mardi 20 mars 2018

119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !


J’ai fait part dans mon message 117 de mon étonnement, de ma tristesse et d'une certaine colère, en constatant combien les jeunes que j’accompagne en début de lycée se sont depuis longtemps détournés de l’activité de compréhension lorsqu’il s’agit d’objets scolaires à apprendre, ce qu’ils font (quand ils le font encore …) sans aucun  plaisir, et bien sûr sans aucune efficacité. On comprend mieux alors qu’ils se détournent d’un apprentissage qui  leur procure aussi peu de satisfaction intellectuelle.

Je raconte comment ces ados de 15 -16 ans ont été surpris et très intéressés par l’exemple que je leur ai donné en guise d’ introduction du stage consacré à la compréhension approfondie (les 5 questions), nécessaire à tout transfert ultérieur de leurs connaissances. Je leur ai cité l’explication de la règle d’orthographe* « m devant m-b-p », que j’avais trouvée dans l'excellent blog « Azraelle au CE2 » (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87145520). Leur réaction a été immédiate et unanime, presque agressive : « Pourquoi ne nous a-t-on pas expliqué ça plus tôt ? J’aurais tellement aimé travailler de cette façon ! ». Et aussi : « J’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher à comprendre, mais ça ne m’intéresse pas du tout ! ».

Du comportement si naturel du jeune enfant avec ses « pourquoi ? », les années d’école et de collège les auraient ainsi fait passer à un « comportement appris » d’application sans questionnement ni discussion de ce qu’ils apprennent (si mal, du coup).  « Fais ce qu’on te dit, ne cherche pas à comprendre ! Tu m’ennuies avec tes questions ! » Et l’enfant s’habitue à ne plus chercher à comprendre… à l’école.  « Une règle c'est une règle point ! Il n'y a qu'à l'appliquer ! *», me rétorque-t-on chaque fois que j’aborde cette question en stage d’adultes. Ou " Ils sont trop jeunes pour comprendre ces explications !" Surtout si l’adulte les ignore lui-même ! Alain, le philosophe également enseignant, ne disait-il pas  : «  Pour enseigner il faut supposer chez l’enfant toute l’intelligence du monde » ?

Le reste du stage a été pour ces jeunes  une découverte vraiment « révolutionnaire », la découverte qu’ils  pouvaient investir leur intelligence dans leur apprentissage, qu’ils  pouvaient s’autoriser à comprendre ce qu’ils apprenaient, sans forcément attendre que la lumière leur soit donnée de l’extérieur. Bien sûr la "machine à comprendre" est encore un peu rouillée, mais leurs témoignages de fin de stage, la lumière dans leurs yeux, leur redressement physique même, étaient des signes évidents que ces jeunes s’étaient réveillés et remis en route après tant d’années d’anesthésie intellectuelle.

J’ai voulu en savoir un peu plus sur les raisons d’un tel marasme et je me suis demandé comment on apprenait aujourd’hui ce genre de règles en primaire et au collège, en partant de l’exemple d’Azraelle,  de niveau CE2. J’ai donc consulté sur Internet tous les sites qui en faisaient état. Je n’ai pas été déçu : on trouve en abondance, sur les blogs spécialisés ou les sites officiels, des fiches-leçon, des exemples, des exercices et même des évaluations.  Le résultat est à la hauteur de mes craintes : AUCUN de ces sites (hors celui d’Azraelle) ne fournit ne serait-ce qu’une tentative d’explication rationnelle de cette règle.

