samedi 18 février 2012

57 - Le retour de la dimension subjective dans l'apprentissage scolaire.


Cet article a été publié dans le numéro spécial (103, octobre 2010) de la  Lettre de la Fédération Initiative et Formation, consacrée à Antoine de LA GARANDERIE disparu le 27 Juin de la même année. 

Le retour de la dimension subjective de l’élève à l’école
ou
 La pédagogie des gestes mentaux pour retrouver le sens des apprentissages scolaires

Après des incidents violents dans quelque ville de France, peut-être dans le cadre d'un collège ou d'un lycée..., des jeunes, témoins de ces actes, sont interrogés par des journalistes. « Ça sert à rien ce qu'ils ont fait là », disent-ils en choeur. « Ça sert à rien... »  Ils ne disent pas : « c'est mal », ou « c'est scandaleux » ou bien « ils ne se rendent pas compte du mal qu'ils font à d'autres qui ne leur ont rien fait » comme auraient dit leurs parents. Non. "Ça sert à rien" leur suffit. Autrement dit, " ce qu'ils ont fait n'a pas de sens, on n'en voit pas la finalité". Et ils ont tout dit...  Pourtant ils n’ont jamais entendu, encore moins lu Antoine de la Garanderie quand il affirme avec sa véhémence coutumière : « l'être humain est un être de sens et de finalité. Il n'y a pas à sortir de là. »

Trop vite et maladroitement médiatisée donc réduite, simplifiée, dénaturée, détournée et ainsi aisément caricaturée, la pensée de ce philosophe et pédagogue a malgré tout séduit bon nombre d'enseignants dans les années 1980. Et pourtant, elle n'a pas joué, ou trop timidement, le rôle qu'elle aurait pu tenir dans la mutation nécessaire d’une institution scolaire engluée depuis le début des années 90 dans la problématique de la perte du sens (« à quoi ça sert l'école ? ») dont on voit actuellement et quotidiennement les ravages. On en est trop souvent resté aux premiers ouvrages à vocation purement pédagogique, aux premières intuitions d'une recherche qui jusqu'à ce triste 27 Juin 2010 n'a cessé de gagner en ampleur et en profondeur, notamment lorsque son auteur, à la suite de Husserl et d'Heidegger, a clairement revendiqué son appartenance, jusque là implicite, à la démarche de la phénoménologie. Dans les ouvrages qui ont suivi les premiers succès, Antoine de LA GARANDERIE n’a cessé de traquer, au plus profond, le contenu de ce qui permet à une conscience d’être humain, donc à un élève, de capter le sens du monde et de lui-même. Y compris dans les plus modestes des tâches scolaires.

Particulièrement, la notion de « projet » - qui implique la nécessaire relation à l’avenir et introduit donc à la temporalité source d’humanité - a rejoint les concepts d’intentionalité et d’intuition du sens. Antoine de LA GARANDERIE cherche inlassablement à décrire la nature du rapport intime entre une conscience (source de toute connaissance) et son environnement ("toute conscience est conscience de quelque chose"), rapport qui lui permet de décrypter le sens du monde. Cette relation d’un sujet et d’un objet, scolaire ou non, n’est nullement statique, c’est une dynamique, un mouvement de l’esprit dans le monde mental ; pour autant, elle n’est pas irréelle, elle ne s’établit pas dans un vide immatériel, elle a une consistance dans l’espace et surtout dans le temps, elle a une forme que l’on peut saisir et décrire. De plus, ce rapport de sens entre un sujet (visant le sens) et l’objet (qu’il vise) se présente comme une véritable structure. D’où le concept de "structure du projet de sens" qui devient la base incontournable de véritables "gestes mentaux" dont la bonne exécution assure la qualité de notre vie intellectuelle. Ainsi se trouve précisée une véritable "gestuelle " de l'esprit humain, que l'on a si mal nommée "gestion mentale", ou, mieux, "pédagogie des gestes mentaux".  Tous nos actes de connaissance sont l’expression de cette relation, ils sont tous le fruit d’une structure de projet de sens spécifique. En connaître la nature, la forme qui sous-tend chacun de ces actes et la configuration particulière qu’elle revêt pour chaque sujet, c’est cela qu’il cherche à mettre à la disposition des enseignants et de leurs élèves (il n’a jamais oublié que c’était pour eux qu’il travaillait). ll s’agit là de la prise en compte de la subjectivité dans le monde de l’apprentissage, particulièrement de l’apprentissage scolaire dont on l’avait écarté pour les raisons idéologiques1.  On est loin des applications paresseuses ou carrément fausses : « visuels, regardez bien ce que je vous montre »  ou « auditifs, écoutez bien ce que je vous dit » ! Loin des catégorisations faciles… et qui n’ont jamais mené à rien de bon.

