dimanche 29 mai 2011

35 - Autonomie et la règle d'accord du participe passé...

 « Un ordre dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité ; un ordre accepté à contrecœur sera saboté, consciemment ou non. »
J’ai, un jour, trouvé cette recommandation dans un vieux manuel de commandement… de l’armée ! Assez loin de Courteline… Je l’ai transposée dans le domaine scolaire et elle m’a servi, oh ! combien souvent, avec des adolescents exclusivement « expliquants » ! Ceux qui n’acceptent d’appliquer les règles qu’à la condition d’en connaître le volet explicatif, les raisons, la démonstration, la justification au besoin…, ceux qui nous ennuient tant avec leurs « pourquoi ? »,  qui nous poussent dans nos retranchements… Parfaitement insupportables, n’est-ce pas ?
Dans « Accompagner… », j’ai donné quelques exemples de ce qu’on peut faire pour aider ces « rebelles » aux règles ( il y en a tant !…).  Je vous livre ici le plus emblématique, celui de la règle de l’accord des participes passés. Vous le transférerez à loisir à d’autres cas, à d’autres situations, scolaires ou non. Bien sûr, ces démonstrations exigent de l’accompagnateur qu’il fasse lui-même la démarche d’aller chercher ces raisons… dont peut-être il se passe pour son propre usage… Mais qui a dit qu’accompagner était une chose facile ? Et s’il suffisait de dire « faites comme moi »…

(Extrait d’  « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux », p. 225 et suivantes, Application des « Cinq questions »)

