Comment travailler la compréhension en stage de méthodologie ?
(ou en séance d’accompagnement personnalisé)
Chaque jeune vient en stage avec
des attentes différentes, et souvent, il privilégie la compréhension à la
mémorisation et estime qu’il n’a pas de problème pour comprendre. D’autres
annoncent clairement que souvent, ils ne comprennent rien à des documents, aux
questions qu’on leur pose, ou à ce qui est dans leur livre. Depuis pas mal
d’années, je tente de faire faire un pas vers la compréhension aux jeunes qui viennent
me voir.
Je propose ici de montrer en quoi
ma pratique a évolué au cours des ans.
Si je reprends les
caractéristiques du geste de compréhension, j’aligne :
l’évocation de la chose, sa
traduction dans ma langue, le cadre espace ou temps dans lequel je place cette
chose mentalement, les liens logiques entre les parties de cette chose, ou entre
cette chose et mes acquis situés dans ma bibliothèque mentale, le tout en
tenant compte de ce qu’on nomme mes projets de sens. Cela m’est nécessaire pour
que j’aie des chances de pouvoir advenir à la compréhension.
Voici concrètement les éléments que
j’ai introduits petit à petit dans les stages ou les entretiens avec des jeunes, éléments que j’ai tirés de
mes lectures ou des rencontres avec des formateurs, intégrés sans en prendre conscience
forcément, ce qui ne me permettra pas de rendre à chaque César ce qui lui
revient.
Evoquer pour traduire.
Pour donner du sens, il faut
avoir l’information en soi, et je renvoie à ce qui a été fait à propos de
l’attention. L’évocation permet une traduction intérieure en images fixes ou animées (spatialité), en discours ou
commentaires (linéarité), en film (le film contient des images, des sons,
provoque des ressentis dans des proportions propres à chacun selon sa langue
pédagogique).
Avant ou après ou simultanément, on
peut traduire extérieurement c’est à
dire transformer des documents donnés sous une forme linéaire en une forme spatiale et globale ou réciproquement (ex : texte en schéma, schéma en histoire, etc.).
Trop souvent, celui qui ne comprend pas reste avec l'objet à comprendre, y
vient et y revient, espérant que le sens va venir tout seul. Bien sûr qu’il
viendra, mais de son intérieur et personne ne pourra le lui donner. Néanmoins il peut préparer sa venue, déblayer
le terrain, retourner l’objet, le palper mentalement, l’éloigner ou le
rapprocher, chercher à le comparer à un autre, etc.
Aussi, en atelier, pour commencer,
je donne le petit texte suivant :
« La
bile, secrétée par le foie et emmagasinée dans la vésicule, est
déversée ensuite dans le premier segment de l’intestin en même temps que le suc pancréatique venant du pancréas. »
Je demande de raconter la même
chose autrement, par exemple avec un schéma. Et je constate que certains font
un dessin du tube digestif, et d’autres construisent un organigramme. Les uns évoquent
le concret, les autres l’organisation des organes. Ils repèrent au passage que
les acquis culturels sont bien utiles !
Un autre exercice permet de
passer à l’opération inverse. Je présente une courbe donnant la position d’une
voiture en fonction du temps, et je demande de raconter ce qui a dû se passer. Certains
assimilent la forme de la courbe à la forme de la route. D’autres sont bloqués
à priori par le spectre des mathématiques associé à cette courbe. Je propose à
celui qui a du mal de regarder une portion de courbe, de raconter comment
évolue la position en fonction du temps, puis de détourner les yeux du document
et de repenser à ce qu’il vient de dire. En
s’appuyant alors seulement sur ce discours repensé, il va trouver la
signification de cette portion de courbe. Ainsi, déconnecté de la perception de
la courbe (et de la confusion entre code et réalité), il peut mieux approcher
cette réalité. Il s’est agit ici d’une traduction d’un langage (perçu et
symbolique) en un autre (évoqué dans son paramètre favori).
Plus tard, j’ai découvert la métaphore de la barque
racontée par Guy Sonnois dans son premier livre.
