des développements liés à l’esprit. Elle requiert la perception, la mémoire, le raisonnement. Ces contenus de l’esprit se fondent sur des schémas (patterns) cartographiés dans l’espace [1], qui représentent des objets et des actions. Ces contenus correspondent aux objets et aux actions que nous percevons à la fois à l’intérieur de notre organisme et dans le monde qui nous entoure. Les schémas cartographiés dans l’espace, que nous élaborons, peuvent faire l’objet d’une inspection mentale. Nous, propriétaires de l’esprit, nous pouvons étudier les « paramètres » et « l’extension » d’un schéma particulier. Propriétaires de ces schémas, nous pouvons en outre inspecter mentalement leur structure correspondant à un objet bien précis, et réfléchir, par exemple, au degré de « ressemblance » qu’ils entretiennent avec cet objet original.

En fin de compte, les contenus de l’esprit sont manipulables : nous, propriétaires des schémas, nous pouvons les découper en morceaux, et réarranger ces morceaux de mille et une façons pour former de nouveaux schémas. C’est précisément ce que nous faisons lorsque nous essayons de résoudre un problème. C’est ce que nous appelons le raisonnement.

Lorsqu’on fait référence aux schémas (patterns) mentaux qui constituent l’esprit, il est commode de parler d’images. Je ne parle pas seulement d’« images visuelles », mais de schémas de tous types produits par les canaux sensoriels dominants : des schémas visuels, bien sûr, mais aussi auditifs, tactiles, viscéraux. Après tout, lorsque nous jouons avec notre propre esprit de manière créative, nous utilisons bien notre imagination ? ».

Page 51. « Pour résoudre des problèmes, les intelligences secrètes (par exemple celle des bactéries…NDLR) ont des solutions simples et économiques. Les intelligences explicites (celle des êtres humains NDLR) sont compliquées. Elles requièrent les sentiments et la conscience.

(…) Les mécanismes non explicites (comme ceux des bactéries NDLR) ne sont pas transparents et ne peuvent être inspectés sans l’aide de moyens tels que les microscopes ou la biochimie de pointe, sans parler des interprétations théoriques permettant de rendre compte des faits. À l’inverse, s’agissant des mécanismes explicites (tels que ceux des humains NDLR), on a tout loisir de les inspecter en suivant la trace de schémas imagés, de leurs actions et de leurs relations. »

Page 53. « Pour les bactéries (et les autres types de créatures unicellulaires), l’intelligence non explicite est un formidable don. Mais l’humain bénéficie d’un don bien plus incroyable encore : nous avons les deux types d’intelligence explicite et non explicite. Nous utilisons l’une ou l’autre en fonction des problèmes que nous rencontrons, et nous n’avons même pas besoin de choisir : nos habitudes mentales et nos styles de pensées décident à notre place. »

Page 55. «  (…) les connaissances ne deviennent explicites que lorsqu’elles sont exprimées sous la forme de schémas imagés, au sein d’un esprit – et on ne peut raisonner que si l’on est capable de manipuler les images de façon logique. »

Page 60. Les contenus de l’esprit. « La perception des objets et des actions dans le monde extérieur à nous-mêmes se transforment en images grâce à la vue, à l’ouïe, au toucher, à l’odorat et au goût. Ces perceptions dominent nos états mentaux, du moins en apparence. En réalité une bonne partie des images qui existent dans notre esprit, ne proviennent pas de la perception par le cerveau du monde extérieur à nous : elles sont au contraire le fruit de la relation qu’entretient le cerveau avec le monde à l’intérieur de notre corps, relation faite de connivence et de mélanges. »

Page 61. « Lorsque nous relions et associons des images dans notre esprit, lorsque nous les transformons au sein de notre imagination créatrice, nous produisons de nouvelles images qui sont autant d’idées, concrètes ou abstraites ; nous produisons des symboles ; et nous confions à la mémoire une bonne partie de tout ce produit d’images. Ce faisant nous enrichissons l’archive d'où nous tirerons en abondance de futurs contenus mentaux. »