 Pourtant, leurs auteurs rivalisent d’imagination, de couleurs (Ah ! Les couleurs …ça explique tellement bien !), de schémas avec des flèches, des ronds et des carrés, de dessins, de figurines plus ou moins humoristiques, de fiches standard  ou « à manipuler » (géniales certaines !), de jeux, de moyens mnémotechniques les plus insolites… jusqu'à  des vidéos et même un film d'animation...Quel boulot ! Ils sont vraiment admirables, ces professeurs des écoles ou leurs formateurs, d’acharnement, d’inventivité et de temps passé ...bénévolement... pour essayer de faire entrer cette règle dans le crâne de leurs jeunes élèves. Mais quand l'essentiel est perdu de vue, les moyens s'accumulent sans fin... Voici une petite sélection  de mes trouvailles (j’ai conservé les plus élaborées) :

Des fiches de leçons, données en modèles…

Des jeux…

Des poissons et des monstres

Des fiches animées , appelées « lecons à manipuler (LAM) »  (quel travail !) :

Des exemples à profusion…

Des efforts « d’innovation » (Ah ! Ah ! mon intérêt s’éveille !) pour « donner du sens » : la famille à la rescousse… Papa-Maman-Bébé …

Des vidéos, avec grands sourires enjôleurs…, voix lentes…, syllabes bien détachées (on doit mieux comprendre quand c’est lent…), des « je m’explique » mais sans la suite attendue…, Jusqu’au recours à « l’allergie » qu’éprouverait le « n » pour ses voisines « m-b-p »…et même une petite attention pour les « visuels »  (Ah ! la gestion mentale…c’est si simple !) On trouve vraiment de tout, avec des feutres, des tableaux, des petites ampoules (la lumière…ça aide à comprendre, non ? Euréka !):

Même un petit film d’animation (quelle patience !…pour le regarder jusqu’au bout...dans l'attente - vaine - de l'explication espérée...) :

Jusqu’à la presse qui s’en mêle (ou qui « s’emmèle », avec M devant m…) !

Et le poMpon (mais pas le boNbon… ! Tiens au fait, pourquoi ?) :
On trouve aussi à profusion des modèles d’exercices et d’évaluations : de toutes les sortes, de tous les formats, de toutes les longueurs, avec même des dictées spéciales…

Là, je trouve un modèle d’évaluation dont la première question débute par: « Explique pourquoi… : » Ça y est ! Je suis enfin au bout de mes peines ? Je vais voir la fiche-leçon  qui correspond  pensant y trouver enfin l’explication tant espérée… Déception ! Il n’y a rien…. L’explication (en fait il s’agît plutôt d’une « justification »….mais on na va pas chipoter sur les mots, n’est-ce pas ? on est à l’école quand même !) est à la seule charge de l’élève…à qui l’on n’a pourtant rien expliqué ! Et cela,  à 7- 8 ans… dans le stress d’un de ces moments forts de l’apprentissage si prisés des Inspecteurs… Chapeau ! Il fallait y penser !


La leçon (pas expliquante du tout) :

Poursuivant  ma recherche je tombe quand même sur une page intitulée : « La langue française et ses caprices » :

Chance ! Ça démarre très bien. L’auteur semble aller dans mon sens avec sa première phrase : «Si jamais votre enfant vous demandait pourquoi il doit écrire certains mots avec un N et d’autres avec un M, que lui répondriez-vous? » Je crois tenir enfin mon Graal ! Las ! D’explication, d’origine, il n’est nullement question. L’auteur énumère un certain nombre de recherches dans de vieux manuels savants avant de donner sa langue au chat : « Il doit pourtant y avoir une raison pour laquelle ces  n sont devenus des m.  Mais personne n’en souffle mot. » Ça c’est bien vrai et j’en fais foi ! Et ça  ne date donc pas aujourd'hui  ! Alors l’auteur se contente d’expliquer … toutes les exceptions à la règle !

Je me tourne alors vers des sites « extrascolaires ».  Peut-être seront-ils  plus explicites sur le pourquoi du comment… Un début d’explication m’est aussitôt fourni par « Pourquois.com » (intéressante, l’orthographe de ce mot... invariable ! Heureusement les enfants ne lisent pas ce genre de site...ils ont tellement d'autres occupations sur internet...). On y trouve un début d’explication par le passage du latin au français,  et la transformation de syllabes latines en diphtongues françaises…mais ça reste un peu vague et surtout difficile à exploiter en CE2.

Enfin, un site, québécois (c’est vrai que vis-à-vis de leur langue d’origine, nos amis canadiens ont su garder un certain respect et peut-être conserver quelques secrets que, trop sûrs de nous, nous aurions perdus…). J'y trouve une explication plus explicite à partir de la phonétique, avec la distinction des consonnes nasales et labiales, et lui aussi fait référence au latin :

Et c’est tout !

