mercredi 24 mai 2023

179 - Un livre pédagogique... qui semble lever (un peu) le voile sur la conscience à l'école : Pédagogies de la nouvelle chance - Le cœur et l'écorce.

Voulant me tenir au fait des actuelles propositions pédagogiques matinées de neurosciences, j'ai parcouru avec intérêt quelques-uns des livres récents sur le sujet. Particulièrement Pédagogies de la nouvelle chance - Le cœur et l'écorce. (Horemans et Schmidt. Chronique sociale 2022). La particularité des auteurs est qu’ils se disent anciens cancres alors qu’ils sont bardés de diplômes dans des disciplines sociales ou neuropsychologiques, plutôt chercheurs et formateurs d’adultes qu’enseignants de collège ou de lycée. Néanmoins c’est de pédagogie qu’ils traitent - fort doctement d’ailleurs - dans cet ouvrage, notamment de pédagogie appliquée à des élèves décrocheurs ou en perte d’image positive et de confiance en eux. Cela n’en rend pas moins intéressantes leur propositions qui sont applicables à tous les publics « d’apprenants » comme l’on dit dans les livres savants.
Comme dans la plupart de ces ouvrages, outre une connaissance approfondie des classiques et de bons auteurs de la pédagogie et des neurosciences, ce livre respire la bonne volonté, la positivité, la bienveillance, le souci d'aider le mieux possible des enfants en difficulté parfois lourde. Ils se placent dans la perspective de Boris Cyrulnik dont ils sont des collaborateurs et qui signe la préface. Après un balayage de grands principes éducatifs avec lesquels on ne peut qu’être d'accord, les auteurs proposent des situations pédagogiques intéressantes pour une éventuelle utilisation de la gestion mentale (dont ils se gardent bien de parler sauf vers la fin avec des termes étranges mais qui s’en approchent un peu tout de même, dans un chapitre intitulé « plaidoyer pour une pédagogie ipsative (! ) ». C’est vrai que côté jargon on est servi dans ces pages où quasiment chaque phrase contient un mot qui renvoie à une note simplement pour expliciter ce dont on parle. Quoi qu’il en soit, cela vaut la peine de s’accrocher. J’ai relevé quelques phrases qui, une fois traduites, peuvent nous intéresser. Par exemple :
Page 103 : Serait-il inconcevable que toute évaluation, peu importe qu’elle soit rehaussée du préfixe auto- ou co -, réserve une place privilégiée non à la bonne réponse, non pas seulement à l’expression détaillée de son esthétique de résolution mais plus encore à l’identification du sens, la description du cheminement intellectuel, des hésitations et des difficultés que l’apprenant a affrontées puis résolues ainsi qu’au bilan ipsatif ( !) établi et le mieux objectivé possible… de ce qui a été compris/appris et de ce qui reste à comprendre/apprendre. » Ipséité, ipsatif, sont des termes qui renvoient à soi-même (en latin ipse), un discours ipsatif est ainsi un discours « sur soi », ou si l’on veut un récit en première personne. Autre désignation possible (mais pas beaucoup plus claire…) « une pédagogie du récit de soi en auto construction des savoirs »… ça sonne quand même mieux n’est-ce pas que « dialogue pédagogique » dont c’est une manière comme une autre de parler (je préfère la nôtre…). Bien qu’elle soit incomplète puisqu’on ne va pas jusqu’à la notion de projets de sens, elle dépasse tout de même une simple métacognition de surface. Il faudra cependant s’habituer à ce type de vocabulaire et de langage si l’on veut établir des ponts avec ces chercheurs pour lesquelles toute proposition neuro-quelque chose n’est pas fermée sur elle-même et qui font des ponts avec d’autres aspects de notre humanité… dont la gestion mentale, conduite de sa propre vie mentale,  fait encore partie
jusqu’à preuve du contraire.


Cette pédagogie est par ailleurs très proche de celle de l’« entraide » de la Garanderie comme cela transparaît sous ce genre de paragraphe : «… la mise en place d’une pédagogie du récit de soi en auto construction des savoirs peut et devrait aisément trouver, outre une place évidente dans le travail du groupe-classe puis de l’apprenant révisant ses cours à domicile, un temps institutionnalisé dans chaque étape de tout apprentissage. » Après décryptage, on s’y croirait presque. D’autant plus avec ce qui suit : « Ce temps pourrait, à tout prendre, mobiliser les longues minutes trop souvent perdues tant en énoncés et rappels de consignes maladroites ou incomplètes à la classe qu’en formulations de sanctions et autres invitations répétées à maintenir une attention qu’une surcharge cognitive affaiblit inéluctablement. » Ben tiens… !


