Dans « Accompagner… », à propos de la mise en projet, j'ai
voulu montrer à quel point des imprécisions de vocabulaire dans les consignes
orientaient dans des sens différents les projets mentaux des élèves. Une bonne consigne doit en effet
permettre aux élèves de former mentalement des projets le plus possible en
rapport avec la tâche à effectuer. On parle alors d'une consigne « univoque »,
c'est-à-dire qui ne peut donner lieu qu'à une seule évocation de la tâche. Malgré
les différences évocatives individuelles, la tâche doit être évoquée de la même
façon par tous, et donc les projets d'action de chacun doivent être sinon totalement
identiques, du moins conformes aux actes de connaissance devant être produits
pour que le travail soit réussi. Par opposition, une consigne dont les termes
sont imprécis, ou mal connus par les élèves, sera dite « équivoque » et pourra
entraîner des divergences notables, voire des impasses totales (et non
conscientes…) dans les projets des élèves
Aujourd'hui, en cette période de rentrée, je voudrais insister sur ce point qui me
semble capital, et qui nécessite, de la part des enseignants et de tous les accompagnateurs
du travail des élèves, la plus grande attention.
Dans un article de ce blog (voir message 42), j'ai développé la différence
qu'il y avait entre « savoir » quelque chose par coeur et « apprendre »
cette même chose par coeur. Selon que l'on indique à l'élève qu’il doit savoir
ou apprendre par coeur, les actes qu'il produira ne seront pas du tout les
mêmes. Les uns amèneront au succès, les autres à l'échec, et cela par la faute
même de l'enseignant ou du formateur qui sera resté trop « équivoque »
dans sa formulation.
Je voudrais ici rapporter trois exemples d'une compréhension
ou d'une utilisation incorrecte de
termes pouvant amener pour le moins de la confusion dans la communication pour
les adultes et, hélas trop souvent, pour les élèves à des difficultés incompréhensibles
autrement .
Mon premier exemple est celui d'une Principale de collège
avec qui je discutais de sa demande pour une formation dans son établissement. Dans son discours, j'ai entendu plusieurs fois cette
expression : « les professeurs recourent trop facilement au
cours marginal … », « on nous a
bien dit en formation de Directeurs qu’il fallait lutter contre l’usage abusif
des cours marginaux… ». Je pensais tout d’abord qu’elle voulait parler
de cours particuliers… si facilement
prescrits en cas de problème… Mais cette interprétation collait mal avec le reste
de ses propos. Au risque de paraître bien ignorant, je lui demandais alors ce qu'elle
entendait par « cours marginal ». Ses explications assez confuses tournaient
autour du fait que les élèves étaient mis en difficulté par cette forme de
cours et que mon intervention devait amener les professeurs à se détourner de
cette pédagogie. Mon incompréhension grandissait à mesure que je l'écoutais et
ses explications avaient bien du mal à m'éclairer. J'essayais de faire d’autres rapprochements
: est-ce qu'elle voulait parler d'un cours trop original ? D’une pédagogie hors
des sentiers battus, par des enseignants contestataires ou trop réformateurs et qu'il faudrait ramener dans le droit chemin ? Au détour d'une phrase, je
compris soudain de quoi elle voulait parler. Elle évoquait la trop grande
passivité des élèves devant cette pédagogie « frontale ». Du coup je
compris qu'elle voulait parler de cours « magistral ». Mais il
m'avait fallu un bon moment et plusieurs questionnements pour arriver à cette
compréhension. Avec quelques précautions, je lui demandais si c'était bien cela
à quoi elle pensait, ce qu'elle reconnut… avec confusion… Dire un mot pour un
autre… est-ce si important ?
