jeudi 1 décembre 2016

104. Neurosciences et Gestion mentale : la suite.

Neurosciences et Gestion mentale : la suite.

Lorsque j’ai rédigé, en 2013, l’article « Gestion mentale et neurosciences cognitives » (voir message 67), je voulais montrer que les descriptions d’Antoine la Garanderie sur l’activité mentale consciente étaient très proches des travaux des neuroscientifiques les plus actuels, traitant, de leur côté, de l’activité neuronale. En fin d’article, je citais l’hypothèse d’Antonio Damasio sur l’étroite interdépendance de ces deux zones d’activité du cerveau humain, et sa demande de ne pas rejeter cette approche un peu nouvelle : « Le fait que les événements cérébraux soient corrélés avec les événements mentaux - nul ne le discute - et que ces derniers existent à l'intérieur du cerveau et soient inaccessibles à la mesure directe justifie une approche spéciale. »

Trois ans après, voici que le pas a été sauté, et que ces deux domaines de recherche, longtemps étrangers sinon hostiles l’un à l’autre, se trouvent réunis dans un petit ouvrage très facile d’accès : « Les petites bulles de l’attention, Se concentrer dans un monde de distractions. (Nov 2016. O. Jacob) », de Jean-Philippe Lachaux (déjà auteur de deux ouvrages sur l’attention, Le cerveau attentif en 2011, Le cerveau funambule en 2015).

La première partie, en forme de bande dessinée, présente pour des enfants ou des adolescents un fonctionnement simplifié des neurones, et de leur rôle dans l’apprentissage. Souvent drôles, ces petits chapitres, outre des explications simples mais claires sur le plan scientifique, donnent des indications précieuses pour discipliner son attention en toutes circonstances, et particulièrement en classe ou à sa table de travail. L’auteur traite de nos intentions, de fin et de moyens, d’images mentales…

La deuxième partie se fait encore plus explicite. à partir de la page 68, on trouve plusieurs passages qui ne surprendraient pas dans un manuel d’application de la gestion mentale. Exemples :
« Demande aux gens que tu connais s’ils voient parfois des images dans leur tête et à quoi elles leur servent. » Suivent alors des petits exercices : « Pour répondre, tu as dû faire apparaître une image sur le petit écran qui est dans ta tête : c’est ça, une image mentale. » Plus loin : « Certains s’entraînent à garder longtemps des images sur leur écran mental afin d’améliorer leur concentration. »

Un autre exercice demande de compter des points : « Est-ce que tu as entendu ta voix, dans ta tête, en train de compter : « 1,2,3… » ? C’est difficile de compter sans énoncer les nombres avec sa « petite voix », celle que personne n’entend à part nous. »

Et encore, au fil de la lecture :
« Les images mentales servent aussi à réfléchir, à comprendre, à imaginer et à expliquer. »
« L’écran mental sert très souvent en classe »
« L’écran mental est utile pour se rappeler certaines choses (comme la recette des crêpes) et pour travailler (dessiner un triangle) : il sert à ce que les chercheurs appellent la mémoire de travail (mémoire + travail : logique), tout comme la petite voix. »
« Les chercheurs ont montré que ceux qui ont une bonne mémoire de travail réussissent mieux en classe… C’est normal : elle sert tout le temps ! Bonne nouvelle, elle s’entraîne… »
« A chaque fois que tu imagines un mouvement dans ta tête, que personne ne peut voir, c’est une action mentale. » « Tout ce que tu fais « dans ta tête » est une action mentale. »
« La prochaine fois que tu fais un devoir, essaye d’identifier à quel moment tu as besoin de réaliser des actions mentales : soit pour dessiner sur ton écran, soit pour te dire des choses avec ta petite voix. Tu verras, cela arrive tout le temps ou presque : pour comprendre l’énoncé, pour réfléchir… D’ailleurs serais-tu capable de comprendre et de résoudre les deux problèmes suivants sans rien dessiner sur ton écran mental ? » Suivent des exercices du type de ceux que nous faisons faire en stage… (Voir message précédent, numéro 103 : "Peut-on apprendre à réfléchir ?")
« Il est bien difficile de réfléchir sans images ni actions mentales. »
« Comme l’écran mental, la petite voix est souvent très utile : essaye de retenir une chanson ou apprendre par cœur sans la petite voix : impossible ! »

Jean-Philippe Lachaux n’utilise pas le mot « projet » mais celui d’intention, toutefois il en donne une description qui nous est familière : « C’est difficile de n’avoir vraiment aucune intention : on est toujours un peu en train de chercher à faire quelque chose. Quand tu marches, c’est pour aller quelque part ; quand tu parles, c’est pour exprimer quelque chose… Ça t’arrive, de ne vraiment rien chercher à faire du tout ? (…) Une intention, c’est donc quelque chose qu’on a vraiment décidé de faire. »