Finalement, la seule fiche-leçon qui fournisse à la fois l’origine exacte et simple de la règle et son exploitation  judicieuse avec des enfants, c’est donc Azraelle qui la propose au prix d’une recherche personnelle… que tous les autres auraient pu mener en s’en donnant juste la peine : il m’a fallu deux clics ( en tout cas c'est bien  moins chronophage et plus efficace que des vidéos ou des films d'animation...).  Azraelle précise ainsi la raison qui l’a poussée à aller plus loin que ses collègues: « Voilà, tous les ans je me prends la tête sur cette règle que tous les élèves connaissent par cœur... sans jamais l'appliquer !»  

Et elle indique plus loin, dans les commentaires : «  Mes élèves ont été très réceptifs à ces explications, ils se sont appliqués à prononcer les lettres en faisant attention à la position des lèvres. Ils avaient l'air convaincus »(des élèves " acteurs" de leur formation ?) et encore : « Je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD ! » Tant il est vrai, aujourd’hui comme hier, qu’"un ordre (ou une règle…) dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre (une règle…)  subi à contrecœur, sera saboté inconsciemment ou non ! » Vieux principe de commandement, parfaitement applicable à nos "chères têtes blondes...ou pas".

On notera que la fiche d’Azraelle n’est pas surchargée de schémas, de couleurs, de personnages plus ou moins drôles **, pas d’animaux bizarres, ni de poissons ou de méchants monstres, pas non plus de trains et de chef de gare, toutes choses destinées à séduire plus qu’à convaincre. Une explication rationnelle, facilement assimilée par des enfants, lui suffit pour atteindre son objectif, avec en prime l’intérêt et l’amusement de ses élèves (et de mes ados, donc). Elle "prend" ses élèves  par l'intelligence***, pas par la séduction. 

Bravo à vous, Azraelle ! Il ne reste plus qu’à souhaiter que vous fassiez largement école dans votre futur métier de formatrice. Certes, il y a toujours eu des professeurs qui, comme vous, cherchent à  éveiller, à stimuler la curiosité naturelle de leurs élèves. Mais il faut qu'ils soient de plus en plus nombreux. A quelques réactions portées à ma connaissance, ils semble que d'autres professeurs expliquent comme vous la règle à leurs élèves… quand ils en connaissent eux-mêmes la raison (après avoir consulté votre fiche ?). Certains me disent qu'ils le font, mais qu'ils ne pensaient pas nécessaire de l'indiquer dans les fiches qu'ils mettent en ligne. Je m'en  réjouis. Mais alors pourquoi abonder autant dans l'application, les exemples, les évaluations… et si peu, voire pas du tout dans l'explication ? Serait-ce considéré comme secondaire ? Alors que c'est si fondamental pour tant de personnes ! Et si, pour certains, "cela va sans dire"... disons leur que "ça va aussi bien (et même beaucoup mieux...) en le disant" !
A l'heure où l'intelligence artificielle s'annonce comme la prochaine révolution de nos vieilles civilisations, il est plus que jamais nécessaire de stimuler et de développer, en premier lieu à  l'école,  celle si naturelle de nos enfants. 

En tout cas, en attendant,  vous m’avez bien aidé à débloquer une classe de seconde qui s’est remise, en partie grâce à vous, à espérer atteindre le sens de ce qu’on apprend au lycée. Et de cela, je tiens à vous remercier tout particulièrement.

* Une règle à toujours une histoire ou une explication. Il n'y a que les postulats qui n'en ont pas. Et il n'y en a pas tant que ça dans les programmes scolaires...

** Je donne généralement aussi d'autres exemples, celui de l'origine de l'orthographe du mot "bathyscaphe" (et il y en a tellement d'autres...), celui de la règle d'accord des participes passés employés avec être ou avoir, celui du théorème de Pythagore ou encore celui des identités remarquables... On les trouvera détaillés dans "Accompagner le travail des adolescents...", pages 212-228. Mais celui d'Azraelle, que j'utilisais pour la première fois, est plus rapide et son effet est immédiat ! En plus il est plus "ancien" que les autres dans l'histoire personnelle de ces jeunes et il les renvoie au plus loin de leurs souvenirs de difficulté scolaire... Et donc il est bien plus "percutant" !

