Par le plus grand des hasards, j'ai revu aujourd’hui un
ancien élève que j’avais brièvement accompagné dans les années 1990. Il était alors en
quatrième et j’ai relaté sa mésaventure avec « le champ mexical » dans mon
message 64 : Question de vocabulaire : de l’importance d’une bonne mise en
projet. Comme beaucoup de ces jeunes à l’intelligence vive et rapide, l’école n’était
pas sa tasse de thé, et c’est un euphémisme … Il n’a pas terminé ses études
secondaires et se retrouve aujourd’hui artisan indépendant en plomberie, métier dans lequel il réussit fort
bien. Au cours de notre entretien, nous nous souvenions de ses
mésaventures scolaires. Au détour de la conversation, il m'a fait cet aveu
touchant : « Je peux bien vous le
dire maintenant, avec le recul je m’en rends encore mieux compte, au collège je
mourais littéralement de trouille . J’ai tellement pris de mauvaises
notes, de sanctions, de réprimandes, de jugements blessants… Un jour, même,
alors que le professeur me demandait de réciter au tableau une poésie, je me
suis tout simplement évanoui ! » Je lui ai confié alors que cela ne m’étonnait
pas du tout et que je rencontrais, dans les classes que j’accompagne encore,
beaucoup d’adolescents qui me font le même aveu. L’école française est réputée
pour provoquer et entretenir la peur chez les élèves. A défaut de leur fournir les voies d'accès au sens et au connaître, il faut bien trouver un moyen de maintenir au moins leur présence physique, et, croit-on, leur engagement mental... On voit que, au-delà des
échecs immédiats que provoque toujours cette "pédagogie" basée sur cette seule émotion négative, elle laisse des
traces profondes et durables dans le psychisme des adolescents.
Lors de la réunion de début d’année avec les parents de ces
classes de seconde méthodologique dont je donne souvent des nouvelles dans ce
blog, j‘ai tenu à peu près ce discours :
« Vos enfants ont peur.
Ils ont peur, même si leur comportement extérieur ne le laisse pas paraître.
Ils ont chacun des manières différentes, pas toujours bien recommandables, d’oublier
cette peur qui les tenaille dès qu’ils passent la porte du lycée (ou du collège... quand même ce n'est pas avant...). Cette peur
peut se décliner, sans que cette liste soit limitative :
-
peur de se tromper, peur de donner la mauvaise
réponse en classe, peur du regard des autres, de leurs professeurs comme de
leurs camarades, peur de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur, peur de vous décevoir…
À qui la faute ? À tout le monde, sauf à eux-mêmes.
Quelques raisons qui favorisent cette peur : méconnaissance d’eux-mêmes et des attentes de
l’école, manque de clarté sur les objectifs et les évaluations, manque de
clarté sur leur propre pouvoir de faire face à la situation, jugements négatifs
et péremptoires énoncés par certains enseignants... À cela s’ajoute des croyances
mortifères, par exemple, pour eux apprendre c’est rabâcher jusqu’à l’écœurement
des textes auxquels ils ne comprennent pas grand-chose (qui leur a enseigné comment faire pour comprendre ?) : leur intelligence,
pourtant bien réelle, est comme paralysée dans l’apprentissage scolaire !
J’ai donné ensuite aux parents quelques conseils pour un
accompagnement adapté :
- - ne relevez pas tout le temps les échecs, mais
montrez votre joie à chaque résultat convenable même s’il ne satisfait pas
totalement votre ambition secrète…
- - au soir d’une journée d’école, ne demandez pas « combien de bonnes réponses as-tu données
aujourd’hui », mais « combien as-tu fait d’erreurs aujourd’hui »
? On n’apprend jamais sans se tromper plusieurs fois…
- - ne dites pas : « as-tu bien répondu aux professeurs
aujourd’hui », mais « as-tu posé de bonnes questions aujourd’hui »
? On ne comprend pas sans s’interroger…
J’ai noté un intérêt particulier des parents à ces conseils
un peu inhabituels… J’ai ensuite expliqué ce que je faisais pendant les stages
au cours de l’année. On peut espérer qu’au moins ces élèves trouveront à la
maison et peut-être même dans leur lycée des accompagnateurs plus attentifs à
leurs émotions paralysantes. Et que la peur finira par quitter leur tête et leur coeur...
Voici un témoignage parmi tant d'autres, extrait des bilans de Juin dernier, qui me laisse penser que j'ai raison d'espérer : "En Septembre, je me sentais perdue et en manque de confiance en moi. Je travaillais sans vraiment comprendre ce que je faisais. J’avais peur de ne pas parvenir à la section que je voulais. J’avais surtout peur de ne pas réussir à changer mes méthodes de travail de peur que cela ne fonctionne pas avec moi. Mais aujourd’hui j’ai réussi à parvenir à ma section désirée . J’ai une meilleure confiance et je commence à ne plus me sous-estimer."
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