Voici le compte-rendu d"une séance de travail menée récemment avec la classe de seconde de "méthodologie" bordelaise.
APPRENDRE UN COURS EN CLASSE.
APPRENDRE UN COURS EN CLASSE.
La professeure principale, à la suite du Conseil de Classe, se plaignait
du manque d’activité de ses élèves en classe : elle les trouvait passifs, sans
questionnement, sans intérêt manifeste pour les cours, ne travaillant pas à la maison.... J’ai proposé que les élèves remplissent un questionnaire quelques jours avant notre
rencontre. Pour eux, leurs difficultés actuelles étaient principalement autour
de l’attention- concentration et de la compréhension, ce qui correspondait bien
au souci de leur professeur. Quelques élèves disaient « manquer de
motivation », ou « avoir du mal à se mettre au travail » ;
d’autres disaient avoir du mal dans la mémorisation à long terme. Plusieurs, en
revanche, semblaient avoir mis en pratique les contenus des stages et en avoir
obtenu des résultats, ils se disaient en progrès.
J’ai donc axé mon travail de la matinée (4 h) sur la concentration et la compréhension qui en
constitue comme la « matière » : on se concentre parce qu’on essaie
de comprendre. Nous avons déjà travaillé dans cette classe, lors des trois
précédents stages, l’attention, la mémorisation, la réflexion et la
compréhension approfondie. Il fallait donc réactiver, sans redondance, les
acquis de ces stages, surtout le dernier auquel il avait manqué, en effet, une
séance de mise en pratique globale du processus
complexe de compréhension approfondie.
Pourquoi cette
matinée supplémentaire ?
En guise d’introduction, j’ai raconté aux élèves une anecdote qui
m’était arrivée récemment. Je pratique le chant choral depuis fort longtemps,
mais des réactivations des bases de cette activité sont toujours nécessaires.
Récemment, notre chœur a eu un week-end
avec un nouveau professeur. Il nous a fait travailler les gestes d’une bonne
respiration, celle du chanteur, et il nous a fait remarquer qu’ils étaient très différents, voire contraires à ceux de notre
respiration habituelle. Cela s’appelle
le « travail vocal ». Et comme pour
tout « travail », il y faut des pratiques différentes du
naturel, une pleine conscience de ce que l’on fait et un entrainement régulier.
Même les chanteurs les plus célèbres s’appliquent à cette discipline
quotidienne.
Pour le « travail scolaire », c’est la même chose. Ce
que nous faisons spontanément dans nos activités de la vie quotidienne ne
suffit pas lorsqu’il s’agit d’apprendre des contenus abstraits comme ceux de
l’école. Il faut avoir des connaissances sur ce qu’il convient de faire, et
s’entraîner consciemment et régulièrement à le faire, pour contrecarrer nos (mauvaises)
habitudes spontanées qui ne conviennent plus. Il est donc tout à fait normal
que les contenus les stages, qui sont des connaissances nouvelles et qui
contredisent en partie les habitudes des élèves, ne soient pas encore intégrés
par tout le monde. La séance d’aujourd’hui est destinée à cette réactivation et
à ancrer les nouvelles bonnes habitudes de travail à acquérir pour mieux
réussir. Mais bien sûr, comme tous les bons chanteurs, il faut que chaque élève
s’efforce de penser régulièrement à utiliser ces apports méthodologiques dans
son travail personnel et dans son activité en classe.
« Je ne
suis pas motivé(e) ».
À ceux qui se disaient « peu motivé(e)s », j’ai tenu à peu
près ce propos : qu’est-ce que la motivation ? D’où vient-elle ? Où la trouver
? Où peut-on en acheter ? S’agit-il d’attendre qu’elle nous tombe dessus, comme
par magie, venant d’on ne sait où ? Ces élèves se lèvent-ils le matin en
regardant le ciel et en se demandant : « est-ce que je vais être motivé
aujourd’hui ? ». La motivation ne nous vient pas comme cela. Il s’agit plutôt
de se
mobiliser pour atteindre un but désiré : passer en première, dans
la série que l’on désire, réussir le bac et pouvoir continuer après…. Mais pour
cela ne faut-il pas de la volonté ? La volonté est une notion psychologique
souvent mal comprise. On pense qu’il s’agit de faire des efforts, de prendre de
la peine, de se priver de quelque chose : connotation négative et peu
attirante. En réalité la volonté est un choix
entre deux plaisirs. Entre un plaisir immédiat, à prendre tout de suite,
et un autre plaisir, plus fort mais reporté à plus tard. On peut préférer
regarder la série télévisée plutôt que d’aller faire son travail, même si on
n’est pas content de soi après coup. Mais a-t-on pensé au plaisir de réussir le
contrôle de la semaine prochaine ? D’obtenir une bonne note ? D’être félicité ?
