Beaucoup de personnes, et pas seulement des élèves, sont en
difficulté lorsqu’on leur demande d’apprendre
quelque chose par cœur. Et cela à tous
les âges. Pourquoi ?
Je recevais il y a quelques jours deux anciens stagiaires de
Poisy, Sylvain et Raphaël, déjà bacheliers
lors du stage IF/ANPEIP de 2007, tous
deux EIP s'il en est, poursuivant malgré quelques difficultés des études
supérieures, l’un en droit, l'autre en informatique. J'ai déjà eu l'occasion de parler de Raphaël et de ses
problèmes de mémorisation (message 12). Cette fois-ci, la conversation en vint
à la manière d'apprendre les cours. Le juriste en tenait pour un apprentissage
par cœur, ce qui se comprend,
l'informaticien faisant chorus, ce que je comprenais moins. J'interrogeai
donc Raphaël : « tu penses vraiment que dans ce genre d'études, il faut savoir ses cours par cœur ? ».
« Oui, me répondit-il, pas pour tout bien sûr, mais mon professeur inisiste
pour que l'on apprenne par cœur certains passages. Et j'ai beaucoup de mal pour
apprendre de cette façon. J'ai beau me les répéter aussi souvent que possible,
je ne les retiens pas. » Et Sylvain d’abonder dans ce sens, lui-même ayant
du mal avec ses textes et définitions
juridiques.
Connaissant leur profil d'expliquants et de reformulateurs
verbalisants, avec un projet de compréhension prioritaire et incoercible, j'imaginais bien les difficultés qu'ils pouvaient
rencontrer dans cet apprentissage mécanique et répétitif. Je me demandai alors
comment les aider à sortir de cette impasse.
Ces deux étudiants étaient confrontés à l’exigence de
connaître mot pour mot, à la virgule près, « automatiquement », certains
contenus de leur cours aussi bien en droit où toute déformation d’un texte de loi
est redoutable, qu'en informatique : tout utilisateur d'un ordinateur sait
combien la précision est exigée dans cette discipline où "l'à-peu-près" est ravageur.
Mais en les écoutant parler j'ai réalisé qu’il y avait une
confusion au niveau des mots. Je demandai à mes deux visiteurs : « Vos professeurs veulent-ils que vous « appreniez »
ou que vous « sachiez » vos
cours par cœur ? ». Ils ne
voyaient pas la différence… En réalité, leurs
professeurs leur demandaient de « savoir » par cœur et eux, faisant
preuve d'une docilité que je ne leur
connaissais guère jusque-là, s'obligeaient à « apprendre » par cœur.
De fait, il est fréquent d’entendre ces mots utilisés l'un pour l'autre. Et pas
seulement chez les élèves … Et pourtant ces deux réalités sont très différentes...
« Savoir » est un état, un résultat observable.
« Apprendre » est une action mentale complexe, un processus intérieur,
difficilement observable. On peut considérer que le résultat « savoir » est l'aboutissement du processus
« apprendre ». Lorsqu’un professeur exige que l'on sache
un contenu par cœur, il ne s'agit en
rien d'une exigence portant sur la méthode d'apprentissage qui mène à ce
résultat. Mais la confusion est permanente : « vous apprendrez ces
définitions par cœur pour le
prochain cours », dit-on aux élèves aussi bien que « vous devrez savoir
ces définitions par cœur pour le
prochain cours ».
Je rassurai mes
visiteurs en leur faisant valoir qu'ils n'avaient nullement à se conformer à ce
que leurs professeurs n'avaient pas le droit d'exiger d’eux : qu'ils
« apprennent » textes et formules par cœur. En revanche, ils avaient parfaitement le droit d'exiger qu'ils
les « sachent » mot à mot, sans erreur et sans hésitation. À eux
maintenant de trouver les moyens les plus adaptées à leur profil, en exploitant
toute la richesse de leurs projets de sens de compréhension, toujours prêts à
les emporter dans des digressions pas toujours bienvenues, mais en gardant à
l'esprit le but à atteindre : connaître textes et formules avec la plus grande fidélité possible,
en rapprochant progressivement leurs commentaires intérieurs de la formulation originelle.
