mardi 8 mars 2011

26 - Gestion mentale et évaluation.

Un nouveau message pour un vieil article (encore un...) qui n'a rien perdu de son actualité ! Lors de sa publication en mai 2000 dans la Lettre de la Fédération IF n°82, et de son envoi à Antoine de LA GARANDERIE, celui-ci m'avait manifesté son approbation dans une lettre dont j'extrais le passage suivant :

"Mes félicitations accentuées pour le remarquable article que vous m’avez fait parvenir : "Gestion mentale et évaluation". Tout ce que vous y écrivez est d’une vérité incontournable et qui remonte aux principes eux-mêmes. Faute de remonter jusqu’à la visée de sens que, plus implicitement qu’explicitement, se donne l’élève, l’enseignant perd non seulement son temps mais aussi celui de l’élève… Il faudrait que tous les enseignants lisent votre article."


Inutile de dire combien ces mots m'avaient touché et encouragé à poursuivre mon travail dans ce sens... jusqu'à la publication... neuf ans, et beaucoup d'expérimentations, plus tard...  d' "Accompagner..." dont cet article trace les lignes de force, et lui aussi apprécié du découvreur de la Gestion Mentale qui l'a préfacé.

Je vous livre ce texte en souhaitant qu'il vous aide dans votre accompagnement. Si vous n'êtes pas enseignant, vous pourrez vous en inspirer pour aider les jeunes à lire les annotations et commentaires de leurs professeurs avec un regard "auto-évaluateur" toujours motivant pour eux. Bien qu'elle ne s'y réduise pas, votre tâche d'"interprète" des objectifs scolaires en sera facilitée.

GESTION MENTALE ET EVALUATION

Beaucoup d’enseignants reconnaissent volontiers que la Gestion mentale, « pédagogie des évocations », offre un intérêt pour la compréhension des difficultés des élèves, pour la différenciation des approches pédagogiques et qu’elle est une aide appréciable dans la conduite des apprentissages. A ce titre elle occupe une place non négligeable dans les courants de la pédagogie différenciée, quand ce n’est pas dans la pédagogie tout court, dont elle est indissociable. La connaissance du passage incontournable par l’évocation mentale dans toute activité d’apprentissage devrait être partagée par tous les enseignants.
Néanmoins, ce n’est pas là le seul intérêt des travaux d’Antoine de LA GARANDERIE. L’activité spécifique qu’il appelle « projet mental » ou encore « projet de sens » est au moins aussi essentielle que celle de l’évocation. Ces deux notions sont du reste intimement liées. En effet, si le projet mental encadre l’activité évocative d’un sujet, lui donnant sa direction, son orientation, lui permettant de constituer le sens du monde qui l’entoure, sa « matière » est elle-même constituée d’évocations. Toutefois, si leur matière est bien la même, la finalité donnée à ces productions évocatives n’est pas identique.




Dans la dynamique du Projet mental, nous savons que l’évocation anticipée d’une tâche à réaliser fournit le cadre de l’activité mentale d’un sujet, matérialise son « intentionnalité », lui donne sa « visée de sens ». Cette évocation initiale, qui concerne la « fin » de l’activité qui va être menée, doit être distinguée des autres évocations produites dans son prolongement et qui, elles, en constituent les « moyens ». Dans d’autres courants pédagogiques on la nomme « représentation du but », notamment dans le dispositif de « l’évaluation formatrice » de G . Nunziatti  (voir le liens ici ).
Il faut insister sur cette distinction tout à fait capitale. En effet, c’est bien à partir de l’idée (l’évocation, donc) que l’on se fait de ce qui est à faire que l’on va décider des moyens à prendre, de l’itinéraire à suivre, de l’action à mener. C’est « pour aller me baigner » que je prends mon maillot de bain. C’est « pour réciter ma leçon » que je l’apprends ou bien c’est « pour faire des exercices », ou « pour résoudre des problèmes » …Ces « fins » visées ne donneront à mon action  ni le même sens ni la même efficacité  selon ce qu’on me demandera de faire en contrôle ! On fait toujours ce que l’on fait « pour » quelque raison que l’on en a. Et c’est bien cette raison, que certains appelle parfois « motivation », qui détermine à la fois la manière dont est menée l’action et son efficacité. En effet, les évocations produites dans ce cadre de sens seront ou non adaptées à la tâche, mèneront ou non à la réussite. C’est donc sur cette phase initiale du projet que le pédagogue soucieux de la réussite de ses élèves doit porter toute son attention.

