Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "VM attitude", la conviction fondamentale, profonde et intime qui orientait mes pratiques d'accompagnement, autant individuel que collectif. Il fait partie, outre les livres d'ADG eux-mêmes, de ces témoignages oraux (et donc plus rares) qui ont bien inspiré certains passages de (Re)trouver le sens au coeur de la classe, surtout pour les passages concernant le dialogue pédagogique collectif (DPC) en classe.
La médiation est un concept assez galvaudé vers la fin du XXe siècle. Détourné de son sens profond par une pédagogie essentiellement béhavioriste, exclusivement "sensorimotrice" dans laquelle le couple perception-action ne laisse aucune place à l'intériorité des élèves, à ce troisième temps (ou plutôt second temps… intercalaire, intérieur , d'intensité et de durée variable) qui leur permet de se reconnaître en tant que sujets et de trouver en eux-mêmes, par eux-mêmes avec notre aide au besoin, leurs moyens personnels d'entrer dans l'exigence si humaine de connaître bien plus satisfaisante et épanouissante que le seul devoir d'apprendre.
On notera également qu'on est assez loin de la métacognition prônée aujourd'hui. Cette fausse médiation qui voudrait, de l'extérieur, comme avec de longues baguettes, gérer l'apprentissage d'un enfant selon les critères de réussite d'une société qui ne le reconnait pas en tant que "personne"*. Loin de cette extériorité distante, dépersonnalisante, qui provoque souvent chez les élèves des réactions "d'encontre" (refus, fuite, violence… ), la médiation que propose La Garanderie est une véritable "rencontre" humaine. Mieux que la béate bienveillance que l'on nous vend trop souvent aujourd'hui (certes nécessaire , mais qui bien souvent demeure superficielle), plutôt une "r(é)assurance" bien plus à même de soulager à sa racine, en profondeur et durablement, l'anxiété éprouvée par tant de jeunes aujourd'hui :
* Ce mot, on ne l'emploie plus guère que négativement, pour "nier" la personne, comme lorsque, dans une classe non "résonnante", on déclare "il n'y a personne qui répond" comme pour le téléphone de Gaston (Nino Ferrer) ... Avec la pédagogie de la vie mentale, "il y a personne" dans la classe, tant du coté du professeur que des élèves...
"Pour cela, il faut que, d’une part, l’action du formateur ou de l’enseignant soit rassurante, et, d’autre part, qu’elle ouvre au sens des efforts à faire : « Tu as à te rencontrer toi-même, tu n’as pas à te fuir en cherchant de répondre tout de suite à la question, en cherchant éperdument un modèle dans la tête de ton enseignant, tu n’as pas à te fuir en refusant le travail. Tu as à t’accepter en ayant foi en toi, et tu vas voir que si tu t’acceptes de l’intérieur, tu vas pouvoir te trouver, te rencontrer et tu vas pouvoir progresser ».
Voici le texte entier d'Antoine de la Garanderie, extrait de son allocution de clôture du Colloque de l'IIGM de 1996 :
Extrait de
l’allocution finale d’Antoine de la Garanderie
au Colloque de
gestion mentale de 1996.
Nous communiquons
ici un extrait de l’allocution finale consacrée à une réflexion sur le rôle de
la médiation et de l’introspection en gestion mentale comme moyen de
développement de l’individu.
« Le souci, l’exigence de cette introspection que nous
pratiquons permet d’être proches de l’autre et c’est ce qui est au cœur de la
médiation que nous établissons.
Le sens du mot « médiation » doit être approfondi. Il y a
quelque chose à vivre au cœur de la médiation : c’est la rencontre. Lorsque
nous interrogeons des sujets sur leur manière de s’y prendre dans une situation
de tâche, nous ne souhaitons pas tellement être médiateurs, nous voulons aller
à leur rencontre, pour qu’ils puissent se rencontrer eux-mêmes.
Le « R » du début du mot rencontre est très important parce
que, quand on ne va pas à la rencontre de quelqu’un, j’ai très peur que l’on ne
se trouve être à son encontre. Ces sujets ont besoin de se rencontrer
eux-mêmes, du fait même qu’ils sont en situation d’insécurité, dans une
exigence d’effort et de dépassement. Ils ne doivent pas se trouver dans une
situation où il y a de l’encontre. Et ce « R » de réconciliation, cette aire (ou
ère ?) de communication va leur permettre de s’accepter, de se trouver eux-mêmes.
Dans tout ce travail de dialogue pédagogique (…), nous avons ce souci, cette
exigence, de communiquer avec le sujet auquel nous parlons. Pour cela, il faut
que notre voix, que notre questionnement lui permette d’aller à la rencontre de
lui-même. Il est inquiet ce qu’il va rencontrer. Il a besoin d’être rassuré sur
lui-même, par un regard prometteur de progrès.
Le point le plus important du dialogue pédagogique est
l’éveil du sujet à lui-même dans ses tâches ; il s’éveille par rapport aux
façons dont il peut s’y prendre mentalement pour s’adapter aux tâches à
accomplir. Il est donc absolument nécessaire qu’il puisse vivre dans un climat
d’harmonie avec lui-même, qui sache que l’harmonie peut se faire, va se faire.
Pour cela, il faut que, d’une part, l’action du formateur ou de l’enseignant
soit rassurante, et, d’autre part, qu’elle ouvre au sens des efforts à
faire : « Tu as à te rencontrer toi-même, tu n’as pas à te fuir en cherchant
de répondre tout de suite à la question, en cherchant éperdument un modèle dans
la tête de ton enseignant, tu n’as pas à te fuir en refusant le travail. Tu as
à t’accepter en ayant foi en toi, et tu vas voir que si tu t’acceptes de
l’intérieur tu vas pouvoir te trouver, te rencontrer et tu vas pouvoir
progresser ».
Toute activité d’acquisition de connaissances réunit dans la
conscience d’un sujet l’objet qu’il a à conquérir, les gestes qu’il
a à faire et lui-même. Cette mise en examen nécessite un travail
d’intériorité. Or, il est certain que la pédagogie a souvent négligé
l’intériorité de l’être humain. On a fait une pédagogie de type sensorimoteur :
tâche et adaptation à la tâche. Les lois de la grammaire, les théorèmes, les
règles sont considérés comme quelque chose d’extérieur, comme si le sujet avait
purement et simplement à s’y adapter. On oublie que le sujet a à s’adapter à
lui-même par une réflexion qui devrait lui permettre justement de conquérir ces
objets d’étude.
Au lieu d’une pédagogie à deux temps : perception et action,
il nous faut une pédagogie à trois temps ; il faut que le sujet lui-même se
prenne en compte entre la perception et l’action. Il a tout un effort à faire
sur lui-même d’adaptation à la tâche, à la connaissance de l’objet. C’est un
effort de prise de conscience des moyens mentaux qu’il peut employer pour
s’adapter aux tâches.
Telle est la raison profonde de tout le travail que nous
avons entrepris. Il n’y aura pas d’acquisition et de développement de
connaissances d’une façon démocratique, si on ne met pas le sujet en face d’une
régulation par lui-même de ses procédures ; s’il n’y a pas de prise de
conscience des moyens d’opérer, il n’y aura pas de développement de
connaissance. C’était là, en effet, ma préoccupation : si l’on veut permettre à
un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens
pour qu’il y parvienne. J’étais préoccupé par le désarroi et l’échec de tant
d’enfants malheureux parce qu’on laissait un vide au-dedans d’eux entre l’objet
et l’acte à faire (pour l’appréhender) !
Antoine de la
Garanderie. 31 mars 1996