Voici en gros le dialogue que
j’instaure alors avec les jeunes :
moi : je n’aime pas les
escargots. … Vous avez compris ce
que je viens de vous dire?
eux : oui
moi : …et bien il n’y a plus
de problème…
un : les escargots vivants
ou les escargots en chocolat ?
moi : les vivants
un : vous n’aimez pas les
manger ou vous n’aimez pas les voir ?
moi : les manger
un autre : ça vous fait quoi
de les manger ?
moi : avez-vous encore
d’autres questions, parce qu’il semble que ce ne soit pas si clair que
ça ?
eux : qu’est ce qui a
déclenché cette aversion ?
moi : savez-vous si cette
répulsion est aussi là avec les huîtres ? Si l’un d’entre vous m’invite
plus tard et m’offre à diner des feuilletés aux escargots, pourrai-je dire
qu’il m’avait compris ?
Puis je pose au tableau les 5
mots explication, application, relation,
finalisation et reformulation.
J’associe leurs questions à l’une
de ces portes de la compréhension,
puis je demande qui a besoin de l’une en premier, qui a besoin de l’autre, etc. Je décline ensuite les avantages
de chaque porte, et ce qui peut
manquer dans le cas contraire.
Pour tout objet de connaissance,
l’élève s’interroge en fonction d’un projet intérieur spontané.
Je donne donc le tableau suivant,
pour préciser, les projets que l’on peut associer à chaque porte afin que
chacun puisse élargir sa compréhension :
Mon projet à propos de la connaissance
|
Question favorite
|
Les portes
|
Chercher comment elle s'énonce
|
C'est quoi
?
|
Formulation
|
Chercher d'où elle vient
|
Pourquoi
?
|
Explication
|
Chercher à quoi elle sert
|
Pour quoi
?
|
Finalisation
|
Chercher à quoi on peut la rattacher
|
Avec quoi
?
|
Relation
|
Chercher comment on s'en sert
|
Comment ?
|
Application
|
Autre exemple : le « s » du
pluriel décliné avec les 5 questions :
Explication : Parfois, si le s
n'est pas écrit, on ne sait pas si on parle d'une ou de plusieurs
choses.
(Une exposition de
voitures. Une explosion de bombe).
Application : On ajoute s
chaque fois que le mot est au pluriel.
Exemple : un chat, des
chats.
Mais il faut se méfier des
exceptions.
C'est vrai pour les noms
et les adjectifs, jamais pour les verbes.
Relation :
Certains mots prennent un x (choux)
Certains mots changent de
forme (cheval-chevaux)
Certains mots ont déjà
un s
au singulier ( puits, corps ).Ils
sont invariables.
La 2° personne du
singulier du présent est marquée d'un
s mais c'est une conjugaison.
Finalisation : En dictée, j'y
penserai dès qu'on parlera de plusieurs choses.
Quand j'entendrai parler du pluriel.
Chaque fois que
j'inventerai un texte, que j’en recopierai un.
Reformulation : Le ................
Les
...............s
De nombreux mots ( noms
commun, adjectifs) prennent un s à la fin s'ils sont au
pluriel.
Ensuite, je
demande aux jeunes de penser à un concept étudié en classe et de trouver du
contenu pour les 5 portes ci-dessus.
Faire des liens.
Plus tard, j’ai proposé des exercices qui mettaient en évidence que
comprendre, c’est faire des liens.
Il y a d’abord l’approche la plus
simple qui consiste à donner deux photos ou deux schémas (de cellules, par
exemple l’une d’oignon et l’autre de grenouille) et de demander de les
comparer. Je leur fait remarquer ensuite qu’ils ont été plus sensibles aux différences, ou au
contraire aux similitudes. Je fais de même avec un tableau des caractéristiques
des particules fondamentales de la matière, et je demande de faire de courtes
phrases qui permettent de comparer deux particules. Mais quand on sait ce qui
est prépondérant pour chacun, on n’a pas fini d’explorer les liens. Et ce travail
étant fastidieux en groupe, je passe directement à la recherche de liens
systématiques, avec un texte sur le brachyptérolle écaillé, vivant à
Madagascar, texte qui décrit l’aspect,
les habitudes, l’habitat et la nourriture de cet oiseau.