Ecoutons-nous parler aux èlèves…
Mon deuxième exemple concerne un élève de primaire (je ne me
rappelle plus en quelle classe exactement il se trouvait). Je faisais alors une
formation à des professeurs de collège et de primaire. La première journée
avait été consacrée à la mise en évidence de la dynamique du projet mental. La
secrétaire du Directeur, mère d'un jeune enfant dans une école voisine, participait
à la formation. Le lendemain matin, lors de la réactivation de la journée
précédente, cette jeune maman nous confia ce qui s'était passé la veille, à la
sortie de la formation. L'institutrice de son enfant l'avait convoquée et lui
avait confié son inquiétude devant une production récente de son fils. Elle lui
conseillait même de consulter un psychologue… De quoi s'agissait-il ? L'exercice portait sur la
structure des phrases et la consigne était de remettre en ordre les mots d'une phrase dont la
structure avait été bouleversée. Le travail remis par l'enfant n'avait aucun
sens (du moins par rapport à l’attente de l’enseignant), d'où l'inquiétude et la
dramatisation. On imagine le moment de panique vécu par cette maman à qui on
annonçait sans trop de précautions que son fils avait un gros problème
psychologique ! Une fois rentrée à la maison, et se souvenant
de ce qu'elle avait vécu dans la journée, elle demanda à son fils ce qu'il
avait voulu faire dans ce devoir et comment il avait compris la consigne. Et
celui-ci de répondre : « C'est facile,
quand je mets en ordre mes soldats de plomb, je les range sur mon étagère par
grandeur, les plus grands à gauche jusqu’aux plus petits vers la droite. J'ai
fait la même chose avec les mots » Et de fait, les mots étaient rangés par
ordre de grandeur décroissante. La maîtresse n'aurait-elle pas pu faire cette
petite démarche de demander à l'enfant comment il avait interprété la consigne
avant de conclure à je ne sais quel dérèglement mental, voire cérébral… ? Reste à savoir,
bien sûr, si l’enfant avait bien compris le sens de cet ordre des mots dans la
phrase. Mais là on est dans le domaine de la pédagogie, pas de la thérapie…
Enfin, mon troisième exemple concerne un élève de quatrième
que j'aidais à reprendre pied dans une scolarité avec laquelle il était quelque
peu fâché. Nous analysions un devoir de français et les annotations peu amènes du
professeur. Celui-ci avait demandé de relever dans un texte les mots entrant
dans un certain champ lexical. Or, les mots sélectionnés par cet élève
n'avaient strictement rien à voir avec la consigne. Je remarquais toutefois qu'ils avaient tous
une consonance finale autour des sons « o », « a », « é »…
Je lui demandais ce qu'il avait voulu faire et il me dit qu'il avait « cherché les mots qui correspondaient au
champ mexical du texte ». Pour être bien sûr que j'avais bien entendu,
je lui demandais de me repréciser cela : il s'agissait bien dans sa bouche du
champ « mexical »… Mexical, donc Mexique, donc espagnol, donc consonances
exotiques ! Y Olé ! Il y avait du sens, du bon sens même, dans les
actes de cet élève. Mais ils n'étaient guère adaptés à la tâche… À cause d'une
mauvaise compréhension voire d'une méconnaissance du terme de la consigne. Le
professeur avait-il vérifié que tous ses élèves avaient de cette notion abstraite
et complexe une connaissance suffisamment
assurée pour réussir leur devoir ? Les exemples abondent de ces termes issus de
la linguistique et que l'on a transposés dans les programmes scolaires sans trop de précautions pédagogiques,
et cela de plus en plus tôt. Parmi les enfants... ou les parents... qui les comprend vraiment ? Une certaine connivence culturelle entre les familles et l'école est toujours source de réussite... On en voit ici un beau contre-exemple.
L’accompagnement de la mise en projet des élèves est un art difficile
pour les pédagogues. Mais il est essentiel pour leur réussite. Souvent les évaluations portent
plus sur une erreur de l’élève à ce niveau que sur celui de ses connaissances ou de ses compétences. En
faisant apparaître les modalités des projets formés par les élèves par un petit
dialogue pédagogique (Qu’as-tu cherché à faire ? Qu’as-tu compris de la
consigne ?) on s’apercevra vite de la source de la difficulté… et l’élève
aura moins le sentiment d’une injustice quand il recevra des annotations qui seront dès lors mieux
ciblées. (Voir message 26 : Gestion mentale et évaluation.)
On ne fait jamais trop attention aux termes que l'on emploie
dans les consignes données aux élèves. De même il faut être très attentif, dans
une écoute bien orientée, pour entendre de la bouche même de ces derniers les
distorsions de compréhension qui les
ont conduits à la formation des mauvais projets qui les mènent à l'échec, au
découragement, au doute sur eux-mêmes, et finalement au dégoût profond de
l'école. Les petites phobies scolaires ordinaires ont bien souvent leurs
racines dans ce type de difficultés. Jamais dans l'intelligence de l'enfant. Et si l’on n’y veille, elles peuvent mener
très loin et faire très mal.
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