De l’art d’être grand-père : apprentissage
d’un texte pour le théâtre (ou d’une poésie…) au CM1.
Il y a quelques jours, ma petite fille
O..., 9 ans au CM1, devait apprendre un texte en prose pour une prochaine
représentation de son club de théâtre (avec une amie, elles sont, de beaucoup,
les plus jeunes d’un groupe de collégiens).
Je lui proposai, ce qu’elle accepta, de l’aider dans cet apprentissage qui visait le "par cœur", le "mot-à-mot". L’an dernier, nous avions déjà eu l’occasion de travailler ensemble une poésie à réciter en classe. Dans les deux cas, l'objectif était de pouvoir retrouver l’intégralité d’un texte, sans erreur et rapidement, dans une situation de stress, sous le regard des camarades ou du public. Et l’on va voir comment l’apprentissage aboutissant à ce "savoir par cœur" peut se faire avec un guidage en gestion mentale et n'a rien à voir avec un stérile rabâchage (un "apprendre par cœur"). Ce témoignage est à mettre en lien avec le précepte 7 du livret J’apprends à travailler et les pages 146-149 d'Accompagner....
Pour la poésie, le travail de
compréhension ne présentant pas de difficultés, je n’avais eu qu’à l’aider à le
stabiliser dans sa tête : passer du paramètre 1 (concret : les images concrètes
qu'elle se faisait dans sa tête à partir du texte) au paramètre 2 (codes : les
mots du texte qu'elle pouvait "voir" ou "s'épeler" dans sa
tête) avec quelques détours par le 4 (les liens inédits qu'elle pouvait
imaginer dans sa tête) ou le 3 (les liens logiques qu'elle pouvait faire dans
sa tête entre les images ou les mots) : petite "balade
paramétrique"... pour les initiés *… Puis je l’avais aidée à
placer le texte ainsi évoqué dans un imaginaire d’avenir de récitation devant
la classe, avec ses camarades en toile de fond de son geste de mémorisation.
Pour le texte de théâtre, elle l’avait
déjà un peu compris à sa façon, et elle le récitait approximativement, selon sa
compréhension première et spontanée, avec ses propres mots et expressions,
inversant certains passages et gommant plusieurs autres qu’elle n’avait manifestement
pas enregistrés. Elle n’avait mémorisé que ce qu’elle avait compris : cas de
figure assez fréquent. La première étape fut donc d’analyser les mots qui
manquaient et la structure de ce texte que voici :
"Je déteste les parapluies, ces
encombrants engins qui cachent le ciel.
Ils sont laids, ils ne servent à rien.
Pourquoi se mettre en cage quand on est si
bien sous la pluie…
Brûlons les parapluies.
Sauf le tien.
Parce qu'il est tout petit et que pour
être à l'abri on est obligés de se serrer.
Contre toi sous la toile, le ciel est tout
rose.
Et on a dansé, sous une pluie de
baisers."
Nous avons donc travaillé la compréhension
de ce texte. Je demandai à O... comment elle avait installé en elle ce qu'elle
avait déjà compris : s'était-elle fait ses propres commentaires ?
s’était-elle fait un petit film ou une BD des personnes, des objets et des
situations dont parlait ce texte ? avait-elle ressenti quelque chose ?
Autrement dit, comment avait-elle évoqué le sens du texte. Pour elle,
c'était plutôt un film. Comme elle ne l’avait pas fait explicitement,
volontairement, mais seulement spontanément et très imparfaitement, sans y
penser vraiment, nous y avons consacré le temps nécessaire : compréhension
d’expressions telles que "encombrants engins qui cachent le ciel
" : le parapluie qui empêche de faire certains gestes…, la toile qui cache
le ciel… ; explicitation de quelques images : "se mettre en cage" : la pluie qui tombe tout autour de la toile formant comme un espace de
sécurité, au sec… les amoureux qui se serrent pour se mettre à l’abri de
la pluie… "le ciel tout rose" ... etc.