De faire plaisir ou honneur à ses parents ? De gagner en estime de soi, en confiance en soi ? Ou tout simplement de mieux comprendre ce qu'on apprend ?
Volonté et
rapport au temps.
Mais on voit que ce choix, qui reporte le vrai plaisir à
plus tard, implique que l’on soit introduit dans le temps, dans la temporalité,
que l’on « pense » le temps. Et le temps c’est toujours un passé, un futur, et
un présent qui est à la jonction des deux. Or le mot qui signifie le présent
c’est « maintenant ». Main-tenant.
Une « main » qui « tient » quelque chose. C’est très concret. Mais
cela peut aussi se comprendre de façon abstraite. Les « cinq
questions » de la compréhension sont comme les cinq doigts d'une main, chacun
avec sa fonction particulière. Ainsi pour « tenir » un cours, et pouvoir
donc le « re-tenir » (le faire revenir du passé dans sa tête, le "réactiver") et le mémoriser ( projection du « tenu » vers le futur, autre rapport au temps...) il faut utiliser tout le
processus de la compréhension approfondie. C'est ce que nous allons voir (ou
revoir) dans la séquence qui suit.
Protocole pour
un travail sur la concentration – compréhension en classe.
Le support : un cours
sur le vocabulaire de la poésie, étudié en classe quelques jours auparavant. Le
travail s’est déroulé selon les étapes suivantes. En variant les consignes de
travail, on maintient longtemps la concentration.
·
Se rappeler de ce que l’on a encore en mémoire à
propos de ce que l’on va étudier : souvenir du cours précédent, autres
souvenirs qui s’y rattachent…
·
Vérifier la qualité de ces souvenirs en lisant
le cours individuellement : comparaison
texte – souvenirs. Compléter, corriger jusqu’à la plus
grande fidélité : Qu'avais-je retenu ? Oublié ? Déformé ?
·
S’efforcer de traduire le mieux possible le texte en évocations
personnelles : images, petit films, commentaires intérieurs, émotions
associées… Cette traduction a peut-être déjà commencé en classe, à la première lecture : la compléter, la préciser.
·
Vérifier cette traduction en relisant, le texte,
toujours individuellement, avec le projet d’effectuer une comparaison évocations – texte.
·
Stabiliser cette traduction vérifiée, en la verbalisant pour quelqu’un :
échange avec des camarades qui ont travaillé le même texte (ce pourrait être
aussi un parent, ou quelqu’un qui nous aide à travailler.…)
·
Pause de
20 minutes.
·
Faire revenir mentalement le plus possible de ce
qu’on vient de travailler.
·
Reprendre le cours et s’efforcer de se poser systématiquement les cinq
questions (certains l'auront peut-être déjà fait en partie dans les activités précédentes). Un cours est toujours une réponse à des questions. En lisant
le texte, on se demande « à quelles questions répond ce que je lis ? ». Mais aussi pour une bonne
compréhension, il faut pouvoir poser les questions que l’on a tendance à se poser
de façon préférentielle : « de quoi ai-je
besoin pour comprendre ? ».
Exemple :
« un décasyllabe est un vers de 10 syllabes », c’est la réponse à la
question « c’est quoi, comment le nomme-t-on ? ». Pourquoi l’appelle-t-on ainsi
? « Déca » fait penser à « décamètre », outil qui mesure
10 m, donc « déca » veut dire 10, décasyllabe = 10 syllabes. « Pourquoi nomme-t-on
« alexandrin » un vers de 12 syllabes ? Le premier poème connu
construit avec ce type de vers, au XIIe siècle, fut écrit à la gloire d’Alexandre
le Grand et son l’auteur se nommait Alexandre
de Bernay. Deux raisons valent mieux qu’une ! Pour la compréhension,
mais aussi pour la mémoire à long terme.
