Hier, un de mes amis, ophtalmologiste réputé, désormais en retraite,
m’a livré l’anecdote suivante. Il me raconta comment son père, grand
chirurgien, le considérait comme un cancre et un bon à rien. Et bien sûr son
comportement tendait à confirmer cette projection paternelle. Il était en
troisième, lorsqu’un jour d’école buissonnière, un de plus, une pensée lui vint subitement :
s’il continuait dans cette voie il ne serait jamais médecin comme il le
souhaitait. Alors, il rentra à la maison et se mit à étudier un cours de
physique auquel jusque-là il n’entendait rien, et que bien sûr il n’aimait pas
comme du reste d’autres matières dans lesquelles sa compréhension était difficile.
Il se mit à lire ce cours et, je cite, « je
me suis rendu compte que j’ouvrais mes oreilles intérieures, et je me mis à le
comprendre ».
Voici un bon exemple de ce fameux "déclic" que
tout le monde attend mais qui ressemble souvent à l'Arlésienne, aux Tartares dans leur désert… ou à
ce qu’aperçoit "sœur Anne" du haut de sa tour… Alors qu’il est si simple de le déclencher, sans attendre que de
complexes raisons psychoaffectives ou d’importants bouleversements psychiques ne
le provoquent, fortuitement !
Je n’en veux pour preuve que le cas d’E., un élève de
seconde que j’ai eu en stage de méthodologie cette année. On me l’avait
présenté comme atteint d'un syndrome
d'Asperger et connaissant de grosses difficultés de
concentration. Lors de notre première rencontre, à la première pause, il se mit
à l’écart des autres, conformément à l’étiquette qu’on lui avait collée sur le
front. Je le voyais regardant fixement dans le vide. En m’approchant je me
rendis compte qu’il regardait un vol d’insectes évoluant dans un rayon de soleil. Je lui demandai ce qu’il faisait. Il me répondit : « je regarde et j’analyse ce que font ces insectes. J’aime beaucoup les
animaux et les insectes en particulier». Je lui demandai alors ce qui se
passait dans sa tête pendant qu’il regardait et qu’il analysait. Il prit un
moment avant de me répondre, je pouvais presque suivre l’introspection à
laquelle il se livrait pour répondre à ma question : « Je me parle et je me raconte ce qu’ils sont en train de faire ». Je relançais : "Et
tu fais cela pour cette fois seulement, ou bien le fais-tu habituellement ?". Lui : "Je me rends compte que je le fais chaque
fois que je veux analyser ce que je vois ou ce que j’entends". Je lui dis alors : "Et pendant que tu fais cela, es-tu concentré ?". Sa réponse fusa :" Oui. Bien sûr !". Je repris : "Eh ! Bien, c'est cela se concentrer. Et tu peux le faire chaque fois que tu le veux. Le savais-tu ?" Il ne le savait pas. Mais à la fin de
l’année, lors du bilan final (message 85), il est apparu qu’E. était devenu l’élève le plus
concentré de tous, tel que tout professeur souhaiterait voir tous ses élèves. Lui aussi avait décidé "d'ouvrir ses oreilles intérieures", de s'écouter penser, de se parler ses perceptions. Son "déclic" aurait pu attendre encore longtemps, et peut-être (mais je reste
prudent là-dessus) son autisme aurait-il encore progressé… Au lieu de cela, je l’ai
provoqué par une petite question, presque anodine, presque de la conversation
courante… Mais elle lui a permis de rencontrer « ses oreilles intérieures », et tout le reste a suivi, comme coulant de source. Comme pour mon ami ex-cancre devenu grand ophtalmologiste. D'autres, c'est vrai, auraient pu "allumer leur regard intérieur" ou "ressentir leur toucher intérieur".... Mais dans cette diversité des moyens mentaux, le déclencheur serait bien le même.
La gestion mentale ne fait pas de miracles. Elle provoque
simplement les déclics salutaires et donne les "clefs du mieux apprendre" (message 84) sans attendre l’arrivée des Tartares pas plus que celle de tous les
conseils "de pleine extériorité" dont on abreuve ces pauvres enfants réputés "inattentifs" !
Voici un extrait du bilan rédigé par E. le dernier jour de l'année: « Cette année de seconde a eu le même impact sur moi que la
Renaissance sur l’Europe. Tout a été remis en question, et est encore en
reconstruction en ce moment même. J’ai compris que la compréhension ne consistait pas en heures penché sur des lignes mais en données décryptées et remanipulées. (…) Il me faudra des mois, des années
même, avant que mes méthodes s’affinent. Guy, vous avez été le lanceur de la
fusée. Maintenant que j’ai quitté la stratosphère, à moi de poursuivre la route
en surmontant les obstacles, en gérant le carburant ».
Autiste ? Je ne saurais le dire. Imaginatif ? Assurément ! et pour le meilleur résultat de ses études.
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