vendredi 30 août 2013

64 - Mise en projet des élèves : de l’importance de la précision du vocabulaire utilisé.

Dans « Accompagner… », à propos de la mise en projet, j'ai voulu montrer à quel point des imprécisions de vocabulaire dans les consignes orientaient dans des sens différents les projets mentaux  des élèves. Une bonne consigne doit en effet permettre aux élèves de former mentalement des projets le plus possible en rapport avec la tâche à effectuer. On parle alors d'une consigne « univoque », c'est-à-dire qui ne peut donner lieu qu'à une seule évocation de la tâche. Malgré les différences évocatives individuelles, la tâche doit être évoquée de la même façon par tous, et donc les projets d'action de chacun doivent être sinon totalement identiques, du moins conformes aux actes de connaissance devant être produits pour que le travail soit réussi. Par opposition, une consigne dont les termes sont imprécis, ou mal connus par les élèves, sera dite « équivoque » et pourra entraîner des divergences notables, voire des impasses totales (et non conscientes…) dans les projets des élèves

Aujourd'hui, en cette période de rentrée,  je voudrais insister sur ce point qui me semble capital, et qui nécessite, de la  part des enseignants et de tous les accompagnateurs du travail des élèves, la plus grande attention.

Dans un article de ce blog (voir message 42), j'ai développé la différence qu'il y avait entre « savoir » quelque chose par coeur et « apprendre » cette même chose par coeur. Selon que l'on indique à l'élève qu’il doit savoir ou apprendre par coeur, les actes qu'il produira ne seront pas du tout les mêmes. Les uns amèneront au succès, les autres à l'échec, et cela par la faute même de l'enseignant ou du formateur qui sera resté trop « équivoque » dans sa formulation.

Je voudrais ici rapporter trois exemples d'une compréhension ou d'une utilisation  incorrecte de termes pouvant amener pour le moins de la confusion dans la communication pour les adultes et, hélas trop souvent, pour les élèves à des difficultés incompréhensibles autrement .

Mon premier exemple est celui d'une Principale de collège avec qui je discutais de sa demande pour une formation dans son établissement. Dans son discours, j'ai entendu plusieurs fois cette expression : « les professeurs recourent trop facilement au cours marginal … », « on nous a bien dit en formation de Directeurs qu’il fallait lutter contre l’usage abusif des cours marginaux… ». Je pensais tout d’abord qu’elle voulait parler de cours particuliers…  si facilement prescrits en cas de problème… Mais cette interprétation collait mal avec le reste de ses propos. Au risque de paraître bien ignorant, je lui demandais alors ce qu'elle entendait par « cours marginal ». Ses explications assez confuses tournaient autour du fait que les élèves étaient mis en difficulté par cette forme de cours et que mon intervention devait amener les professeurs à se détourner de cette pédagogie. Mon incompréhension grandissait à mesure que je l'écoutais et ses explications avaient bien du mal à  m'éclairer. J'essayais de faire d’autres rapprochements : est-ce qu'elle voulait parler d'un cours trop original ? D’une pédagogie hors des sentiers battus, par des enseignants contestataires ou trop réformateurs et qu'il faudrait ramener dans le droit chemin ? Au détour d'une phrase, je compris soudain de quoi elle voulait parler. Elle évoquait la trop grande passivité des élèves devant cette pédagogie « frontale ». Du coup je compris qu'elle voulait parler de cours « magistral ». Mais il m'avait fallu un bon moment et plusieurs questionnements pour arriver à cette compréhension. Avec quelques précautions, je lui demandais si c'était bien cela à quoi elle pensait, ce qu'elle reconnut… avec confusion… Dire un mot pour un autre… est-ce si important ?  Ecoutons-nous parler aux èlèves…