« A quoi pourra me servir ce que j’apprends ? » On imagine des utilisations possibles :
composer un poème, analyser des poèmes, mieux déclamer des poèmes en respectant
les pauses…etc… Toutes les questions que l’on pose au texte n’ont pas forcément
de réponse. Mais on ne peut le savoir qu’après se les être posées. Et le fait
de chercher une réponse à une question, même si on ne la trouve pas, nous rend
actif mentalement et nous permet de mieux intégrer le cours. Comprendre
qu’on ne comprend pas, c’est aussi comprendre. Et cela crée de la motivation à
chercher plus loin.*
·
Les cinq questions de la compréhension, comme
les cinq doigts d’une main « mentale », ont permis de « manipuler » par l’esprit les notions abstraites contenues
dans le texte. Cette manipulation purement intellectuelle sera complétée par
une manipulation physique et concrète,
crayon à la main, par exemple la
réalisation d’un schéma : chercher
les mots clés les plus fidèles aux notions essentielles que l’on veut conserver
et qui nous permettront par la suite de retrouver les détails de ce qu’on a
compris. Cette transposition d’un texte, forcément linéaire et séquentiel, en un support essentiellement spatial et global, jointe à
l’exercice de l’esprit critique dans le choix des mots-clés et la
disposition du schéma, vont parachever le long processus de la compréhension approfondie.
Ce travail
peut être accompli seul, mais il peut l’être aussi en petits groupes, ce qui
est encore plus profitable : on comprend mieux à plusieurs que tout seul.
Chacun ne se pose pas les mêmes questions, et ne met pas la même intensité dans
les questions qu’il privilégie. La « mutualisation » de ces
recherches de sens différencié(e)s ne peut qu’être bénéfique à chaque élève qui
voit ainsi augmenter l'étendue de sa compréhension. De plus, l’entraide entre
élèves permet de créer un climat propice à la concentration de toute la classe.
Après un tel travail collectif, l’élève sera plus enclin à le pratiquer
lorsqu’il sera seul à sa table de travail ("Zone proximale de développement" de Vigogstky : faire d'abord avec d'autres ce qu'on sera plus habile à faire ensuite seul).
· Une fois le schéma terminé, seul ou en groupe, on
le cache et on le reconstruit mentalement et individuellement avant de vérifier
sa fidélité à l’original par une comparaison
tête - schéma.
·
J’ai terminé cette séquence en proposant aux
élèves d’imaginer des situations concrètes
de réutilisation de ce qu’ils venaient d’apprendre : questions directes
du professeur, besoins personnels pour une argumentation dans un devoir, pour
une analyse de texte, fabrication personnelle d’un poème …, etc. La projection
dans le futur n’étant pas l’apanage de cet âge, il est bon que l’enseignant (ou
l’accompagnateur) pense à la faire pratiquer et en donne le temps aux élèves à
la fin de tout travail, individuel ou
collectif. Même si tout le monde peut le pratiquer, la mémorisation à
long terme n’est pas un « geste » si naturel que cela.
·
J’ai demandé aux élèves si après ce travail, ils
pensaient bien savoir ce cours qu'ils venaient d'apprendre "par coeur", c'est à dire par l'intelligence (voir message 42) : toutes les réponses ont été positives.
Quelques questions posées à des élèves pris au hasard ont montré que cela
semblait vrai.
Ce protocole peut paraître
lourd. Il l’est en effet. Mais qui a jamais dit que comprendre de manière approfondie
était rapide et facile ? Ecoutons
quelqu’un qui connaît bien ce sujet. Albert Jacquard dans « C’est quoi l’Intelligence ? » écrit ceci : « La
connaissance passe par la compréhension. Or comprendre est un processus qui
nécessite effort, répétition, retour en arrière, remise en question : il
ne peut donc être rapide. Comprendre « du premier coup », c’est le
plus souvent avoir l’illusion de comprendre. Les esprits les plus exigeants
comprennent plus lentement que les esprits superficiels, facilement satisfaits
par une vague explication. En jugeant sur la vitesse l’école accorde un
privilège aux bluffeurs. »
Et puis avec ces éclairages et de l’entraînement, tout le monde peut
améliorer ses capacités innées de compréhension.
* Quelques autres citations sur la compréhension…
Guy SONNOIS - Avril 2016
* Quelques autres citations sur la compréhension…
Ø Compréhension et motivation.