***Juste une image d’Astérix… Normal pour une règle qui nous vient des Romains… Mais notre petit gaulois national n’a donc pas tout envoyé en l’air, comme il le faisait si allègrement des malheureux  légionnaires de Jules César ! Dommage, penseront  peut-être quelques écoliers… ou d’autres.

**** Dans " La formation de l'esprit  scientifique" G.Bachelard cite un auteur ancien : "Un homme qui raisonne, qui démontre  même, me prend pour un homme, je raisonne avec lui, il me laisse la liberté de jugement et ne me force que par ma propre raison. Un homme qui crie " voilà  un fait " me prend pour un esclave".

samedi 17 mars 2018

118 - Compréhension Maths : La corde à 13 noeuds !

Je trouve sur le net cette video "Cours de mathématiques au Château : la corde à 13 noeuds" qui va bien dans le sens de la fiche d'Azraelle (m devant m-b-p),  sur la compréhension expliquante, cette fois à propos de quelques éléments de Mathématiques... Mais aussi pour une compréhension d'éléments abstraits appuyée sur du paramêtre 1, celui des évocations concrètes, démarche normale de l'abstraction...

Notez l'origine du mot "multiplier" du la latin " multi-plicare (multiplication...) = plier plusieurs fois la corde à 13 noeuds....  à rapprocher de l'origine de :
- "expliquer", du latin "ex-plicare" ( explication) = déplier, mettre à plat, tout dévoiler (ce qui donc ne se voit pas d'emblée) de l'histoire, des causes et des raisons, des conséquences prévisibles ou connues d'une chose à comprendre...
- "appliquer", du latin "ad-plicare" (application) = "plier vers"... plier ou "fléchir" une connaissance sur des situations, des objets..., ou encore l'adapter à... (un exemple concret).

La pédagogie n'est-elle pas l'art d'aider à comprendre, d'expliquer, de dévoiler aux élèves ce que n'est pas visible à l'oeil nu ?  Et même  le pourquoi du comment....Pourquoi pas ?


mardi 13 mars 2018

117 - Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.


Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.

Je rentre d’un stage sur la compréhension approfondie avec les élèves de seconde que j’accompagne dans des stages répartis au long de l’année. Je mesure une fois de plus combien ces jeunes sont démunis vis-à-vis d’une activité aussi importante que la compréhension.

On pense généralement que la compréhension est une faculté très complexe liée à l’intelligence, et que comme cette dernière, elle n’est pas donnée à tous de la même façon et surtout qu’elle ne s’apprend pas. On comprend ou on ne comprend pas, c’est tout ! Lorsqu’un élève ne comprend pas, ses professeurs ou ses proches, et bien sûr lui-même, commencent à douter de son intelligence : « Il rencontre ses limites… ! » dira-t-on avec résignation. Et pourtant il n’en est rien. Comprendre peut s’apprendre comme tout le reste. Reste à savoir comment, et c’est vrai que ce n’est pas une mince affaire. Voici le récit de ce dernier stage et la façon dont les élèves ont réagi à mes propositions.

Mais tout d’abord il faut se rappeler que lorsque l’on propose des méthodes de travail inspirées de la gestion mentale, il faut se garder de plaquer des modèles qui viendraient de l’extérieur, comme imposés par quelque autorité. Voici ce qu’en dit Antoine de la Garanderie dans Plaisir de connaître, Bonheur d’être, Une pédagogie de l’accompagnement, Chronique Sociale, 2004, page 46 – 47 (c’est moi qui souligne quelques expressions et en rajoute quelques autres en italique) :

« Il y a donc deux missions pour l’enseignant (ou le formateur) :
-          faire découvrir  à l’élève la qualité de l’acte cognitif dont il a fait usage à son insu pour qu’il lui soit rendu présent,
-          lui proposer  des actes cognitifs dont il n’a jamais pensé qu’ils pouvaient être à sa disposition, l’aider à faire ces actes vraiment siens, afin qu’il vive la teneur de plaisir qui les habite. C’est, en effet, en l’invitant à les mettre en œuvre qu’il en saisira les qualités épanouissantes et, en même temps, révélatrices du sens qu’il a à leur donner pour qu’ils atteignent leur fin.

