lundi 14 décembre 2020

158. Gestion mentale et neurosciences éducatives. Vers une fructueuse collaboration ?

 
Je mets aujourd’hui en ligne la vidéo (et aussi le texte, avec les références) que j’ai réalisée pour l’Assemblée générale de l’Institut International de Gestion Mentale (IIGM) qui a eu lieu le samedi 12 décembre 2020 sous la forme d’une réunion ZOOM. L’assemblée générale proprement dite était précédée d’un temps de conférence-débat à deux voix sur le thème des rapports entre les neurosciences éducatives et la gestion mentale. L’autre voix était celle de Marine Campedel, membre de l’IIGM et représentant pour l’occasion le Grene-monde avec qui elle travaille.

Je défendais la spécificité et la richesse de la gestion mentale face à la vague des neurosciences, et de son coté Marine mettait en avant les avancées scientifiques regroupées sous le terme générique de "neuro-éducation" - qu’elle préfère appeler neuro-éducatives à la suite de Pascal Toscani. Elle voulait toutefois montrer que l’apport de la gestion mentale serait le bienvenu pour compléter des protocoles de recherche manquant de prolongement mental dans les pratiques proposées. Selon elle, un véritable boulevard s’ouvre actuellement pour la gestion mentale en profitant de la percée de certains neuroscientifiques très proches des descriptions d’Antoine de la Garanderie. À condition toutefois que l’on trouve un biais pour les rencontrer et les persuader de collaborer avec nous... sans que la richesse de la GM en soit trop réduite.

Les vidéos de Marine et de moi-même avaient été envoyées au préalable aux participants de cette réunion importante. L’animateur nous a toutefois demandé de présenter rapidement leur contenu en début de réunion.

Rappel du contenu de mon intervention.
Pour faire simple, la gestion mentale a pour objet la "conscience qui connaît" en lien avec les activités cérébrales qui la sous-tendent et qu’elle est en mesure d’influencer par son activité proprement mentale. L’objet des neurosciences cognitives est le "cerveau qui apprend" sans jamais faire intervenir la conscience dans ses recherches.

Quel rapport entretiennent le cerveau qui apprend et la conscience qui connaît ? Pour Damasio ce rapport est non seulement de contiguïté, mais aussi de continuité dans un partenariat interactif. Comment alors s’effectuent cette continuité et ce partenariat entre le cerveau et la conscience ?

Certains scientifiques cherchent l’origine de la conscience uniquement dans les activités du cerveau et particulièrement du cortex, comme par exemple SD et son équipe. Damasio s’inscrit en faux contre ce qu’il considère comme, je le cite, "une simplification excessive et une erreur de compréhension"[1]. Déjà connu pour sa prise en compte des émotions et des sentiments dans l’activité intellectuelle, il cherche la création de l’esprit et de la conscience humaine dans une coopération harmonieuse de tous les systèmes biologiques du corps pris dans son entier, y compris donc le cerveau, le tout étant animé par le processus homéostatique. L’homéostasie est le moteur de la vie, qui permet à tout être vivant de persister dans son être, de se développer en se projetant vers l’avenir dans la recherche du bien-être, d’un plus être, tout cela en coopérant avec ses semblables. L’homéostasie est essentiellement un mouvement permanent du vivant. La parenté avec la gestion mentale à ce niveau est évidente.

J’ai tenté de montrer que l’homéostasie biologique pourrait être à l’origine de la motilité, cette potentialité de mouvement inscrite au cœur de la vie dans laquelle La Garanderie voit l’origine de nos projets de sens. J’ai proposé que le lien homéostasie-motilité puisse être considéré comme le trait d’union qui permet le partenariat étroit entre les deux mondes, neuronal et mental, entre le cerveau - avec l’intelligence -  et la conscience - avec la connaissance- , deux mondes dont l’union fait la spécificité humaine, mais qui sont trop souvent opposés, sinon séparés.

J’ai insisté sur le risque que coure notre société quand elle sépare l’intelligence et la conscience. D’un côté l’intelligence, que l’on peut créer et augmenter artificiellement à l’image de l’activité des neurones ; de l’autre la conscience avec ses émotions et ses sentiments que l’on est encore loin de pouvoir recréer artificiellement. Avec l’accélération des innovations technologiques que nous connaissons actuellement, avec les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle et des machines de plus en plus intelligentes, c’est l’homme lui-même qui se trouve menacé d’être réduit à l’inutilité voire à la soumission à ses propres créations. Cette séparation présente un grand danger pour l’humanisme tel que nous le connaissons et tel que nous souhaitons le préserver. Pour cela il est grand temps de s’intéresser (se re-intéresser) à notre esprit et de le développer notamment par une éducation adaptée.

Malheureusement la séparation de l’intelligence et de la conscience est aussi à l’œuvre dans notre système scolaire.  Deux paradigmes s’y conjuguent dans un équilibre fragile :
- d’un côté la transmission de savoirs que les élèves ont charge de recevoir en y exerçant leur intelligence par l’apprentissage,
- de l’autre des consciences en appétit de connaissance qui demandent à exercer leur recherche de sens appliquée à ces mêmes savoirs.

