Le premier est consacré au Projet en éducation : projet personnel, projet d'orientation, projet d'apprendre, projet de vie, sont intimement imbriqués : comment les accompagner pour ce qu'ils sont dans la perspective d'un même projet fondamental : le "projet d'être" qui leur donne leur vrai sens?
Le second est consacré à l'accompagnement vers l'Excellence. Il forme avec les deux autres un triptyque qui donne le sens de l'ensemble à quoi peut se résumer la tâche éducative. Ecrits tous les trois à la fin des années 1990 pour la revue de l'établissement scolaire où j'exerçais mon métier d'éducateur, ils n'ont rien perdu de leur actualité, et même ils correspondent encore mieux, me semble-t-il, à l'époque sombre que nous traversons.
UN DEFI POUR L’EDUCATION : LE PROJET.
Si un mot aura marqué la fin de notre
siècle, c’est bien celui de « projet . «
Il manque un projet à notre société en mutation », « Le gouvernement n’a pas de
projet pour le pays « Une entreprise sans projet n’est qu’un bateau ivre »....
Le monde de l’éducation n’est pas en reste. Il est devenu incontournable pour
tout établissement scolaire, public ou privé, de publier son « projet
d’établissement », ou mieux encore, son « projet éducatif ». Toute équipe
d’enseignants qui se constitue a pour première tâche d’écrire son « projet
pédagogique ». A partir de quel âge désormais les enfants sont-ils sommés
d’élaborer leur « projet professionnel » ? D’ailleurs, s’ils ne travaillent pas
comme on le souhaiterait, s’ils ne trouvent pas d’emblée le sens de leurs
études c’est bien entendu qu’ils n’ont pas de « projet personnel ». Et quand
tout va mal pour l’un ou l’autre d’entre eux, ne s’interroge-t-on pas sur le «
projet d’éducation de sa famille », sur son adéquation avec celui de
l’établissement ?
Finis les plans, qu’ils soient d’état ou
de carrière, les programmes soumis aux électeurs, et autres objectifs de
production qui fleurissaient au temps de l’assurance que rien ne changerait
avant longtemps. Pour autant, n’est-il pas paradoxal d’exiger des institutions
comme des individus qu’ils forment avec précision le dessein de leur avenir
dans les temps d’incertitude que nous connaissons ?
Le recours au concept flou de projet peut
cependant se comprendre et Jean-Pierre Boutinet, spécialiste en la matière,
nous y aide. Pour lui, le projet, parce qu’il valorise « l’inédit, l’idéal
recherché, l’inexistant désiré », s’accommode mieux de l’indétermination et de
la précarité de notre époque. Plus opaque est la ligne d’horizon, plus
nécessaire est-il d’afficher ses intentions et de connaître celles des autres
pour avancer avec le minimum de risques. Cela exige des organismes comme des
personnes des attitudes nouvelles. La tâche des organisateurs est désormais
d’harmoniser, en les articulant les uns aux autres, un foisonnement de projets
de tous calibres, de toutes directions, individuels ou collectifs, aux contenus
plus ou moins implicites et assez souvent contradictoires. Pour l’éducateur, il
s’agit plutôt d’aider à leur promotion et sa tâche est bien souvent aujourd’hui
auprès des jeunes celle d’un « accompagnateur de projet ». Dans ce sens, il
faut se demander quels sont les éléments constitutifs d’un projet authentique
et comment ils peuvent inspirer l’action éducative.
Une image nous aidera dans cette recherche.
