lundi 17 septembre 2018

129 - Neurosciences et Gestion mentale : Récit d'un stage où l'on s'apprend et où l'on apprend à travailler !


Je mets aujourd’hui en ligne le compte rendu et les évaluations des élèves à la fin d’un stage au cours duquel ils ont appris à découvrir leur monde mental ("apprendre à S'apprendre") et comment l’utiliser pour mieux réussir leur apprentissage ("apprendre à travailler"). J’ai utilisé plusieurs vidéos que je mets également en lien. Elles pourront servir à d’autres que moi : Elles sont à la disposition de tous sur le net. Je les ai simplement légèrement raccourcies pour en conserver l’essentiel selon mes objectifs.

Cette année j’ai essayé plus encore que d’habitude (voir plus bas le compte rendu succinct du stage) de réaliser la synthèse entre
- d'une part,  les découvertes les plus récentes en neurosciences cognitives (importance du très récent livre de Stéphane Dehaene : Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines)
- et, d'autre part, les enseignements acquis au long de longues années de fréquentation des maîtres de la pédagogie de toujours, spécialement Antoine de la Garanderie et ses intuitions anticipatrices sur la vie mentale : elles sont de plus en plus souvent confirmées, sans pour autant que cette reconnaissance soit explicitement formulée (importance du livre d'Yves Lecocq :  (Re) penser l'acte d'apprendre. La Gestion mentale, une réponse aux défis éducatifs. Pour autant, cette confirmation ne signifie pas que ces deux domaines, aux épistémologies très distinctes, se confondent en un syncrétisme confus et indifférencié : chacun reste à sa place pour ce qu'il peut nous apporter d'aide à la réussite des jeunes que nous accompagnons.  À l'heure actuelle, nous ne connaissons pas avec certitude la nature du lien qui les unit, tout au moins savons-nous qu'ils ont partie liée dans l'apprentissage en bonne complémentarité. Dont acte.

Et pour la première fois, j'ai pu utiliser le Cahier d'exercices que je viens de publier à la Chronique sociale : J'apprends à travailler. Jules et les 10 préceptes de l'Apprenti Sage. Dans ce livret de 80 pages, on pourra trouver (sous une forme adaptée aux ados) cette synthèse que je propose entre ces deux approches de l'apprentissage : la neuronale et la mentale, qu'on trouve aussi en plus développée bien qu'un peu moins actualisée (ça va tellement vite désormais...) dans Accompagner le travail des adolescents. L'hypothèse d'Antonio  Damasio (L'autre moi-même. Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions) semble bien de plus en plus confirmée dans les écrits des neuroscientifiques les plus en pointe : les phénomènes mentaux et les réalités neuronales seraient bien "les deux faces d'un même processus". Cela ouvre un champ extraordinaire à la pédagogie et à l'accompagnement des "nouveaux apprenants" . De la génération Z (Y.Lecocq),  qui nous laissent souvent si perplexes et impuissants à les aider.

Le compte-rendu.

Compte rendu du premier stage - Septembre 2018

« Je suis une nouvelle personne » (extrait d’un bilan d’élève)

En préparant ce stage, j’avais dans l’oreille une phrase lancinante qui revenait dans plusieurs bilans de fin d’année des élèves depuis quelque temps : « Lors du premier stage, je ne voyais pas très bien où vous vouliez en venir ». Toujours la perpétuelle question du sens ! On notera que c’est l’une des formulations qui revient le plus souvent dans le Quizz sur les projets de sens des élèves pendant les cours : « J’essaie de voir où le professeur veut en venir ». Ce qui souligne bien la nécessité absolue de bien préciser l’objectif poursuivi afin que les élèves voient l’utilité d’être attentifs, de participer, de mémoriser, afin de pouvoir réutiliser ce qu’on leur transmet "dans un futur proche"… donc pas dans 6 mois, pas "pour le bac"… Ce "futur proche" est la formulation "neuroscientifique" de ce que nous appelons "projet mental". Cela peut être : réaliser un schéma collectif en fin de séquence, répondre en fin de séquence à un questionnaire qu’on a rempli provisoirement au début avec ce qu'on sait, s’atteler en groupe à la compréhension d’un document… etc., comme cela est détaillé dans le protocole décrit en fin de compte rendu  (Voir beaucoup d'exemples de ces "futurs proches" indiqués aux élèves  dans le livre de M.F Le Meignen  Faites-les réussir, on en trouve en occasion sur internet).

