lundi 19 novembre 2018

132. La génération Z à l’IUT. Problème de réflexion… et de mémoire...


La génération Z à l’IUT…

La semaine dernière, j’ai rencontré un groupe de professeurs des IUT, tous départements confondus dans le cadre du C.R.E.D. (Centre de Recherche d'Études et de Développement,  un service transversal de l'IUT de Bordeaux), avec qui je travaille depuis le début de l’année. Le principe retenu par les organisateurs est qu’ils lisent certains chapitres de mon livre Accompagner le travail des adolescents…  et qu’ensuite je réponde à leurs questions, ce qui permet d’élargir, de poursuivre la réflexion issue de leur lecture et de la mettre en lien avec leurs pratiques… ou avec les difficultés qu’ils y rencontrent. Cette fois-ci, après avoir présenté l'ensemble du projet global d'apprentissage qui mène à la réussite, avec son aboutissement dans l'expression pour autrui, nous avons travaillé autour du geste de réflexion. En introduction, j'ai  expliqué la distinction des systèmes 1 et 2 du fonctionnement cérébral (voir message 130).

Les questions étaient pertinentes, les exercices faits avec sérieux, l’intérêt était manifeste, les liens avec certaines pratiques proposées par les intervenants bien effectués…

Jusqu'au moment où une participante a exprimé son désarroi à peu près de cette façon : « Ce que vous nous proposez est très intéressant, certainement vrai et pertinent pour la réussite de nos élèves. Toutefois je ne m’y retrouve pas : vous dites que la réflexion c’est l’appel à la mémoire de long terme qui vient au secours de la mémoire de travail au cours de la résolution d’un problème. Soit. Mais voyez-vous, nos élèves nous disent qu’ils n’ont rien dans leur mémoire. Ils sont convaincus que tout est disponible dans les mémoires externes de leur ordinateur ou de leur Smartphone, et donc ils ne voient pas la nécessité de mémoriser leurs cours. Dans ces conditions, comment pourraient-ils mener une réflexion telle que vous la présentez ? »

Ce n’est pas la première fois que l’on me fait cette objection. J’ai tenté de rassurer ce professeur avec les arguments suivants :

·   Tout d’abord, les élèves ne sachant pas mener à bien une activité réflexive méthodique, ils n’ont aucun moyen de connaître le contenu réel de leur mémoire à long terme, par définition inconsciente. On se souvient de ce que l’on sait justement au moment où l’on en a besoin pour réfléchir. En dehors de ce moment-là, nous ne savons pas exactement ce que nous savons : c’est justement l’intérêt de la mémoire de long terme… qui dégage notre espace de travail conscient (limité)… notamment pour réfléchir. Je vois constamment des élèves ou même des adultes buter sur les petits exercices que nous venons de faire parce que la règle de l’accord du participe passé, ou celle de la division d’un nombre par lui-même, ne leur revient pas au bon moment. Est-ce à dire qu’ils ne la connaissent pas ? À cela plusieurs raisons :
- soit ils n’ont pas mémorisé la formulation exacte de la règle, et n’ont alors que le souvenir,  pas toujours bien précis,  de la procédure d’application, plus ou moins bien passée dans leurs automatismes (système 1);
- soit elle leur revient mais après coup, lorsque, pressés de justifier leur réponse, ils se livrent… à une réflexion méthodique…(système 2).

·       De nos jours, il n’est pas question que tout le savoir de l’humanité soit contenu dans une mémoire humaine, cela est impossible. Il vaut mieux aider les élèves à trouver par eux-mêmes les éléments dont ils ont besoin, plutôt que de les mémoriser péniblement et de tenter d’en garder une mémoire encyclopédique ( imagine-t-on un savant ou un érudit sans une imposante bibliothèque ? Et qu'est-ce donc d'autre qu'un disque dur ou internet ?) . Il est donc important qu’ils soient formés à une pratique de recherche pertinente d’informations sur Internet. Ce qui n’empêche nullement, et même souvent la facilite, leur mémorisation : « on ne retient bien que ce que l’on découvre soi-même » ….

·         On retrouve ici une des caractéristiques de la génération Z ,si bien décrites par Yves Lecocq dans son livre : (Re)penser l’acte d’apprendre  (Septembre 2018). L’enjeu, c’est vrai, est de taille. L’écart est de plus en plus grand entre, d’une part, les logiques enseignantes héritées du passé (parfois très éloigné... de leurs propres études), les programmes actuels, les habitudes de travail plus ou moins bien adaptées déjà aux générations précédentes (la génération Y, enfants nés entre 1980 et 2000 dans le numérique et Internet, les digital native ), et, d’autre part, la génération Z, (ou génération 4C pour Communication, Collaboration, Connexion et Créativité) c.à.d. les enfants nés après 2000 dans le monde des écrans de toutes sortes et des flux d’information de plus en plus difficiles à maîtriser… = ceux qui sont actuellement en IUT.

