lundi 7 août 2017

115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire originale et stimulante !

Au hasard d'une navigation sur le net, je découvre cette fiche qui applique à une règle de grammaire ("m" devant "m", "b", "p") la nécessité de dévoiler aux élèves l'origine, la "raison causale" de ce qu'ils doivent respecter. A en croire cette enseignante, il n'y a pas que ses élèves "expliquants" qui y ont trouvé intérêt ! Voici d'ailleurs le mail reçu d'elle avec son autorisation de publier son travail :

"Bien entendu, vous avez mon entier accord pour toute utilisation que vous jugerez utile! Et je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD !"

Cette remarque est très intéressante. Elle vérifie le vieux principe appliqué au commandement que je cite à propos de cette "compréhension expliquante" (Voir  « Accompagner… », pages 212-213) : « Un ordre dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre accepté à contrecœur sera saboté consciemment ou non. » Une règle n'est jamais qu'un principe d'ordre dans un domaine donné et il convient bien sûr de la respecter si l'on veut réussir dans ce domaine. Mais pour bien la respecter, il vaut mieux l'avoir bien comprise. Voici un exemple d'un sabotage inconscient, également cité dans "Accompagner..." :

Exemple de « sabotage inconscient » dans l’application d'une règle. Dans l'exercice d'orthographe proposé dans le chapitre sur la réflexion [accorder le mot cueilli dans la phrase "ces fleurs que Gisèle et Paul ont (cueillir)"], un élève avait écrit sur sa feuille « cueilli » au lieu de « cueillies ». Lorsqu'on lui demanda de « justifier » son orthographe, il récita la règle sans faute. Devant l’étonnement général, il précisa ceci : « quand j'ai réfléchi, dans ma tête j'ai vu « cueillies », et quand j'ai écrit, ma main a écrit « i. » Il s'agissait d'un 
véritable « sabotage inconscient » de l'exécution de la règle. Interrogé sur la raison de cette règle, il donna cette réponse : «  ça doit être deux ou trois vieux barbus (en fait il a dit autre chose…) qui ont décidé ça un jour où ils s'ennuyaient ! » Dépourvu de l'explication logique de cette règle de grammaire, que pourtant il avait bien mémorisée, il était dans l'incapacité de l'appliquer « avec conscience et efficacité ». Voir en fin de chapitre la démonstration de cette règle si « bien de chez nous » : l’accord des participes passés.


















Modèle à suivre donc et sans modération !

114 - Relations parents-profs...en 1909 : le bon sens vous dis-je !

Poursuivant ma lecture du petit carnet noir à l'écriture serrée de l'aïeule de mon amie, maîtresse d'école de son état en ce début de XX° siècle, je tombe sur cette conférence pédagogique du 18 octobre 1909, dont le sujet est la relation du maître avec les parents. Elle vaut son pesant de bon sens et de brûlante actualité. On y trouvera pêle-mêle : l'absentéisme comme une des sources du décrochage scolaire, le besoin d'utilité des savoirs transmis aux plus âgés, l'absolue nécessité "d'unité de conscience" (sic) entre les parents et les enseignants, de franche collaboration, et même de cordialité entre eux, avec cette image forte et tellement représentative de cette époque disparue, de "la main blanche et fine" (re-sic) de l'instituteur serrant avec estime  "la main calleuse du travailleur" (re-re-sic). On notera la création d'associations de "pères de famille"... les temps ont changé...Sans oublier l'appel au patriotisme : cinq ans après éclate la première guerre mondiale qui scellera la réconciliation de l'instituteur, du curé et du travailleur dans la fraternité cimentée par les souffrances et la boue des tranchées. Mais pour combien de temps ?


Conférence pédagogique du 18 octobre 1909

Rapport du maître avec les parents

Les associations des Pères de famille qui se fondent un peu partout ont donné l’idée du sujet de la conférence.
Les associations créées dans le but de soumettre l’instituteur à une surveillance étroite, tant au point de vue de son enseignement que des livres qu’il emploie, et de lui créer des difficultés, si possible, ne doivent pas nous effrayer outre mesure.
Si nous avons su gagner, conserver et fortifier la confiance et la sympathie les familles, les associations ne sont pas bien à craindre.

Moyens pour gagner cette confiance.
Pour cela, plusieurs moyens sont à notre portée :

1.    Réclamer le concours des parents dans le but que nous poursuivons. Mais cela avec mesure. Nous ne devons pas les laisser s’ingérer dans notre façon d’enseigner, dans notre manière d’appliquer des méthodes. Pour accomplir sa tâche, l’instituteur a fait des études spéciales et très longues que les parents n’ont pu faire. Ils ne peuvent donc ni surveiller, ni contrôler le maître. Sur ce point là, n’admettre ni discussion ni explication, elles ne sont pas possibles.
Mais on peut leur demander de veiller au travail que l’enfant fait à la maison. Ils doivent se rendre compte si l’enfant sait ou ne sait pas ses leçons ; s’il a accompli le travail à lui imposé : problèmes, cartes, etc.… Et s’il est fait d’une façon convenable.

2.    Les entretenir souvent de la fréquentation scolaire. Un petit nombre de parents comprennent le mal qu’ils font à leurs enfants en leur faisant manquer la classe. Leur expliquer que l’enseignement est un enchaînement qu’il faut suivre d’un bout à l’autre. La leçon de la veille explique celle du jour comme celle-ci expliquera celle du lendemain. Si l’enfant perd un jour, c’est un chaînon qu’il perd et qu’il ne remplacera pas. Ne pouvant comprendre la leçon le jour où il sera à l’école, il se dégoûtera, fera un mauvais élève.
Nous savons tous qu’il est des conditions économiques contre lesquelles il est difficile de lutter : besoin qu’a la famille du travail de l’enfant,  misère, etc.… Contre cela, utilité des cantines scolaires, des fournitures gratuites, etc.
Mais l’instituteur surtout peut beaucoup pour assurer la bonne fréquentation de son école. C’est lui qui doit faire comprendre à l’enfant le tort qu’il se fait à lui-même en manquant la classe. Et si les enfants prennent intérêt aux leçons faites, ils seront nos meilleurs avocats auprès de leurs parents. Et ces derniers regretteront davantage d’être obligés de les garder s’ils voient le chagrin de l’enfant à manquer l’école.

3.    Cours d’adultes. Les cours d’adultes nous sont aussi un bon moyen de gagner la confiance des parents. Mais pour ces cours, utilité qu’il y a à faire collaborer les jeunes gens à l’emploi du temps. Ils demandent que toutes les connaissances qu’on veut leur faire acquérir aient une valeur pratique, utilisable. Il faut donc leur apprendre à arpenter, à cuber… il faut leur montrer la manière de dresser un bail, d’écrire un reçu, une lettre d’affaires, etc.…

4.    Communication avec les parents. Il existe dans certaines écoles un carnet de correspondance à peu près inutile dans les écoles rurales. les enfants le font signer ou non, par leurs parents ou des étrangers, etc. Le travail demandé à l’instituteur n’est plus en rapport avec le bénéfice qu’on peut en retirer. On peut se servir du cahier mensuel. À la fin du mois, l’envoyer chez les parents avec une note particulière sur l’application, le travail de l’enfant. L e mois où la note sera trop mauvaise, se dispenser d’envoyer le cahier, tout en prévenant l’enfant qu’on le montrera à ses parents. Cela pour ne pas l’exciter à user d’ une supercherie, etc.

5.    Il doit encore chercher à obtenir unité de conscience dans l’école et dans la famille. Ce qui a été blâmé par le maître doit l’être par les parents.
Un enfant a un défaut. Les parents et les maîtres doivent s’entendre pour le punir. Un enfant est menteur. Retirons- lui notre confiance. S’il s’aperçoit qu’on ne le croit plus, même lorsqu’il dit la vérité, s’il voit qu’il n’a plus l’estime de ceux qui l’entourent, il fera tout pour la regagner.
Un autre manque de courage, d’énergie. Le jour où nous aurons besoin du concours d’un élève, refusons lui de nous aider et demandons l’aide d’un autre de ses camarades qui aura su se montrer plus énergique. Et cet enfant fera encore son possible pour se corriger

Il faudrait enfin pouvoir obtenir que dans la famille, jamais un mot ne soit dit contre l’instituteur. Mais à son tour, celui-ci ne doit pas avoir l’air de dédaigner le travailleur. Par sa tenue, ses actes, ses paroles, il doit lui montrer qu’il estime. Il faut qu’il règne entre les parents et le maître une franche allure de cordialité.
Qu’un courant de cordialité s’établisse quand  la main douce et fine serre la main calleuse de l’ouvrier.