J’ai donc précisé les objectifs et les modalités pratiques des stages destinés à donner à chacun les clés du "métier d’élève". Puis  j’ai insisté, encore plus que d’habitude, sur les exercices de découverte du fonctionnement du cerveau et de l’activité mentale, de ses différents modes et de ses l’incontournables. Pour cela j’ai utilisé, d'abord une vidéo d’Albert Jacquard sur la construction de l’intelligence tout le long de la vie ; puis une vidéo d’Éric Gaspar (que j'ai découpée en quatre parties), dans laquelle ce professeur de maths présente de façon amusante et vivante quatre grands principes de  l’activité cérébrale dans l’apprentissage :
  •  l'intelligence n'est pas un don à la naissance, elle se construit en apprenant (confirmation de celle d'A. Jacquard par un exemple concret) :
  •  la capacité du cerveau à se transformer, à se modifier et à se perfectionner en permanence, ce que les neuroscientifiques appelle la « plasticité cérébrale » : on n’est jamais limité à l’état dans lequel on se trouve à un moment donné de sa vie, on peut toujours progresser et s’améliorer si l’on utilise bien son cerveau, notamment dans l’apprentissage. Notre cerveau change en permanence en fonction de sa connexion avec l'environnement. Ainsi on n'a pas le même cerveau en début de stage qu'à la fin, comme le signale si explicitement une des élèves dans son bilan : « Je ne suis plus la même personne » ;
  • la nécessité d’un projet (ou la conscience d’ un « futur proche » comme il est dit) condition indispensable pour que le cerveau enregistre et retienne des informations, donc les cours, les leçons...
  •  l’impossibilité d’avoir une attention soutenue sur deux tâches simultanément, sauf à en effectuer une de façon automatique et donc inconsciente, par exemple réfléchir à un problème en marchant sur un chemin dégagé, ou conduire son véhicule sur un trajet familier tout en écoutant une conversation.
On voit que ces deux vidéos (Jacquard et Gaspar) se complètent et leur impact a été très fort sur les élèves.

J’ai enchaîné avec des informations sur le cerveau lui-même, sa composition, les passages obligés pour son meilleur fonctionnement, et la réalité de l’activité mentale, de l'esprit, qui dirige et organise l’activité purement biologique des neurones (Damasio, Dehaene, Lachaux...). C’est la découverte, l’apprivoisement et l’utilisation dans les activités scolaires de cette partie mentale qui fait l’objet des stages de méthodologie. J’ai expliqué aux élèves que la vie moderne, l’omniprésence des écrans de tout type, des ordinateurs et de leur Smartphone avec la dictature de l’instantanéité du plaisir et le raccourcissement du circuit de la récompense (l’attente fébrile des « like » sur les réseaux sociaux…), tout cet environnement les maintient à l’extérieur d’eux-mêmes et leur a littéralement "volé" leur intériorité, leur "précieux"*  (au profit de qui ?), l’accès à leur vie mentale (vie intérieure source de liberté), et donc la possibilité de l’utiliser dans leur apprentissage, et que c’était là la source principale de leurs difficultés.