Poussant plus loin la
discussion nous nous sommes interrogés sur le sens de cette expression : « par cœur
». Communément, on pense à un apprentissage mécanique, répétitif, à un
rabâchage indigeste, phrase après phrase … Apprendre par coeur est souvent synonyme d'apprendre bêtement, sans comprendre comme apprendrait un perroquet (le "psittacisme" tant critiqué par Montaigne !). Mais pourquoi mêler le cœur, organe source de vie,
lieu mythique de nos sentiments, à une activité aussi dénuée de sens et
d'intérêt, aussi éloignée de toute expression poétique ou sentimentale ? Si
savoir par cœur peut se satisfaire d'être rapproché du « mot à mot »,
d’une reproduction fidèle et immédiate, de
la création d’un automatisme, n'est-il pas plutôt question, pour apprendre, de le
faire « avec le cœur », « de tout son cœur » ? Cette approche permettrait
éventuellement de réintégrer quelque part les émotions dans l'apprentissage... On sait combien elles sont des alliées puissantes de la mémorisation... lorsqu'elles sont positives. Mais est-ce seulement avec le cœur que l'on apprend ? Il est vrai que pour les grecs anciens, le coeur était le siège symbolique de l'intelligence comme celui du courage ou des émotions. Depuis, on a un peu progressé dans la connaissance de l'anatomie humaine... et le cerveau a (re)conquis ses droits légitimes (tout en restant étroitement associé, comme "embrassé", par nos sentiments, sans lesquels il n'y a pas d'intelligence créatrice, sentiments eux-mêmes issus de systèmes nerveux archaïques créateurs d'émotions, mais encore puissamment à l'oeuvre en chacun de nous en tant qu'êtres "conscients" ** ; dans ce cas apprendre "avec le coeur" prend tout son sens !).
Mais si c’est bien avec sa tête qu’on apprend, alors il pourrait
s’agir d'apprendre « à cœur », « jusqu'au cœur » de la
chose à apprendre (comme on parle d’un rôti « cuit à cœur »…). Il s’agirait donc plutôt de comprendre, d'aller
« jusqu'au cœur » du sens de ce que l'on apprend. Et comment aller au
cœur du sens de ce que l'on apprend ? Mais avec les « cinq questions »
*, cher Sylvain, cher Raphaël. Ce sont
elles (que vous avez un peu oubliées ?) qui vous mèneront au cœur
du sens de ce que vous avez à apprendre. "Avec le cœur" et "jusqu'au cœur", donc avec et par l'intelligence (comme pour les grecs) plutôt que bêtement et mécaniquement. Curieux renversement du sens d'une expression trop ancienne..?
En n’oubliant pas que répondre à la question « c’est quoi ? » vous permet de conserver la chose à apprendre/comprendre dans sa forme exacte, dans son « mot-à-mot », exigé parfois par des professeurs prévoyants …parce qu' indispensable pour votre propre sécurité aux moments de la réflexion et de sa communication (argumentation, justification…) surtout écrite. A condition bien sûr d'anticiper ces objectifs… ce que vous ne faites pas, rendant du coup peu compréhensibles les exigences de vos professeurs, qui eux les anticipent et veulent ainsi vous préparer aux utilisations à venir de vos acquis ! Sans doute serait-ce plus clair s’ils vous l’expliquaient mieux….
En n’oubliant pas que répondre à la question « c’est quoi ? » vous permet de conserver la chose à apprendre/comprendre dans sa forme exacte, dans son « mot-à-mot », exigé parfois par des professeurs prévoyants …parce qu' indispensable pour votre propre sécurité aux moments de la réflexion et de sa communication (argumentation, justification…) surtout écrite. A condition bien sûr d'anticiper ces objectifs… ce que vous ne faites pas, rendant du coup peu compréhensibles les exigences de vos professeurs, qui eux les anticipent et veulent ainsi vous préparer aux utilisations à venir de vos acquis ! Sans doute serait-ce plus clair s’ils vous l’expliquaient mieux….
En conclusion, pour « savoir » un élément de cours "par (le) cœur", il convient d’abord de s’autoriser ** à le comprendre
« à cœur », à le déformer/transformer, à le traduire dans sa
« langue pédagogique » (évocation, à partir de son atmosphère de sens), à le transposer dans son propre « lieu
de sens » (espace, temps, mouvement), à lui poser les "5 questions" de la compréhension approfondie en cherchant les réponses à ces différents projets de sens, puis, dans un second
travail, à le remettre, à le "re(con)stituer" dans sa forme d’origine qu'il faudra alors mémoriser telle quelle, au besoin par des répétitions tout à fait légitimes à ce stade…
On sera ainsi capable d’utiliser cette nouvelle "connaissance" en toutes occasions, sous toutes ses
formes de sens (d’application, d’explication, de finalisation, de relation)… y
compris dans sa forme de sens d'identité (sa formulation à l'"identique"), pour en redonner certains éléments « par cœur », ou mot pour
mot, ou automatiquement, en cas de
besoin.
Vu comme cela, on le voit bien, apprendre "par coeur" est assez éloigné d'apprendre "bêtement".
* Voir le message 56 "Comprendre et réutiliser ses connaissances", avec le '"Schéma des 5 questions". Et aussi la dernière partie d’ « Accompagner ...», sur les opérations de la compréhension approfondie.
** Voir L"Ordre étrange des choses - La vie, les sentiments et la fabrique de la culture" d'Antonio Damasion, O. Jacob, 2019.
** Voir L"Ordre étrange des choses - La vie, les sentiments et la fabrique de la culture" d'Antonio Damasion, O. Jacob, 2019.
*** … se « rendre auteur » de son apprentissage, ce
qui n’est nullement le cas d’un rabâchage mécanique, mais qui se réalise dans
une recherche de sens approfondie.
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