6.    Il faut encore avoir le souci de l’opinion. Les instituteurs sont accusés d’antipatriotisme, d’antimilitarisme sans doute les soupçonne-t-on partisans des doctrines d’Hervé. Eh bien, cette opinion est injuste, et il faut que l’on sache que le maître aime et respecte la Patrie.

dimanche 6 août 2017

113 -L’école primaire était-elle tellement meilleure que ça « avant » ?

Il y a des gens, très sérieux et très écoutés actuellement, qui voudraient bien retrouver l’Ecole Primaire de leur enfance… ou de celle de leurs grands-parents… vous savez, l’École qui allait tellement mieux que celle d’aujourd’hui… celle qui savait tellement mieux enseigner aux enfants qui apprenaient si bien tout seuls…  Avec des maîtres tellement mieux formés... bien à l’abri de toutes ces pédagogies nouvelles qui nous mettent la tête à l'envers… Avec de vrais inspecteurs qui leur donnaient de vrais bons conseils… 

Alors pour rétablir un peu de réalité dans la querelle jamais close entre ces nostalgiques du bon vieux temps et les « pédagosfousquionttoutsaccagé », voici un extrait d’un petit carnet prêté par une
amie qui l'a retrouvé dans ses archives familiales. Il est rempli avec une petite écriture soigneuse et régulière, comme on n'en voit plus guère, celle d’une maîtresse d'école du début du XXe siècle (une hussarde de la république ?), qui prenait en note une « conférence pédagogique » (on parlait déjà de pédagogie, même à cette époque…), sans doute pour la transmettre après coup à ses collègues autour de Limoges, tout près d'Oradour-sur-Glane que mon amie a vu bruler depuis sa maison...

Voyons un peu ce que lui conseillait son inspecteur de l’époque, le 5 octobre 1912. Pour la commodité de la compréhension, on pourra remplacer le patois, mis en cause par l’inspecteur, par toute autre langue que les élèves actuels savent si bien manier en dehors de la classe… dans la cour ou dans la rue... voire à la maison...  en lieu et place du bon français que tous les adultes parlent si bien… notamment à la "télé"! En prime, une analyse historique du développement de l’enseignement primaire en France qui ne manque pas de sel…


Conférence pédagogique du 5 Octobre 1912.

Sujet de la conférence : l’enseignement du français à l’école primaire.

" Les résultats obtenus dans l’enseignement du français sont tout à fait insuffisants (il n'y avait pourtant pas encore d'enquête Pisa...)
Cela est dû :
1°/ à la difficulté qu’éprouvent les enfants à parler français lorsqu’ils se servent du patois à la maison.
2°/ à ce que dans l’enseignement primaire, l’instruction s’est développée en France sous sa forme la plus élevée. On s’est d’abord préoccupé de l’enseignement supérieur. Puis les Jésuites ont créé, pour ainsi dire, l’enseignement secondaire et enfin, avec les protestants, l’enseignement primaire est apparu.

L’enseignement supérieur s’étant développé le premier, l’enseignement secondaire s’en est naturellement inspiré et l’enseignement primaire, à son tour, a emprunté au secondaire.

Nos enfants n’ont donc pas un enseignement qui leur convienne, un enseignement qui leur soit approprié. Cela apparaît surtout dans l’enseignement du français.

Il faut, nous répète-t-on sans cesse, partir de ce que l’enfant connaît. Ils devraient trouver leur modèle dans la langue maternelle. Ici, ce n’est pas le cas. Ce modèle qu’ils ne peuvent trouver chez eux, c’est à nous de le leur fournir. Il faut donc leur parler français. Éviter les expressions particulières au Limousin, les locutions vicieuses. Ne pas employer le passé défini, l’imparfait du subjonctif, etc. Dans les petites classes, s’attacher, dans l’étude du verbe, à faire connaître les trois temps principaux, négliger les autres.

Étudier les adjectifs qualificatifs que l’enfant peut arriver à comprendre. Laisser les possessifs et démonstratifs pour le cours moyen.

Mettre l’enfant en présence d’une phrase, lui faire connaître les principales parties, etc. En un mot, supprimer beaucoup dans l’étude de la grammaire. Et la leur présenter de façon à ce qu’elle leur paraisse moins aride. Pour l’article, leur donner des exemples. On dit : le papier, les papiers ; la porte, les portes. Lorsqu’on met le devant un nom, le nom est masculin, etc.

Dans une phrase, lui faire considérer le sujet et tout ce qu’on dit du sujet.
Le verbe est le mot qui dit ce que fait le sujet. Quelquefois c’est un nom, d’autres fois un pronom.
Pour les compléments, ne s’occuper que des compléments d’objet et des compléments de circonstance.
Apprendre quelques verbes. Ni groupes, ni conjugaisons.
Faire étudier : chanter, finir, courir, etc. et montrer que ceux terminés comme eux s’écriront aussi comme eux aux mêmes temps.
Dans les cours moyens et supérieurs, reprendre ce qui a été enseigné au cours élémentaire et y ajouter quelques précisions.

La composition française.
1°/ choisir un petit texte, un exemple à la portée des enfants, l’écrire au tableau noir, le lire. Causer sur ce texte. Exemple  (il n’y a plus de feuilles après les arbres) : pourquoi, quand y en a-t-il ? Quand poussent-t-elles ? Quand tombent-t-elles ? Les arbres nous semblent-t-ils aussi jolis ? Etc. C’est faire de la composition française.
Continuer par des observations grammaticales. Qu’est-ce que les feuilles ? Animal, chose ? Etc. c’est un nom de choses. On dit une feuille, des feuilles. Il y a un « s ». Parler de tombées, c’est leur qualité, leur manière d’être : c’est un adjectif qualificatif. Feuilles est au pluriel, tombées est au pluriel. Sont est le présent. Si c’était hier, on dirait : étaient.

2°/  exercices écrits. Relever les noms singuliers, les noms pluriels, les verbes, les sujets.
3°/ traiter par écrit une petite question : décrire un arbre en été, en hiver.

La leçon durera au moins une heure.
1.    Lire environ cinq lignes (un quart d’heure)
2.      -  explications grammaticales (10 minutes)
3.       - texte écrit (un quart d’heure)
4.       - exercices de langage.
5.   Reporter par écrit l’exercice de langage.

Dictée. La dictée n’est pas le point initial d’une leçon de grammaire, ce n’est qu’un exercice de révision. Dicter une phrase est suffisant. Ce n’est que plus tard que les dictées seront faites pour elles-mêmes. Il faut que les fautes soient corrigées et comprises par l’élève."

A propos de la dictée, je vous renvoie aux pages 108 à 113 d'"Accompagner..." où sont décrits les complexes projets de sens à l'oeuvre dans l'apprentissage des mots et de la grammaire. En effet, elle ne peut être "le point initial " de cet apprentissage. Mais elle en est toujours une application incontournable et indispensable parce qu'elle "muscle" chez les enfants les circuits de neurones qui sous-tendent les projets de sens de transformation de la signification ou de la forme orale des mots en leur forme écrite conventionnelle. En même temps, elle entraîne chez eux l'application des règles qui régissent l'accord des mots entre eux. Ces mots et ces règles qui justement ont fait l'objet de la leçon de grammaire. M. l'Inspecteur, malgré votre ignorance, tout excusable, des neurosciences et de la Gestion Mentale, vous aviez bien raison et votre intuition était fort juste ! Et vous aviez même une longueur d'avance en ce qui concerne le statut de l'erreur et de leur correction, un des must des pédagogies "nouvelles". La  pédagogie n'est ni ancienne ni nouvelle, elle est l'essence même de l'Ecole.