Mon deuxième exemple concerne un élève de primaire (je ne me rappelle plus en quelle classe exactement il se trouvait). Je faisais alors une formation à des professeurs de collège et de primaire. La première journée avait été consacrée à la mise en évidence de la dynamique du projet mental. La secrétaire du Directeur, mère d'un jeune enfant dans une école voisine, participait à la formation. Le lendemain matin, lors de la réactivation de la journée précédente, cette jeune maman nous confia ce qui s'était passé la veille, à la sortie de la formation. L'institutrice de son enfant l'avait convoquée et lui avait confié son inquiétude devant une production récente de son fils. Elle lui conseillait même de consulter un psychologue… De quoi s'agissait-il ? L'exercice portait sur la structure des phrases et la consigne était  de remettre en ordre les mots d'une phrase dont la structure avait été bouleversée. Le travail remis par l'enfant n'avait aucun sens (du moins par rapport à l’attente de l’enseignant), d'où l'inquiétude et la dramatisation. On imagine le moment de panique vécu par cette maman à qui on annonçait sans trop de précautions que son fils avait un gros problème psychologique !  Une fois rentrée à la maison, et se souvenant de ce qu'elle avait vécu dans la journée, elle demanda à son fils ce qu'il avait voulu faire dans ce devoir et comment il avait compris la consigne. Et celui-ci de répondre : « C'est facile, quand je mets en ordre mes soldats de plomb, je les range sur mon étagère par grandeur, les plus grands à gauche jusqu’aux plus petits vers la droite. J'ai fait la même chose avec les mots » Et de fait, les mots étaient rangés par ordre de grandeur décroissante. La maîtresse n'aurait-elle pas pu faire cette petite démarche de demander à l'enfant comment il avait interprété la consigne avant de conclure à je ne sais quel dérèglement mental, voire cérébral… ? Reste à savoir, bien sûr, si l’enfant avait bien compris le sens de cet ordre des mots dans la phrase. Mais là on est dans le domaine de la pédagogie, pas de la thérapie…

Enfin, mon troisième exemple concerne un élève de quatrième que j'aidais à reprendre pied dans une scolarité avec laquelle il était quelque peu fâché. Nous analysions un devoir de français et les annotations peu amènes du professeur. Celui-ci avait demandé de relever dans un texte les mots entrant dans un certain champ lexical. Or, les mots sélectionnés par cet élève n'avaient strictement rien à voir avec la consigne.  Je remarquais toutefois qu'ils avaient tous une consonance finale autour des sons « o », « a », « é »… Je lui demandais ce qu'il avait voulu faire et il me dit qu'il avait « cherché les mots qui correspondaient au champ mexical du texte ». Pour être bien sûr que j'avais bien entendu, je lui demandais de me repréciser cela : il s'agissait bien dans sa bouche du champ « mexical »… Mexical, donc Mexique, donc espagnol, donc consonances exotiques ! Y Olé ! Il y avait du sens, du bon sens même, dans les actes de cet élève. Mais ils n'étaient guère adaptés à la tâche… À cause d'une mauvaise compréhension voire d'une méconnaissance du terme de la consigne. Le professeur avait-il vérifié que tous ses élèves avaient de cette notion abstraite et complexe  une connaissance suffisamment assurée pour réussir leur devoir ? Les exemples abondent de ces termes issus de la linguistique et que l'on a transposés dans les programmes scolaires sans trop de précautions pédagogiques, et cela de plus en plus tôt. Parmi les enfants... ou les parents... qui les comprend vraiment ? Une certaine connivence culturelle entre les familles et l'école est toujours source de réussite... On en voit ici un beau contre-exemple.

L’accompagnement de la mise en projet des élèves est un art difficile pour les pédagogues. Mais il est essentiel pour leur réussite. Souvent les évaluations portent plus sur une erreur de l’élève à ce niveau que sur celui de ses connaissances ou de ses compétences. En faisant apparaître les modalités des projets formés par les élèves par un petit dialogue pédagogique (Qu’as-tu cherché à faire ? Qu’as-tu compris de la consigne ?) on s’apercevra vite de la source de la difficulté… et l’élève aura moins le sentiment d’une injustice quand il recevra des annotations qui seront dès lors mieux ciblées. (Voir message 26 : Gestion mentale et évaluation.)

On ne fait jamais trop attention aux termes que l'on emploie dans les consignes données aux élèves. De même il faut être très attentif, dans une écoute bien orientée, pour entendre de la bouche même de ces derniers les distorsions de compréhension  qui les ont conduits à la formation des mauvais projets qui les mènent à l'échec, au découragement, au doute sur eux-mêmes, et finalement au dégoût profond de l'école. Les petites phobies scolaires ordinaires ont bien souvent leurs racines dans ce type de difficultés. Jamais dans l'intelligence de l'enfant. Et si l’on n’y veille, elles peuvent mener très loin et faire très mal.



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