A la fin de son roman à la gloire des cavaliers d’Afghanistan, « Les Cavaliers », Joseph Kessel décrit
une série d’acrobaties équestres dont celle-ci : le cavalier menant sa
monture au galop jette sa toque de fourrure le plus haut et le plus loin possible
devant lui, puis il se dresse sur ses étriers, la rattrape au vol et s’en
recoiffe. Ainsi en est-il de quelqu’un qui construit un projet : il jette en
pensée, dans un « au devant de lui », un à-venir suffisamment dégagé, un «
objet-but », choisi par lui et qu’il s’efforce ensuite de rejoindre, mobilisant
pour cela toutes ses ressources. Pour qu’un projet « fonctionne » il faut donc
articuler trois pôles bien distincts, comme un triangle équilatéral dont la
base serait l’axe du temps, avec le pôle de l’avenir et ce qui concerne sa
lisibilité associé au pôle de l’objet-but avec les opérations nécessaires à son
choix. Le sommet serait le pôle du sujet avec ses ressources propres. On peut
entrer dans ce triangle indifféremment par l’un ou l’autre de ces pôles,
l’important étant de veiller à leur étroite interdépendance. Les deux premiers
sont connus : inscrits dans les textes officiels ils font l’objet de
dispositifs pris en charge par l’institution scolaire avec des bonheurs divers.
Une littérature abondante et largement accessible est consacrée à l’orientation
scolaire et professionnelle ; des centres spécialisés sont à la disposition des
jeunes et des familles. Des programmes ambitieux d’éducation des choix ont été
élaborés qui permettent de familiariser les jeunes avec ces opérations toujours
délicates. Toutefois personne ne peut les dispenser de la prise de risque que
constitue toujours la projection dans l’inconnu et leur question demeure bien
souvent « Qu’est-ce qui me dit que je ne
me trompe pas et que je ne vais pas regretter mon choix ? »
Néanmoins la problématique du projet ne
saurait concerner le seul domaine de l’orientation. Alors que les différents
partenaires de l’école s’affrontent au problème de la démotivation grandissante
des élèves pour les études, on ne peut ignorer que la réussite à l’école repose
sur la rencontre d’un « projet d’enseigner » chez les uns et d’un « projet
d’apprendre » chez les autres. Avec la clarification des objectifs et des
finalités de la formation intellectuelle pour les pôles de l’avenir et de
l’objet, et la proposition du large éventail des stratégies individuelles pour
celui du sujet. Voilà en quoi tout le monde est concerné. Mais cela a déjà été
développé. Insistons seulement sur un point : ce mouvement vers l’avant qu’est
le projet peut s’entendre de deux manières contrastées. Il peut être soit « une tentative continuellement recommencée
pour échapper à la fatalité » : une sorte de « pulsion de projet », un
activisme atomisant qui se substitue à l’intention réfléchie et unifiante ;
soit « un aménagement de la rupture
entre notre vie quotidienne et l’idéalisation que nous en faisons »,
conception dérangeante par l’écart difficilement réductible qu’elle induit mais
plus à même de fournir une réponse à la question du sens qui habite tout projet
véritable. Et l’appel à l’idéal amène à se préoccuper du troisième pôle du
triangle, celui du sujet qui nous intéresse ici particulièrement.
De quel « sujet » s’agit-il ? De son
étymologie latine (action de jeter sous), Jean-Pierre Boutinet tire deux
significations « selon que l’on considère
l’acteur-auteur qui jette une action sous l’objectif qu’il poursuit ou
l’acteur-assujetti qui est jeté sous l’action d’un autre ». La tentation
peut être grande, il est vrai, de se substituer à l’enfant indécis, par exemple
devant l’urgence d’une démarche à entreprendre ou en raison des risques de son
entreprise. On sait quelles difficultés peuvent rencontrer des jeunes tentés
par des voies originales, peu balisées, pleines d’inconnues ou peu reconnues
par les indicateurs officiels… ou la mode du moment. Dans tous les domaines. La
tentation moutonnière est grande et le groupe, refuge des adolescents, n’aime
pas ceux qui tentent de lui échapper. Pour qui souhaite accompagner l’un de ces
aspirants à la liberté, la question est de savoir comment l’aider à devenir ce « sujet-auteur qui montre sa capacité à
concevoir et à réaliser ses propres intentions », mais qui du même
coup doit « composer avec un certain
nombre de sujets-acteurs de son environnement ». Auteur ou acteur, le
sujet est un être social : il ne peut faire abstraction ni du contexte ni des
partenaires de ses projets. Notamment parce que c’est en eux qu’il trouve les
principaux moyens de « réaliser ses intentions ».