Le tout en éducation, aujourd'hui comme hier, est toujours de commencer par le début  et de donner la priorité au bon sens !



jeudi 6 juillet 2017

112 - Asperger et difficultés de concentration. On y peut quelque chose ?

Il y a deux ans presque jour pour jour, je publiais sur ce blog un message  intitulé : « J’ai ouvert mes oreillesintérieures ». J’y relatais un entretien relativement bref que j’avais eu avec un élève de seconde, début septembre 2014, lors de notre première rencontre, le premier jour du premier stage de méthodologie de sa classe. Il m’avait été décrit comme ayant de gros problèmes de concentration, dûs à un syndrome d’Asperger, et je me demandais comment j’allais pouvoir l’aider.  A la pause du matin, je le vis seul, à l’écart de ses camarades, accaparé par quelque chose que je ne voyais pas de là où j’étais. M’étant approché, je réalisais l’objet de son attention : des insectes, peut-être des abeilles, qui voletaient dans l’air devant lui. Il avait toute l’apparence de quelqu’un de très concentré, ce qui contrastait avec ce que l'on m'avait annoncé à son sujet. Pour les détails de notre entretien, je vous renvoie à la lecture de mon message 86. Depuis, je pensais parfois à cet élève lorsque j’abordais dans les stages le sujet de l’attention et de la concentration, mais je n’avais plus de nouvelles de lui. Et voici que ce matin je reçois ce message de sa part :

« Cher Guy Sonnois, dont l'enseignement me sera toujours précieux, c'est par cette belle journée du 7 juillet 2017 que j'ai reçu mon baccalauréat avec la mention bien. J'ai encore en mémoire ce que vous m'avez appris lorsque je regardais les abeilles dans l'arbre en vous expliquant mes problèmes de concentration. Vous m'avez dit que si je pouvais regarder si longtemps ces abeilles sans perdre le fil, et les identifier, c'était par mon seul intérêt et ma motivation, et que la concentration ne dépendait que de moi. Je m'en suis rappelé jusqu'à aujourd'hui et je tiens encore à vous remercier car mes problèmes ont lentement disparu après vos leçons. Je vous souhaite de très bonnes vacances, et de pouvoir encore aider de nombreuses personnes. Sincèrement, E. »

Bien que dans ce bref message, E. ne détaille pas l'habitude évocative verbalisante qu'il a découverte en cette occasion et qu'il a ensuite de mieux en mieux utilisée, la "fusée" lancée en Seconde il y a deux ans semble avoir poursuivi sa trajectoire de belle façon ! En effet, voici le bilan qu"E. faisait de son année de "méthodologie" en Juin 2015 : 

"Cette année de seconde a eu le même impact sur moi que la Renaissance sur l’Europe. Tout a été remis en question, et est encore en reconstruction en ce moment même. J’ai compris que la compréhension ne se développait pas en heures penché sur des lignes mais en données décryptées et remanipulées. ... Il me faudra des mois, des années même, avant que mes méthodes s’affinent. Guy, vous avez été le lanceur de la fusée. Maintenant que j’ai quitté la stratosphère, à moi de poursuivre la route en évitant les obstacles, en gérant le carburant. E." 

On voit que ce jeune homme n'est pas dépourvu d'imagination et d'un certain style ! Qualités que, bien sûr, il ignorait jusqu'en début de cette année de renaissance personnelle...


On cherche, pour aider ces jeunes, des dispositifs complexes, des thérapies plus ou moins exotiques, des traitements médicaux de toutes sortes… Parfois un peu d’attention vraie à leur endroit, un petit échange au bon moment, un peu de « savoir » sur les réalités de la vie mentale, et bien sûr une grande confiance dans leurs capacités méconnues, cela peut suffire. La preuve !

jeudi 15 juin 2017

111 - Révisions (suite) - Oral de Français.

Rencontre fortuite à la boulangerie il y a quelques jours avec un ami et sa fille adolescente, lisant un papier qu’elle tient à la main. « Je prépare mon oral de bac de français » répond-elle à ma question un peu indiscrète. Moi : « Comment faites-vous ça ? » - « J’apprends mon cours par cœur ( le texte en question, photocopié) comme nous a recommandé notre professeur. » -  « Et comment apprenez-vous ? » - « Je lis une phrase, je me la répète plusieurs fois, puis je passe à la suivante… »…

Certains examinateurs de cet oral peuvent dire, sans consulter les dossiers des candidats, de quel lycée et de quelle classe sont issu-e-s les élèves qu’ils interrogent : ils entendent à longueur de journée rabâcher les mêmes présentations plus ou moins bien sues par cœur et surtout plus ou moins - plutôt moins - bien comprises… les élèves ne détachant par leurs yeux du texte qu’ils présentent.

Eh! bien ! ce n’est pas ça l’oral de français.

Bien sûr qu’il faut faire état de connaissances transmises par les enseignants tout au long de l’année, et même des années précédentes, ainsi que de leurs commentaires sur les œuvres du programme. Mais pas en les récitant comme des perroquets ! En réalité, ce qu’observent vos examinateurs, c’est si vous savez lire les textes que vous présentez.

Vous devez pouvoir parler du texte, l’analyser, le mettre en perspective à l’aide de vos connaissances en littérature, et ceci sans avoir les yeux rivés sur votre texte, mais en regardant votre interlocuteur. C’est-à-dire que le texte doit être dans votre tête, vivant, disponible, enrichi de toutes vos connaissances acquises et convoquées à ce moment. Et pour cela il a donc fallu que vous ayez lu convenablement vos textes auparavant, donc pendant l’année , et au moins lors de vos révisions (voir message précédent).

Comment lire vos textes de façon efficace ? Il faut transposer les mots écrits sur le papier en productions imaginaires, dans votre tête : des images mentales, des petits films, les mots du texte réentendus et enrichis de vos propres commentaires… Chacun fait cette transposition « à sa guise », en utilisant toute la richesse de son imagination. Il s’agit d’une véritable « traduction » du texte dans votre langage mental personnel ( = les évocations mentales de la Gestion mentale). Mais toute traduction comporte un risque de déformation, de trahison. Il faut donc relire le texte pour vérifier l’exactitude de votre transformation personnelle, en comparant ce que vous avez imaginé dans votre tête et ce que dit réellement le texte : « Suis-je fidèle au sens du texte, à ce qu’a voulu me transmettre l’auteur ». Ceci jusqu’à la plus grande fidélité !

Vous appliquez ainsi la véritable éthique de la lecture : « le droit d’interpréter, le devoir de respecter ». Je vous souhaite une bonne préparation et une belle réussite avec cette méthode !

Pour vos connaissances elles-mêmes, c’est-à-dire les cours de français de l’année, lisez le message précédent de mon blog : Gestion mentale et neurosciences et révisions du Bac (ou tout autre examen ou concours...)

mercredi 31 mai 2017

110 - Gestion mentale et neurosciences : révisions (du bac ou tout autre examen ou évaluation lourde...).


 Beaucoup d'élèves et d'étudiants paniquent lorsqu'arrive le temps de l'ultime préparation aux examens... Le temps redouté des révisions ! Voici quelques conseils appuyés sur les plus récentes découvertes des neurosciences sur le fonctionnement du cerveau ( sur ce sujet,  on pourra en savoir (un peu) plus en lisant le Hors-Série de Sciences et Vie, n°278 de mars 2017 : "Réussir à l'école".)

Pour faire bref, les connaissances actuelles sur le fonctionnement de notre cerveau confirment ce que les pédagogues savent déjà depuis fort longtemps : notre mémoire est constituée de deux processus neuronaux, l’un pour l’entrée des connaissances, l’autre pour leur sortie au moment de leur utilisation.

