lundi 30 avril 2018

123 - Comprendre ou mémoriser… Faut-il vraiment choisir ?

Un vieux débat, une querelle stérile comme les français en ont le secret, traverse depuis près d'un demi-siècle notre pédagogie hexagonale, un peu à la manière de celle des « anciens » et des « modernes » : vaut-il mieux comprendre d’abord et mémoriser ensuite... si on y pense et si on en prend le temps ... ou bien plutôt mémoriser d’abord et comprendre ...peut-être... par la suite en faisant confiance au temps ?
Les partisans de la première solution, les « modernes », pensent que mémoriser quelque chose que l’on n’a pas compris est non seulement difficile, mais surtout peu efficace pour les réutilisations qui suivent et qui ne sont plus, ou alors très peu, de la simple récitation mot à mot. Au contraire les partisans de la seconde, les « anciens », considèrent que la compréhension est une lente digestion et qu’il faut d’abord ingérer l’aliment et le maintenir en soi avant qu’il ne soit totalement assimilé.
Pour sa part, Antoine de la Garanderie confiait qu’il mémorisait des textes entiers dont au départ il n’avait pas une parfaite compréhension, laquelle lui venait avec le temps par des confrontations avec d’autres lectures, par d’autres réflexions. Mais il précisait toutefois qu’il mémorisait avec le projet de comprendre plus tard : une synthèse entre anciens et modernes… ? On peut comprendre cette position, mais à une condition : faire confiance au temps, et tout simplement avoir le temps de cette compréhension/digestion aboutie. Cela est tout à fait envisageable dans la vie ordinaire, quand rien ne nous presse trop, ou dans les méditations d’un philosophe qui a du temps devant lui. Cela est moins facile à admettre lorsque les réutilisations de ce qui doit être mémorisé sont à court ou moyen terme, ce qui est le cas de la mémorisation scolaire - que d'ailleurs l'on ne se soucie plus d'accompagner dans le temps).
On sait par ailleurs que les élèves se montrent encore plus radicaux : certains comprennent ce qu’ils apprennent mais ne se soucient nullement de le mémoriser, alors que d’autres mémorisent ce qu’ils apprennent sans prendre le temps ni même chercher à le comprendre. Quels sont donc les liens à établir entre ces deux activités fondamentales de l’apprentissage scolaire ?


Un texte déjà ancien (1994) éclaire ce débat d’un jour intéressant car pour une fois il nous vient d’ailleurs que des "spécialistes" de l’école. C’est un extrait d’un texte plus important qu’Yves Beaupérin [1] consacre à Marcel Jousse, un anthropologue de la mémoire dont les recherches sur les traditions de style oral ont fait l’objet de plusieurs publications (notamment « Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs », 1925) et de cours donnés à la Sorbonne sur ce sujet dans la première moitié du siècle dernier. Dans cet extrait intitulé  « Système scolaire et mémorisation », véritable plaidoyer pro-mémorisation, il est question notamment de son rapport avec l’intelligence et de la création d’automatismes (sur ce dernier point on ne peut éviter de faire le lien avec le texte d’Antonio Damasio cité dans mon message 121 : « Neurosciences et pédagogie : les exercices d’entraînement »). 


Cet extrait me semble être un bon reflet, venu d’un point de vue inhabituel, de cette querelle et de sa responsabilité dans l’état actuel de notre Ecole. On notera que de compréhension il n’est nullement question explicitement, sauf tout à la fin pour signaler l’importance des automatismes pour comprendre. Il n’est question que d’intelligence… souvent confondue avec la compréhension, ce geste mental si important, mais si peu étudié et décrit... jusqu'à ce qu’Antoine de la Garanderie ne s’y intéresse spécifiquement.
On trouvera ainsi dans ce texte, entre autres :
-  l’importance de la mémorisation pour l’intelligence, la science, la création… : « Il n’y a pas d’intelligence sans mémoire »... (ni, donc, de compréhension...)
-  la question du rejet par l’école du « psittacisme » (apprentissage mécanique façon perroquet, rabâchage, élèves "photocopieurs"…) au profit de la seule compréhension, après le tournant des années 1970 : toujours l'exclusion plutôt que la synthèse...
- le rejet de la répétition au moment de la mémorisation, mais sa nécessité dans les réactivations, ces remémorations répétées indispensables à une bonne assimilation des connaissances (la " rumination" dans le processus de digestion...),
- l’importance des habitudes et des automatismes : «Créer des automatismes est une condition de l'intelligence » (de la compréhension ?),
- la dictature « du programme » et les rythmes scolaires actuels (1994... !) comme la vie moderne en général et la culture adolescente de l'immédiateté, peu propices à la mémorisation comme à ses réactivations/remémorations nécessaires à une compréhension post-mémorisation.