Pour faire comprendre le rôle de l’intention, en scientifique il utilise les fonctions de la zone prè-frontale du cerveau, décrites dans la BD, et ce qu’il appelle les neurones-chefs, ceux qui anticipent une action en l’imaginant à l’avance et qui organisent l’activité d’autres réseaux de neurones plus spécialisés :
« Comment réveiller ses neurones-chefs ? Il y a une façon simple, qui consiste à avoir une idée très claire de ce qu’on cherche à faire. Par exemple, si tu cherches à compter des « e » dans une phrase, tu peux imaginer la forme du «e» sur ton écran mental et ensuite regarder chaque mot l’un après l’autre. Pour mettre la table, tu peux imaginer à quoi elle devra ressembler une fois qu’elle sera mise, avec les assiettes, couverts, verres, etc. »
« Les neurones-chefs adorent les images mentales, car elles leur suffisent souvent à trouver par eux-mêmes une manière d’arriver au résultat que tu souhaites… À condition que ce ne soit pas trop compliqué : c’est pour cela que mieux vaut toujours avoir des intentions simples et claires. »
« Tes neurones-chef sont surtout efficaces quand ton intention est très claire et très simple. »

Enfin, une dernière chose sur laquelle j’insiste personnellement beaucoup et qui est à l’origine de Pégase : on ne peut pas se concentrer sur deux choses à la fois, donc il faut former un projet précis pour chaque action à mener, un projet pour chaque action d’apprentissage clairement spécifiée :
« Rester concentré, c’est rester connecté. Malheureusement, on ne peut pas être connecté à deux choses à la fois. »
« Quand tu essayes de faire deux choses à la fois qui demandent chacune un neurone-chef, ton cerveau n’arrive pas à les mélanger (…) Il zappe en favorisant un neurone-chef à la fois. Le zapping, c’est une réaction naturelle du cerveau quand on lui propose plusieurs choses en même temps qui demandent toutes de l’attention. »
On pourra rapprocher ces dernières déclarations des travaux scientifiques décrits dans la vidéo d’Arte qui fait l’objet de mon message 102 : "Attention et cerveau".
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Bien entendu, ce bref aperçu n’épuise pas les richesses de ce petit livre « à mettre entre toutes les mains », notamment de nos enfants en difficultés d’attention et de concentration… comme notre société sait si bien en fabriquer aujourd’hui !
Bien sûr aussi, malgré ses ouvertures très « GM », l’auteur ne manque pas de nous surprendre parfois comme par exemple ici : « La petite voix, c’est la radio du cerveau. Quant elle se met en marche avec l’écran mental, c’est la totale, tu es complètement dans la lune. » On présume que, ancien élève de Polytechnique, il a, au cours de ses études, utilisé ensemble ses évocations visuelles et ses évocations verbales pour sa compréhension, sa réflexion, etc., sans être accusé de distraction ! Il semble en effet ne considérer l’usage efficace des images mentales qu’en rapport avec une perception extérieure. Mais peut-être que pour des enfants particulièrement « déconnectés », c’est une étape importante ? Ce point est évidemment un sujet de discussion…
Par ailleurs, ce livre ne rend pas compte de la profonde richesse et de l’étendue de la gestion mentale, notamment au niveau des orientations sous-jacentes de la conscience cognitive, ces « tendances » d’Albert Burloud dans lesquelles s'originent ce qu'Antoine de la Garanderie nomme les structures de projet de sens et qui sont si importantes pour la personnalisation de l’activité mentale, alors que pour l’essentiel le fonctionnement (mais pas le développement) neuronal du cerveau humain est identique pour tous… Jusqu’à preuve du contraire.

Il est toutefois (ré)confortant pour nous, formateurs, praticiens ou simples utilisateurs de la gestion mentale, de voir ainsi les recherches scientifiques actuelles valider a posteriori des découvertes expérimentales psychologiques et philosophiques dont nous constatons chaque jour la pertinence et l’efficacité dans notre accompagnement de jeunes ou d’adultes en difficulté d’apprentissage ou, plus largement, de relation au monde. Alors que, dans le même temps, certains nous proposent, en guise d’ultime application pédagogique des plus récents travaux des neuroscientifiques, les Intelligences Multiples d’Howard Gardner, dont les premières publications (1983) sont contemporaines, faut-il le rappeler, de celles d’Antoine la Garanderie… Mais il est vrai qu’il est plus facile de tester et de catégoriser les enfants en fonction de supposées intelligences innées, plutôt que de les aider à découvrir au plus profond d’eux-mêmes leurs spécificités ignorées et à les développer de façon personnalisante.

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