Page 65. La fabrication des images mentales. « Où et comment naissent les images ? On les doit à la perception. Les schémas (patterns) d’activité neurologique qui correspondent à notre environnement sont concoctés d’abord par nos organes sensoriels : les yeux, les oreilles ou les corpuscules tactiles de notre peau. Les organes sensoriels travaillent avec le système nerveux central, où des noyaux situés notamment dans la moelle épinière et le tronc cérébral assemblent les signaux collectés par les organes sensoriels. Finalement après quelques étapes supplémentaires, les cortex cérébraux reçoivent et organisent les signaux de perception. Grâce aux découvertes de chercheurs tels que David Hubel et Thorsten Wiesel, nous savons que ce dispositif permet de produire des cartes des objets et de leur territoire, dans différentes modalités sensorielles : la vue, l’audition, le toucher, par exemple. Ces cartes sont la base des images que nous éprouvons. »

Page 69. Transformer l’activité neurologique en mouvement et en esprit.

« Le processus par lequel une décharge neuronale engendre un mouvement n’est plus un mystère. D’abord, le phénomène bioélectrique de la décharge neuronale déclenche un autre processus bioélectrique dans les cellules musculaires ; puis ce processus produit une contraction musculaire ; enfin, cette contraction provoque un mouvement – dans les muscles eux-mêmes et dans les os afférents.  

La manière dont un processus chimique et électrique conduit à des états mentaux est globalement du même ordre, mais elle est beaucoup moins claire. L’activité neuronale liée aux états mentaux est distribuée spatialement sur plusieurs réseaux de neurones et constitue naturellement des schémas (patterns). Exemples les plus évidents : l’exploration sensorielle par la vue, l’ouïe, le toucher, sans compter celle qui est tournée vers l’activité de notre intérieur et nos viscères. Les schémas correspondent, en termes d’espace, aux objets, aux actions ou aux qualités qui déclenchent l’activité neuronale. Ils donnent une figuration spatiale des objets et des actions, mais tiennent compte aussi du temps requis par le déroulement de l’action. L’activité neuronale réalise une cartographie exhaustive des objets cibles et de leurs actions. Ces « cartes schématiques » sont esquissées à la volée, en fonction des détails physiques des objets et des actions présents dans le monde qui entoure notre système nerveux – et plus précisément dans le monde que certaines de nos sondes sensorielles (yeux, oreilles) peuvent explorer. Les « images » qui constituent notre esprit sont le produit d’une activité neuronale bien organisée, qui transmet les schémas de ce type au cerveau. Autrement dit, les « cartes schématiques » neurobiologiques deviennent des « événements mentaux » que nous appelons images. Lorsque ces événements s’inscrivent dans un contexte incluant des sentiments et une perspective de soi (self-perspective), et seulement dans ce cas, ils deviennent des expériences mentales ; ils deviennent conscients. 

Certains verront cette « conversion – transformation » comme un processus magique, d’autres comme un phénomène très naturel. Je penche pour cette dernière hypothèse, même si le processus n’a pas été entièrement expliqué et que tous les détails sont loin d’être limpides. »

Page 131. « Sans la conscience rien ne peut être véritablement connu. Elle est la pierre angulaire de l’essor des cultures humaines ; elle a donc changé le cours de notre histoire. Difficile d’exagérer son importance. Il est assez facile, en revanche, d’exagérer la complexité de son fonctionnement, de ses origines et de prétendre qu’elle est un mystère insondable. »

Et enfin, page 148.  « Mais si complexe soit-elle, la conscience ne semble pas être – ou devoir rester – mystérieuse ou si impénétrable qu’il soit impossible de déterminer de quoi elle est faite, du point de vue mental. (…) On ne peut qu’être impressionné par ce que la combinaison de plusieurs systèmes fonctionnels relativement transparents est parvenue à produire à notre profit. »

J’arrête là cette compilation, mais je pourrais citer encore bien d’autres passages de ces 218 pages passionnantes de bout en bout. Elles viennent nourrir notre conviction que les travaux d’Antoine de la Garanderie reposent bien sur des réalités et que ces réalités sont de plus en plus finement éclairées grâce à des chercheurs comme Antonio Damasio. Chercheurs qui contribuent à donner un peu plus de réalité mentale et de chair vivante aux propositions purement comportementales émanant des laboratoires neuroscientifiques… dont notre école réduite à quia est malheureusement beaucoup trop dépendante.


[1] voir L'Autre Moi-Même. Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions. ( O. Jacob.2012)

 


  


189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...