Ce film ayant été consciemment et
précisément construit, complété, corrigé, je demandai à O... de le raconter
avec ses mots comme elle avait commencé à le faire au début. Puis je lui
demandai de comparer sa formulation avec celle du texte et si, pour cette
comparaison, elle voulait relire elle-même le texte ou bien que je le lui lise
- le son de ma voix pouvait être un support à une évocation auditive en renfort
de ses productions verbales ou purement visuelles. (Plus tard, je lui ai
proposé d’écrire elle-même le texte, de le recopier, l’évocation visuelle de sa
propre écriture pouvant être un moyen supplémentaire d’accrocher le texte dans
sa conscience.)
Elle préféra que je le lui lise. Après lui
avoir proposé le projet de comparer ce qu’elle allait entendre avec ce qu’elle
se disait ou s’était dit "dans sa tête", je lui lis le texte avec
les intonations nécessaires.
Je lui demandai ensuite si elle avait noté
des différences et lesquelles. Ses réponses pointaient effectivement les
moments où j’avais noté qu’elle déformait le texte - bien que les idées soient
justes. Nous reprîmes cette étape plusieurs fois et je pointai chacune de ses
erreurs. Puis, désormais sans mon aide, je lui demandai de se corriger
elle-même chaque fois qu’elle sentait qu’elle s’écartait du texte, ce qu’elle
fit de plus en plus facilement. Cette étape de confrontation interne d’une
production personnelle et du texte de référence est capitale dans
l’apprentissage du "par cœur ", du "mot à mot".
Quand le texte fut bien installé dans sa
tête, je proposai à O... de me tourner le dos en regardant le fond de la pièce…
et d’imaginer une salle avec du public, puis de déclamer le texte dans ce cadre
imaginaire. Elle fit cela sans aucune difficulté.
Ensuite, elle me dit que la prochaine
séance de théâtre serait consacrée à travailler l’intonation. Je lui demandai
si ça l’intéressait que nous le fassions dans la foulée de ce qu’elle venait de
travailler. Elle était d’accord. L’intonation étant le fruit direct d’une bonne
compréhension du texte, cela fut très facile. Le ton y était, les nuances
également. Je lui proposai alors de ralentir son débit, de faire des pauses
entre les phrases. Elle fit cela aussi facilement.
Cette séance de travail avait duré une
petite demi-heure. C’est déjà beaucoup à cet âge. Nous avons alors consacré une
dizaine de minutes à parler de choses et d’autres, notamment de son nouveau
chien. Puis, je lui ai demandé si elle pouvait retrouver dans sa tête le texte
que nous venions de travailler. Elle le fit volontiers : les yeux dans le vide
ou au plafond, visage concentré... Je lui proposai alors de relire le texte et
de vérifier par elle-même les écarts éventuels. Et je lui indiquai que c’était
cet exercice qu’elle devait maintenant faire à plusieurs reprises, et notamment
ce soir avant de se coucher.
Le lendemain, au téléphone, je m’assurai
qu’elle avait fait ses réactivations. Le texte était désormais bien installé
dans sa tête. Il suffisait de le rafraîchir à intervalles réguliers en
attendant la séance suivante avec sérénité et une belle confiance. C'est quand
même chouette, la GM !
* ne jamais oublier que ces
"paramêtres" (Les Profils pédagogiques, A de LA
GARANDERIE, 1980) servent à spécifier des productions mentales
personnelles, intérieures, et non les objets extérieurs sur lesquels
s'exerce l'activité mentale elle-même : un mot peut fort bien prendre
sens pour moi par l'évocation d'une image concrète que j'y associe (P1: le mot
"chat", entendu ou lu, fait naître en moi l'image bien concrète d'un
chat que je connais, ou bien je me le décris intérieurement, ou encore je
ressens la douceur de son pelage...), aussi bien que par un mot (P2 : le mot
lui-même C.H.A.T.) ou un autre mot, une autre image, qui aurait à mes yeux un
lien logique avec CHAT : pareil, différent, contraire, etc...(P3: le chat est
différent du chien; il ne s'écrit pas comme le S.H.A.H. d'Iran...), ou même par
un lien tout à fait imaginaire, concret ou codé, que mon imagination créatrice
me permet d'inventer (P4 : je vois un chat volant avec un balai entre les jambes... ou je me dit "le chat-touille"...) ...
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