Il est donc important que vos connaissances soient habituées à parcourir ces deux chemins, et cela à deux moments bien distincts :
  • au moment de l’apprentissage, de la compréhension et de la mise en mémoire (la « mémorisation »), le chemin est celui de l’entrée et du stockage des connaissances. Pas un stockage passif, un empilement sans ordre.  Il s'agit plutôt d'un mouvement de pensée qui prépare l'avenir (projet) : on prépare la mémoire à nous renvoyer nos connaissances  au moment voulu et selon les besoins que nous anticipons. L'ordre du stockage de nos connaissances est donc étroitement dépendant  du projet de réutilisation qui préside à leur mise en mémoire.
  •  au moment de la réutilisation, par exemple dans une réflexion sur un sujet d’examen, les connaissances empruntent le chemin de sortie, ce qu’on appelle la « remémoration » : on fait revenir ce que l’on a appris pour l’utiliser en fonction des problèmes à résoudre. Il a donc fallu préparer cette remémoration, ce retour des souvenirs, avant l’examen en habituant nos connaissances à "ressortir" : c’est le rôle des révisions.

Beaucoup d’élèves lorsqu’ils révisent, ignorant cette réalité cérébrale, font l’erreur de reparcourir le chemin d’entrée des connaissances : ils « réapprennent ». Quelquefois même ils se mettent à « apprendre » (comprendre et mémoriser) à ce moment-là : fatale erreur ! Réviser, n'est pas apprendre ni même relire passivement ses cours, c'est "revisualiser" ou " se redire" , faire revenir et revivre "dans sa tête" ce qu'on a appris auparavant.

Pour que vos révisions soient efficaces, elles doivent être "actives", et pour cela il vous faut respecter les étapes suivantes. Cela peut paraître un peu long, mais en réalité il s'agit  de "mouvements de pensée" , parfois rapides et même simultanés pour certains, à effectuer dans l'ordre et au bon moment. Et puis quitte à faire des efforts, au moins qu'ils soient utiles !

1.     Livres et classeurs fermés, faites revenir, soit directement soit par des associations, tous les souvenirs que vous avez encore sur un cours. C’est l’étape de la « remémoration » proprement dite : on s’efforce de retrouver le maximum d’éléments de ce que l’on a appris, quelquefois plusieurs mois plus tôt.

2.      Jetez en même temps ou juste après sur un papier quelques mots-clés, quelques schémas ou croquis qui matérialisent ces retours de souvenirs.

3.    Ensuite, lorsque votre remémoration touche sa limite, qu’il ne vous revient plus aucun souvenir de ce que vous aviez appris, relisez votre cours ou votre manuel en comparant ce qui vous est revenu et ce que vous lisez. Cette relecture active permet de repérer ce qui avait été oublié (et c’est bien normal…), ou ce qui était resté imprécis dans votre tête, ou même vos erreurs. Vous « rechargez » et corrigez ainsi votre mémoire pour la remettre à son meilleur niveau. En fait vous vous testez vous-mêmes ! Or, les neurosciences nous apprennent que  "les tests (donc la ressortie), et pas les révisions (au mauvais sens de reparcourir le chemin d'entrée), sont le facteur déterminant pour la mémoire à long terme" (Op. cit. page 28).

4.      Si vous voulez faire encore mieuxcomplétez la fiche synthétique de mémorisation que vous avez peut-être faite au moment de l’apprentissage (en prévision de vos révisions...), ou bien que vous pouvez faire maintenant, en enrichissant l’étape 2. Cela facilitera le rappel des éléments essentiels au moment de l'examen.

5.       Ensuite, il faut mémoriser cette fiche avec beaucoup de précision.  Cela s'opère en deux temps :

  •       Vous vous efforcez de fixer la fiche dans votre tête (l'entrée) sous forme d’images mentales ou bien en vous redisant les mots ou les phrases que vous avez écrits, ou en revivant cette écriture. Plusieurs aller-retour tête-fiche jusqu'à pleine satisfation.
  •        Aussitôt après, vous vous imaginez dans un local tel que celui où vous passerez l’examen (même si vous ne le connaissez pas, un local lambda fait l'affaire) et dans ce cadre imaginaire, vous vous repassez mentalement, vous "révisez" (la sortie),  les images ou les paroles que vous venez de fixer dans votre tête. Le mieux est alors d’imaginer les types de problèmes, les types de sujets, les questions, les QCM... que vous pourriez être amenés à traiter avec ce que vous révisez ainsi activement.

6.      Après une petite pause (5-10 minutes), les yeux fermés, vous essayez de retrouver la fiche dans votre tête avec le maximum de détails (nouvelle sortie, nouveau "test", nouvelle activation neuronale...), toujours dans le cadre imaginaire de l'examen. Vous vérifiez en relisant la fiche.

  
    En général dans l'activité de mémorisation pure Travaillez par petites périodes (20-30') entrecoupées de courtes pauses (5-10'). Au retour de chaque pause, faites revenir ce que vous venez de mémoriser pendant la séquence précédente, puis poursuivez votre travail.

Et puis aussi : dormez bien,  aérez-vous, mangez bien, ne prenez pas de produits chimiques… Restez "zen" le plus possible. Le bac (ou n'importe quel examen ou même concours) valide toute votre scolarité, pas votre bachotage de dernière minute !

"Jetez votre coeur au-delà de l'obstacle", c'est à dire pensez fortement à la réussite que vous obtiendrez avec de telles révisions !

jeudi 6 avril 2017

109 – L'imagination au vestiaire !

Dans mon message 101, je relatais un dialogue pédagogique avec un enfant de primaire doué d'une grande imagination, et la manière dont je l'avais amené à l'utiliser dans ses activités scolaires. Voici aujourd'hui un entretien mené avec Arthur, un enfant de 13 ans, en classe de quatrième, en train de perdre pied au collège, malgré une intelligence dont l'évidence crève les yeux. C'est l'aîné d'un couple ami, et la première rencontre s'était déroulée avec sa sœur et ses parents. Par différents exercices j'avais montré que chaque membre de la famille avait un fonctionnement mental très différent avec peut-être une certaine correspondance pére-fils qui s'opposait presqu'en tous points  à celui du couple mére-fille. Et c'est sa maman qui faisait travailler Arthur... avec les incompréhensions et les conflits qu'on imagine  ! Outre ces différences individuelles, j'avais mis en évidence la nécessité d'avoir une intention très précise dans une activité, et le fait que l'on ne peut en gérer deux simultanément de façon efficace.
Déjà très impressionné par cette première rencontre, Arthur s'était très rapidement mis à gérer son travail de façon beaucoup plus autonome, et les relations en famille avaient retrouvé un cours plus normal.
Dans une deuxième rencontre, j'ai aidé Arthur à mettre en pratique ces premières découvertes. En voici le récit.

Deuxième entretien avec Arthur.

Cette rencontre a porté principalement sur trois sujets :
·         
·       approfondissement du fonctionnement mental personnel d’Arthur;
- exercice de mémorisation d’un texte anglais en utilisant ce fonctionnement mis au jour ;
- lecture approfondie d’un énoncé H.G. dans un contrôle raté.

Exercice de mémorisation d’un texte anglais.
Arthur éprouve peu d’attirance pour le travail scolaire. D’où cela vient-il ? Il s’est remémoré un texte anglais  appris il y a quelque temps (d'Agatha Christie sur Hercule Poirot) Pour cet apprentissage, il avait appliqué  "la méthode de Tatie", dite "méthode des cinq barres" : Lire 5 fois une phrase, la répéter une fois dans sa tête, puis passer à la suivante et ainsi de suite. À chaque lecture mettre une barre devant la phrase. Arthur semble ne pas avoir une grande attirance pour une telle méthode, mais à défaut d’autre chose…

À la fin d’un tel travail, Arthur retrouve une image très précise de l’illustration qui accompagnait le texte anglais, bien qu’il n’ait pas eu l’intention volontaire de la photographier mentalement (le détective, son habillement, le bateau sur le Nil, en arrière-plan les pyramides et des paliers … etc.), évocation visuelle concrète qui lui donne le sens du texte,  qu’il pouvait exprimer en français de manière très convenable. À côté de cette image mentale se trouve une deuxième image globale de la forme générale du texte anglais mais dont les mots sont « floutés », si bien qu’il ne peut pas le lire mentalement distinctement.

