mardi 18 décembre 2018

135 - Neurosciences et gestion mentale : la métacognition au secours de l'école !


J’étais en train d’écrire mon message 134 à propos du beau et important livre d’Yves Lecocq, et je le terminais en citant les mots de Nicole Bouin dans les Cahiers pédagogiques sur "la remarquable modernité" de la gestion mentale, lorsque j’ai reçu une notification pour l’article de Jean-Philippe Lachaux dans "Cerveau & Psycho" de ce mois-ci : Éduquer la métacognition, la clé du succès pour les enfants ! Avec un sous-titre explicite : "Savoir se fixer un but, planifier les étapes pour y arriver, prendre conscience de ses propres pensées et émotions, tout cela s’entraîne par des méthodes aujourd’hui validées". Et un encart alléchant : "Pour transférer une capacité cognitive depuis un exercice spécifique vers un champ scolaire, il faut élaborer un vocabulaire dédié".

On peut aussi écouter des extraits (regroupés par mes soins) de l'émission de France-Inter : La tête au carré" du 5 décembre dernier  (2018) sur le thème de la métacognition. on y parle de l'entretien d'explicitation. Certains passages plairont (?) aux praticiens GM ! Du vrai plagiat !

Imaginez mon impatience de découvrir le contenu de cet article tellement "novateur" : prise de conscience, transfert, vocabulaire dédié... On va  parler de Gestion mentale, c'est sûr !! Voyons cela de plus près.

Dès le départ, l’auteur fait état des "fonctions exécutives", ces "processus permettant d’éviter que notre comportement soit une simple succession de réactions réflexes à notre environnement", en soulignant qu’"elles impliquent majoritairement le cortex préfrontal, manifestement plus développé chez l’homme que chez le cochon d’Inde". Nous voici rassurés ! 

L’auteur poursuit : "Sachant cela, on ne sera pas étonné d’apprendre que l’efficacité des fonctions exécutives d’un enfant prédit mieux encore que son QI ou le statut socio-économique de sa famille, quelles seront sa réussite professionnelle, sa santé et sa qualité de vie une fois adulte. Elles constituent donc naturellement une piste privilégiée pour quiconque veut développer son potentiel d’être humain, et tout système éducatif devrait à l’évidence compter le développement des fonctions exécutives de l’enfant parmi ses objectifs principaux ; ce qui amène immédiatement la question suivante : comment améliorer les fonctions exécutives des élèves ?" Bonne question, en effet ! Je sens qu’on va atteindre l’essentiel !

L’auteur fait alors référence à des études d’une professeure de neurosciences cognitives de Vancouver qui a consacré "l’essentiel de sa carrière à explorer cette question". Bigre ! Au Canada ? Alors là, c’est sûr on va parler de la gestion mentale… Mon impatience devient fébrile.

Notre professeure "dresse une liste assez exhaustive des différentes voies déjà explorées pour améliorer les fonctions exécutives des enfants et testées scientifiquement". Aïe ! "testés scientifiquement"...On sent venir la tuile…. Voyons quelles sont ces différentes voies si bien explorées : "… une très grande variété d’interventions allant de la pratique des arts martiaux à la course à pied, en passant par le théâtre, la méditation ou les jeux vidéo". Alors, bien sûr le théâtre développe la mémorisation, les arts martiaux apprennent le contrôle et l’inhibition… Mais heureusement la recherche ne se satisfait pas de ces alliés un peu trop éloignés du vécu scolaire (et du reste pas si nouveaux...) : "En réalité, les choses ne sont peut-être pas aussi simples, sans quoi l’enseignement traditionnel devrait suffire largement, puisque les activités qu’il propose sollicitent pour la plupart (!) ces fonctions, et à raison de plusieurs heures par jour". Il manque donc "un ou plusieurs ingrédients essentiels" que les chercheurs ont tentés d’identifier. Ça y est ! on y vient !

On passe sur les propositions d’intégrer ces "nouveautés" avec grande prudence dans le milieu scolaire. Notamment, "il faut accepter que l’intervention prenne du temps au quotidien, et qu’elle imprègne tout l’enseignement. Les compétences exécutives ne s’apprennent pas d’un seul coup… il s’agit d’un projet global, au long cours." Projet global ? En rapport avec l’apprentissage ? Tiens tiens, Pegase s'ébroue et dresse une oreille...

Puis on constate l’inefficacité de "plusieurs exemples de programmes qui n’ont pas donné de résultats probants", notamment par leurs difficultés à transférer les résultats à l’apprentissage scolaire (ce qu’on savait depuis longtemps...). Un exemple cependant paraît efficace, qui s’inspire des travaux de Vygotsky, et qui "insiste particulièrement sur le rôle fondamental de l’intention de l’enfant, l’incite à verbaliser ce qu’il s’apprête à faire avant d’aborder l’activité". L'intention avant l'action, donc le projet ?... On brûle !