On connaît déjà un certains nombre de ces
moyens : connaissance de soi-même avec ses points forts et ses points faibles,
construction d’une image positive de soi, pratique de l’anticipation et de
l’auto-évaluation autant à l’école que dans la famille... Et aussi : prise en
compte et respect des autres, engagement dans des activités collectives en tous
domaines... mais aussi habitude du
retour réflexif sur l’action, développement de l’intériorité, exercice du discernement
dans la clarification des intentions à réaliser... Pourtant une difficulté
d’importance demeure. Comment favoriser l‘émergence des projets individuels
dans un cadre aussi « programmé » que celui de l’enseignement ? Le carcan des
programmes officiels vient freiner bien des énergies et compromettre bien des
volontés de changement. D’où l’importance d’un projet collectif pouvant servir
de cadre institutionnel aux aspirations des « sujets-auteurs », jeunes ou
adultes, et donner à chacun les moyens légitimes. Mais si beaucoup de ceux-ci
peuvent donner lieu à des pratiques collectives, d’autres sont plus personnels.
En effet l’émergence du sujet ne peut être
le résultat mécanique de quelques techniques ou savoir-faire que ce soit. Il
s’agit pour un être humain d’être « appelé par son nom », c’est-à-dire d’être
reconnu dans son identité, sa différence, sa singularité ; dans son désir. Car
on ne devient pas sujet tout seul. C’est dans la rencontre avec la différence
de l’autre, dans l’échange d’une parole authentique avec un adulte référent que
la subjectivité d’un enfant peut se construire. Il faut pour cela, outre
beaucoup de temps, que les adultes qu’ils rencontrent à l’école soient, pour
les jeunes, autre chose que des « fonctionnels », aussi compétents soient-ils
par ailleurs. C’est ce que pointe François Dubet à propos des « élèves qui élaborent une subjectivité de
plus en plus indépendante de l’école » : pour lui pas de doute, « ce sont les professeurs qui doivent les
réconcilier avec l’école, ce qui ne se réalise souvent qu’au prix de leur
engagement comme individu ».
A ce stade, il n’est plus question d’aider
quelqu’un à "faire des projets", ce qui peut s’accommoder
d’instrumentations extérieures, mais bien "d’être en projet". C’est
une toute autre entreprise pour laquelle personne n’est de trop, à l’école et
dans la famille. Ses résultats sont plus difficiles à évaluer que les
classiques indicateurs de réussite scolaire ; ils sont difficilement publiables
dans les palmarès médiatiques. Mais combien l’accompagnement de cette
excellence là est plus motivante pour celui qui prétend éduquer !
Pour conclure, retrouvons J. Kessel et son
cavalier-héros. Si celui-ci, infirme après un grave accident, prend des risques en réalisant
des prouesses équestres, ce n’est pas pour quelque gloire éphémère, pour
complaire aux autres, mais « encore
et toujours pour aller au delà de lui-même ». Aider un jeune à devenir
le sujet-auteur de ses projets, c’est l’aider à se mettre en marche, à avancer,
à se dépasser. A grandir. Cela ne va pas sans efforts, renoncements et
persévérance chez l’éduqué, sans rigueur et exigence de la part de l’éducateur.
Mais pour ce dernier, l’autorité n’est-elle
pas la capacité à rendre auteur celui qu’il accompagne [1] ?
Guy SONNOIS, Avril 97,
formateur en gestion mentale
[1] On trouve
à la racine du mot « autorité », le mot latin auctoritas dérivé du verbe augere qui signifie croitre, augmenter, lui-même dérivant de la
racine indo-européenne « auc »,
que l’on trouve également dans « augmenter ».
Exercer l’autorité c’est aider à grandir, à croître. L’autoritarisme en serait
un dévoiement menant à des effets opposés.
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