Or que constate-t-on ? Qu’en est-il du sens donné par les élèves aux activités qu’ils sont appelés à mener (et à réussir) tout au long de leur scolarité ? Les interroge-t-on quelquefois sur « l’idée » qu’ils se font, même s’ils n’en sont pas bien conscients, de la tâche à laquelle il sont confrontés dans un devoir, dans une production quelle qu’elle soit ? Il semble bien que non. Alors que mon expérience auprès de centaines de lycéens et de collégiens me montre quotidiennement que la plupart de leurs erreurs ne viennent pas de leur mauvaise volonté ou d’un manque de travail, encore moins d’un manque de capacités. Non. Au sens propre : « Ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Certes, ils sont bardés de conseils formels, de « techniques » de fabrication des produits scolaires : « Comment rédiger une introduction », « Comment réaliser tel exercice ». Les « méthodes » ne leur manquent guère, données à profusion par les enseignants ou par une abondante littérature parascolaire… Mais interrogez les sur le « pour quoi faire » de ces méthodes, vous serez surpris. Deux cas se présentent : ou bien ils ne savent quoi répondre, ils n’ont pas d’idée de la fin poursuivie, pas de « représentation du but ». Ou bien, et c’est encore plus grave, leurs « idées » du but à atteindre sont fausses : représentations erronées formées au cours des années d’une scolarité où cette question ne s’est jamais posée explicitement pour eux… ni souvent pour leurs enseignants. Tant il est vrai que « la pédagogie est l’art des moyens d’apprendre » et pas celui des buts ou des finalités.

Le résultat est clair : malgré leurs efforts, leur désir de réussite, leur intelligence, une activité évocative bien présente mais « dévoyée », beaucoup d’élèves se fourvoient à tenter de réaliser des actions dont ils ignorent le but véritable ou sur l’identité duquel ils se trompent. Si par hasard ils réussissent, il est peu probable qu’ils puissent reproduire leur performance : l’école ressemble alors pour eux à une loterie, à un jeu dont ils ignorent les règles. S’ils échouent, ce qui est plus fréquent, ils se découragent vite d’une besogne aussi coûteuse qu’inefficace. Il ne faut pas chercher plus loin la raison de la démotivation de beaucoup de jeunes, pas forcément les moins intelligents, pour ces études dont le sens vrai leur échappe. Et l’on a beau jeu alors de leur reprocher leur utilitarisme à court terme !

J’ai constaté trop souvent que des élèves de lycée avaient au fond de leur tête des « représentations du but » qui n’avaient pas été réaménagées depuis leurs premières années d'école, où la seule « restitution » de connaissances tient encore trop de place. Il faut prendre le temps de travailler avec ces élèves à faire évoluer ces « préjugés qui leur coûtent cher ». Il s’agit là d’un véritable « conflit de représentations » au sens Piagétien, portant sur les conceptions des élèves relativement aux enjeux de leur scolarité. Et comme dans tout « conflit cognitif » portant sur des savoirs, on aura toujours affaire à des résistances : il n’est jamais facile d’abandonner une de nos conceptions, surtout si elle nous a rendu service un certain temps. Les plus réfractaires à cette réorganisation intérieure sont très souvent d’anciens « bons élèves » du primaire ou du début du Collège, la rupture intervenant souvent au niveau de la classe de 4°.

Quels moyens la pédagogie a-t-elle de remédier à cet état de chose ? Comment permettre aux élèves de se représenter des buts le plus possible en rapport avec les attentes de leurs enseignants, d’évoquer des finalités plus conformes aux exigences d’une véritable formation de l’esprit telle qu’on la souhaiterait ?

Lorsqu’on interroge des élèves en difficulté à ce sujet, leur conception des activités scolaires se résume bien souvent à une formule de ce genre : « apprendre les leçons, faire les exercices et montrer au professeur que j’ai travaillé ». La formulation de la conception enfouie dans un subconscient parfois lointain est une première étape : incontournable. Elle peut faire l’objet d’une activité de petit groupe (module, soutien…) suivie d’une confrontation entre élèves : qui a raison ? La méthode du conflit sociocognitif est un bon moyen même à ce niveau. 

Une fois créé le doute salutaire, il faut ensuite faire un important travail d’explicitation des objectifs et des finalités poursuivies par l’entreprise scolaire. Je ne veux pas parler ici des « objectifs » des textes officiels dont le but est de jalonner une progression didactique. Ils ne sont pas toujours bien clairs, en tous cas pour des élèves à qui pourtant on les distribue en début d’année ou de séquence en pensant ainsi les avoir suffisamment éclairés. Ces textes ne dévoilent qu’exceptionnellement le « dessous des cartes », c’est à dire l’intention véritable, la raison finalisante des exigences scolaires, celle qui peut leur donner leur vrai sens.