Alors, sûrement, faut-il repenser nos manières d’aborder ces jeunes et de leur transmettre les savoirs et savoir-faire dont ils auront besoin dans leur carrière professionnelle. Sûrement l’environnement a changé. Sûrement on ne peut pas enseigner comme on le faisait au XIXe siècle, ni même au XXe. Il faut prendre en compte leur nouveau rapport au savoir et à l’école. Mais, tant qu’on n’y a pas (encore…) implanté des puces électroniques pour augmenter leurs capacités attentionnelles, mémorielles ou réflexives, et sauf preuve (encore manquante) du contraire, leur cerveau fonctionne toujours de la même façon : il faut beaucoup plus d’une génération pour modifier substantiellement le fonctionnement cérébral humain.

Alors que faire ? Même si c’est difficile et très éloigné de leur mode habituel de pensée (notamment sur le système 1 : rapide, intuitif, automatique, émotionnel…), il faut leur transmettre la bonne manière de se servir de cet organe fondamental de leur apprentissage, en suivant les recommandations de Stanislas Dehaene (dont on ne peut pas dire qu’il soit un nostalgique de l’école du passé…) dans son dernier livre : Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, paru en septembre 2018 (difficile de faire plus actuel !) :

Page 27 : « Apprendre à apprendre. L’éducation démultiplie les facultés déjà considérables de notre cerveau – mais pourrait-elle faire mieux encore ? À l’école, à l’université et au travail, contraints de nous adapter toujours plus vite, nous jonglons avec nos algorithmes cérébraux d’apprentissage. Cependant, nous le faisons d’une façon intuitive, sans avoir jamais appris à apprendre. Personne ne nous a expliqué les règles qui font que notre cerveau mémorise et comprend ou, au contraire, oublie et se trompe. C’est dommage, car les données abondent. (…) (Parmi les interventions pédagogiques qui marchent), l’une des plus efficaces, c’est la métacognition, c’est-à-dire le fait de mieux connaître son propre fonctionnement cognitif. Savoir apprendre est l’un des plus importants facteurs de réussite scolaire. »
Et plus loin :
« Il me paraît fondamental que chaque enfant, que chaque adulte prenne la pleine mesure du potentiel de son propre cerveau et aussi, bien sûr, de ses limites. Les sciences cognitives contemporaines, par la dissection systématique qu’elles pratiquent de nos algorithmes mentaux et de leurs mécanismes cérébraux, revisitent le célèbre adage socratique « Connais-toi toi-même ». Aujourd’hui, (…) il s’agit (…) de mieux connaître la subtile mécanique neuronale qui engendre nos pensées (j'ajoute et je préfère, car plus vrai, QU' engendrent nos pensées...), afin de mieux la maîtriser et de la mettre au service de nos goûts et de nos besoins. » Il aurait pu ajouter : de nos apprentissages…

« Je pense aussi, bien entendu, aux professionnels de l’apprentissage que sont les enseignants. Je suis profondément convaincu qu’on ne peut pas enseigner convenablement sans posséder, implicitement ou explicitement, un modèle mental de ce qui se passe dans la tête de l’enfant : quels sont ses intuitions, correctes ou erronées, quelles sont les étapes par lequel il doit passer pour progresser (c'est moi qui souligne) et quels facteurs l’aident à développer ses compétences. »

Et ce sont bien ce modèle et ces étapes qu’il s’agit de faire découvrir, explicitement, à ces "Z"  à qui on l’avait caché jusqu’ici : il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Leur faire découvrir les mécanismes mentaux qui engendrent et développent la subtile mécanique de leurs neurones, c’est-à-dire ces règles de la pensée et de l'Ecole "jamais expliquées", les projets (ces "algorithmes mentaux") à mettre en œuvre consciemment pour être attentif, comprendre, mémoriser, imaginer, créer, puis réfléchir en récupérant les acquis nécessaires ou en allant les rechercher en utilisant les Connexions disponibles, Créer (seul ou Collectivement)  une solution innovante et adaptée à une situation nouvelle et inconnue, et enfin Communiquer sa pensée aux autres de façon claire et convaincante. Génération C... connectée, collective, créative et communicante !

Mais on ne peut enseigner que ce que l’on connaît, on ne peut bien transmettre que ce que l’on a éprouvé par soi-même. C’est bien le but de nos travaux, même si le temps nous est compté pour cette mission. Il faut garder confiance dans la capacité de nos jeunes à développer leurs potentialités et à les mettre au service d'un apprentissage mieux maîtrisé et donc plus performant. On voit mal ce qu’ils auraient à y perdre.

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