Nous estimons que l’enseignant aura beaucoup à insister, car l’élève en situation d’échec ou de sentiment de doute à l’égard de ses capacités est très, très loin de lui-même et de pouvoir imaginer qu’il en recèle ; (nous estimons) qu’il faudra du temps non pour le convaincre car ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais pour qu’il consente à se reconnaître dans les actes qui ont à être les siens. L’enseignant est en effet tenté de penser que l’éclairage donné, le conseil proposé devrait avoir des effets immédiats… Il n’en sera rien. L’élève a pris l’habitude d’aller chercher dans les lointains de quelque transcendance des potentialités qui sont, en fait, trop proches de lui pour qu’il les voie ! Le travail qui est demandé à l’enseignant est d’une autre forme que celui auquel il s’est accoutumé : rapprocher l’élève des capacités qu’il possède à son insu… lui permettre d’apprendre ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser.

Ce n’est pas un placage de modèle que l’enseignant a à déployer… c’est à puiser dans l’intelligence de sa propre intériorité les propositions que l’élève aura à s’adresser à lui-même ! L’enseignant a à décrire l’acte de connaissance  tel que la conscience du moi vivant a à l’inscrire pour que la chose prenne sens en elle. L’élève peut commencer par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple. La suggestion qui lui est faite, il la ressent comme n’étant pas susceptible d’apporter la réponse à ses échecs : "ce n’est pas cela qui me permettra de comprendre… la règle de trois !" La pensée de l’élève que la conscience de l’échec assiège est la proie d’arguments négatifs qui le détournent de la prise en compte des moyens cognitifs et positifs dont il dispose naturellement et donc il n’imagine pas qu’ils sont ceux grâce auxquels, à l’avenir, il connaîtrait le plaisir de comprendre. »

Loin, donc, d’un plaquage de modèle, l’apprentissage de la compréhension doit passer par "l'épreuve par soi", par l’expérience personnelle de l’élève qui doit reconnaître "ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser" et, s’il ne l’a déjà fait spontanément mais inconsciemment, qu’il pourrait mettre au service de son travail scolaire. Il peut ensuite s’inspirer des témoignages de ses camarades et des descriptions qu’on peut lui faire, pour aller au-delà de ses capacité naturelles et acquérir des moyens auxquels il n’aurait pas pensé pour parfaire sa compréhension. Mais il y aura des obstacles à surmonter car l’élève commencera bien souvent « par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple ». Il faut donc ménager une progression qui permette à l’élève non seulement de prendre conscience
-          de ce qu’il fait déjà lui-même, "intuitivement", dans sa tête pour comprendre (bien qu’il ne l’utilise pas forcément à l’école),
-          mais aussi de ce qu’il pourrait faire et qu’il ne se connaissait pas,
-          tout en surmontant la croyance qu’il ne pourra pas y arriver.

Voir le détail du contenu du stage sur la compréhension dans le message 95 - Comprendre "comme un pro". Troisième stage en Seconde de méthodologie.

Un grand chamboulement intérieur.
Ce stage a débuté par un bilan de l'état actuel des élèves vis-à-vis des acquisitions méthodologiques travaillées depuis Septembre, soit les étapes de Pégase (être attentif, comprendre au premier niveau, mémoriser ce que j'apprends, réfléchir et réutiliser mes connaissances, exprimer ma pensée correctement à l'écrit ou à l'oral).  Puis j'ai introduit le travail des journées suivantes autour de cette question : « Pour réaliser tout cela le mieux possible, comment faudrait-il dès le départ que je comprenne de façon plus approfondie ce que j'apprends ? »