Il s’agit alors d’effectuer une véritable traduction, un travail d’interprète pour qu’un jeune voie apparaître derrière ces travaux plus ou moins cohérents une autre logique : recevoir des informations et des outils conceptuels et les exercer, certes, mais toujours dans la perspective de les réutiliser dans des situations nouvelles et inattendues, dans le but de les utiliser pour inventer des solutions innovantes à des problèmes de plus en plus complexes, pour découvrir à son tour des outils nouveaux. Puis, ayant appris à élaborer avec ses connaissances des solutions pertinentes, se retourner vers des interlocuteurs connus ou non et chercher à s’en faire comprendre par écrit ou par oral, à les convaincre de la qualité de la solution proposée…etc.  La présence du professeur dans la tête des élèves en tant que seul destinataire de leurs copies a le même effet qu’un aimant placé à coté d’une boussole : il dévie le sens de l’aiguille. S’il n’y prend garde, un correcteur peut, par ses annotations trop « personnelles », renforcer ce détournement de sens !

Une information sur les vrais besoins de la vie dans la société moderne peut aussi aider à la résolution du conflit, au besoin avec la participation d’un « professionnel ». Il y a de moins en moins de métiers de stricte exécution. Le moindre employé est appelé à résoudre des problèmes, à travailler avec d’autres, à recevoir et à transmettre des informations de plus en plus complexes…

Mais le pédagogue possède une arme plus efficace encore, dont il n’use pas toujours dans ce (bon) sens : l’évaluation. Que se passe-t-il en effet lorsqu’un élève ne réussit pas dans une production ? On lui souligne ses erreurs, on lui fait un commentaire : « Vous n’avez pas bien compris », « Vous ne faites pas ce qui est demandé », « C’est mal dit »... Et lorsqu’il réussit, ne dit-on pas : « Il a enfin compris ce qu’on attendait de lui » ? En effet ce ne sont pas toujours les moyens plus ou moins bien utilisés qui sont en cause. Si l’on allait voir du coté des fins que l’élève s’est données en point de mire ? Usons d’une comparaison : à quoi sert à l’archer d’avoir le meilleur arc, la meilleure vue, la meilleure forme physique si le jour de la compétition il se trompe de cible ?

Il me semble qu’il y a une grande perte de temps et d’énergie dans la façon habituelle dont sont gérées les fameuses « corrections de copies » dont on parle tant en France à propos du temps de travail des enseignants. Non pas que ces heures ne soient pas réellement effectuées dans la plupart des disciplines. Mais ont-elles une efficacité à hauteur de leur coût ? La correction des erreurs n’est pas à la charge de l’enseignant. Elle est à la charge de l’élève. Ne pourrait-on pas plutôt faire de ces heures si nombreuses des occasions de dialogue avec les élèves : « Quelle était ton intention quand tu as écrit ceci ? ou fait cela ? », « Quelle idée te fais-tu d’un commentaire de texte ? Quel but dois-tu t’efforcer d’atteindre lorsque tu t’exprimes ?». C’est par de telles pratiques de réflexion sur l’action menée, à base d’introspection rétroactive accompagnée, que pourront évoluer les représentations des élèves sur les buts qu’on souhaite les voir atteindre.

Lorsqu’elle ne se soucie pas de cet objectif de clarification et de rectification de la perspective de sens du travail des élèves, l’évaluation ne se contente-t-elle pas de « trier les bons et les mauvais » ? Sélection et non formation. C’est à une telle pratique « d’auto-évaluation informante »[1] que la Gestion mentale nous invite. Cette appropriation du sens doit aller plus loin que la seule « appropriation des critères de réussite » de l’évaluation formative. C’est indispensable bien sûr. Mais on en reste trop souvent au seul éclairage sur la  réalisation de la tâche elle-même, non sur son sens de finalité. C’est là à mes yeux la base d’une vraie formation intellectuelle « secondaire » et, pourquoi pas, « supérieure ». Au delà, bien sûr, des indispensables contenus disciplinaires qui n’ont rien à perdre à être traités de cette façon « intelligente ».

Au-delà des maladresses au niveau de la gestion de ses évocations, la vraie « correction » à apporter par un élève à ses erreurs, et qui doit être le but d’une authentique évaluation qui se veut formatrice, est celle d’une visée de sens défectueuse, d’une mauvaise « représentation du but », d’une évocation erronée de la cible à atteindre : « corriger le tir ! ». J’en ai fait l’essentiel de ma pratique d’accompagnateur d’élèves en difficulté scolaire et je suis loin de le regretter au vu des résultats obtenus. Il me semble qu’il y a là pour les enseignants de quoi nourrir de vraies pratiques d’évaluation, si favorables au succès des élèves et à leur motivation lorsqu’elles sont menées avec cette intention. C’est une urgence aujourd’hui où tant de jeunes se détournent de leurs études dont ils savent pourtant qu’elles leur sont indispensables mais dont nous n’avons pas su leur faire découvrir le véritable sens, le véritable intérêt.
Guy SONNOIS. Formateur à IF Aquitaine.




[1] Dans son ouvrage si intéressant « FAITES LES REUSSIR », Marie-France LE MEIGNEN a donné de multiples exemples de cette façon « formative » d’évaluer. Il va être réédité. C’est une grande chance pour tous ceux qui souhaitent vraiment la réussite de leurs élèves.

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