Pendant le dernier stage sur la compréhension avec une
classe de seconde de méthodologie, j’ai abordé le thème de l’autonomie intellectuelle. Cette année
j’ai dû solliciter plus que d’habitude, et même provoquer ces jeunes pour leur faire
prendre conscience de ce que l’on attendait d’eux. Tous les ans dans cette
classe, on s’étonne de la passivité et du manque d’activité intellectuelle de
ces jeunes. Je réalise à chaque fois combien ils demeurent dans une attitude de
réception passive et dans un projet de stricte restitution enfantine de ce qui
leur est transmis, dont au mieux ils ne comprennent qu’une très faible partie.
Leurs copies sont le reflet de ce marasme et font la désolation de leurs
professeurs. Voici donc comment je m’y suis pris cette année pour réveiller
leurs « fonctions cognitives » endormies et les ouvrir à une
véritable autonomie intellectuelle.
Dans les deux stages précédents j’avais montré aux élèves ce
que « être attentif », « mémoriser » et « réfléchir »
voulait dire, avec une application sur ce que « lire veut dire ». En
somme je leur avais montré quelles étaient les véritables buts de leur
scolarité lycéenne et en quoi ils différaient de ceux du collège. Je pensais
les retrouver en ce début du mois de mars un peu dégourdis sur ces sujets. Les
premiers échanges me ramenèrent à la réalité : ils n’avaient intégré que peu de
choses de ce qu’ils avaient pourtant semblé découvrir avec intérêt depuis septembre.
J’ai donc consacré beaucoup de temps à réactiver ces contenus et notamment le
geste de réflexion.
Puis je me suis efforcé de leur faire découvrir
progressivement les étapes d’une compréhension
approfondie, celle qui permet de transférer ce qu’ils apprennent dans des
réflexions et des expressions organisées telles qu’on les attend dans les
productions lycéennes. Nous avons étudié en détail les quatre étages d’une fusée imaginaire destinée à l’exploration de
l’univers du sens (j’ai rajouté un étage à la fusée modèle 2016 (message 84 et message 95),
l’obsolescence survenant très vite dans l’industrie spatiale… : je voulais
faire une place plus spécifique à l’activité
de comparaison que, dans le modèle précédent, j’avais associée au premier
étage de l’évocation. Il est vrai que ces deux actions sont très liées dans le
geste de compréhension, mais on peut être tenté dans la précipitation de
supprimer la seconde) :
1. Le
premier étage consiste à évoquer
le mieux possible l’objet à comprendre, avec plusieurs allers-retours dehors – dedans.
2. Le
deuxième étage consiste à comparer
(considérer une chose avec une autre)
les évocations produites et la chose à comprendre, pour en tirer des similitudes et des différences. À ce stade, on peut également pratiquer des
comparaisons avec un acquis mémorisé et qui paraît proche, avec qui on peut également
établir des rapports de toutes sortes. On comprend une chose (on la « prend
avec » une autre) en la confrontant à une autre déjà comprise, en
effet « nous ne savons pas penser une chose seule » (Michel Serres).
3. Le
troisième étage consiste à capter dans la chose à comprendre « ce qui
va dans notre sens » comme l’a dit si
justement Agathe, une des stagiaires. Antoine de La Garanderie disait : « on n’entend que ce qu’on attend ». On ne
comprend que ce que l’on s’attend à comprendre dans la chose considérée. En
chacun de nous, cette attente de sens privilégiée est devenue une habitude,
elle constitue une véritable « tendance » qui dirige inconsciemment notre
compréhension. Les élèves ont alors découvert deux directions prioritaires de
cette compréhension spontanée :
l’explication ou l’application. L’explication,
le « pourquoi » des choses, correspond à la démarche démonstrative,
le raisonnement inductif, la recherche de causalité ou d’origine : elle est de
nature abstraite. L’application correspond
aux champs d’application, le « pour quoi » faire, aux usages possibles dans un avenir (à
imaginer), aux conséquences, à la démarche déductive : à ce niveau, elle aussi est
abstraite ; mais l’application concerne aussi le « comment faire», le mode d'emploi, la
manière de faire fonctionner la chose à comprendre. Elle est l'objet des exercices : elle est alors
plus axée vers le concret et elle est plus immédiate.
