ACCOMPAGNER VERS L’EXCELLENCE AUJOURD’HUI
La première fois, il s’agissait de
réfléchir à la notion d’AUTONOMIE (message 21) ; la seconde, à celle de PROJET (message 51). Cette fois,
c’est de l’excellence qu’il
s’agit. Ces trois thèmes sont-ils si différents qu’ils fassent l’objet de trois
articles distincts ? Pour moi ils forment plutôt une suite logique, un
schéma en trois points qui pourrait constituer le fil rouge de l’action de
l’éducateur, à l’école comme en famille. Comment en effet cheminer vers
l’excellence sans cette visibilité et cette motivation que donne un projet bien
construit ? Et comment être en projet sans cette autonomie dans la
décision que cherche à développer l’éducation ? Mais si ce schéma de
l’action éducative semble couler de source, il n’est pourtant pas si simple à réaliser aujourd’hui. Ce qui
pouvait sembler facile au début de ma carrière, à l’orée des années 60, l’est
sans aucun doute beaucoup moins à l’aube des années 2000. Les prix d’excellence
d’autrefois ont disparu comme les arbres sous lesquels ils étaient
solennellement distribués à des adolescents rougissants de fierté devant leurs
camarades, leurs professeurs et leur famille assemblés. Faut-il le regretter
comme certains ne manquent pas de le faire en ces temps de crise de l’école,
trouvant que tout était tellement mieux « de leur temps » ? Je
ne le crois pas. Avant de conclure que « tout est nivelé par le
bas », il convient de s’interroger. L’excellence est-elle une valeur pour
les jeunes d’aujourd’hui ? Est-il aussi aisé que par le passé de les
accompagner dans cette voie sur fond de
massification scolaire et de demande sociale de protection pour l’avenir ?
Mais d’abord, qu’est-ce que l’excellence
? Le Dictionnaire Historique de la Langue Française indique un sens ancien,
proche de l’étymologie latine, d’après lequel « exceller » peut se
comprendre comme l’action de s’élever le
plus haut possible dans une voie donnée.
Et cela peut s’entendre par rapport à soi-même aussi bien que par rapport
aux autres. Cette interprétation me convient car elle suggère d’une part (celler) un processus de développement,
un devenir plutôt qu’un état stable ; et d’autre part (ex), le choix d’une direction assignée par une personne à son désir,
une élection plutôt que la constitution d’une élite. Il s’agit de faire le
mieux possible ce qu’on choisit de faire plutôt que chercher à faire mieux que
les autres, ce qui n’exclue pas la compétition mais lui donne une coloration
plus humaniste que dominatrice. Avec les questions souvent dérangeantes que ce
choix implique : dans quelle voie s’engager ? A quoi faut-il
renoncer ? Quels efforts consentir ? Dérangeantes mais aussi
motivantes car elles offrent à la liberté de chacun une possibilité de progresser
vers la perfection et non un héritage à assumer, un titre à défendre, une
protection pour l’avenir qui n’incite guère au mouvement en avant. Un cavalier
parlerait de « l’impulsion » dans laquelle se trouverait celui qui
recherche ainsi l’excellence : loin d’un dressage coercitif, c’est plutôt la
mobilisation de toutes les énergies vers le but choisi, un dynamisme personnel
plus qu’une soumission peureuse. C’est là, je crois, une interprétation
acceptable du : « Deviens ce que tu
es » de Pindare. L’opacité du futur rend plus que jamais
incontournable cette vieille exhortation et nombre de jeunes s’y efforcent en
dépit des obstacles rencontrés. Comment pouvons-nous aujourd’hui les y aider ?
D’abord, il convient de les aider à
répondre à la question : qui suis-je ? qui veux-je être ? Assurément cette
tâche est devenue plus compliquée que par le passé, et elle met en cause le
modèle traditionnel de l’autorité
« naturelle » des parents qui, pour François DUBET [1],
consiste « à imposer des décisions
et des choix à des individus qui acceptent ce pouvoir et le trouvent
légitime ». François DE SINGLY [2],
propose une analyse intéressante qui éclaire le type d’accompagnement à
privilégier aujourd’hui. Pour ce spécialiste de la famille, désormais « le rôle des parents est d’aider
l’enfant à se développer, ils sont à son service ». En effet, « les
enfants d’aujourd’hui sont radicalement différents. Dans la période actuelle,
nous nous trouvons dans un processus qu’on pourrait qualifier d’autoproduction
ou d’accompagnement de l’autoproduction, alors que dans les périodes
précédentes, les parents étaient les « producteurs » des enfants.
L’enfant cache au fond de lui le secret de son être et les adultes vont l’aider
à le mettre à jour ». D’où une modification profonde du rapport
d’autorité : puisqu’il s’agit d’un secret « les parents ne savent pas quel est « le bien » de leur
enfant, mais ils savent qu’ils doivent le faire émerger. Ce « bien »
est dans l’enfant, il n’est plus dans la tête des parents ». Dés lors,
la voie est tracée : accompagner un enfant vers l’excellence commence par une
aide à l’explicitation de son secret. Ce qui suppose de la part des parents un
travail d’écoute que beaucoup d’entre eux ont de la peine à mener à bien :
absence, manque de temps, de formation ou de conviction dans sa nécessité,
reproduction des vieux schémas... Et lorsque la famille se trouve défaillante à
remplir cette tâche, c’est à d’autres de l’assumer et particulièrement à
l’institution scolaire pour laquelle il s’agit
désormais d’un enjeu majeur. Aucun éducateur ne peut s’en désintéresser.
