vendredi 25 novembre 2011

45 - Au risque de la réflexion.


Malgré ce titre, c’est encore de la mémorisation que je voudrais parler dans ce message. Enfin, en partie… Depuis quelques jours, je me mets en projet pour le deuxième stage avec la classe de méthodologie toulousaine. Je suis un peu préoccupé par le mail reçu du professeur principal. Il semble que la classe n'ait pas embrayé après le premier stage de septembre, et que les élèves soient encore dans la confusion au sujet des gestes mentaux que nous avons abordés. Il semble bien que l'introduction du geste de réflexion plus tôt dans l'année n'ait pas produit l'effet escompté (voir message 43)

Je me préparais donc en laissant mon esprit tourner et retourner cette problématique : comment aborder le deuxième stage en tenant compte d'une part de l'état exact des élèves, sans trop de redondance avec le premier stage, tout en aidant ces jeunes à faire le clair sur leurs moyens personnels d'une part et sur les enjeux de leur scolarité et d'autre part. J’avais du mal à décider de ce que j’allais leur proposer pendant ces deux journées. On pourrait penser qu'après plus de 30 ans de pratique de ce genre d’accompagnement, je n'en sois plus à ces hésitations de débutant... Ce serait oublier que chaque rencontre avec des jeunes, individuelle ou collective, est toujours une aventure qu'il est impossible d’écrire à l'avance. Même si le "programme" que je développe est le même, à quelques variantes près, ceux qui le "reçoivent" sont toujours différents : là est sans doute le problème de tous les pédagogues.

Donc, je laissais mon esprit retourner le problème que je voulais résoudre. C'est ma façon, un peu anxiogène c'est vrai, de me préparer. Mais j'ai une certaine confiance dans une sorte de « providence » à ce sujet ; elle m'a rarement trahi. Je prédispose ainsi mon esprit, d'une manière très ouverte, à recevoir tout élément susceptible de concourir à la prise de décision. C'est ainsi que je suis tombé (par hasard ?) sur un ancien article (lettre d'Initiative et Formation numéro 100) de la main même d'Antoine de la Garanderie, reprenant le contenu d’une conférence qu'il avait donnée lors de l'université d'été d'IF de 2008 : « Au risque de la réflexion ». Je savourais de nouveau ce texte écrit à propos d'un poème de Rainer Maria  Rilke. Antoine dit y trouver "derrière son abstrait symbolisme, la concrétité de l'acte de réflexion tel qu'il est en lui-même". Pendant cette lecture j'ai fait une expérience qui motive ce message.

Un passage a particulièrement retenu mon attention, ce qui s'est traduit par une plus grande acuité de ma verbalisation intérieure, une reprise interne réitérée du texte que je lisais, un effort accru pour en dégager le sens. J'ai ressenti alors en moi, presque physiquement, un mouvement qu'il est possible de décrire ainsi : j'avais le sentiment d'avoir, derrière moi et sur ma gauche, un grand sac largement ouvert et j'imaginais que je prenais, pour ainsi dire avec mes mains, cet élément de texte pour le déposer dans ce sac. Ce mouvement était accompagné en arrière-plan d'une pensée, je crois verbalisée : « ça, ça pourrait me servir ».

J'ai toujours pensé, et milité pour, que l'on associe le geste de mémorisation à celui de réflexion faisant du second la finalité du premier. Je sais bien que dans l'acte de compréhension, la réflexion qui mobilise les acquis à mettre en contact avec la chose à comprendre, joue un rôle essentiel. Mais ce que j'ai découvert à l'occasion de cette expérience, c'est que la réflexion peut aussi être un facteur, un motif de la mémorisation. C'est bien parce que j'avais ouvert en moi un imaginaire correspondant au problème que j'avais à résoudre que cet élément de texte a été automatiquement transporté en pensée dans le sac grand ouvert de ma mémoire, en anticipation d’un besoin éventuel lorsque je me trouverais face aux jeunes. C’est en pensant "réflexion" que j’ai agi "mémorisation".

Pour en revenir au texte lui-même, c’est vrai qu’ils sont, ces jeunes, dans la peur de l'échec, dans le doute quant à leur intelligence et à leurs moyens de réussite. Ils sentent confusément le risque qu'il y a à se mettre « hors abri », ils sont tentés de se recroqueviller sur eux-mêmes dans des conduites d'évitement des difficultés, de recherche d'excuses extérieures à eux-mêmes. Il s'agit de les ouvrir à leur capacité à gérer ce risque, à dépasser cette peur, par une meilleure connaissance de leurs potentialités à investir ce « champ dans lequel la conscience réfléchissante de l'être humain peut s'investir » et qui leur est encore interdit. Ainsi, pour eux, il ne s’agira plus "par obscur désir, d'éviter d'être puni, parce qu'on ne saura pas sa leçon et qu'on aura mal fait son devoir. Il s'agit d'être heureux de comprendre, d'être maître de sa leçon ou de son devoir, parce qu'on aura eu la maîtrise de leur sens ; on en aura l'intuition. Le désir en sera personnellement éclairci. Il sera lumineux pour soi".

Pourvu, cher Antoine, que j’arrive à les inciter à sortir de leurs abris faussement douillets, et à les conduire vers "ces champs illimités", où "se trouve toute conscience d’être humain".

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