J’ai demandé à Arthur ce qu’il faisait dans sa tête pendant qu’il apprenait ainsi ses phrases en les lisant plusieurs fois. Il a soudain réalisé ce qu’il se passait réellement dans son esprit à ce moment-là : des petits bonshommes imaginaires saisissaient les mots du texte pour les amener dans sa tête. Mais une fois dans sa tête, les mots tombaient comme dans un grand trou.

Une imagination, très vive.
Il est apparu alors qu’Arthur possède une imagination très vive, à l’œuvre dans les activités autres que scolaires. Malheureusement (comme tant d’autres élèves doués d’imagination…), il ne pense pas à se servir de ce vrai pouvoir dans les activités scolaires.

Nous avons alors travaillé à remettre en place ce fonctionnement naturel et très personnel. Ce qui manquait aux petits bonshommes pour aller jusqu’au bout de leur travail, c’était une mission donnée par un chef. Le fait d’avoir orienté Arthur vers une méthode inadaptée de rabâchage oral, l’a détourné de son fonctionnement naturel : il n’était pas réellement « à la manœuvre » dans sa tête et ne pouvait donc pas commander « ses petits bonshommes » en leur donnant une mission précise (on ne peut se concentrer sur deux choses en même temps…). Arthur a alors demandé à ses petits bonshommes de poursuivre leur action en plaçant les mots saisis sur le texte flou de manière à le rendre lisible. Très vite le texte lui est apparu distinctement dans sa tête et il a pu le lire comme s’il l’avait réellement sous ses yeux. Après quelques vérifications, Arthur a pu ensuite écrire ce texte intégralement avec juste quelques petites erreurs.

Nous avons ensuite travaillé à « mémoriser » réellement ce texte qui pour l’instant n’était que « mentalisé », c’est-à-dire évoqué avec précision (il était bien transposé dans la tête d’Arthur, mais sans mission particulière quant à une réutilisation dans le futur, ce qu’il fait spontanément lorsqu’il apprend une technique nouvelle au football, en s’imaginant la pratiquer sur le terrain dans le prochain match). Arthur s’est alors souvenu que lorsqu’un contrôle lui était annoncé, il lui arrivait d’en avoir une image très précise pendant son sommeil, la nuit suivante. Il se voyait lui-même dans la classe devant une feuille blanche. Nous avons repris cette production imaginaire en la précisant, et en y associant le texte anglais qu’il évoquait maintenant distinctement comme décrit plus haut. Arthur s’est alors imaginé en train de se réciter ou d’écrire sur la feuille blanche le texte qu’il avait dans la tête. Cela fut un effort important pour Arthur, peu habitué  à ce type de « travail » dans le cadre scolaire.

Exercice de lecture.
Nous avons ensuite passé un moment sur un contrôle d’histoire-géo raté. Le professeur reprochait à Arthur un manque d’analyse. En fait, il s’agissait tout simplement d’une mauvaise lecture d’énoncés. J’ai donc invité Arthur à « apprendre à lire » un texte scolaire. Je remets ici le descriptif de cette « méthode des cinq lectures »  qu'on retrouvera aussi dans '"Accompagner...", p. 128-131(rien à voir avec la « méthode des cinq barres de Tatie »…). Arthur a réalisé que sa lecture habituelle de texte scolaire était totalement insuffisante. Il se contente des éléments concrets, anecdotiques, facilement imaginables du texte : marins Chinois, tortues, prix de l’amende, nombre d’années de prison, etc. Rien des contenus abstraits n’était intégré : revendications territoriales, relations bilatérales envenimées, souveraineté indiscutable, etc. J’ai invité Arthur à relire plusieurs fois le texte en remettant en jeu systématiquement ses évocations premières, en les comparant au texte : « est-ce que le texte dit la même chose que ce que j’ai mis dans ma tête ? ». Petit à petit les choses incomprises la première fois lui sont apparues. Le texte était relativement difficile pour un enfant de cet âge, et quelques explications ont dû être apportées pour quelques éléments plus difficiles.

J’ai remarqué qu’une autre « antiméthode » venait polluer chez Arthur la lecture des énoncés : surligner les mots importants dès la première lecture. Vue la qualité de cette lecture première où Arthur  recueille essentiellement  les aspects concrets facilement imaginables,  ceux qui lui sautent littéralement à la tête, les « mots importants » qu’il sélectionne n’ont strictement rien à voir avec les véritables mots clés du texte, les mots porteurs du sens du texte. Il faudra donc, là encore, qu’Arthur se déshabitue de cette manière de faire qui ne peut que le conduire à un contournement de l’effort d’analyse (opération d’abstraction) qui lui est demandé.


Nous aborderons la prochaine fois une méthode pour réaliser les synthèses, par la pratique des schémas qui semble particulièrement adaptée au fonctionnement mental d'Athur.

lundi 13 mars 2017

108 - Redonnons le goût d’apprendre..


Redonnons le goût d’apprendre...

Au hasard d’une recherche sur le net, j'ai découvert le site d’Hélène Weber : "Donnez du sens à vos études". Consacré à l’accompagnement des lycéens et étudiants, ce blog m’a tout de suite paru pertinent et aller dans le même sens que ma propre démarche. Sa belle analyse de mon ouvrage « Accompagner… » acheva de me convaincre et j’entrais en contact avec elle au moyen d’un commentaire sur un de ses articles. Depuis, je lis avec attention toutes ses productions, toujours bien présentées et dans le droit fil de ce que j’aimerais faire moi-même. Je suis heureux de voir que des jeunes, pas spécialement formés à la gestion mentale, peuvent avoir des intuitions tout à fait convergentes avec notre approche humaniste. Dans le domaine de l’accompagnement scolaire, qui est devenu un véritable marché avec toutes les dérives mercantiles que l’on connaît, cela n’est pas aussi courant et vaut bien qu’on le souligne. Il y a tellement à faire et toutes les bonnes volontés sont à promouvoir ! Voici donc un lien qui vous donnera accès à l’ensemble de son site. Il fourmille de propositions, vous y trouverez surement des réponses à vos questions ou des pistes à explorer.

vendredi 10 mars 2017

107 - Orientation professionnelle et idéal de soi.

Pendant le stage sur la compréhension dont je rends compte dans mon message précédent, un élève a témoigné de ce qu’il était davantage motivé pour son travail quand il pensait à ce qu’il voulait faire de sa vie plus tard. Même si cette idée était vague encore pour lui, il savait qu’il avait l’ambition de faire quelque chose d’intéressant, même en sachant que ce serait sans doute difficile. J’ai, bien sûr, relevé cette intervention très pertinente, en montrant aux élèves que leur projet d’orientation professionnelle (et pas seulement le choix de la série du baccalauréat, qui n'est qu’une étape à très court terme d’un projet qui doit viser beaucoup plus large et plus loin), constitue comme l’étoile qui leur montre le chemin à suivre et justifie leurs efforts d’aujourd’hui. Mais il faut pour cela avoir le souci d’entretenir cette projection imaginaire de long terme. Et c’est bien un des enjeux de la classe de seconde que de travailler à concrétiser le mieux possible ce projet d’avenir, cadre plus global qui oriente et entretient leur projet d’apprendre au quotidien. J’ai d’ailleurs mis le professeur principal en contact avec l’antenne bordelaise de la fondation  JAE :   https://www.fondation-jae.org/
Cette fondation propose des outils très pertinents d’aide à la construction d'un projet professionnel pour les jeunes. J’ai longtemps travaillé, sans jamais le regretter, avec ses représentants girondins. Ils font vraiment un excellent travail en ce domaine.