On constate que ces demandes de sens n’ont pas la
même intensité selon les personnes, et parfois même elles n’existent que de
façon exclusive. La grande majorité des jeunes de cette classe se sont reconnus dans un
unique projet d’application dans son aspect concret : en cours ils attendent patiemment que
le professeur "en vienne enfin aux choses sérieuses", c’est-à-dire à la pratique
des exercices, au "comment faire". Par ailleurs, la projection dans
un imaginaire de réemploi, de finalisation, reste très éloignée de leurs
préoccupations… On comprend mieux alors leur passivité pendant les
démonstrations, toutes les explications données par leurs professeurs… et qui constituent souvent
l’essentiel des cours dans certaines disciplines (ou des stages...).
4. Enfin,
le quatrième étage est celui où
l’on dépasse les limites des tendances ou habitudes spontanées de compréhension pour
accéder à une compréhension plus consciente, plus complète, réfléchie, approfondie et volontaire, la seule qui permette des transferts réussis et donc la réussite au
lycée. C’est la tête "pensante" de la fusée, celle qui permet une pleine
possession du sens de l’objet à comprendre. Les cinq questions de la compréhension permettent en effet l’analyse,
la séparation de l’objet à comprendre en ses éléments constitutifs, et par là l’extraction de la totalité de ses sens, de sa "teneur de sens" (selon Astrid, une autre
stagiaire), c’est-à-dire son essence
même. Certains élèves prétendent vouloir retenir l’essentiel de leurs cours, mais en donnant à ce terme un sens bien
plus réducteur, en général "ce qui leur saute aux yeux", ce qui est le plus "évocateur" et concret le plus souvent... Avec les Cinq questions, ils trouvent le moyen d’accéder au mieux au sens de ce qu’ils
apprennent, bien sûr selon leur "niveau de développement actuel" (Vygotsky)... que la mission de l'Ecole est toujours d'aider à dépasser. Différents
exercices ont permis aux jeunes d’accéder à ce dernier étage, le plus dense et
le plus dérangeant pour eux.
Et c’est là que nous arrivons au point
culminant de ce stage : l’accès à l’autonomie
intellectuelle. Informés qu’ils sont désormais des étapes et des moyens
de l’activité mentale nécessaire à leur compréhension, les élèves ne peuvent
plus s’abriter derrière de faux prétextes pour éviter de passer à l’action. Ce
ne sera plus la faute des autres si leur travail est improductif, s’ils n’obtiennent
pas les résultats désirés et s’ils en viennent à baisser les bras. Ce ne sera
pas non plus de leurs capacités dont ils auront à douter : ils connaîtront la
nature de l’obstacle et ne pourront que constater, s’ils refusent de sauter, qu’ils
en sont entièrement responsables. Cette connaissance nouvelle les confronte à un choix difficile. Jusqu’à présent, ils
pouvaient se voiler les yeux et se satisfaire, plus ou moins confortablement, d’un
refus de grandir, de quitter la bulle douillette dans laquelle ils s’étaient
habitués à vivre. Ils se trouvent d’ailleurs souvent encouragés dans cet état
de marasme par un environnement familial inquiet et surprotecteur, ou quelques
professeurs particuliers payés pour leur faire entrer dans la tête les contenus
non compris, par petites bouchées le soir à la maison... : pourquoi alors
faire des efforts dans la journée pour essayer de comprendre seuls ("ça prend la tête"...) pendant les cours ?
Pour les aider à réaliser l’état
psychique dont je les appelais à sortir, je leur ai raconté un rêve fictif que
j’aurais fait la nuit précédente. Un cauchemar en réalité. Je me trouvais dans une
forêt profonde, au centre d’une clairière, entouré d’adolescents apparemment
furieux et grimaçants qui me menaçaient de leurs longs crayons bien aiguisés ou
de leur stylo bien pointus. Ils me reprochaient durement de les avoir instruits
de ces réalités qui les délogeaient de leur confortable irresponsabilité. J’avais
peur et je me disais : « De quoi te mêles
tu donc de venir les déranger dans leur confortable endormissement ? Pourquoi
donc leur as-tu révélé ces secrets qui les dérangent à ce point ? » Je
leur expliquais alors que ce qui se passait en eux était très compréhensible. Ils
étaient animés d’un double sentiment : d’un côté l’envie de rester dans leur
état d’enfance, protégés de tout risque et de toute responsabilité, de l’autre
côté un attrait diffus pour le chemin escarpé mais combien plus épanouissant de
la découverte intellectuelle et du risque de penser par soi-même. Ils étaient,
en ce moment même du stage, placés devant ce choix vital qu’eux seuls pouvaient
trancher :
-
Soit se lancer dans le long cheminement qui les amènerait
à l’âge adulte (ad ultum = celui qui
est arrivé au terme de ce cheminement).
