mercredi 15 février 2017

105 - Savez-vous "parler l'explicite" ?

Voici le compte rendu d'une première journée de formation avec des bénévoles qui pratiquent «l'accompagnement à la scolarité » dans un centre social proche de mon domicile. Malgré leur très bonne volonté et leur total engagement au service d'une meilleure justice vis-à-vis d'enfants en difficultés scolaires, ils ont beaucoup de mal dans cette tâche ingrate. Ayant déjà travaillé avec une équipe du même genre dans un autre quartier de Bordeaux, j'ai été contacté pour leur apporter quelques éclairages sur l'apprentissage à l'école. J'ai décidé de focaliser ce travail sur ce qui me paraît de plus en plus être le point décisif d'une aide efficace : la formation de bons projets mentaux chez les élèves. J'ai donc construit un programme autour des apports de la gestion mentale et des neurosciences tirés du livre de Jean-Philippe Lachaux, dont j'ai déjà rendu compte dans mon message précédent. Voici le compte rendu de la journée.

Compte rendu de la journée de formation
Centre Social le PUZZLE - 10 février 2017


Le thème : accompagner à la scolarité

Introduction.
L’accompagnement scolaire consiste souvent à « apprendre à apprendre » aux enfants que l’on accompagne.

Pourquoi faut-il apprendre à apprendre ?
Apprendre est une capacité de tout être humain depuis le début de la vie. Mais cet apprentissage « naturel » s’exerce sur des contenus concrets et familiers. Les processus qui y sont mis en jeu sont implicites.

Dans l’apprentissage scolaire les contenus sont essentiellement abstraits : codes, symboles, vocabulaires spécifiques, mots et définitions abstraits… Cela représente un seuil important pour beaucoup d’enfants, par ailleurs intelligents mais dont les processus « naturels » peuvent être pris en défaut, surtout si un accompagnement familial préscolaire ne les y a pas préparés. Il est donc important de pouvoir aider ces enfants à prendre conscience des capacités d’apprendre qu’ils possèdent mais qu’ils ne connaissent pas, de les aider à les découvrir et de les rendre explicites tout en les adaptant  aux contenus scolaires sur lesquels ils éprouvent des difficultés.

Avec quoi apprend-on ?  Avec son cerveau. Que savons-nous actuellement du cerveau et de ses capacités d’apprentissage ?

Bref historique du cerveau humain. Notre cerveau  a conservé des éléments toujours actifs des différentes étapes de notre évolution : reptile (survie), mammifère (affectivité), homo sapiens (connaissance)... avec  le  stade le plus récent,  le « 4° cerveau » : celui où se forment, plus ou moins consciemment,  nos intentions, nos anticipations.  Ces différentes couches cérébrales travaillent  toujours ensemble et il ne faut jamais les négliger, surtout les plus anciennes qui font parfois de la résistance devant l’apprentissage.

Le cerveau et l’apprentissage.
Par différents exercices, nous avons mis en évidence  quatre notions fondamentales indispensables pour comprendre ce qui se passe dans un apprentissage scolaire :

  • Nous avons tous la possibilité de former dans notre tête des images, comme des photos ou des petits films, d’entendre des sons et de nous parler à nous-mêmes, également d’effectuer des mouvements comme par exemple dessiner ou écrire « en pensée ». Pour la commodité du langage nous appellerons ces productions mentales, des évocations. Nous ne pouvons pas observer directement l’activité des neurones (activité neuronale). Mais nous pouvons « récupérer » et mettre à jour l’activité mentale qui y est associée et dont les évocations sont les contenus.

  • La partie avant de notre cerveau (le cortex préfrontal) est le siège de nos intentions. C’est là que nous  anticipons et programmons les actions que nous projetons de mener. J.Ph. Lachaux[i] appelle les neurones de cette partie du cerveau : les « neurones-chefs ». Ils organisent dans les autres parties du cerveau le travail des différents réseaux neuronaux nécessaires à la réalisation de nos projets. Cette activité de programmation de l’action n’est pas toujours consciente dans l’apprentissage naturel. Dans l’apprentissage scolaire, il vaut mieux qu’elle soit explicitée. Elle peut prendre du temps à se former et peut faire l’objet d’un accompagnement spécifique, d'une pédagogie adaptée. On pourrait rapprocher ce qui précède de l’étymologie du mot apprendre, formé de deux racines latines : AD qui signifie « pour un but … », et « prendre » qui signifie effectuer le travail nécessaire pour atteindre ce but (« mettre dans  sa tête »  des objets ou un dessin, prendre connaissance d’un texte, prendre des notes dans un cours pour les retrouver plus tard…). AD correspond à l’intention, au projet formé plus ou moins consciemment (mais explicitable), dans le cerveau préfrontal (le but indiqué par un « neurone-chef »),  et « prendre » correspond à l’activité des autres réseaux de neurones (activité inobservable directement, mais explicitable au niveau de l’activité mentale  associée).

  • Mais nous ne pouvons mener efficacement  qu’une seule intention à la fois.

Ø  Intention fausse, projet inadéquat = travail inefficace = échec.

  • Notre activité mentale change en fonction de nos intentions : lire un texte pour compter les voyelles ou pour le comprendre n’entraîne pas la même production mentale.

Ø  Il est donc important de s’assurer que l’intention formée par un enfant dans son travail est bien formée et qu’elle est le plus possible en rapport avec la tâche à réaliser ou l’attente du professeur (qu’il faut donc connaître…).