Mais au-delà de l’aspect matériel de cette recherche (BDI, CIO, forum des métiers, logiciels divers…), il ne faut jamais oublier le projet de sens fondamental qui doit la conduire et lui donner sa juste finalité : l’idéal de soi que chacun est appelé à projeter dans l’avenir. Dans ma carrière professionnelle, j’ai longtemps fait fonction de conseil en orientation pour les jeunes de mon lycée. Cette question de l’idéal qui sous-tend toute démarche de construction d’un projet professionnel est, à mes yeux, au moins aussi importante que tout le matériel que l’on peut mettre à la disposition des jeunes (ce qui reste évidemment indispensable). « Qui veux-tu être ? » au moins autant que « Que veux-tu faire ? ». Le second doit découler du premier, en être comme l’incarnation, sans quoi la recherche va se baser exclusivement sur les limites, les imperfections actuelles (et tellement provisoires !), ou les difficultés ponctuelles constatées dans les conseils de classe… Bonjour l’ambiance ! Bonjour l'anticipation d'un avenir radieux !

J’ai donc été particulièrement heureux de retrouver cette approche dans un article du monde ce matin. Boris Cyrulnik y rappelle la dimension du rêve (je dit l’idéal…) indissociable de la question de l’orientation professionnelle, en la considérant dans le contexte actuel de notre société.





mercredi 8 mars 2017

106 -Périlleuse autonomie ! Le geste de compréhension pour aider les adolescents à y accéder !

Pendant le dernier stage sur la compréhension avec une classe de seconde de méthodologie, j’ai abordé le thème de l’autonomie intellectuelle. Cette année j’ai dû solliciter plus que d’habitude, et même provoquer ces jeunes pour leur faire prendre conscience de ce que l’on attendait d’eux. Tous les ans dans cette classe, on s’étonne de la passivité et du manque d’activité intellectuelle de ces jeunes. Je réalise à chaque fois combien ils demeurent dans une attitude de réception passive et dans un projet de stricte restitution enfantine de ce qui leur est transmis, dont au mieux ils ne comprennent qu’une très faible partie. Leurs copies sont le reflet de ce marasme et font la désolation de leurs professeurs. Voici donc comment je m’y suis pris cette année pour réveiller leurs « fonctions cognitives » endormies et les ouvrir à une véritable autonomie intellectuelle.

Dans les deux stages précédents j’avais montré aux élèves ce que « être attentif », « mémoriser » et « réfléchir » voulait dire, avec une application sur ce que « lire veut dire ». En somme je leur avais montré quelles étaient les véritables buts de leur scolarité lycéenne et en quoi ils différaient de ceux du collège. Je pensais les retrouver en ce début du mois de mars un peu dégourdis sur ces sujets. Les premiers échanges me ramenèrent à la réalité : ils n’avaient intégré que peu de choses de ce qu’ils avaient pourtant semblé découvrir avec intérêt depuis septembre. J’ai donc consacré beaucoup de temps à réactiver ces contenus et notamment le geste de réflexion.

Puis je me suis efforcé de leur faire découvrir progressivement les étapes d’une compréhension approfondie, celle qui permet de transférer ce qu’ils apprennent dans des réflexions et des expressions organisées telles qu’on les attend dans les productions lycéennes. Nous avons étudié en détail les quatre étages d’une fusée imaginaire destinée à l’exploration de l’univers du sens (j’ai rajouté un étage à la fusée modèle 2016 (message 84 et message 95), l’obsolescence survenant très vite dans l’industrie spatiale… : je voulais faire une place plus spécifique à l’activité de comparaison que, dans le modèle précédent, j’avais associée au premier étage de l’évocation. Il est vrai que ces deux actions sont très liées dans le geste de compréhension, mais on peut être tenté dans la précipitation de supprimer la seconde) :

1.       Le premier étage consiste à évoquer le mieux possible l’objet à comprendre, avec plusieurs allers-retours dehors – dedans.

2.       Le deuxième étage consiste à comparer (considérer une chose avec une autre) les évocations produites et la chose à comprendre, pour en tirer des similitudes et des différences. À ce stade, on peut également pratiquer des comparaisons avec un acquis mémorisé et qui paraît proche, avec qui on peut également établir des rapports de toutes sortes. On comprend une chose (on la « prend avec » une autre) en la confrontant à une autre déjà comprise, en effet  « nous ne savons pas penser une chose seule » (Michel Serres).

3.       Le troisième étage consiste à capter dans la chose à comprendre  « ce qui va dans notre sens » comme l’a dit si justement Agathe, une des stagiaires. Antoine de La Garanderie disait : « on n’entend que ce qu’on attend ». On ne comprend que ce que l’on s’attend à comprendre dans la chose considérée. En chacun de nous, cette attente de sens privilégiée est devenue une habitude, elle constitue une véritable « tendance » qui dirige inconsciemment notre compréhension. Les élèves ont alors découvert deux directions prioritaires de cette compréhension spontanée : l’explication ou l’application. L’explication, le « pourquoi » des choses, correspond à la démarche démonstrative, le raisonnement inductif, la recherche de causalité ou d’origine : elle est de nature abstraite. L’application correspond aux champs d’application, le « pour quoi » faire,  aux usages possibles dans un avenir (à imaginer), aux conséquences, à la démarche déductive : à ce niveau, elle aussi est abstraite ; mais l’application concerne aussi le « comment faire», le mode d'emploi, la manière de faire fonctionner la chose à comprendre. Elle est l'objet des exercices : elle est alors plus axée vers le concret et elle est plus immédiate.

On constate que ces demandes de sens n’ont pas la même intensité selon les personnes, et parfois même elles n’existent que de façon exclusive. La grande majorité des jeunes de cette classe se sont reconnus dans un unique projet d’application dans son aspect concret : en cours ils attendent patiemment que le professeur "en vienne enfin aux choses sérieuses", c’est-à-dire à la pratique des exercices, au "comment faire". Par ailleurs, la projection dans un imaginaire de réemploi, de finalisation, reste très éloignée de leurs préoccupations… On comprend mieux alors leur passivité pendant les démonstrations, toutes les explications données par leurs professeurs… et qui constituent souvent l’essentiel des cours dans certaines disciplines (ou des stages...).

4.       Enfin,  le quatrième étage est celui où l’on dépasse les limites des tendances ou habitudes spontanées de compréhension pour accéder à une compréhension plus consciente, plus complète, réfléchie, approfondie et volontaire, la seule qui permette des transferts réussis et donc la réussite au lycée. C’est la tête "pensante" de la fusée, celle qui permet une pleine possession du sens de l’objet à comprendre. Les cinq questions de la compréhension permettent en effet l’analyse, la séparation de l’objet à comprendre en ses éléments constitutifs, et par là l’extraction de la totalité de ses sens, de sa "teneur de sens" (selon Astrid, une autre stagiaire), c’est-à-dire son essence même. Certains élèves prétendent vouloir retenir l’essentiel de leurs cours, mais en donnant à ce terme un sens bien plus réducteur, en général "ce qui leur saute aux yeux", ce qui est le plus "évocateur" et concret le plus souvent... Avec les Cinq questions, ils trouvent  le moyen d’accéder au mieux au sens de ce qu’ils apprennent, bien sûr selon leur "niveau de développement actuel" (Vygotsky)... que la mission de l'Ecole est toujours d'aider à dépasser. Différents exercices ont permis aux jeunes d’accéder à ce dernier étage, le plus dense et le plus dérangeant pour eux.

Et c’est là que nous arrivons au point culminant de ce stage : l’accès à l’autonomie intellectuelle. Informés qu’ils sont désormais des étapes et des moyens de l’activité mentale nécessaire à leur compréhension, les élèves ne peuvent plus s’abriter derrière de faux prétextes pour éviter de passer à l’action. Ce ne sera plus la faute des autres si leur travail est improductif, s’ils n’obtiennent pas les résultats désirés et s’ils en viennent à baisser les bras. Ce ne sera pas non plus de leurs capacités dont ils auront à douter : ils connaîtront la nature de l’obstacle et ne pourront que constater, s’ils refusent de sauter, qu’ils en sont entièrement responsables. Cette connaissance nouvelle les confronte  à un choix difficile. Jusqu’à présent, ils pouvaient se voiler les yeux et se satisfaire, plus ou moins confortablement, d’un refus de grandir, de quitter la bulle douillette dans laquelle ils s’étaient habitués à vivre. Ils se trouvent d’ailleurs souvent encouragés dans cet état de marasme par un environnement familial inquiet et surprotecteur, ou quelques professeurs particuliers payés pour leur faire entrer dans la tête les contenus non compris, par petites bouchées le soir à la maison... : pourquoi alors faire des efforts dans la journée pour essayer de comprendre seuls ("ça prend la tête"...) pendant les cours ?