-
Soit rester encore quelque temps dans leur illusoire
tranquillité et continuer à se morfondre et à se désoler de la dégradation de
leur propre image.
Le lourd silence qui régnait et leurs yeux rivés sur moi pendant que je
leur parlais m’ont indiqué que mes paroles avaient un écho dans le cœur de ces
adolescents. Le reste du stage a confirmé cette impression, par l’engagement et
la qualité de l’activité mentale mise en œuvre dans la compréhension
approfondie (le protocole de cette séance est détaillé dans le message 98) d’un
cours sur le Romantisme, son analyse précise et complète, et la synthèse qui en
a été la preuve apparente, dans un petit exposé rapide fait à la classe sur tirage au sort.
Quelques phrases significatives extraites des bilans de fin de stage :
Quelques phrases significatives extraites des bilans de fin de stage :
Pour
comprendre ; il faut comparer, analyser, et ce n’est pas grave si l’on ne
va pas vite, et retenir pour m’en resservir après. Ma motivation a changé.
J’éprouve
de la fierté : je suis plus fier de moi. Je retiens qu’il faut synthétiser mes
réponses et non mettre tout ce que je sais. J’ai envie de travailler, j’ai
retrouvé la motivation.
Je
veux plus travailler, je suis plus motivée pour continuer mes efforts. Je suis
contente car j’ai appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas sur
moi-même. Oui ce stage a répondu à toutes mes difficultés pour le manque de
concentration et de compréhension des énoncés.
Je
me sens motivée pour y arriver et passer ma seconde en focalisant sur les cours
et pas sur autre chose. J’ai plus de facilité pour apprendre et comprendre les
textes et les consignes.
Je
pense être un peu plus claire, concentrée et avoir une meilleure réflexion. J’ai
plus envie de travailler
J’ai
retrouvé la motivation au travail, j’ai
compris que je travaillais pour apprendre à résoudre des problèmes. Pour m’améliorer
je vais plus anticiper.
Pendant
ce stage je me suis découverte intérieurement. J’étais une fille de moins en
moins motivée dans mon travail car je ne comprenais pas à quoi ça me servait. Mais
je me suis rendu compte que ça me servira pour mon futur mais aussi pour
répondre aux questions demandées.
Je
suis plus motivé pour travailler, réussir pour plus tard. Je pense que ce stage
m’a aidé à ouvrir les yeux, et à me mettre au travail.
Motivation.
Confiance. Je pense avoir un sentiment d’accompli et le sentiment d’avoir
grandi. J’ai appris à évoquer, à ne faire qu’une chose à la fois, à moins me
précipiter, à plus m’écouter. Ce stage répondait à mes difficultés car il m’a
fait reprendre confiance en moi
Je
retiens que pour comprendre il faut que je me pose les bonnes questions, et que
si je suis lente c’est parce que comprendre est quelque chose de long. Je me
sens plus capable de réfléchir et de comprendre.
Ce
qui a changé c’est ma façon de penser, je sais maintenant comment je dois lire
les textes, comment je dois les analyser pour les comprendre. Ce que je retiens
pour m’améliorer c’est la façon dont il faut apprendre en se demandant à quoi va
pouvoir resservir ce que j’apprends et comment le retrouver au bon moment.
J’ai
de nouveaux moyens pour mieux comprendre, j’ai développé de nouvelles
capacités. Je vais moins me précipiter, prendre du temps pour comprendre un
cours et lors des devoirs à la maison.
Ce
qui a changé c’est ma pensée, mes méthodes et ma confiance en moi-même. Je suis
plus confiante, plus motivée. J’ai trouvé comment reprendre confiance en moi
avec des méthodes de compréhension.
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