Cependant, l’émergence de ce
« secret », que d’autres appelleraient « désir », rencontre
aujourd’hui un obstacle de taille qu’une anecdote m’aidera à préciser.
J’animais récemment une formation sur « le projet de l’élève » dans
un établissement secondaire. A la pause du déjeuner, je remarquais dans le self
une affiche décorative vantant les plaisirs du pays basque. On y voyait un
voilier, un surfeur, un skieur, le tout sur fond de plage et de montagnes,
certaines verdoyantes, d’autres enneigées. Un slogan résumait le message :
« ENVIE DE TOUT ! ». Je ne pouvais trouver meilleur support pour
illustrer la difficulté pour les jeunes d’aujourd’hui à assumer le nécessaire
renoncement attaché à tout choix. La tolérance à la frustration n’est pas, tant
s’en faut, la marque de notre société. Il n’est pas besoin d’insister sur la
difficulté pour les parents à entraîner les jeunes enfants à développer une
telle capacité dans l’environnement actuel. Pourtant si l’apprentissage n’en a
pas été fait dans la petite enfance, il devient fort malaisé, voire impossible
à conduire au moment de l’adolescence. L’indispensable écoute doit ainsi être
impérativement associée à un étayage suffisant qui permettre à l’enfant d’oser
sa différence, d’assumer ses choix et de cultiver ses talents singuliers, tout
en l’aidant à en supporter les indispensables sacrifices.
Deux témoignages de jeunes que j’ai eu
l’occasion d’accompagner, illustreront mon propos. Engagés tous les deux dans
des voies difficiles, ils n’en continuent pas moins des études, l’un en
Université, l’autre en Terminale et probablement au-delà. Le premier, passionné
de football, est devenu professionnel à 22 ans, et joue comme avant-centre dans
une équipe écossaise après un parcours amateur « sans faute ». Dans
un entretien à un journal spécialisé, il déclare : « C’est vrai qu’il est difficile de mener les deux activités mais
quand on a la volonté et le désir, il faut aller jusqu’au bout au détriment
d’autres choses comme les sorties par exemple, mais je ne regrette
rien... ». Mais il déclare
aussi : « C’est vrai que je dois
beaucoup de choses à plein de gens. Mais celui qui a beaucoup compté dans ma carrière c’est mon
père. Il a toujours été présent pour me conseiller et me protéger ».
Un autre jeune, 18 ans, a choisi un autre métier sportif, présentant un haut
niveau de danger. Au cours d’un entretien, il m’a décrit les origines et les
caractéristiques de son parcours dans un milieu réputé pour sa dureté. « Au départ, j’aime le risque et j’ai
le goût de plaire » : c’est ce qui l’a décidé pour cette carrière,
mais ça lui est apparu progressivement.
S’il a rencontré ce sport grâce à son père, nul dans sa famille n’a insisté
pour qu’il s’y engage au point de devenir un des espoirs dans sa catégorie.
Bien qu’il en mesure toute la fragilité, ce résultat est prometteur pour
l’avenir. Bien sûr, ses qualités personnelles y sont pour quelque chose, mais
aussi l’entraînement, et de plus en plus de sacrifices consentis sur les
loisirs. Lui aussi signale la confiance (réciproque) de nombreux
professionnels, mais surtout un soutien sans faille de ses parents qui
l’accompagnent lucidement, « présents
mais discrets », sur cette voie où l’excellence se paie toujours au
prix fort.
Même si de
nouvelles voies d’excellence s’offrent désormais aux plus jeunes (nouveaux
sports, nouvelles technologies, nouvelles formes d’expression...), leur appétit
de vivre semble toujours aussi disposé à s’y employer. Ce qui change, outre une
pression plus forte vers la prudence et la sécurité, ce sont plutôt les
modalités et la plus grande difficulté de leur accompagnement en ce domaine. Ce
dont les jeunes d’aujourd’hui ont besoin pour cheminer vers l’excellence, c’est
d’adultes qui les aident :
·
à se reconnaître dans leurs
qualités propres : on ne peut exceller là où l’on n’a pas quelque talent au
départ. Il serait vain de briguer la réussite dans des voies prestigieuses pour
lesquelles on n’aurait jamais montré la moindre prédisposition. Qui accompagne
les choix d’orientation sait la difficulté de faire accepter cela.
·
à prendre courageusement la
décision personnelle de développer ces qualités dans l’effort et la
persévérance, à renoncer à d’autres activités pourtant légitimes. Le soutien
familial est, là, primordial, mais ne sera toléré qu’à la mesure de la liberté
qui aura présidé à la décision....
Cet accompagnement exige un profond
respect de la singularité de chaque enfant et ne saurait s’accomplir en dehors
d’une authentique relation de confiance, où chacun connaît sa place, où
l’adulte ne projette pas ses peurs ou ses propres frustrations mal acceptées.
Il n’est évidemment pas question d’exclure de ce type de relation la liberté de
parole et la fermeté lorsque cela est nécessaire. L’équilibre est sans doute
difficile à réaliser. Mais c’est tellement plus motivant (et réaliste) qu’un
retour illusoire à « ce qui marchait bien autrefois ».
Guy SONNOIS
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire