J’ai fait part dans mon message 117 de mon
étonnement, de ma tristesse et d'une certaine colère, en constatant combien les
jeunes que j’accompagne en début de lycée se sont depuis longtemps détournés de
l’activité de compréhension lorsqu’il s’agit d’objets scolaires à apprendre, ce
qu’ils font (quand ils le font encore …) sans aucun plaisir, et bien sûr sans aucune efficacité. On
comprend mieux alors qu’ils se détournent d’un apprentissage qui leur procure aussi peu de satisfaction intellectuelle.
Je raconte comment ces ados de 15 -16 ans
ont été surpris et très intéressés par l’exemple que je leur ai donné en guise
d’ introduction du stage consacré à la compréhension approfondie (les 5 questions), nécessaire à
tout transfert ultérieur de leurs connaissances. Je leur ai cité l’explication de
la règle d’orthographe* « m devant m-b-p », que j’avais trouvée dans l'excellent blog « Azraelle au CE2 » (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87145520).
Leur réaction a été immédiate et unanime, presque agressive : « Pourquoi ne nous a-t-on pas expliqué
ça plus tôt ? J’aurais tellement aimé travailler de cette façon ! ». Et
aussi : « J’ai pris l’habitude
d’apprendre sans chercher à comprendre, mais ça ne m’intéresse pas du tout ! ».
Du comportement si naturel du jeune enfant avec ses « pourquoi ? », les années d’école
et de collège les auraient ainsi fait passer à un « comportement appris » d’application sans
questionnement ni discussion de ce qu’ils apprennent (si mal, du coup). « Fais
ce qu’on te dit, ne cherche pas à comprendre ! Tu m’ennuies avec tes
questions ! » Et l’enfant s’habitue à ne plus chercher à comprendre… à l’école. « Une règle c'est une règle point ! Il n'y a qu'à l'appliquer ! *», me rétorque-t-on chaque fois que j’aborde
cette question en stage d’adultes. Ou " Ils sont trop jeunes pour comprendre ces explications !" Surtout si l’adulte les ignore lui-même !
Alain, le philosophe également enseignant, ne disait-il pas : «
Pour enseigner il faut supposer chez l’enfant
toute l’intelligence du monde » ?
Le reste du stage a été pour ces jeunes une découverte vraiment « révolutionnaire »,
la découverte qu’ils pouvaient investir
leur intelligence dans leur apprentissage, qu’ils pouvaient s’autoriser
à comprendre ce qu’ils apprenaient, sans forcément attendre que la lumière leur
soit donnée de l’extérieur. Bien sûr la "machine à comprendre" est encore un peu rouillée,
mais leurs témoignages de fin de stage, la lumière dans leurs yeux, leur
redressement physique même, étaient des signes évidents que ces jeunes s’étaient
réveillés et remis en route après tant d’années d’anesthésie intellectuelle.
J’ai voulu en savoir un peu plus sur les
raisons d’un tel marasme et je me suis demandé comment on apprenait aujourd’hui
ce genre de règles en primaire et au collège, en partant de l’exemple d’Azraelle,
de niveau CE2. J’ai donc consulté sur
Internet tous les sites qui en faisaient état. Je n’ai pas été déçu : on trouve
en abondance, sur les blogs spécialisés ou les sites officiels, des
fiches-leçon, des exemples, des exercices et même des évaluations. Le résultat est à la hauteur de mes craintes :
AUCUN de ces sites (hors celui d’Azraelle) ne fournit ne serait-ce qu’une
tentative d’explication rationnelle de cette règle.
Pourtant, leurs auteurs rivalisent
d’imagination, de couleurs (Ah ! Les couleurs …ça explique tellement
bien !), de schémas avec des flèches, des ronds et des carrés, de dessins,
de figurines plus ou moins humoristiques, de fiches standard ou « à manipuler » (géniales certaines
!), de jeux, de moyens mnémotechniques les plus insolites… jusqu'à des vidéos et même un film d'animation...Quel boulot ! Ces professeurs des écoles, ou leurs formateurs, sont vraiment admirables, d’acharnement,
d’inventivité et de temps passé ... bénévolement bien sûr... pour essayer de faire entrer cette règle dans
le crâne de leurs jeunes élèves. Mais quand l'essentiel est perdu de vue, les moyens, même les plus sophistiqués, s'accumulent sans fin (au sens de finalité, pas de finitude...) ! Voici une
petite sélection de mes trouvailles (j’ai conservé les plus
élaborées) :
Des fiches de leçons, données en modèles…
Des jeux…
Des poissons et des monstres…
Des fiches animées , appelées « lecons à manipuler
(LAM) » (quel travail !) :
Des exemples à profusion…
Des efforts « d’innovation » (Ah !
Ah ! mon intérêt s’éveille !) pour « donner du sens » : la
famille à la rescousse… Papa-Maman-Bébé …
Des vidéos, avec grands
sourires enjôleurs…, voix lentes…, syllabes bien détachées (on doit mieux
comprendre quand c’est lent…), des « je m’explique » mais sans l'explication annoncée…, Jusqu’au recours à « l’allergie » qu’éprouverait le
« n » pour ses voisines « m-b-p »…et même une petite
attention pour les « visuels »
(Ah ! la gestion mentale…c’est si simple !) On trouve vraiment
de tout, avec des feutres, des tableaux, des petites ampoules (la lumière…ça aide à comprendre, non ? Euréka !):
Même un petit film d’animation (quelle patience !…pour le regarder jusqu’au bout...dans l'attente - vaine - de l'explication tant espérée...) :
Jusqu’à la presse qui s’en mêle (ou qui « s’emmèle », même avec m devant m…) !
Et le poMpon (mais pas le boNbon… ! Tiens
au fait, pourquoi ?) :
On trouve aussi à profusion des modèles d’exercices
et d’évaluations : de toutes les sortes, de tous les formats, de toutes les longueurs,
avec même des dictées spéciales…
Là, je trouve un modèle d’évaluation dont
la première question débute par: « Explique
pourquoi… : » Ça y est ! Je suis enfin au bout de mes peines ?
Je vais voir la fiche-leçon qui
correspond pensant y trouver enfin l’explication
tant espérée… Déception ! Il n’y a rien…. L’explication (en fait il s’agît
plutôt d’une « justification »….mais on na va pas chipoter sur les
mots, n’est-ce pas ? on est à l’école quand même, et c'est juste des enfants... !) est à la seule charge
de l’élève… à qui l’on n’a pourtant rien expliqué ! Et cela, à 7- 8 ans… dans le stress d’un de ces moments
forts de l’apprentissage si prisés des Inspecteurs… Chapeau ! Il fallait y penser !
L’évaluation à demande « expliquante » : file:///C:/Users/Guy/AppData/Local/Microsoft/Windows/INetCache/Content.Outlook/IJOG8IB6/5-%20m%20devant%20m-%20b-%20p2%20(2).pdf
La leçon (à visée pas expliquante du tout) :
Poursuivant ma recherche je tombe quand même sur une page
intitulée : « La langue française et ses caprices » :
Chance ! Ça démarre très bien. L’auteur
semble aller dans mon sens avec sa première phrase : «Si jamais votre enfant
vous demandait pourquoi il doit écrire certains mots avec un N et d’autres avec un M, que lui répondriez-vous? » Je crois tenir enfin mon Graal !
Las ! D’explication, d’origine, il n’est nullement question. L’auteur
énumère un certain nombre de recherches dans de vieux manuels savants avant de
donner sa langue au chat : « Il doit
pourtant y avoir une raison pour laquelle ces n sont devenus des m. Mais personne n’en souffle mot. » Ça c’est bien vrai et j’en fais foi ! Et ça ne date donc pas aujourd'hui ! Et l’auteur de se contenter d’expliquer… toutes les exceptions à la règle !
Je me tourne alors vers des sites « extrascolaires ». Peut-être seront-ils plus explicites sur "le pourquoi du comment"… Un début
d’explication m’est aussitôt fourni par « Pourquois.com » (intéressante,
l’orthographe de ce mot... invariable ! Heureusement les enfants ne lisent pas ce genre de site...ils ont tellement d'autres occupations sur internet...). On y trouve un début d’explication par le passage du latin au français, et la transformation de syllabes latines en
diphtongues françaises…mais ça reste un peu vague et surtout difficile à exploiter en CE2.