Je fais lire ce texte, et demande
s’ils l’ont compris. Si un mot est
inconnu, j’en donne le sens.
Puis, je demande de prendre une
feuille format paysage, et d’écrire dans des bulles, toutes les informations
que l’on découvre dans ce texte. Ensuite on cherche quel lien peut relier l’une
et l’autre des informations citées ( ex : le bec épais peut lui servir
pour creuser son nid dans le sol). On relie les bulles concernées. Un échange
entre les membres du groupe permet de compléter la feuille de chacun. Ces liens
n’apparaissent pas si facilement qu’on pourrait le croire. Lorsque ce travail
est achevé, je demande si la compréhension est meilleure qu’à la première
lecture. Ils valident alors que leur compréhension est devenue plus profonde
grâce à ces liens.
Pour parachever, je demande, autour
de l’ensemble des bulles, d’écrire des questions ou des thèmes pour lesquels
ces informations serviraient de réponse, d’illustration ou de justification. (Cet
oiseau est un exemple d’adaptation au milieu, …). Cette dernière activité ouvre
à une compréhension plus large et à l’anticipation.
S’appuyer sur les paramètres.
Le dernier exercice en date pour
comprendre un texte, je le dois à Béatrice Glickmann. Elle s’appuie sur les paramètres
pour balayer le champ de ce qui est nécessaire pour posséder un texte.
Je propose de lire un texte pour
le comprendre.
Puis chacun prendre une feuille, trace 4 cases et les numérote
de 1 à 4.
Sans document,
-
dans la 1°case, chacun va noter les événements
qu’il connaît et qui se rattachent à ce texte, l’expérience qu’il a, les
situations de sa vie auxquelles ce texte
fait penser.
-
Dans la deuxième case, chacun note les mots techniques
du texte, les définitions, les conventions, les codes attachés à ce texte.
-
Dans la troisième case, on cherchera des liens logiques
à établir entre des éléments du texte ou avec d’autres connaissances. On
tentera de faire un schéma de l’essentiel du texte, d’en faire une traduction
en mot ou en symboles.
-
Enfin, la quatrième case sera occupée par des
prolongements, des hypothèses, des rapprochements inédits. (Doutes).
Ce travail permet de comprendre
le texte plus en profondeur, de préparer l’évaluation future, avec la case 2, et
le devoir, grâce à la 4° case.
Les projets de sens.
Quant aux projets de sens qui
orientent le mouvement intérieur de chacun lorsqu’il pense, ils émergeront par
le dialogue pédagogique. L’exploration ne doit pas se faire uniquement sur les
projets de sens répertoriés. On découvre que chacun est tendu vers quelque
chose qui lui semble important, qui est premier, qui est passage obligé.
En voici quelques exemples :
avoir fini le plus vite possible, montrer que j’ai bien travaillé, faire
plaisir ou plaire, recevoir l’admiration des autres, respecter rigoureusement
la forme de l’information reçue, ne pas tricher en imaginant à l’avance les
questions du professeur, etc.
Si certains projets cachés, mis à
jour par le dialogue risquent de ralentir l’apprentissage, il sera possible d’en
prendre conscience, de les compléter. ou parfois de les corriger.
Et il arrive souvent que c’est
surtout pour cela qu’il valait la peine de se rencontrer.
Conclusion.
Ce travail s’accompagne le plus
souvent d’une prise de conscience de la nécessité d’apprendre pour nourrir sa
bibliothèque mentale afin de comprendre plus tard. Il favorisera aussi la
réflexion par une meilleure saisie des lois, des protocoles, des énoncés et
notamment des documents à partir desquels, en devoir, il faut de plus en plus
analyser, commenter, argumenter.
Georges Gidrol 2011
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