Pour toutes sortes de raisons, on ne s’est pas toujours rendu compte, hors du cercle des « aficionados » convaincus, de l'évolution d'un homme qui, il est vrai, n'a pas trop joué le jeu des connivences ou des soumissions institutionnelles qui lui auraient peut-être permis d'occuper une place plus déterminante au Panthéon des rénovateurs de l'école. Pourtant sa pensée revêt aujourd’hui un intérêt tout spécial, alors que notre Ecole (au sens large) ne sait plus trop bien ni ce qui lui arrive, ni comment faire face à un délabrement qui s’accélère. Le sens à déserté les salles de classe et, là où il y en a encore, les salles d’étude. La merveilleuse capacité de sens de l’être humain ne trouve plus à s’y employer et ceux qui en sont le mieux pourvus sont souvent les premiers à s’enfuir… ou à dépérir. Ce sens n'a pas pour autant émigré vers les différentes structures de soutien scolaire hors l'école, dans les cabinets de « coaching » ou autres officines…

Est-il encore temps de renverser la tendance ? Heureusement oui et de nombreux exemples nous sont donnés, dans nos collèges et nos lycées, de réalisations où l’objectif est d’aider les jeunes à retrouver le sens de leurs apprentissages 2. Mais il est indispensable, absolument vital pour l'école, que ce soit au plus près de la transmission des savoirs, c'est-à-dire en classe même, avec les professeurs, premiers concernés par cette mission, que le sens de l'apprentissage scolaire soit retrouvé.  La « pédagogie des gestes mentaux » n’est pas un « supplément » qui viendrait s'ajouter, en les chargeant encore un peu plus, aux dispositifs très variés que les enseignants mettent déjà à la disposition de leurs élèves en délicatesse avec le sens de l'école. Elle est le moyen qui permet à tout dispositif quel qu'il soit d'aller à l'essentiel, c'est-à-dire d'aider les élèves à rencontrer le sens des actes qu’ils sont appelés à produire pour la bonne intégration des contenus scolaires (attention, compréhension), leur conservation dans la durée (mémorisation) et leur réutilisation pertinente (réflexion) dans des résolutions de problèmes ou dans l’acquisition des différentes compétences qui sont l'enjeu de leur formation intellectuelle, y compris les moyens de la communication avec leurs semblables (expression pour autrui). Cela ne peut s’opérer qu’en réintroduisant dans tous les apprentissages la dimension subjective de l’ « apprenant », accès incontournable à la connaissance, que permet si bien la pédagogie des gestes mentaux.  C'est précisément et uniquement cela qui permet aux jeunes de répondre au mieux aux attentes de leurs enseignants, de réussir leurs apprentissages primaires, secondaires et supérieurs, et d’accomplir ainsi leur formation intellectuelle, enjeu majeur dans notre société « de la connaissance ».  

Voila ce que j’ai retenu d’Antoine de LA GARANDERIE, dont la rencontre, au début des années 1980, m’a ouvert un formidable espace d’accompagnement de jeunes que la détresse de sens rongeait de l’intérieur et amenait à des comportements les plus regrettables. Nous avons tous, à notre mesure et à notre place, à nous saisir de cet héritage, à le transmettre autour de nous et ainsi à prolonger l’œuvre de celui qui fut pour moi bien plus qu’un maître, un ami. « Nous ne tolèrerons aucune démission », comme il disait !

                                                                                                                           Guy SONNOIS

Notes :
1.      Il n’est pas sans intérêt de constater que des neurologues qui publient sur leurs travaux les plus récents à propos des maladies neurologiques et des lésions cérébrales, se réfèrent explicitement et de façon très appuyée à la phénoménologie et plaident pour le retour à une conception plus « subjective » de l’activité cognitive. Ainsi Lionel NAKACHE, dans un essai savoureux « Perdons-nous connaissance ? », O. Jacob, Janvier 2010, précise p.71: « La connaissance se joue toujours au cœur de nos subjectivités respectives et singulières qui, malgré leur diversité, obéissent à des lois communes ». Et, p. 196, l’auteur plaide pour que soit facilitée « cette prise de conscience fondamentale » et que soit délivré « aux lycéens de toutes les sections …  un enseignement  sur les grands principes des « neurosciences » de la subjectivité. »  Par ailleurs, certaines descriptions relevées dans le très récent livre de F. Eustache et B. Desgranges, « Les chemins de la mémoire », Le Pommier, Juin 2010,  sont très proches de la terminologie de la « gestion mentale ». La réintégration de la dimension subjective dans les apprentissages scolaires, considérés comme permettant l’accès à la connaissance, nous viendrait donc également de la recherche scientifique… qui l’avait pourtant si  soigneusement écartée depuis plus de cinquante ans….

2.      A la demande de J.M Zakhartchouk , j’ai relaté une de ces réalisations où la Pédagogie des Gestes mentaux est investie  dans le hors-série numérique  des « Cahiers pédagogiques » :  http://www.cahiers-pedagogiques.com/affiches/hsn_accompagnement_auteurs.pdf

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

189 - "Si l’on veut permettre à un être humain d’être reconnu comme une personne, il faut lui donner les moyens pour qu’il y parvienne"

Je publie aujourd'hui un autre texte, déjà ancien, extrait de mon fond documentaire personnel. Un de ces textes qui ont nourri ma "...