Cet article a été publié dans le numéro spécial (103, octobre 2010) de la Lettre de la Fédération Initiative et Formation, consacrée à Antoine de LA GARANDERIE disparu le 27 Juin de la même année.
Le retour de la dimension
subjective de l’élève à l’école
ou
La pédagogie des gestes mentaux pour retrouver
le sens des apprentissages scolaires
Après
des incidents violents dans quelque ville de France, peut-être dans le cadre
d'un collège ou d'un lycée..., des jeunes, témoins de ces actes, sont
interrogés par des journalistes. « Ça sert à rien ce qu'ils ont fait là »,
disent-ils en choeur. « Ça sert à rien... » Ils ne disent pas : « c'est mal », ou
« c'est scandaleux » ou bien « ils ne se rendent pas compte du
mal qu'ils font à d'autres qui ne leur ont rien fait » comme auraient
dit leurs parents. Non. "Ça sert à rien" leur suffit. Autrement dit,
" ce qu'ils ont fait n'a pas de sens, on n'en voit pas la finalité".
Et ils ont tout dit... Pourtant ils
n’ont jamais entendu, encore moins lu Antoine de la Garanderie quand il affirme
avec sa véhémence coutumière : « l'être humain est un être de sens et de
finalité. Il n'y a pas à sortir de là. »
Trop
vite et maladroitement médiatisée donc réduite, simplifiée, dénaturée,
détournée et ainsi aisément caricaturée, la pensée de ce philosophe et pédagogue a malgré
tout séduit bon nombre d'enseignants dans les années 1980. Et pourtant, elle
n'a pas joué, ou trop timidement, le rôle qu'elle aurait pu tenir dans la
mutation nécessaire d’une institution scolaire engluée depuis le début des
années 90 dans la problématique de la perte du sens (« à quoi ça sert
l'école ? ») dont on voit actuellement et quotidiennement les
ravages. On en est trop souvent resté aux premiers ouvrages à vocation purement
pédagogique, aux premières intuitions d'une recherche qui jusqu'à ce triste 27
Juin 2010 n'a cessé de gagner en ampleur et en profondeur, notamment lorsque
son auteur, à la suite de Husserl et d'Heidegger, a clairement revendiqué son appartenance, jusque là implicite, à la démarche
de la phénoménologie. Dans les ouvrages
qui ont suivi les premiers succès, Antoine de LA GARANDERIE n’a cessé de
traquer, au plus profond, le contenu de ce qui permet à une conscience d’être
humain, donc à un élève, de capter le sens du monde et de lui-même. Y compris
dans les plus modestes des tâches scolaires.
Particulièrement,
la notion de « projet » - qui implique la nécessaire relation à
l’avenir et introduit donc à la temporalité source d’humanité - a rejoint les
concepts d’intentionalité et d’intuition du sens. Antoine de LA GARANDERIE
cherche inlassablement à décrire la nature du rapport intime entre une
conscience (source de toute connaissance) et son environnement ("toute
conscience est conscience de quelque chose"), rapport qui lui permet de
décrypter le sens du monde. Cette relation d’un sujet et d’un objet, scolaire
ou non, n’est nullement statique, c’est une dynamique, un mouvement de
l’esprit dans le monde mental ; pour autant, elle n’est pas irréelle, elle ne s’établit pas dans un vide
immatériel, elle a une consistance dans l’espace et surtout dans le temps, elle a une
forme que l’on peut saisir et décrire. De plus, ce rapport de sens entre un sujet (visant le sens) et l’objet (qu’il
vise) se présente comme une véritable structure. D’où le concept de
"structure du projet de sens" qui devient la base incontournable de véritables "gestes mentaux" dont la bonne exécution assure la qualité de notre vie intellectuelle. Ainsi se trouve précisée une véritable "gestuelle " de l'esprit humain, que l'on a si mal nommée "gestion mentale", ou, mieux, "pédagogie des gestes mentaux".
Tous nos actes de connaissance sont l’expression de cette relation, ils
sont tous le fruit d’une structure de projet de sens spécifique. En connaître
la nature, la forme qui sous-tend chacun de ces actes et la configuration
particulière qu’elle revêt pour chaque sujet, c’est cela qu’il cherche à mettre à la disposition des enseignants et de leurs élèves (il n’a
jamais oublié que c’était pour eux qu’il travaillait). ll s’agit là de la prise en compte de la subjectivité dans le monde de
l’apprentissage, particulièrement de l’apprentissage scolaire dont on l’avait
écarté pour les raisons idéologiques1. On est loin des applications paresseuses ou carrément fausses : « visuels, regardez bien ce que je vous
montre » ou « auditifs,
écoutez bien ce que je vous dit » ! Loin des catégorisations faciles…
et qui n’ont jamais mené à rien de bon.