Cette introduction a permis aux élèves d’être très participants et concentrés dans les différents exercices que je leur ai proposés dans le reste du stage. Ils les ont tous appréciés, mais surtout celui du "dessin à reproduire", réactivé à plusieurs occasions et à l’improviste les deux matins suivant : étonnement général devant la qualité de ce qu’ils retrouvaient dans leur tête (renforcement du souvenir par la répétition et action démultipliante du sommeil).  Plusieurs dialogues pédagogiques en petit groupe  ont aidé à la prise de conscience des habitudes mentales de chaque élève (sa "langue mentale",  "méthode personnelle" d’apprentissage) et la prise en compte des fonctionnements différents de ses camarades...dans lesquels il pourrait puiser des ressources complémentaires aux siennes (cela ressort souvent et très positivement dans leurs évaluations). A plusieurs occasions j’ai proposé aux jeunes de lire des passages du Cahier J’apprends à travailler, et ils ont fait certains exercices directement avec lui (ils ont bien aimé avoir un livre "pour eux"). Ce support sera le "fil rouge" de l’accompagnement de cette année.

L’activité d’application à T'ES PAS CAP (accrobranches) qui a eu lieu l’après-midi du deuxième jour, a permis un réinvestissement "décalé" de toutes ces découvertes. Le mot d’ordre était : l'esprit et le cerveau d’abord, les jambes et les bras après ! Elle a atteint pleinement ses objectifs pour tous les élèves, et spécialement pour celles et ceux dont la peur du vide ou les souvenirs d’échec leur interdisaient d’aborder sereinement cette activité, majoritairement nouvelle et impressionnante. Ils ont été grandement valorisés d’avoir pu surmonter leur difficulté et surtout d’avoir pu découvrir en eux-mêmes le moyen de ce dépassement. Ils en ont témoigné le lendemain matin avec l’émotion compréhensible que cette expérience provoquait en eux. C’est en s’efforçant d’imaginer concrètement le parcours à effectuer, les gestes à produire, de se voir réellement en action qu’ils ont pu chasser de leur esprit la peur et l’appréhension du vide… et se motiver .

J’avais également en tête ce que l’on dit actuellement du rapport à l’apprentissage de cette génération "Z" et du défi que posent à l’école ces "nouveaux apprenants". J’ai donc progressivement amené les élèves à la séquence de clôture : lecture (avec une petite video introductive : on y parle de "petit film"... on pourrait aussi bien parler de "se commenter", ou de "personnaliser" en vivant mentalement les actions...), compréhension/assimilation et mémorisation, exposé oral à partir d’un texte "scolaire" fourni par le professeur d’histoire-géographie (protocole de Kyoto). Texte difficile, aride, avec beaucoup de dates, de sigles et d’acronymes, de relations causales et temporelles… Prototype parfait du texte scolaire rebutant et apte à provoquer chez les élèves le sentiment d’incapacité à le comprendre. Voici comment je m’y suis pris, non pas pour que ce soit un modèle, mais pour préciser ce qui m’a permis de les amener à entrer dans le jeu et à finalement réussir et y trouver quelque plaisir. On pourra peut-être reprendre ce protocole en séance d’AP. Cela pourrait aussi servir à introduire une situation de classe inversée.

Protocole pour une séance collective de compréhension d’un texte scolaire.

Activités, consignes.

Objectifs visés dans l’activité mentale des élèves
1.     Qu’est-ce que lire veut dire ? Recueil des diverses formulations les élèves, jusqu’à approcher la notion de former volontairement des évocations à partir du texte.
Réinvestissement des découvertes individuelles précédentes sur l’activité mentale, utilisation des différents modes d’évocation déjà repérés, en soi-même ou chez les autres.