Les neurosciences éducatives s’intéressent au premier, la gestion mentale trouve son champ d’application dans le second. Les deux sont complémentaires et leur déséquilibre en faveur du premier peut expliquer bien des difficultés que l’école éprouve depuis plusieurs décennies. En éliminant la conscience du champ scolaire, on a mis beaucoup d’élèves de plus en plus en difficulté jusqu’à une véritable division intérieure de leur personne. Cela seul pourrait expliquer bien des problèmes très actuels de leurs comportements.

Enfin, après avoir illustré par une métaphore les dégâts causés par le rejet de la conscience dans les activités d’apprentissage, je me suis tourné vers l’avenir en proposant que nous travaillions au rapprochement entre les neurosciences proprement éducatives et la GM pour créer la pédagophysiologie souhaitée par Antoine. Une pédagogie du sens dans laquelle l’entraide et la coopération seraient le support de la relation des consciences qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Ce retour de la conscience au centre du système scolaire nous permettrait de redonner à la pédagogie ce qui lui a été confisqué, lui permettant ainsi de retrouver et de promouvoir cet humanisme qui anime toute la recherche d’Antoine de la Garanderie.

 Voir la vidéo.

Le texte de l'intervention avec les références des citations. 



[1] L'ordre étrange des choses, p.98 – O. Jacob.2019

1 commentaire:

  1. Bonjour Guy,

    Je vous présente à mon tour mes meilleurs voeux pour cette année 2021.

    Je viens de visionner votre vidéo avec le plus grand intérêt.
    Je suis d'ailleurs un peu intimidée à l'idée d'être citée parmi les références que vous citez au fil de votre raisonnement.
    A ce propos, j'attendais dans la troisième partie Rabelais, et le tant connu "Sciences sans conscience n'est que ruine de l'âme." !

    Beaucoup des points que vous évoquez ont un écho dans mes pratiques personnelles, en tant qu'enseignante mais aussi maintenant en tant que formatrice.

    La question de l'essoufflement de l'implication enseignante suite à une formation est au centre des préoccupations de tout formateur, quel que soit le contenu de la formation proposée! Aussi, un nouveau paradigme de formation est lancé, s'appuyant davantage sur l'accompagnement des équipes dans les changements de pratiques. (mise en place de constellations, plan français, plan maths...)
    De même, on retrouve dans l'esprit de la nouvelle formation initiale (et dans les revendications actuelles de l'école, comme vous l'avez dit), l'entraide et la coopération chères à Antoine de la Garanderie. Ainsi, en formation initiale, on accompagne les enseignants novices dans leur gestion des interactions entre élèves, alternative essentielle à la relation duelle enseignant-élève. Le paradigme "transmettre-apprendre" que vous décrivez est bien mis à mal, et à juste titre.
    Cette partie m'a évoqué également le triangle didactique (d'Houssaye ou Chevallard), qui imagent les relations enseignant / élève / savoir...

    J'en viens à un point peut-être plus épineux. Vous citez, sans entrer dans le détail, les travaux de Lachaux. J'utilise ses propositions d'éducation à l'attention dans ma classe et j'en constate les effets positifs au quotidien.
    Cela n'a absolument pas remis en cause la recherche de sens des élèves, bien au contraire, la recherche et la soif de compréhension est entière. Une fois les mécanismes cérébraux expliqués aux élèves, c'est bien sur la gestion mentale que nous nous appuyons pour influer sur nos actes.
    Je suis persuadée que le programme ATOLE va rencontrer un franc succès dans les écoles, non seulement en raison de sa pertinence, mais aussi parce qu'il propose des situations concrètes à mettre en place avec les élèves pour les aider à prendre conscience de certains phénomènes.

    Ainsi, et j'espère ne pas vous froisser en faisant cette proposition, je pense qu'une vulgarisation (au sens noble de rendre accessible à tous les concepts et paradigmes) et surtout une concrétisation (proposition de situations pédagogiques concrètes à mettre en place dans les classes et mise au point de progressivités) pourrait être un de vos futurs projets afin de convaincre encore davantage d'enseignants de l'efficacité de la gestion mentale en classe. Je me permets de proposer cette piste car il m'a semblé que vous posiez implicitement la question dans votre seconde partie.

    J'ai particulièrement apprécié la métaphore de la grotte et des empreintes de dinosaures que vous avez utilisée en première partie. Je pense qu'elle peut être adaptée à un public scolaire et peut permettre de FAIRE LE LIEN explicite pour les élèves entre le fonctionnement du cerveau et la gestion mentale, redonnant à chacune sa juste place.

    Comme vous l'avez dit en conclusion, je souscris complétement à l'idée que la gestion mentale est confortée par les éclairages des neurosciences éducatives. Tout est comme toujours une question de juste équilibre. il ne s'agit pas de se plonger dans l'une complétement au détriment de l'autre, mais de savoir "digérer" les nouveaux apports scientifiques pour tâcher d'augmenter toujours l'efficacité des pédagogies ou méta-pédagogies sur lesquelles nous choisissons de nous appuyer dans nos classes.

    Tous mes voeux encore, et au plaisir d'échanger avec vous sur ces sujets,

    Azra

    RépondreSupprimer

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...