A suivi l'habituel débat autour de la question : « Où est le sens ? ». La plupart des élèves ont répondu sans hésitation, : « En nous ! ». Cette croyance justifie les expressions inexactes : « Donner du sens… Faire du sens… » En réalité, le sens réside dans les choses que nous nous efforçons de comprendre, dans le monde qui nous entoure, dans les situations que nous vivons, et bien sûr dans les objets scolaires que nous apprenons. Mais si le sens est hors de nous, il nous appartient, nous les êtres humains, d'aller le chercher, de nous efforcer de le conquérir pour le combiner avec celui nous avons déjà constitué en nous : c'est ce qu'on appelle "comprendre". C'est dans l'interface dehors/dedans, dans l'interaction du sujet comprenant et de l'objet de sens à comprendre que se joue notre accès au sens. Pour cela la nature nous a dotés des « outils intellectuels intérieurs » (A. Jacquard) nécessaires, et ce sont eux que nous utilisons lorsque nous cherchons à comprendre. Ce sont ces "outils" que le reste du stage a proposé à ces jeunes d'abord de découvrir en eux-mêmes, puis de perfectionner pour les porter à leur meilleur niveau d'efficience.

Tout d'abord, j’ai introduit les notions de compréhension appliquante et expliquante, cette dernière à l’aide de la fiche trouvée sur le blog d’Azraelle (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87086090) dont j’ai déjà fait état dans mon message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire  originale et stimulante !

Puis, après avoir exploité la métaphore de la barque, j'ai montré qu'il y avait cinq directions principales à toute recherche de sens, correspondant aux 5 questions fondamentales : C'est quoi ? Avec quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Comment ? (Voir Comprendre et réutiliser ses connaissances, article publié en  1994 dans la revue de Gestion Mentale n°6)

À la fin de la journée les élèves étaient dans un état de grand trouble manifesté par un comportement inhabituellement agité de certains d’entre eux.  Je savais qu’il traduisait le grand chamboulement intérieur qu’ils vivaient, et que plusieurs ont pu exprimer à peu près ainsi : « Je me rends compte que depuis l’école primaire j’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher à comprendre. J’aurais tellement aimé connaître le pourquoi de ce que je devais appliquer ! ». Cela en effet a de quoi  provoquer quelques rancœurs rétroactives, et le constat de leur « anesthésie intellectuelle » (apprise) était quasi insupportable pour beaucoup. Jusqu’à en vouloir à celui qui leur avait révélé cet état en leur ouvrant une perspective «aveuglante» sur la recherche du sens, désormais de leur seule responsabilité.

Platon à la rescousse.
Le lendemain matin, j’ai proposé aux élèves un temps de relecture de leur ressenti de la veille et je leur ai proposé de l’analyser à la lumière de l’allégorie de la caverne de Platon. Ils se trouvaient dans un état comparable à celui des hommes enfermés dans la caverne, victimes d’une vision déformée et illusoire de la réalité de l’école ainsi que des mauvaises habitudes de travail que cela avait entraîné. Et voilà que quelqu’un les appelait à une autre vision de l’apprentissage et à une autre manière d’apprendre, plus complexe et plus exigeante, sans doute plus efficace et "libérante", mais aussi très dérangeante par rapport à leur « zone de confort » habituelle. Ils avaient de quoi, en effet, en vouloir à cet initiateur qui les dérangeait si fort.

La recherche autonome du sens.
Maintenant, ils étaient placés devant un choix décisif pour eux : ou bien continuer à avancer dans ce nouveau monde de la recherche autonome du sens qui s’ouvrait devant eux, ou bien revenir à leur état  antérieur (ou se laisser rattraper par ce qui les retenait prisonniers jusque-là). Le tour de table qui a suivi fut d’une profondeur et d’une sincérité peu communes. Seuls deux élèves ont fait état de leur hésitation à passer la porte de la caverne et à affronter l’aventure de la recherche du sens…