Enfin, un site, québécois (c’est vrai que
vis-à-vis de leur langue d’origine, nos amis canadiens ont su garder un certain
respect et peut-être conserver quelques secrets que, trop sûrs de nous, nous
aurions perdus dans "la Mère Patrie"…). J'y trouve une explication plus explicite à partir de la phonétique, lui aussi faisant référence au latin avec la distinction
des consonnes nasales et labiales :
Et c’est tout !
Finalement, la seule fiche-leçon qui
fournisse à la fois l’origine exacte et simple de la règle et son exploitation judicieuse avec des enfants, c’est donc
Azraelle qui la propose au prix d’une recherche personnelle… que tous les
autres auraient pu mener en s’en donnant juste la peine : il m’a fallu deux
clics ( en tout cas c'est bien moins chronophage et plus efficace que des vidéos ou des films d'animation, tous ces supports soi-disant "pédagogiques"...). Azraelle précise ainsi la
raison qui l’a poussée à aller plus loin que ses collègues: « Voilà, tous les ans je me prends la tête
sur cette règle que tous les élèves connaissent par cœur... sans jamais
l'appliquer !»
Et elle indique plus loin, dans les commentaires : « Mes élèves ont été très réceptifs à ces explications, ils se sont appliqués à prononcer les lettres en faisant attention à la position des lèvres. Ils avaient l'air convaincus » et encore : « Je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD ! » Tant il est vrai, aujourd’hui comme hier, qu’"un ordre (ou une règle…) dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre (une règle, un théorème…) subi à contrecœur, sera saboté inconsciemment ou non ! » Vieux principe parfaitement applicable à nos "chères têtes blondes...ou pas".
Et elle indique plus loin, dans les commentaires : « Mes élèves ont été très réceptifs à ces explications, ils se sont appliqués à prononcer les lettres en faisant attention à la position des lèvres. Ils avaient l'air convaincus » et encore : « Je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD ! » Tant il est vrai, aujourd’hui comme hier, qu’"un ordre (ou une règle…) dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre (une règle, un théorème…) subi à contrecœur, sera saboté inconsciemment ou non ! » Vieux principe parfaitement applicable à nos "chères têtes blondes...ou pas".
On notera que la fiche d’Azraelle n’est
pas surchargée de schémas, de couleurs, de personnages plus ou moins drôles **,
pas d’animaux bizarres, ni de poissons ou de méchants monstres, pas non plus de
trains et de chef de gare, toutes choses destinées à séduire plutôt qu’à convaincre.
Une explication rationnelle, facilement assimilée par des enfants, lui suffit
pour atteindre son objectif, avec en prime l’intérêt et l’amusement de ses élèves (et de mes ados, donc). Elle "prend" ses élèves par l'intelligence***, pas par la séduction.
Bravo à vous, Azraelle ! Il ne reste plus qu’à souhaiter que vous fassiez largement école dans votre futur métier de formatrice. Certes, il y a toujours eu des professeurs qui, comme vous, cherchent à éveiller, à stimuler la curiosité naturelle de leurs élèves. Mais il faut qu'ils soient de plus en plus nombreux. A quelques réactions portées à ma connaissance, ils semble que d'autres professeurs expliquent comme vous la règle à leurs élèves… quand ils en connaissent eux-mêmes la raison (après avoir consulté votre fiche ?). Certains me disent qu'ils le font, mais qu'ils ne pensaient pas nécessaire de l'indiquer dans les fiches qu'ils mettent en ligne. Je m'en réjouis. Mais alors pourquoi abonder autant dans l'application, les exemples, les évaluations… et si peu, voire pas du tout dans l'explication ? Serait-ce considéré comme secondaire, inutile, superflu, superfétatoire (on a si peu de temps...) ? Alors que c'est si fondamental pour tant de personnes ! Et si, pour certains, "cela va sans dire"... disons leur que "ça va aussi bien (et même beaucoup mieux...) en le disant"...surtout aux élèves !