« La fameuse
motivation, cette force dont même les
psychologues les plus matérialistes reconnaissent l’importance, de quoi
est-elle faite sinon du plaisir escompté, plaisir de comprendre enfin ce qui jusqu’à présent nous était énigmatique, ou
plus simplement plaisir de penser (mind)
ou de faire fonctionner son cerveau (brain)
? », Marcel Gaucher et al., Transmettre,
Apprendre, Stock, 2014, page 240.
« Parmi
toutes les motivations possibles pour apprendre (y compris les désirs de
progression et de reconnaissance), l’une des plus puissantes, si ce n’est la
plus puissante, est comprendre [ …]. Le
plaisir le plus intense que le cerveau puisse ressentir est sans doute lié à la
résolution de problèmes intrinsèques ou internes ». Comprendre le cerveau : naissance d’une
science de l’apprentissage, Paris, OCDE, 2007, page 77. Ce livre est publié
par l’OCDE, dans le cadre d’une recherche intitulée « Sciences de
l’apprentissage et recherche sur le cerveau ».
Ø Compréhension et transfert des
connaissances.
« Il semble
que nous ayons longtemps eu l’illusion que le transfert des connaissances se
produit automatiquement, indépendamment des conditions dans lesquelles elles ont
été apprises. Mais si le savoir n’a pas été construit d’une façon active dès le
départ, s’il n’a pas été compris, mais
plutôt mémorisé tel un objet exposé, il n’y a pas beaucoup d’espoir qu’il
puisse être généralisé à d’autres situations. » Britt-Mari Barth, Le savoir
en construction, Retz, 1993, p 169
Ø Comprendre, oui, mais comment ?
Antoine de LA GARANDERIE a
étudié en profondeur les mécanismes de la compréhension particulièrement dans
deux livres : Comprendre et imaginer et
Pour une pédagogie de l'intelligence (Centurion) :
« Comprendre. c'est établir
un rapport de sens entre une chose
concrète ou abstraite et la traduction qu'on élabore justement pour la
comprendre, c'est-à-dire la prendre avec soi. Disons cela autrement :
comprendre, c'est, grâce à des mots, des phrases. des images * qu'on
évoque, établir un rapport de sens avec une chose perçue, qui est de
nature concrète ou abstraite. (* On
pourrait ajouter : avec des situations qu’on mime mentalement)
Ce n'est plus, comme dans
l'attention, évoquer purement et simplement la chose perçue. Ce n’est plus
comme dans la mémorisation, reproduire ou répéter la chose perçue pour en
conserver un évoqué qui lui soit identique.
C'est encore et toujours évoquer,
mais il s'agit alors d'évoqués susceptibles de dégager des analogies, c'est-à-dire
des similitudes et des différences, qui naîtront de la confrontation entre
eux et la chose perçue à comprendre. Cela veut dire que l'effort de
traduction par la production d'évoqués ne conduit pas forcément au succès.
Il faudra essayer des évoqués. s'adonner à des confrontations entre eux et
la chose perçue jusqu'à ce que des
intuitions de similitude ou de différence se manifestent, qui seront des
réalisations approchées de la compréhension.
Ceux qui s'efforcent de comprendre se donnent des buts (forment
des « projets de sens », NDR) qui constituent, pour chacun,
autant de structures qui en spécifient et en limitent la signification et la
portée.
Ainsi, certains recherchent des
évoqués de traduction qui font ressortir des similitudes, d’autres des différences,
parce que ce sont celles-ci ou celles-là qui déclenchent l'intuition de la
chose à comprendre.
Pour certains, toute l’intuition
de la compréhension est dans l’application d’une loi, d’une règle, d’une
formule. Pour d'autres, elle est dans leur explication.
Avec certains. la compréhension
exige qu'une globalité (espace, NDR) soit évoquée. qui puisse être
confrontée à la chose qui est à comprendre. Avec d'autres, cette chose sera
comprise dès lors qu'elle sera inscrite dans une sérialité (temps, NDR):
d'abord. ensuite, après…
Le sujet qui évoque visuellement ne
pourra comprendre ce qu'on lui dit que s'il peut le traduire en images. Le
sujet qui évoque auditivement ou verbalement , ne pourra comprendre ce qu'on
lui montre que lorsqu'il l'aura traduit en discours (intérieur)…
On saisit,
sur le vif, la responsabilité de
l'enseignant qui sans cesse propose aux élèves des évoqués (à évoquer pour
eux…) destinés a leur faire comprendre la leçon du jour. Mais quels évoqués
privilégie-t-il à son insu …? »
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