"Dans les quelques cas où des transferts ont été constatés entre un entraînement isolé et d’autres situations par exemple scolaires, il semble que l’enfant ait été aidé d’un adulte pour analyser sa stratégie gagnante et y identifier les composantes cognitives communes avec le travail scolaire. C’est ce qu’on appelle un accompagnement métacognitif : faire découvrir et comprendre à l’enfant (attention tenez-vous bien !) les « gestes mentaux » (sic !) qu’il doit utiliser pour résoudre un problème, dans un jeu vidéo ou dans la vraie vie, et lui permettre de les reconnaître dans d’autres situations. Par exemple, l’enfant qui aura pris l’habitude de produire des images mentales internes (re-sic !) pour mieux évoluer dans un jeu vidéo, s’il se rend compte de la stratégie adoptée, pourra l’utiliser dans la résolution d’un problème de géométrie". Et voilà ! De "gestion mentale" il n’est pas question, bien sûr, et de La Garanderie, encore moins ! Ça, c’est toujours interdit ! Mais parler de « gestes mentaux », d’ « images mentales internes », ça, c’est permis… Parce que "testé scientifiquement" ? Hé! Hé ! Toujours bon à  prendre !

Allez ! Enfonçons le clou. "Ce type d’accompagnement dit métacognitif implique une compréhension fine du « comment », qui étend aux gestes mentaux (ce n’est même plus entre guillemets…) une forme d’apprentissage déjà à l’œuvre pour apprendre des procédures corporelles : par exemple, un enfant qui apprend à nager le crawl combine les gestes qu’il connaît déjà dans d’autres activités. Sur le plan cognitif, le « geste » qui bloque peut être travaillé dans différents contextes, jusqu’à ce qu’il devienne naturel. » Allez, Monsieur Lachaux un petit effort encore, vous y êtes presque ! Vous allez fini par le dire "gestion mentale"...!

"Cette compréhension de son propre fonctionnement mental passe par la mise en place d’un vocabulaire commun entre l’enfant et l’enseignant pour désigner et reconnaître des processus mentaux bien précis, qui paraissent d’abord mystérieux parce qu’ils ne sont pas "visibles" de l’extérieur, mais qui n’en sont pas moins très concrets (du pur la Garanderie ! les "abstraits réels" de Burloud *... Wouah ! La belle nouveauté "scientifique" que voilà !  En plus, c'est sûr, pour bien "dialoguer" en matière de pédagogie, encore faut-il avoir un vocabulaire commun ! Grande nouveauté  là encore...). Ainsi, la conversion d’un mot ou d’une phrase que l’on entend (« le renard sortit de la forêt ») en une image mentale reprenant la situation décrite est une forme d’action très précise que l’enfant doit apprendre à réaliser et qui l’aidera à comprendre une histoire et la raconter ensuite. » Moi j'utilise  plutôt "le cheval galope dans la prairie"...; Oui ! C'est ça ! ça doit être ça la vraie différence entre les neurosciences et la gestion mentale : on n'est pas dans le même bestaire... Mais restons sérieux... l'évocation est donc bien une "action très précise" ? Et ça aide à comprendre ? Et à raconter ? A dialoguer ? Chouette alors !

On encourage ensuite l’enseignant à proposer un vocabulaire « commun et bien compris pour désigner cette « conversion » : comme le « cinéma intérieur »… Antoine, réjouis-toi, ils ont enfin (un peu) compris !

Une petite précaution pour terminer : « Toutefois, ce type d’interaction avec l’enfant n’est possible qu’avec des enseignants et des formateurs ayant eux-mêmes acquis une culture métacognitive, et l’un des grands apports des neurosciences cognitives dans le domaine de l’éducation sera sans doute de leur apporter cette culture. » Sans blague ! Mais mon pauvre Monsieur, c’est déjà fait, et depuis longtemps, et sans vous ! Mais c'est vrai, ce n'était pas (encore) "testé scientifiquement", alors...

Merci tout de même, Monsieur Lachaux ! Peut-être que les neurosciences arriveront un jour à nous apporter cette culture…que nous avons déjà sans que vous vous ne vous en avisiez. Mais avant de nous annoncer cette heureuse perspective, en bon scientifique que vous êtes et qui devrait donc cultiver un minimum de curiosité (à défaut d’honnêteté intellectuelle), peut-être auriez-vous pu vous renseigner sur les travaux d’Antoine de la Garanderie qu’on appelle la gestion mentale ? Ce serait tellement bien si nous pouvions, et là nous vous rejoignons, accélérer l'arrivée de cette "culture métacognitive" qui nous paraît à tous si indispensable pour sauver notre école du désastre qui se profile.... et que vous et les vôtres avez si longtemps dénigrée et condamnée... et donc retardée... au grand dam de tant d'enfants que vous prétendez désormais sauver. Il n'est jamais trop tard... mais quand même...

* Et puis "tester" Burloud... en 2018... un demi-siècle après l'écriture de Thématisme et schématisme - Le dynamisme des structures inconscientes dans la psychologie d'Albert Burloud… C'est Antoine qui doit être bien heureux de voir ça de là où il est !

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