Pour les aider à réaliser l’état psychique dont je les appelais à sortir, je leur ai raconté un rêve fictif que j’aurais fait la nuit précédente. Un cauchemar en réalité. Je me trouvais dans une forêt profonde, au centre d’une clairière, entouré d’adolescents apparemment furieux et grimaçants qui me menaçaient de leurs longs crayons bien aiguisés ou de leur stylo bien pointus. Ils me reprochaient durement de les avoir instruits de ces réalités qui les délogeaient de leur confortable irresponsabilité. J’avais peur et je me disais : « De quoi te mêles tu donc de venir les déranger dans leur confortable endormissement ? Pourquoi donc leur as-tu révélé ces secrets qui les dérangent à ce point ? » Je leur expliquais alors que ce qui se passait en eux était très compréhensible. Ils étaient animés d’un double sentiment  : d’un côté l’envie de rester dans leur état d’enfance, protégés de tout risque et de toute responsabilité, de l’autre côté un attrait diffus pour le chemin escarpé mais combien plus épanouissant de la découverte intellectuelle et du risque de penser par soi-même. Ils étaient, en ce moment même du stage, placés devant ce choix vital qu’eux seuls pouvaient trancher :
-          Soit se lancer dans le long cheminement qui les amènerait à l’âge adulte (ad ultum = celui qui est arrivé au terme de ce cheminement).
-          Soit rester encore quelque temps dans leur illusoire tranquillité et continuer à se morfondre et à se désoler de la dégradation de leur propre image.

Le lourd silence qui régnait et leurs yeux rivés sur moi pendant que je leur parlais m’ont indiqué que mes paroles avaient un écho dans le cœur de ces adolescents. Le reste du stage a confirmé cette impression, par l’engagement et la qualité de l’activité mentale mise en œuvre dans la compréhension approfondie (le protocole de cette séance est détaillé dans le message 98) d’un cours sur le Romantisme, son analyse précise et complète, et la synthèse qui en a été la preuve apparente, dans un petit exposé rapide fait à la classe sur tirage au sort.

Quelques phrases significatives extraites des bilans de fin de stage :
Pour comprendre ; il faut comparer, analyser,  et ce n’est pas grave si l’on ne va pas vite, et retenir pour m’en resservir après. Ma motivation a changé.
J’éprouve de la fierté : je suis plus fier de moi. Je retiens qu’il faut synthétiser mes réponses et non mettre tout ce que je sais. J’ai envie de travailler, j’ai retrouvé la motivation.
Je veux plus travailler, je suis plus motivée pour continuer mes efforts. Je suis contente car j’ai appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas sur moi-même. Oui ce stage a répondu à toutes mes difficultés pour le manque de concentration et de compréhension des énoncés.
Je me sens motivée pour y arriver et passer ma seconde en focalisant sur les cours et pas sur autre chose. J’ai plus de facilité pour apprendre et comprendre les textes et  les consignes.
Je pense être un peu plus claire, concentrée et avoir une meilleure réflexion. J’ai plus envie de travailler
J’ai retrouvé la motivation au travail,  j’ai compris que je travaillais pour apprendre à résoudre des problèmes. Pour m’améliorer je vais plus anticiper.
Pendant ce stage je me suis découverte intérieurement. J’étais une fille de moins en moins motivée dans mon travail car je ne comprenais pas à quoi ça me servait. Mais je me suis rendu compte que ça me servira pour mon futur mais aussi pour répondre aux questions demandées.
Je suis plus motivé pour travailler, réussir pour plus tard. Je pense que ce stage m’a aidé à ouvrir les yeux, et à me mettre au travail.
Motivation. Confiance. Je pense avoir un sentiment d’accompli et le sentiment d’avoir grandi. J’ai appris à évoquer, à ne faire qu’une chose à la fois, à moins me précipiter, à plus m’écouter. Ce stage répondait à mes difficultés car il m’a fait reprendre confiance en moi
Je retiens que pour comprendre il faut que je me pose les bonnes questions, et que si je suis lente c’est parce que comprendre est quelque chose de long. Je me sens plus capable de réfléchir et de comprendre.
Ce qui a changé c’est ma façon de penser, je sais maintenant comment je dois lire les textes, comment je dois les analyser pour les comprendre. Ce que je retiens pour m’améliorer c’est la façon dont il faut apprendre en se demandant à quoi va pouvoir resservir ce que j’apprends et comment le retrouver au bon moment.
J’ai de nouveaux moyens pour mieux comprendre, j’ai développé de nouvelles capacités. Je vais moins me précipiter, prendre du temps pour comprendre un cours et lors des devoirs à la maison.

Ce qui a changé c’est ma pensée, mes méthodes et ma confiance en moi-même. Je suis plus confiante, plus motivée. J’ai trouvé comment reprendre confiance en moi avec des méthodes de compréhension.

mercredi 15 février 2017

105 - Savez-vous "parler l'explicite" ?

Voici le compte rendu d'une première journée de formation avec des bénévoles qui pratiquent «l'accompagnement à la scolarité » dans un centre social proche de mon domicile. Malgré leur très bonne volonté et leur total engagement au service d'une meilleure justice vis-à-vis d'enfants en difficultés scolaires, ils ont beaucoup de mal dans cette tâche ingrate. Ayant déjà travaillé avec une équipe du même genre dans un autre quartier de Bordeaux, j'ai été contacté pour leur apporter quelques éclairages sur l'apprentissage à l'école. J'ai décidé de focaliser ce travail sur ce qui me paraît de plus en plus être le point décisif d'une aide efficace : la formation de bons projets mentaux chez les élèves. J'ai donc construit un programme autour des apports de la gestion mentale et des neurosciences tirés du livre de Jean-Philippe Lachaux, dont j'ai déjà rendu compte dans mon message précédent. Voici le compte rendu de la journée.

Compte rendu de la journée de formation
Centre Social le PUZZLE - 10 février 2017


Le thème : accompagner à la scolarité

Introduction.
L’accompagnement scolaire consiste souvent à « apprendre à apprendre » aux enfants que l’on accompagne.

Pourquoi faut-il apprendre à apprendre ?
Apprendre est une capacité de tout être humain depuis le début de la vie. Mais cet apprentissage « naturel » s’exerce sur des contenus concrets et familiers. Les processus qui y sont mis en jeu sont implicites.

Dans l’apprentissage scolaire les contenus sont essentiellement abstraits : codes, symboles, vocabulaires spécifiques, mots et définitions abstraits… Cela représente un seuil important pour beaucoup d’enfants, par ailleurs intelligents mais dont les processus « naturels » peuvent être pris en défaut, surtout si un accompagnement familial préscolaire ne les y a pas préparés. Il est donc important de pouvoir aider ces enfants à prendre conscience des capacités d’apprendre qu’ils possèdent mais qu’ils ne connaissent pas, de les aider à les découvrir et de les rendre explicites tout en les adaptant  aux contenus scolaires sur lesquels ils éprouvent des difficultés.

Avec quoi apprend-on ?  Avec son cerveau. Que savons-nous actuellement du cerveau et de ses capacités d’apprentissage ?

Bref historique du cerveau humain. Notre cerveau  a conservé des éléments toujours actifs des différentes étapes de notre évolution : reptile (survie), mammifère (affectivité), homo sapiens (connaissance)... avec  le  stade le plus récent,  le « 4° cerveau » : celui où se forment, plus ou moins consciemment,  nos intentions, nos anticipations.  Ces différentes couches cérébrales travaillent  toujours ensemble et il ne faut jamais les négliger, surtout les plus anciennes qui font parfois de la résistance devant l’apprentissage.

