dimanche 6 août 2017

113 -L’école primaire était-elle tellement meilleure que ça « avant » ?

Il y a des gens, très sérieux et très écoutés actuellement, qui voudraient bien retrouver l’Ecole Primaire de leur enfance… ou de celle de leurs grands-parents… vous savez, l’École qui allait tellement mieux que celle d’aujourd’hui… celle qui savait tellement mieux enseigner aux enfants qui apprenaient si bien tout seuls…  Avec des maîtres tellement mieux formés... bien à l’abri de toutes ces pédagogies nouvelles qui nous mettent la tête à l'envers… Avec de vrais inspecteurs qui leur donnaient de vrais bons conseils… 

Alors pour rétablir un peu de réalité dans la querelle jamais close entre ces nostalgiques du bon vieux temps et les « pédagosfousquionttoutsaccagé », voici un extrait d’un petit carnet prêté par une
amie qui l'a retrouvé dans ses archives familiales. Il est rempli avec une petite écriture soigneuse et régulière, comme on n'en voit plus guère, celle d’une maîtresse d'école du début du XXe siècle (une hussarde de la république ?), qui prenait en note une « conférence pédagogique » (on parlait déjà de pédagogie, même à cette époque…), sans doute pour la transmettre après coup à ses collègues autour de Limoges, tout près d'Oradour-sur-Glane que mon amie a vu bruler depuis sa maison...

Voyons un peu ce que lui conseillait son inspecteur de l’époque, le 5 octobre 1912. Pour la commodité de la compréhension, on pourra remplacer le patois, mis en cause par l’inspecteur, par toute autre langue que les élèves actuels savent si bien manier en dehors de la classe… dans la cour ou dans la rue... voire à la maison...  en lieu et place du bon français que tous les adultes parlent si bien… notamment à la "télé"! En prime, une analyse historique du développement de l’enseignement primaire en France qui ne manque pas de sel…


Conférence pédagogique du 5 Octobre 1912.

Sujet de la conférence : l’enseignement du français à l’école primaire.

" Les résultats obtenus dans l’enseignement du français sont tout à fait insuffisants (il n'y avait pourtant pas encore d'enquête Pisa...)
Cela est dû :
1°/ à la difficulté qu’éprouvent les enfants à parler français lorsqu’ils se servent du patois à la maison.
2°/ à ce que dans l’enseignement primaire, l’instruction s’est développée en France sous sa forme la plus élevée. On s’est d’abord préoccupé de l’enseignement supérieur. Puis les Jésuites ont créé, pour ainsi dire, l’enseignement secondaire et enfin, avec les protestants, l’enseignement primaire est apparu.

L’enseignement supérieur s’étant développé le premier, l’enseignement secondaire s’en est naturellement inspiré et l’enseignement primaire, à son tour, a emprunté au secondaire.

Nos enfants n’ont donc pas un enseignement qui leur convienne, un enseignement qui leur soit approprié. Cela apparaît surtout dans l’enseignement du français.

Il faut, nous répète-t-on sans cesse, partir de ce que l’enfant connaît. Ils devraient trouver leur modèle dans la langue maternelle. Ici, ce n’est pas le cas. Ce modèle qu’ils ne peuvent trouver chez eux, c’est à nous de le leur fournir. Il faut donc leur parler français. Éviter les expressions particulières au Limousin, les locutions vicieuses. Ne pas employer le passé défini, l’imparfait du subjonctif, etc. Dans les petites classes, s’attacher, dans l’étude du verbe, à faire connaître les trois temps principaux, négliger les autres.

Étudier les adjectifs qualificatifs que l’enfant peut arriver à comprendre. Laisser les possessifs et démonstratifs pour le cours moyen.

Mettre l’enfant en présence d’une phrase, lui faire connaître les principales parties, etc. En un mot, supprimer beaucoup dans l’étude de la grammaire. Et la leur présenter de façon à ce qu’elle leur paraisse moins aride. Pour l’article, leur donner des exemples. On dit : le papier, les papiers ; la porte, les portes. Lorsqu’on met le devant un nom, le nom est masculin, etc.

Dans une phrase, lui faire considérer le sujet et tout ce qu’on dit du sujet.
Le verbe est le mot qui dit ce que fait le sujet. Quelquefois c’est un nom, d’autres fois un pronom.
Pour les compléments, ne s’occuper que des compléments d’objet et des compléments de circonstance.
Apprendre quelques verbes. Ni groupes, ni conjugaisons.
Faire étudier : chanter, finir, courir, etc. et montrer que ceux terminés comme eux s’écriront aussi comme eux aux mêmes temps.
Dans les cours moyens et supérieurs, reprendre ce qui a été enseigné au cours élémentaire et y ajouter quelques précisions.

La composition française.
1°/ choisir un petit texte, un exemple à la portée des enfants, l’écrire au tableau noir, le lire. Causer sur ce texte. Exemple  (il n’y a plus de feuilles après les arbres) : pourquoi, quand y en a-t-il ? Quand poussent-t-elles ? Quand tombent-t-elles ? Les arbres nous semblent-t-ils aussi jolis ? Etc. C’est faire de la composition française.
Continuer par des observations grammaticales. Qu’est-ce que les feuilles ? Animal, chose ? Etc. c’est un nom de choses. On dit une feuille, des feuilles. Il y a un « s ». Parler de tombées, c’est leur qualité, leur manière d’être : c’est un adjectif qualificatif. Feuilles est au pluriel, tombées est au pluriel. Sont est le présent. Si c’était hier, on dirait : étaient.

2°/  exercices écrits. Relever les noms singuliers, les noms pluriels, les verbes, les sujets.
3°/ traiter par écrit une petite question : décrire un arbre en été, en hiver.

La leçon durera au moins une heure.
1.    Lire environ cinq lignes (un quart d’heure)
2.      -  explications grammaticales (10 minutes)
3.       - texte écrit (un quart d’heure)
4.       - exercices de langage.
5.   Reporter par écrit l’exercice de langage.

Dictée. La dictée n’est pas le point initial d’une leçon de grammaire, ce n’est qu’un exercice de révision. Dicter une phrase est suffisant. Ce n’est que plus tard que les dictées seront faites pour elles-mêmes. Il faut que les fautes soient corrigées et comprises par l’élève."

A propos de la dictée, je vous renvoie aux pages 108 à 113 d'"Accompagner..." où sont décrits les complexes projets de sens à l'oeuvre dans l'apprentissage des mots et de la grammaire. En effet, elle ne peut être "le point initial " de cet apprentissage. Mais elle en est toujours une application incontournable et indispensable parce qu'elle "muscle" chez les enfants les circuits de neurones qui sous-tendent les projets de sens de transformation de la signification ou de la forme orale des mots en leur forme écrite conventionnelle. En même temps, elle entraîne chez eux l'application des règles qui régissent l'accord des mots entre eux. Ces mots et ces règles qui justement ont fait l'objet de la leçon de grammaire. M. l'Inspecteur, malgré votre ignorance, tout excusable, des neurosciences et de la Gestion Mentale, vous aviez bien raison et votre intuition était fort juste ! Et vous aviez même une longueur d'avance en ce qui concerne le statut de l'erreur et de leur correction, un des must des pédagogies "nouvelles". La  pédagogie n'est ni ancienne ni nouvelle, elle est l'essence même de l'Ecole.

Le tout en éducation, aujourd'hui comme hier, est toujours de commencer par le début  et de donner la priorité au bon sens !



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