Pour une sortie par le haut de ce débat stérile.
Lorsque j’ai commencé à me préoccuper de fournir aux élèves que j’accompagnais une méthode de travail plus performante que ce que je leur voyais faire au quotidien, la littérature pédagogique n’en était qu’à ses balbutiements, en France tout au moins. Les ouvrages à disposition du lecteur lambda que j’étais concernaient tous… la mémoire, dont le grand prêtre était (et se voudrait toujours…) A. Lieury[2] (le pourfendeur acharné de l’introspection en général et de la Gestion Mentale en particulier), bientôt secondé par T. Buzan (le pape des moyens mnémotechniques et des schémas heuristiques). Rien sur la compréhension… jusqu’à la parution en 1987 de « Comprendre et imaginer » (Centurion). Ce fut pour moi une vraie révélation...  que j’attendais depuis si longtemps !


Depuis, je me suis efforcé de réintégrer ces deux gestes mentaux, mémoriser et comprendre, dans un ensemble cohérent. Cela a donné le « modèle des Cinq questions » (dont le « à quoi ça sert ? » base de toute mémorisation véritable), modèle qui reprend les projets de sens de compréhension de La Garanderie, associés aux rythmes de réactivations/remémorations de Buzan, le tout favorisant ainsi une bonne assimilation de connaissances  ET comprises ET mémorisées ET réactivées...et donc de mieux en mieux comprises en profondeur...et donc mémorisées dans le long terme... Tout cela, au service de bonnes réflexions et de bonnes communications, indispensables à toute réussite scolaire.


Déjà dét
aillé dans « Accompagner… », on retrouvera cet ensemble désormais mis à la portée des jeunes eux-mêmes dans le Cahier d’exercices à paraître à La Chronique Sociale (juillet 2018) : 

 

« J’apprends à travailler »
ou
<<Jules et les 10 préceptes de l'Apprenti Sage >>.

 


 

[1] Directeur pédagogique de l’Institut de Mimopédagogie.

[2] Mémoire : théories et résultats, Mardaga 1975.

 


2 commentaires:

  1. Monsieur Sonnois,
    Votre livre « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux » m’a beaucoup intéressée parce qu’il m’apportait enfin un début de réponse à des questions posées par mes étudiants comme « madame, je ne comprends pas, j’étudie beaucoup et ça ne marche pas ». J’ai donc suivi une formation en gestion mentale et ce que j’arrive à transmettre à mes étudiants (de futurs enseignants du secondaire et du primaire) les passionne. J’attends d’ailleurs avec impatience votre petit livre «J’apprends à travailler » pour le présenter également à mes collègues et étudiants. Cependant, je sens que je pourrais faire mieux (vos vidéos sont tellement intéressantes) si j’avais plus de bases. C’est pourquoi, je me demande si vous n’organisez pas de formations, de séminaires ou de colloques ouverts au « grand public »?
    Très belle journée.
    AF Marchand
    Belgique

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    Réponses
    1. Bonjour Madame. Je suis très touché par votre commentaire. Il témoigne de ce que j'ai atteint la cible que je visais : les personnes étrangères à la gestion mentale et qui du coup y viennent et s'y forment pour le plus grand bien de leurs élèves ou étudiants. Je suis touché que vous preniez autant d'intérêt à mon travail. Je ne suis plus en mesure de proposer des formations, mais vous pouvez en trouver d'excellentes en vous adressant à IF Belgique, sur leur page Facebook : https://www.facebook.com/gestionmentale1/ .
      J'essaye de compenser par mon blog et tout ce que je peux y mettre d'outils, vidéos ou autres. La parution de "J'apprends à travailler" va dans le même sens. Il est disponible d'ores et déjà chez l'éditeur : Chronique Sociale, 1 rue Vaubecour, 69002 Lyon.
      Je reste à votre disposition pour tout autre échange que vous souhaiteriez. Bien à vous. Guy Sonnois

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