Le cerveau et l’apprentissage.
Par différents exercices, nous avons mis en évidence  quatre notions fondamentales indispensables pour comprendre ce qui se passe dans un apprentissage scolaire :

  • Nous avons tous la possibilité de former dans notre tête des images, comme des photos ou des petits films, d’entendre des sons et de nous parler à nous-mêmes, également d’effectuer des mouvements comme par exemple dessiner ou écrire « en pensée ». Pour la commodité du langage nous appellerons ces productions mentales, des évocations. Nous ne pouvons pas observer directement l’activité des neurones (activité neuronale). Mais nous pouvons « récupérer » et mettre à jour l’activité mentale qui y est associée et dont les évocations sont les contenus.

  • La partie avant de notre cerveau (le cortex préfrontal) est le siège de nos intentions. C’est là que nous  anticipons et programmons les actions que nous projetons de mener. J.Ph. Lachaux[i] appelle les neurones de cette partie du cerveau : les « neurones-chefs ». Ils organisent dans les autres parties du cerveau le travail des différents réseaux neuronaux nécessaires à la réalisation de nos projets. Cette activité de programmation de l’action n’est pas toujours consciente dans l’apprentissage naturel. Dans l’apprentissage scolaire, il vaut mieux qu’elle soit explicitée. Elle peut prendre du temps à se former et peut faire l’objet d’un accompagnement spécifique, d'une pédagogie adaptée. On pourrait rapprocher ce qui précède de l’étymologie du mot apprendre, formé de deux racines latines : AD qui signifie « pour un but … », et « prendre » qui signifie effectuer le travail nécessaire pour atteindre ce but (« mettre dans  sa tête »  des objets ou un dessin, prendre connaissance d’un texte, prendre des notes dans un cours pour les retrouver plus tard…). AD correspond à l’intention, au projet formé plus ou moins consciemment (mais explicitable), dans le cerveau préfrontal (le but indiqué par un « neurone-chef »),  et « prendre » correspond à l’activité des autres réseaux de neurones (activité inobservable directement, mais explicitable au niveau de l’activité mentale  associée).

  • Mais nous ne pouvons mener efficacement  qu’une seule intention à la fois.

Ø  Intention fausse, projet inadéquat = travail inefficace = échec.

  • Notre activité mentale change en fonction de nos intentions : lire un texte pour compter les voyelles ou pour le comprendre n’entraîne pas la même production mentale.

Ø  Il est donc important de s’assurer que l’intention formée par un enfant dans son travail est bien formée et qu’elle est le plus possible en rapport avec la tâche à réaliser ou l’attente du professeur (qu’il faut donc connaître…).

Description de ce que l’on appelle « le projet mental ». Le terme intention est vague, et ne suffit pas toujours à définir ce qui est à faire concrètement dans une tâche. Celui de projet mental  convient mieux à l’apprentissage : il s’agit d’avoir une conscience précise et concrète du but que l’on se donne (but pour soi) et de la façon dont dans on se propose de l’atteindre : « Qu’est-ce que je me propose de faire ?» Et aussi « comment je me propose de le faire ? ».
Remarque : Si l’enfant bute sur la question : « pourquoi faut-il que je le fasse ? » et qu’il ne peut y donner de réponse valable à ses yeux, il faudra passer du temps à l’aider sur ce point. La question du sens de l’école fait partie de l’accompagnement à la scolarité. Ne pas chercher toujours des réponses dans la vie concrète (« faire des maths ça sert à faire ses courses… »). Chaque tâche scolaire a une finalité dans l’ordre de la scolarité elle-même, à court ou moyen terme, telle que l'enfant peut se la représenter concrètement. Exemple : j’apprends cette poésie pour pouvoir la réciter correctement en classe et avoir ainsi une bonne appréciation du professeur. Bien sûr, au-delà, c’est pour meubler ma mémoire de textes qui feront « culture », c’est-à-dire un stock de références littéraires, de structures de phrases, de vocabulaire… qui me permettront d’augmenter mes moyens d’expression dans la langue française.  Au-delà encore, la discussion sur les finalités de l’école pourra porter sur le perfectionnement de ses moyens de communication orale, écrite, l’apprentissage des langages codés des différentes disciplines, sa compréhension du monde, son intérêt pour mieux vivre en société, augmenter ses capacités d’intelligence,  de réflexion  =  augmenter les capacités de son cerveau… C’est un sujet délicat mais que l’on a toujours intérêt à ne pas éluder si la question est posée par l’enfant. Le demande de sens est prioritaire chez tout être humain, particulièrement chez les enfants .

Apprendre à « parler l’explicite ».
Le but de l’accompagnement de l’apprentissage scolaire pourrait donc se résumer à aider l’enfant à former des projets mentaux ajustés le mieux possible aux attentes de l’école.

Chaque acte de la scolarité doit pouvoir être décrit de façon explicite  pour que l’enfant puisse former convenablement  son projet dans son travail :
  • Être attentif =  évoquer = former des images mentales, ou se faire des commentaires, ou les deux manières combinées (non, ça ne mène pas dans la lune !)… etc. à partir de ce qui est donné à voir, à entendre ou à toucher, etc. Transformer un objet extérieur en objet mental « dans ma tête ».
  • Comprendre  =  préciser, compléter ce contenu évocatif jusqu’à sa parfaite fidélité à l’objet perçu (extérieur), ce qui se réalise par des comparaisons successives entre ce qui est évoqué (dans ma tête) et ce qui est perçu (dehors). Au-delà de cette première étape, incontournable, la chose à comprendre peut être questionnée de différentes façons : pourquoi est-elle comme ça ? Comment fonctionne-t-elle ? Avec quoi puis-je la comparer que je connais déjà ? Etc. nous étudierons ces différents projets de sens dans la suite de la formation.
  • Mémoriser =  transporter par la pensée dans un avenir de réutilisation ce que l’on a mis dans sa tête par l’attention et la compréhension. Par exemple, un enfant étudie une poésie. L’accompagnateur vérifie qu’il l’a bien « mise dans sa tête » en la lui faisant réciter « ici et maintenant ».  Mais il faudra aussi l’aider à la transporter par la pensée dans le scénario de la récitation en classe : « peux-tu imaginer la classe, la maîtresse, les camarades etc…. Et dans ce cadre imaginaire tu te récites la poésie comme si tu étais en classe. » Une certaine excitation peut gagner l’enfant qui vit ainsi à l’avance une situation de réussite : sa mémoire en sera bien évidemment renforcée (émotion positive).

Conclusion de la journée.
Chaque participant a été invité à revisiter ses pratiques à la lumière de ces notions fondamentales. Lesquelles visent à susciter l’activité mentale des enfants ? Lesquelles ne s’adressent qu’à leur activité externe ? Un participant a donné un exemple où il a lui-même appris la poésie sous la direction et le contrôle de l’enfant qui renâclait à le faire : à la fin du travail l’enfant savait sa poésie. Pendant tout l’exercice, il était en activité mentale de comparaison entre ce que disait l'adulte et le texte à apprendre.

Proposition toute simple. Au début d’une séance d’accompagnement, on fait raconter un événement de la journée par un enfant, ce qui est très bon. Mais MIEUX ENCORE : en faire un véritable rituel en lui donnant un enjeu amusant (une sucette, un « premier  prix », une médaille en chocolat…). Sachant qu’il aura à raconter avec des détails un événement de sa journée, l’enfant fera plus attention et mémorisera ce qu’il fait en classe pour pouvoir le raconter plus fidèlement. Toujours un « pour... » qui donne une ouverture, une perspective, un sens à ce que l’on fait maintenant… par rapport à ce qu’on se propose d’en faire après.

Lors de la prochaine journée, le 31 mars, nous passerons un moment à analyser la manière dont chacun s’est approprié cette première journée de formation avec des exemples de mise en pratique. Nous étudierons ensuite l’activité mentale consistant à réutiliser des connaissances apprises précédemment dans les activités d’exercices ou de résolution de problème, c’est-à-dire lors des contrôles.

14 février 2017. Guy Sonnois




[i] Voir son livre « Les petites bulles de l’attention ». O. Jacob

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...