Surtout quand on ajoute un peu plus loin : « (Ce temps) serait un investissement à haute valeur ajoutée dans le parcours ultérieur autonome de tous les membres de la classe, mais aussi dans une citoyenneté soutenue à jamais par l’habileté fondamentale qui consiste à s’interroger non sur ce que l’on croit savoir mais sur notre compétence à vérifier et à comprendre fondamentalement les éléments constitutifs d’une information avant de la tenir pour vraie. » Et ce n’est pas le seul moment où cette compréhension fondamentale faisant appel à des questionnements multiples m’a fait irrésistiblement penser au « modèle des cinq questions »… Il est dommage que ce livre n'ait pas été publié avant le Colloque de l’IIGM sur l’esprit critique…


Enfin pour terminer sur ce sujet : « Cette inclination valorisée à l’ipséité, pour égoïste qu’elle puisse paraître a priori, pourrait être de nature à renforcer chez tout apprenant l’intersubjectivité grâce à laquelle le vivre ensemble trouverait enfin la pleine dimension humaniste qui lui fait encore trop souvent défaut. Pédagogie de l’entraide – revisitée - vous dis-je… 
J’arrête là parce que mon logiciel de dictée commence à éprouver une sorte de surcharge cognitive numérique avec un tel vocabulaire…


Pour en terminer avec cette lecture qui a haussé mon niveau d’abstraction linguistique à un niveau rarement atteint ces temps-ci, j'ai relevé quelques propositions pédagogiques qu’il pourrait être intéressant de réinterroger à la lumière de la gestion mentale. Entre autres, la pédagogie majorative  (pour proposer un "plus-être" , plutôt que de toujours relever les "moins-être" et les défauts, spécialité des pédagogies péjoratives) ; la pédagogie de la réespérance dont je n'ai pas besoin de dire qu'elle m'a plu, celle de la double ignorance qui parlerait bien à Yves Lecoq * , et aussi celle de l'explicitation qui me parle bien lorsqu'elle souligne qu'elle « permet aux étudiants de rester pilote du développement de leur attention » ou encore « d'identifier toujours l'algorithme exact de la réflexion qui permet de résister à des heuristiques (cf. Houdé) et de ne pas se laisser prendre au jeu trompeur des apparences (les vessies et les lanternes ?)  ; ou encore la pédagogie par plateaux avec une bonne proposition de travail en groupe (il y en a d'autres tout le long du livre), basée sur quelques idées fortes dont je retiens celle d'Edgar Morin qui rappelle que «l'extraordinaire richesse humaine est un tronc commun à partir duquel il existe des possibilités inouïes de diversité individuelle » ou encore celle de Françoise Dor qui veut que l'on permette à chaque élève « de trouver ce qui lui convient le mieux, selon son rythme, ce qu'il est et ce qu'il vit… dans la recherche de son propre cheminement », ou « de ses capacités insoupçonnées » ; sans oublier la pédagogie des petits gains rapides pour une évaluation qui forme, informe et motive davantage qu'elle ne sanctionne, stresse et finalement démobilise. 

Tout cela est bel et bon et l’on trouvera certainement dans cet ouvrage matière à initier des pratiques favorables à l'éveil et au développement de la vie mentale des élèves. Mais ce serait tellement plus efficace (et plus simple aussi parfois…) si on leur indiquait clairement comment chacun doit ou peut s'y prendre dans sa tête, avec ses habitudes de projets de sens, pour profiter au mieux de toutes ces pratiques pédagogiques, pas toujours si innovantes que ça au demeurant ! Que de temps perdu, que de bonnes volontés parfois si peu opérantes au regard des efforts consentis ! La profusion de ces conseils, propositions, protocoles souvent très élaborés et coûteux en temps et en énergie… leur prolifération sans limite peut donner le tournis, alors qu'il serait souvent si simple (et combien plus rapide et efficace) de donner le renseignement judicieux au bon moment comme le décrit si bien cette maîtresse de CE2 dans son blog « Azraelle au CE2 » à propos de la règle d'orthographe de « m devant m, b, p »… (voir  mes messages 115- Compréhension expliquante :une fiche de grammaire  originale etstimulante ! et 119 -Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves ! ).


Alors, chers lecteurs et lectrices habitués de mon blog, j’essaye de mettre mes idées au clair pour un nouvel ouvrage qui traitera justement de la capacité de la gestion mentale à s’insérer concrètement dans n’importe quelle démarche pédagogique pour autant qu’elle ne s’oppose pas dans ses finalités ou protocoles au développement ce qu’il y a de plus précieux chez nos élèves : leur vie mentale, expression de leur conscience cognitive toujours à l’affût d’une recherche de sens à satisfaire ou d'une relation "résonante" avec un fragment du monde que représente toujours un contenu scolaire **. Et cela certainement partout ailleurs, mais certainement aussi et tout particulièrement dans la classe elle-même.


*voir Message 61 - Enseigner avec la Gestion Mentale : Apprendre à "faire apprendre" ! Je cite un article des Cahiers Pédagogiques dans lequel Yves Lecocq écrit notamment ceci à propos de la mise en place dans ses cours du modèle Pégase : « Ce qui m'est apparu comme le changement le plus important et le plus lourd de conséquences, par rapport à ma pratique antérieure, a été ma décision de ne plus être source des savoirs à apprendre par les élèves. Dans ma discipline, histoire-géographie, si propice à des péroraisons sans fin, il s'agit d'un renoncement qui peut sembler étrange, voire suicidaire, mais qui m'a, en fait ouvert un espace de liberté extraordinaire. »


** Je viens de lire de Harmut Rosa, Pédagogie de la Résonance, et Accélarons la Résonance, avec son sous-titre exlicie et motivant : Pour une éducation en Anthropocène. J'ai trouvé dans ces ouvrages quantité des liens positifs et dynamisants avec la Gestion mentale, celle-ci étant le moyen pratique (que Rosa n'investigue pas) de cette ouverture résonante et responsive au monde qu'il préconise comme antidote à l'accélération aliénante de nos sociétés occidentales. Affaire à suivre de très près !

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