Description de ce que l’on appelle « le projet mental ». Le terme intention est vague, et ne suffit pas toujours à définir ce qui est à faire concrètement dans une tâche. Celui de projet mental  convient mieux à l’apprentissage : il s’agit d’avoir une conscience précise et concrète du but que l’on se donne (but pour soi) et de la façon dont dans on se propose de l’atteindre : « Qu’est-ce que je me propose de faire ?» Et aussi « comment je me propose de le faire ? ».
Remarque : Si l’enfant bute sur la question : « pourquoi faut-il que je le fasse ? » et qu’il ne peut y donner de réponse valable à ses yeux, il faudra passer du temps à l’aider sur ce point. La question du sens de l’école fait partie de l’accompagnement à la scolarité. Ne pas chercher toujours des réponses dans la vie concrète (« faire des maths ça sert à faire ses courses… »). Chaque tâche scolaire a une finalité dans l’ordre de la scolarité elle-même, à court ou moyen terme, telle que l'enfant peut se la représenter concrètement. Exemple : j’apprends cette poésie pour pouvoir la réciter correctement en classe et avoir ainsi une bonne appréciation du professeur. Bien sûr, au-delà, c’est pour meubler ma mémoire de textes qui feront « culture », c’est-à-dire un stock de références littéraires, de structures de phrases, de vocabulaire… qui me permettront d’augmenter mes moyens d’expression dans la langue française.  Au-delà encore, la discussion sur les finalités de l’école pourra porter sur le perfectionnement de ses moyens de communication orale, écrite, l’apprentissage des langages codés des différentes disciplines, sa compréhension du monde, son intérêt pour mieux vivre en société, augmenter ses capacités d’intelligence,  de réflexion  =  augmenter les capacités de son cerveau… C’est un sujet délicat mais que l’on a toujours intérêt à ne pas éluder si la question est posée par l’enfant. Le demande de sens est prioritaire chez tout être humain, particulièrement chez les enfants .

Apprendre à « parler l’explicite ».
Le but de l’accompagnement de l’apprentissage scolaire pourrait donc se résumer à aider l’enfant à former des projets mentaux ajustés le mieux possible aux attentes de l’école.

Chaque acte de la scolarité doit pouvoir être décrit de façon explicite  pour que l’enfant puisse former convenablement  son projet dans son travail :
  • Être attentif =  évoquer = former des images mentales, ou se faire des commentaires, ou les deux manières combinées (non, ça ne mène pas dans la lune !)… etc. à partir de ce qui est donné à voir, à entendre ou à toucher, etc. Transformer un objet extérieur en objet mental « dans ma tête ».
  • Comprendre  =  préciser, compléter ce contenu évocatif jusqu’à sa parfaite fidélité à l’objet perçu (extérieur), ce qui se réalise par des comparaisons successives entre ce qui est évoqué (dans ma tête) et ce qui est perçu (dehors). Au-delà de cette première étape, incontournable, la chose à comprendre peut être questionnée de différentes façons : pourquoi est-elle comme ça ? Comment fonctionne-t-elle ? Avec quoi puis-je la comparer que je connais déjà ? Etc. nous étudierons ces différents projets de sens dans la suite de la formation.
  • Mémoriser =  transporter par la pensée dans un avenir de réutilisation ce que l’on a mis dans sa tête par l’attention et la compréhension. Par exemple, un enfant étudie une poésie. L’accompagnateur vérifie qu’il l’a bien « mise dans sa tête » en la lui faisant réciter « ici et maintenant ».  Mais il faudra aussi l’aider à la transporter par la pensée dans le scénario de la récitation en classe : « peux-tu imaginer la classe, la maîtresse, les camarades etc…. Et dans ce cadre imaginaire tu te récites la poésie comme si tu étais en classe. » Une certaine excitation peut gagner l’enfant qui vit ainsi à l’avance une situation de réussite : sa mémoire en sera bien évidemment renforcée (émotion positive).

Conclusion de la journée.
Chaque participant a été invité à revisiter ses pratiques à la lumière de ces notions fondamentales. Lesquelles visent à susciter l’activité mentale des enfants ? Lesquelles ne s’adressent qu’à leur activité externe ? Un participant a donné un exemple où il a lui-même appris la poésie sous la direction et le contrôle de l’enfant qui renâclait à le faire : à la fin du travail l’enfant savait sa poésie. Pendant tout l’exercice, il était en activité mentale de comparaison entre ce que disait l'adulte et le texte à apprendre.

Proposition toute simple. Au début d’une séance d’accompagnement, on fait raconter un événement de la journée par un enfant, ce qui est très bon. Mais MIEUX ENCORE : en faire un véritable rituel en lui donnant un enjeu amusant (une sucette, un « premier  prix », une médaille en chocolat…). Sachant qu’il aura à raconter avec des détails un événement de sa journée, l’enfant fera plus attention et mémorisera ce qu’il fait en classe pour pouvoir le raconter plus fidèlement. Toujours un « pour... » qui donne une ouverture, une perspective, un sens à ce que l’on fait maintenant… par rapport à ce qu’on se propose d’en faire après.

Lors de la prochaine journée, le 31 mars, nous passerons un moment à analyser la manière dont chacun s’est approprié cette première journée de formation avec des exemples de mise en pratique. Nous étudierons ensuite l’activité mentale consistant à réutiliser des connaissances apprises précédemment dans les activités d’exercices ou de résolution de problème, c’est-à-dire lors des contrôles.

14 février 2017. Guy Sonnois




[i] Voir son livre « Les petites bulles de l’attention ». O. Jacob

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