Pour
toutes sortes de raisons, on ne s’est pas toujours rendu compte, hors du cercle
des « aficionados » convaincus, de l'évolution d'un homme qui, il est
vrai, n'a pas trop joué le jeu des connivences ou des soumissions
institutionnelles qui lui auraient peut-être permis d'occuper une place plus
déterminante au Panthéon des rénovateurs de l'école. Pourtant sa pensée revêt
aujourd’hui un intérêt tout spécial, alors que notre Ecole (au sens large) ne
sait plus trop bien ni ce qui lui arrive, ni comment faire face à un
délabrement qui s’accélère. Le sens à déserté les salles de classe et, là où il
y en a encore, les salles d’étude. La merveilleuse capacité de sens de l’être
humain ne trouve plus à s’y employer et ceux qui en sont le mieux pourvus sont
souvent les premiers à s’enfuir… ou à dépérir. Ce sens n'a pas pour autant
émigré vers les différentes structures de soutien scolaire hors l'école, dans
les cabinets de « coaching » ou autres officines…
Est-il
encore temps de renverser la tendance ? Heureusement oui et de nombreux
exemples nous sont donnés, dans nos collèges et nos lycées, de réalisations où
l’objectif est d’aider les jeunes à retrouver le sens de leurs apprentissages 2.
Mais il est indispensable, absolument vital pour l'école, que ce soit au plus
près de la transmission des savoirs, c'est-à-dire en classe même, avec les
professeurs, premiers concernés par cette mission, que le sens de
l'apprentissage scolaire soit retrouvé.
La « pédagogie des gestes mentaux » n’est pas un
« supplément » qui viendrait s'ajouter, en les chargeant encore un
peu plus, aux dispositifs très variés que les enseignants mettent déjà à la
disposition de leurs élèves en délicatesse avec le sens de l'école. Elle est le
moyen qui permet à tout dispositif quel qu'il soit d'aller à l'essentiel,
c'est-à-dire d'aider les élèves à rencontrer le sens des actes qu’ils sont
appelés à produire pour la bonne intégration des contenus scolaires (attention,
compréhension), leur conservation dans la durée (mémorisation) et leur réutilisation
pertinente (réflexion) dans des résolutions de problèmes ou dans l’acquisition
des différentes compétences qui sont l'enjeu de leur formation intellectuelle,
y compris les moyens de la communication avec leurs semblables (expression pour
autrui). Cela ne peut s’opérer qu’en réintroduisant dans tous les
apprentissages la dimension subjective de l’ « apprenant », accès
incontournable à la connaissance, que permet si bien la pédagogie des gestes
mentaux. C'est précisément et uniquement cela qui permet aux jeunes de répondre au mieux aux
attentes de leurs enseignants, de réussir leurs apprentissages primaires, secondaires
et supérieurs, et d’accomplir ainsi leur formation intellectuelle, enjeu majeur
dans notre société « de la connaissance ».
Voila
ce que j’ai retenu d’Antoine de LA GARANDERIE, dont la rencontre, au début des
années 1980, m’a ouvert un formidable espace d’accompagnement de jeunes que la
détresse de sens rongeait de l’intérieur et amenait à des comportements les
plus regrettables. Nous avons tous, à notre mesure et à notre place, à nous
saisir de cet héritage, à le transmettre autour de nous et ainsi à prolonger
l’œuvre de celui qui fut pour moi bien plus qu’un maître, un ami. « Nous
ne tolèrerons aucune démission », comme il disait !
Guy
SONNOIS
Notes :
1. Il n’est pas sans intérêt de constater que
des neurologues qui publient sur leurs travaux les plus récents à propos des
maladies neurologiques et des lésions cérébrales, se réfèrent explicitement et
de façon très appuyée à la phénoménologie et plaident pour le retour à une
conception plus « subjective » de l’activité cognitive. Ainsi Lionel
NAKACHE, dans un essai savoureux « Perdons-nous
connaissance ? », O. Jacob, Janvier 2010, précise p.71:
« La connaissance se joue toujours
au cœur de nos subjectivités respectives et singulières qui, malgré leur
diversité, obéissent à des lois communes ». Et, p. 196, l’auteur
plaide pour que soit facilitée « cette
prise de conscience fondamentale » et que soit délivré « aux lycéens de toutes les sections …
un enseignement sur les grands principes des
« neurosciences » de la subjectivité. » Par ailleurs, certaines
descriptions relevées dans le très récent livre de F. Eustache et B.
Desgranges, « Les chemins de la mémoire », Le Pommier, Juin
2010, sont très proches de la
terminologie de la « gestion mentale ». La réintégration de la
dimension subjective dans les apprentissages scolaires, considérés comme
permettant l’accès à la connaissance, nous viendrait donc également de
la recherche scientifique… qui l’avait pourtant si soigneusement écartée depuis plus de
cinquante ans….
2. A la demande de J.M Zakhartchouk , j’ai
relaté une de ces réalisations où la Pédagogie des Gestes mentaux est
investie dans le hors-série
numérique des « Cahiers pédagogiques » : http://www.cahiers-pedagogiques.com/affiches/hsn_accompagnement_auteurs.pdf.
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