2.    Première lecture du premier paragraphe.
Évoquer tout ce que l’on peut dans cette première lecture pour accéder au sens du texte.
3. Dialogue pédagogique collectif en deux temps :
    a/  qu’avez-vous compris ?
    b/ qu’avez-vous fait dans votre tête qui vous a permis de comprendre ?
Amener les élèves à observer leur activité mentale après cette première lecture, à retrouver leur itinéraire mental, à le verbaliser, à le comparer avec celui de leurs camarades
4. Comment pouvez-vous être sûr que votre compréhension est bonne, juste, suffisante ? Recueil des formulations jusqu’à l’énonciation de l’opération de comparaison.
Amener les élèves à trouver par eux-mêmes le moyen de vérifier leur compréhension par une comparaison évocations-texte.
5. Deuxième lecture, pour vérifier, compléter, ajuster la            compréhension première et imparfaite.
Comparer les premières évocations et le texte : différences et similitudes, est-ce que j’ai bien tout compris, est-ce que j’ai tout évoqué ? Quelles évocations supplémentaires je pourrais utiliser ?
6. Dialogue pédagogique collectif : cette seconde lecture          était elle semblable à la première ? Qu’observez-vous ?
Observer les évocations faites pendant la seconde lecture, comparer avec celles de la première lecture, identifier les différences, les compléments effectués, les corrections, les ajustements, etc.
7. Lecture de l’ensemble du texte en évoquant par tous les        moyens, en relisant autant que de besoin, en prenant              autant de temps que nécessaire.
Les élèves sont en pleine activité évocative, totalement concentrés sur ce qui se passe dans leur tête.
8. Mise en petits groupes de trois. Chacun à tour de rôle            énonce à sa façon ce qu’il a compris du texte et compare      avec ce que disent les autres.
Extérioriser sa compréhension, reformuler avec ses propres mots, comparer avec la formulation des autres, ajuster sa propre compréhension et l’enrichir de celle des autres.
9. Se mettre d’accord sur une compréhension commune.         Utiliser selon les besoins des Smartphones personnels**        pour rechercher des précisions ou des compléments               d’information.
Négocier les points de différence ou de désaccord, dépasser son niveau de compréhension personnelle, entrer dans une intelligence collective du texte avec recours à des éléments extérieurs numériques.
10. Réaliser un premier schéma du texte (compétence              fondamentale et transversale : transformer un texte en          schéma)
Commencer l’assimilation du texte, sa transformation, passer du séquentiel/linéaire au spatial/globalisant (ils restent proches du texte).
11. Je propose une schématisation autour de questions             émanant du texte : Quoi ? Comment ? Avec qui ou quoi ?     Pourquoi ? Pour quoi faire ? (Première approche des             « cinq questions » de la compréhension.)
Approfondir l’assimilation du texte, procéder à une deuxième transformation, reformuler, prendre de la distance, du recul par rapport à la forme initiale du texte, le transformer en éléments "nutritifs" propres à nourrir la culture personnelle
12. Réalisation d’une affiche avec un schéma collectif  à         présenter à la classe autour de ces questions.
Extériorisation de l’activité mentale, discussion, confrontation des points de vue pour la réalisation du schéma, le choix des mots-clés.
13. Présentation de chaque groupe par tirage au sort du présentateur du travail collectif.
Apprentissage de l’expression orale dans le cadre d’un travail collectif.

Bien entendu, je n’agis pas ici en responsable de la transmission d’un savoir "officiel". C’est là la responsabilité du professeur lui-même. Peut-être les élèves ont-ils commis des erreurs d’interprétation,  n’ont pas été assez loin dans leur compréhension : cela sera rectifié, prolongé, enrichi par le professeur dans un cours ultérieur. De même qu’il pourra, le cas échéant, valider les compréhensions correctes. J’agis seulement en tant qu’accompagnateur/facilitateur d’apprentissage,  je travaille sur la qualité de l’activité interne des élèves dans la réception et l’assimilation de ces savoirs, ce second pôle de la transmission qu’il est désormais de la responsabilité de l’enseignant de révéler, de susciter de façon explicite, de favoriser, d’encadrer, de finaliser (au sens de lui donner un sens de finalité : à quoi ça va servir ?) pour que la transmission/apprentissage soit réussie.

 Les évaluations finales des élèves montrent bien  que, chacun à sa mesure, tous ont changé dans leur tête et dans leur cœur : ils sont « de nouvelles personnes » comme l’écrit l’une d’entre eux dans son bilan, et c’était là un peu mon objectif.


* référence au Seigneur des Anneaux, quand Golum se plaint qu'on lui ai volé l'anneau d'or, son "précieux"... ca parle bien (encore pour quelques temps ?) aux jeunes d'aujourd'hui...
**Deux élèves n’en avaient pas à leur disposition… C’est assez rare pour être signalé !


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