Bravo à vous, Azraelle ! Il ne reste plus qu’à souhaiter que vous fassiez largement école dans votre futur métier de formatrice. Certes, il y a toujours eu des professeurs qui, comme vous, cherchent à éveiller, à stimuler la curiosité naturelle de leurs élèves. Mais il faut qu'ils soient de plus en plus nombreux. A quelques réactions portées à ma connaissance, ils semble que d'autres professeurs expliquent comme vous la règle à leurs élèves… quand ils en connaissent eux-mêmes la raison (après avoir consulté votre fiche ?). Certains me disent qu'ils le font, mais qu'ils ne pensaient pas nécessaire de l'indiquer dans les fiches qu'ils mettent en ligne. Je m'en réjouis. Mais alors pourquoi abonder autant dans l'application, les exemples, les évaluations… et si peu, voire pas du tout dans l'explication ? Serait-ce considéré comme secondaire, inutile, superflu, superfétatoire (on a si peu de temps...) ? Alors que c'est si fondamental pour tant de personnes ! Et si, pour certains, "cela va sans dire"... disons leur que "ça va aussi bien (et même beaucoup mieux...) en le disant"...surtout aux élèves !
A l'heure où l'intelligence artificielle s'annonce comme la prochaine révolution de nos vieilles civilisations, il est plus que jamais nécessaire de stimuler et de développer, en premier lieu à l'École, celle si naturelle de nos enfants.
En tout cas, en attendant, vous m’avez bien aidé à débloquer une classe de seconde qui s’est remise, en partie grâce à vous, à espérer atteindre le sens de ce qu’on apprend au lycée. Et de cela, je tiens à vous remercier tout particulièrement.
En tout cas, en attendant, vous m’avez bien aidé à débloquer une classe de seconde qui s’est remise, en partie grâce à vous, à espérer atteindre le sens de ce qu’on apprend au lycée. Et de cela, je tiens à vous remercier tout particulièrement.
* Une règle à toujours une histoire ou une explication. Il n'y a que les postulats qui n'en aient pas. Et il n'y en a pas tant que ça dans les programmes scolaires...
** Généralement , je donne aussi d'autres exemples, comme celui de l'origine de l'orthographe du mot "bathyscaphe" (il y en a tellement d'autres de ces mots bizarres à l'étymologie pourtant très éclairante...), celui de la règle d'accord des participes passés employés avec les auxiliaires être ou avoir, celui du théorème de Pythagore ou encore celui des identités remarquables... On les trouvera détaillés dans "Accompagner le travail des adolescents...", pages 212-228. Mais celui d'Azraelle, que j'utilisais pour la première fois, est plus rapide et son effet est immédiat ! En plus, il est plus "ancien" que les autres dans l'histoire personnelle de ces jeunes et il les renvoie au plus loin de leurs souvenirs de difficulté scolaire... Et donc il est bien plus "percutant" !
** Généralement , je donne aussi d'autres exemples, comme celui de l'origine de l'orthographe du mot "bathyscaphe" (il y en a tellement d'autres de ces mots bizarres à l'étymologie pourtant très éclairante...), celui de la règle d'accord des participes passés employés avec les auxiliaires être ou avoir, celui du théorème de Pythagore ou encore celui des identités remarquables... On les trouvera détaillés dans "Accompagner le travail des adolescents...", pages 212-228. Mais celui d'Azraelle, que j'utilisais pour la première fois, est plus rapide et son effet est immédiat ! En plus, il est plus "ancien" que les autres dans l'histoire personnelle de ces jeunes et il les renvoie au plus loin de leurs souvenirs de difficulté scolaire... Et donc il est bien plus "percutant" !
***Juste une image d’Astérix… Normal pour une règle qui nous vient des Romains… Mais notre petit gaulois national ne l’a donc pas envoyée en l’air d'une pitchenette négligente, comme il le faisait si allègrement des malheureux légionnaires de Jules César ! Dommage, penseront peut-être quelques écoliers… ou d’autres.
**** Dans " La formation de l'esprit scientifique" G.Bachelard cite un auteur ancien : "Un homme qui raisonne, qui démontre même, me prend pour un homme, je raisonne avec lui, il me laisse la liberté de jugement et ne me force que par ma propre raison. Un homme qui crie " voilà un fait " me prend pour un esclave".