La règle d’accord des participes passés avec les auxiliaires « être » et « avoir ».
Les lamentations sur les fautes d’orthographe sont unanimes jusqu’à des niveaux d’études élevés. On voit même se créer des officines de « coaching » ( !) d’orthographe pour les cadres d’entreprise…obligés désormais d’écrire eux-mêmes leur courrier, notamment électronique ! C'est vrai qu'elle est complexe, notre orthographe. Et cette règle de l’accord des participes passés avec les auxiliaires « être » et « avoir » en est un exemple presque caricatural : de quoi donner la migraine ! Les erreurs à son sujet ne se trouvent pas seulement dans les copies d’élèves. Sa méconnaissance, ou son inapplication, par les adultes dans le langage courant, pour ne rien dire des médias, est très fréquente. Faut-il mettre en cause  la qualité de sa transmission pendant tant d’années d’apprentissage, de l’école primaire au Collège… avec des reprises, pas bien plus efficaces, en Lycée ? Sans doute non. Pourtant combien de professeurs en transmettent-ils le volet explicatif, le « pourquoi » tellement nécessaire à beaucoup de gens pour sa bonne application ?
Par exemple, beaucoup d'élèves et d'adultes interrogés sur cette règle répondent : « avec être j'accorde, avec avoir je n'accorde pas ». Ils s'arrêtent à cette première version simplifiée (tronquée ?) de la règle apprise en primaire et n'intègrent jamais la suite, l'introduction de l'objet dans le cas d'accord avec l'auxiliaire avoir. Quant à l'application avec les verbes pronominaux ou faussement pronominaux : c'est galère assurée ! Tout autant que le cas du verbe faire suivi de l'infinitif …
Alors il faut choisir : ou bien on supprime cette règle trop difficile de la grammaire française au risque d'introduire des imprécisions regrettables dans le langage écrit, ou même parlé ; ou bien, si on la maintient, les pédagogues doivent s'imposer de la transmettre dans son intégralité de sens. Mais encore faut-il qu’ils en maîtrisent eux-mêmes la démonstration. Or cette règle fait l'unanimité des adultes, enseignants compris : « c'est comme ça parce que c’est comme ça, c’est une règle, et puis c'est tout !  »,  « il n'y a qu'à l'appliquer, point ! », « on ne peut pas tout expliquer… (surtout si on ne connaît pas soi-même les  raisons) ! » Un peu court pour  les élèves « expliquants ».  Toute règle possède des raisons d’être. Il n’y a que les « postulats » qui ne peuvent être démontrés. Et il n’y en a pas tant que cela dans les connaissances scolaires !
Comme d'autres formateurs en gestion mentale, j'ai cherché les explications de cette règle pour mieux la comprendre moi-même et afin d’y aider les autres. J’ai pu en trouver des éléments de démonstration dans de vieux manuels d’orthographe. Voici ce que je propose aux « expliquants » (mais je m'aperçois souvent que cela intéresse tout le monde…) :
1.     Premier point : un accord est une relation (« Avec quoi ? ») que l'on établit entre un élément à accorder (donc variant) et un autre considéré comme stable et permanent (donc invariant).
2.     Deuxième point : pour ce qui est de l'être, l'élément permanent et stable, c'est le sujet. Il est donc normal que l'adjectif s'accorde avec lui. Par exemple, un garçon ne dira jamais en parlant de lui « je suis grande », ni une fille « je suis blond ». Sauf accident, tous les enfants comprennent ça assez tôt. Lorsque le participe passé est employé avec être sa fonction est la même que celle d'un adjectif attribut, il suit la même règle d'accord. Assez facilement, un garçon n'écrira pas « je suis partie » ni une fille « je suis fatigué ». S’il font un peu attention…
3.     Troisième point : dans le domaine de l'avoir, quel élément est stable et permanent ? J'utilise un petit dialogue comme suit. Je prends un stylo et je demande à mon interlocuteur(trice) : « Qui a le stylo actuellement ? » Réponse : « Vous. » Je lui donne alors le stylo : « Et maintenant qui a le stylo ? » - « C’est moi. » « Le sujet a-t-il de changé ? » - « Oui. » « Et l'objet a-t-il changé ? » - « Non. » « Quel élément ne change pas, est permanent ? » - « L'objet. » - « Quand il s'agit d'« avoir », avec quoi accorde-t-on : avec le sujet qui change ou avec l'objet qui ne change pas ? » - « Avec l’objet. »
C 'est donc avec ce que l'on appelle (j’espère que c’est toujours ainsi…) le complément d’objet direct (COD) qu'on accorde le participe passé lorsqu'il est employé avec l'auxiliaire avoir.
4.     Cela suffit-il ? Non. Encore faut-il connaître cet objet au moment où l'on écrit ou lorsqu’on prononce le participe passé. Il faut donc le connaître avant qu'arrive le verbe (auxiliaire + participe passé) dans le déroulement de la phrase. Si on ne le connaît pas, s'il vient après, dans le doute on s'abstient : pas d'accord. Exemple : « les gâteaux que j’ai mangés ». Mais : « j’ai mangé… des crêpes ou des biscuits », peu importe, le COD vient après que l’on a prononcé ou écrit le verbe, trop tard pour accorder.
5.     « Avant », « après », « trop tard »… on le voit bien, cette règle est d’essence temporelle : sa compréhension nécessite l’ouverture mentale au lieu de sens du  temps. Il y a là un obstacle important pour les personnes qui privilégient le lieu de sens de l’espace pour gérer leur compréhension. Le risque est grand pour elles de substituer (inconsciemment) aux référents temporels (avant, après) des référents spatiaux (devant, derrière) qui leur sont plus familiers. On les entend alors énoncer la règle ainsi  « j’accorde si le COD est placé devant le verbe… ».  Ils rendent ainsi l’application de la règle bien hasardeuse : où est le « devant » du verbe ? A droite ? A gauche ? Dessus ? Dessous ? On devrait plutôt dire « …lorsque le COD vient avant (ou précède) le verbe dans la phrase », ce qui lèverait toute ambiguïté, comme c’était le cas dans de vielles grammaires...
J’ai toujours constaté une application bien plus juste de cette règle par les adolescents avec qui j’avais pris le temps de développer cette démonstration. Ils avaient enfin « compris les raisons » de cet « ordre » que jusqu’alors ils appliquaient « à contre-cœur en le sabotant » le plus souvent en toute inconscience.
Au-delà de cette amélioration ponctuelle, cela leur a permis de réinvestir leur questionnement de sens, leur "projet de sens" prioritaire dans leur travail…  Ils l’avaient trop souvent écarté, « laissé au vestiaire » parce que quelque adulte trop « appliquant » les avait rabroués, un jour de plus grand d’énervement… Vous avez dit « autonomie » ?

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