lundi 27 avril 2020

152 - Gestion mentale et orientation ou quand un jeune aligne son projet d'être et son projet de vie : ce qu'il ressent.


La vidéo que je me mets aujourd’hui sur mon blog me tient particulièrement à cœur. On y entend un de mes anciens stagiaires de la classe de méthodologie de Toulouse dont j’ai souvent parlé ici. Ce jeune homme de 24 ans retrace, à ma demande, son parcours scolaire et ce qui l’a amené à un changement radical d'orientation professionnelle : le choix - inattendu après 6 ans d’études supérieures pourtant réussies - de son véritable projet de vie plus en accord - « aligné », dit-il dans une bien belle image, - avec son « pouvoir être » contre lequel, inconsciemment, il menait sa vie, comme si jusqu'alors il vivait "à contre-courant" de lui-même. Il avait pressenti la libération,10 ans plus tôt, de ce pouvoir, cette possibilité d'être lui-même dans l’exercice des projets d’actes de connaissance et la reconnaissance de ses projets de sens découverts avec moi pendant cette année de seconde. Comme il le dit, cette découverte a libéré ses capacités d'accès au sens qui étaient comme « confinées », comme anesthésiées par les pédagogies, peu respectueuses de son identité cognitive, qu’il avait subies jusque-là. Mais son pouvoir être lui-même attendait encore le moment d'être pleinement libéré par sa courageuse décision.

En l’écoutant, on ne peut s’empêcher de penser à la phrase de Pindare : « Deviens ce que tu es » reprise plus tard par Nietzsche, pour signifier que l’homme doit se dépasser lui-même pour trouver son être véritable et travailler, lutter même parfois, pour le faire advenir. Ce que l’on a oublié, c’est la suite de cette phrase telle que Pindare l’avait formulée en son temps : « Deviens ce que tu es quand tu l’auras découvert (ou "appris" selon les traductions) ». En quelques sorte, s'inventer après s'être découvert !

C’est donc bien les deux temps de ce processus de la créativité qu’il faut avoir en tête pour en tirer les leçons propres à l’éducation d’un enfant. D’abord lui permettre de se découvrir, de "s’apprendre" dans ses activités, scolaires notamment (un de mes anciens stagiaires d’été ne disait-il pas : « ici on apprend à s’apprendre » ?). Bien sûr on pense alors à Socrate et à son « Connais-toi toi-même », préalable à tout "devenir soi-même". Se comprendre soi-même pour comprendre/en comprenant le monde. Incontournable de toute vraie connaissance.

Mais une autre distinction est à considérer : le "ce que tu es" peut aussi se comprendre comme un "qui tu es ". En suivant Hannah Arendt, on peut penser que le "ce que" correspond aux qualités propres d’une personne, sa personnalité cognitive, ses projets de sens spontanés : à ce que l’on peut voir ou pourrait voir de la personne de l’extérieur. Alors que le "qui" renvoie plutôt à l’être lui-même, qui ne se connaît pas, que les autres ne voient pas, qu’il s’agit donc de découvrir, et qui, une fois "appris", reste encore à actualiser, à laisser advenir, à risquer dans le monde réel en dépit de tous les obstacles dressés sur sa route. Et cela peut prendre du temps. Thomas nous dit qu’il y a mis une dizaine d’années. C’est peu au regard de ce que d’autres mettent à cette découverte fondamentale qui parfois bouleverse tant leur vie professionnelle ou sociale... bien après le temps de leur jeunesse. On ne connaît ni le jour ni l’heure de l’éclosion soudaine du projet d’être, du projet de vie d’une personne. Bonne leçon pour l’éducateur : faire confiance au temps, ne pas aller plus vite que la musique.

Thomas raconte aussi la difficulté dans notre époque tellement tournée vers l’utilitaire, le facile et le rapide, le rentable, la sécurité... d’admettre et de faire valoir un projet d’être hors des chemins valorisés et dûment balisés par la société, la famille, les professeurs,  les amis, les "conseilleurs" de toutes sortes, etc. Il faut un vrai travail sur soi, un vrai courage même parfois, pour extraire de cette gangue paralysante la vérité de son projet d’être, ce " précieux" si soigneusement caché. 

Avec des mots simples Thomas nous met sur la voie. Les graines semées au temps de la découverte de ses capacités propres, de l’acceptation de sa différence et de ses limites, mais aussi de l’assurance de ses possibilités de développement, ont fait leur travail discrètement, patiemment, dans sa conscience pas encore tout à fait prête à les faire germer sur le moment même de leur révélation. 

Il signale aussi l’importance de l’accompagnement d’autrui, de sa famille, de ses professeurs de seconde formés à la gestion mentale, de nos stages avec leurs temps de silence introspectif et les questions que je l'ai aidé à se poser, avec ses camarades, jusqu’à celle-ci, fondamentale : "qui veux-tu être ?", plus essentielle que le seul et banal  "que veux-tu faire ?" ou que le si frustrant "que peux- tu faire ?" pourtant si habituel dans la démarche d'orientation scolaire.

Chaque être humain cache un secret que lui seul peut connaître, mais qu’il ne peut découvrir qu’avec l’aide d’autrui. Belle mission pour tout éducateur que d’accompagner un enfant, un adolescent, un jeune homme dans la libération de son pouvoir être jusqu’à son "alignement" avec son projet d’être, son projet de vie !

Au cours de l’échange téléphonique qui a suivi la réception de la vidéo, Thomas m’a confié que son mal de dos chronique, soigné depuis l’enfance par diverses thérapies, ostéopathie ou autres approches à la mode, avait soudainement et totalement disparu, à la grande surprise de son thérapeute actuel, à compter du jour de son "eurêka", de son "alignement", de son épiphanie ! Il est vrai que lorsque l'on vit à contre- courant de soi-même on peut parfois "en avoir plein le dos". Tant le corps et l’esprit ne font qu’un…

Voici donc une bien belle illustration de ce qu'écrivait Antoine de LA GARANDERIE dans  "Plaisir de connaître. Bonheur d'être. Une pédagogie de l'accompagnement" (Chronique Sociale. 2004) : « Il existe chez l'être humain un formidable appétit cognitif… il faut le libérer dans les consciences. Cet appétit peut alors procurer les plaisirs qui sont de son ressort, se développer en désir, s'accomplir en bonheur. »

Merci Thomas pour ton beau et si utile témoignage.

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