Dans la « zone proximale de développement ».
Cette prise de conscience individuelle et collective s’est traduite par un engagement et une maturité nouvelle dans les exercices qui ont suivi autour du modèle des « 5 questions » de la compréhension. Ce modèle n’a pas été imposé de l’extérieur par une «autorité », comme un comportement plaqué de façon artificielle. Nous l’avons construit ensemble à partir de ce que les élèves reconnaissaient être en capacité de comprendre déjà par eux-mêmes : les questions qu’ils se posaient spontanément, même si beaucoup ont cessé -certains depuis très longtemps - de le faire pour les objets scolaires. Apprendre sans chercher à comprendre n’est pas un comportement naturel, c’est un « comportement appris » comme on dit en psychologie, comportement façonné par des années de scolarité où ils s‘étaient interdits (où on les avait empêchés ?) d’exercer leur capacité naturelle de compréhension, leur recherche naturelle de sens. Voir message 119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !

Bien sûr cette capacité naturelle est forcément limitée aux seules questions qu’ils se posent habituellement, à leurs projets de sens naturels, fruit de choix inconscients souvent hérités de l’environnement familial, et qui spécifient leur personnalité cognitive toujours singulière. Le but du jeu était donc de leur montrer non seulement qu’ils avaient le droit de se servir de leurs questions personnelles, mais qu’ils pouvaient aussi s’en poser d’autres auxquelles ils ne pensaient pas (mais que certains de leurs camarades se posaient tout aussi naturellement qu'eux…), et que cela leur ouvrait une qualité de compréhension bien plus large et plus approfondie, couvrant la totalité du sens de ce qu’ils ont à apprendre.

C’est donc à partir de l’existant et par des mises en situation de difficulté progressive (dans la « zone proximale de développement » de Vigotsky : d’abord avec mon aide, puis avec les copains en petits groupes, puis seul dans de petits exposés) que le modèle des cinq questions a été décrit et intériorisé petit à petit par les élèves. Beaucoup d’entre eux ont alors changé radicalement de comportement vis-à-vis du travail et même vis-à-vis de moi. Je pense donc avoir atteint mon objectif de les aider à quitter leur état d’irresponsabilité intellectuelle, inefficace bien que confortable, pour accéder à celui d’une vraie autonomie intellectuelle dans le travail, plus risquée et dont les résultats ne se verront qu’au prix d’efforts et de persévérance de leur part.

Deux témoignages qui reflètent assez bien la tonalité générale des bilans des élèves.
"Actuellement, j’ai l’esprit tout chamboulé. Je ne sais plus si dans ce que je faisais avant tout était mauvais ou si je peux garder certaines choses. Mais une partie de mon esprit s’est éclairé, j’ai compris certaines choses : se poser les bonnes questions, avoir un but, que pour comprendre il faut comparer… Merci d’avoir mis la lumière dans notre potentiel. Je vais essayer d’appliquer cette gymnastique de cerveau. "

"Ce stage a été le plus compliqué (très philosophique) mais le plus intéressant ! C’était très instructif et formateur car pour moi, avant, il n’y avait rien à comprendre à tout ce que l’on m'apprenait ! L’image de la caverne, l’idée d’en sortir, m’a beaucoup marquée car ça me fait prendre conscience qu’il faut encore plus partir à la découverte du monde et éveiller sa pensée. Les 5 questions vont beaucoup m’aider car j’ai du mal à me faire comprendre à l’écrit et à expliquer ma pensée. En tout cas, de mettre des mots sur ce qui n’était pas forcément explicite m’a permis de réaliser que je faisais déjà des choses automatiquement et d’autres non ! Donc celles que je ne fais pas automatiquement, je vais les mettre en place pour encore mieux réussir le troisième trimestre. Merci beaucoup".

Ajout de 2022. La quasi totalité de ces élèves, jugés à leur sortie de troisième inaptes aux études supérieures, ont eu, certains au prix d'un redoublement, des scolarités de lycée "normales",  avec un taux de réussite au Bac identique à celui du reste de leur promotion ; ils ont fait des carrières professionnelles conformes à leur souhait, plusieurs avec des réussites inespérées même de leur entourage : ingénieurs de toutes disciplines, psychologues, orthophonistes, carrières juridiques, médicales ou sociales...

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...