Un vieux débat, une querelle stérile comme
les français en ont le secret, traverse depuis près d'un demi-siècle notre
pédagogie hexagonale, un peu à la manière de celle des « anciens » et des «
modernes » : vaut-il mieux comprendre d’abord et mémoriser ensuite... si on y
pense et si on en prend le temps ... ou bien plutôt mémoriser d’abord et
comprendre ...peut-être... par la suite en faisant confiance au temps ?
Les partisans de la première solution, les « modernes », pensent que
mémoriser quelque chose que l’on n’a pas compris est non seulement difficile,
mais surtout peu efficace pour les réutilisations qui suivent et qui ne sont
plus, ou alors très peu, de la simple récitation mot à mot. Au contraire
les partisans de la seconde, les « anciens », considèrent que la
compréhension est une lente digestion et qu’il faut d’abord ingérer l’aliment
et le maintenir en soi avant qu’il ne soit totalement assimilé.
Pour sa part, Antoine de la Garanderie confiait qu’il mémorisait des textes
entiers dont au départ il n’avait pas une parfaite compréhension, laquelle lui
venait avec le temps par des confrontations avec d’autres lectures, par
d’autres réflexions. Mais il précisait toutefois qu’il mémorisait avec le
projet de comprendre plus tard : une synthèse entre anciens et modernes… ? On
peut comprendre cette position, mais à une condition : faire confiance au
temps, et tout simplement avoir le temps de cette compréhension/digestion
aboutie. Cela est tout à fait envisageable dans la vie ordinaire, quand rien ne
nous presse trop, ou dans les méditations d’un philosophe qui a du temps devant
lui. Cela est moins facile à admettre lorsque les réutilisations de ce qui doit
être mémorisé sont à court ou moyen terme, ce qui est le cas de la mémorisation
scolaire - que d'ailleurs l'on ne se soucie plus d'accompagner dans le temps).
On sait par ailleurs que les élèves se montrent encore plus radicaux : certains
comprennent ce qu’ils apprennent mais ne se soucient nullement de le mémoriser,
alors que d’autres mémorisent ce qu’ils apprennent sans prendre le temps ni
même chercher à le comprendre. Quels sont donc les liens à établir entre ces
deux activités fondamentales de l’apprentissage scolaire ?
Un texte déjà ancien (1994) éclaire ce débat d’un jour intéressant car pour une
fois il nous vient d’ailleurs que des "spécialistes" de l’école.
C’est un extrait d’un texte plus important qu’Yves Beaupérin [1] consacre à Marcel Jousse, un
anthropologue de la mémoire dont les recherches sur les traditions de style
oral ont fait l’objet de plusieurs publications (notamment « Le
style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs », 1925)
et de cours donnés à la Sorbonne sur ce sujet dans la première moitié du siècle
dernier. Dans cet extrait intitulé « Système scolaire et
mémorisation », véritable plaidoyer pro-mémorisation, il
est question notamment de son rapport avec l’intelligence et de la création
d’automatismes (sur ce dernier point on ne peut éviter de faire le lien avec le
texte d’Antonio Damasio cité dans mon message 121 : « Neurosciences et pédagogie : les exercices d’entraînement »).
Cet extrait me semble être un bon reflet, venu d’un point de vue inhabituel, de
cette querelle et de sa responsabilité dans l’état actuel de notre Ecole. On
notera que de compréhension il n’est nullement question explicitement, sauf
tout à la fin pour signaler l’importance des automatismes pour comprendre. Il
n’est question que d’intelligence… souvent confondue avec la compréhension, ce
geste mental si important, mais si peu étudié et décrit... jusqu'à ce
qu’Antoine de la Garanderie ne s’y intéresse spécifiquement.
On trouvera ainsi dans ce texte, entre autres :
- l’importance de la mémorisation pour l’intelligence, la science,
la création… : « Il n’y a pas d’intelligence sans mémoire »... (ni,
donc, de compréhension...)
- la question du rejet par l’école du « psittacisme »
(apprentissage mécanique façon perroquet, rabâchage, élèves
"photocopieurs"…) au profit de la seule compréhension, après le
tournant des années 1970 : toujours l'exclusion plutôt que la synthèse...
- le rejet de la répétition au moment de la mémorisation, mais sa nécessité
dans les réactivations, ces remémorations répétées indispensables
à une bonne assimilation des connaissances (la " rumination" dans le
processus de digestion...),
- l’importance des habitudes et des automatismes : «Créer des
automatismes est une condition de l'intelligence » (de la
compréhension ?),
- la dictature « du programme » et les rythmes scolaires actuels
(1994... !) comme la vie moderne en général et la culture adolescente de
l'immédiateté, peu propices à la mémorisation comme à ses
réactivations/remémorations nécessaires à une compréhension post-mémorisation.
Pour une sortie par le haut de ce débat stérile.
Lorsque j’ai commencé à me préoccuper de fournir aux élèves que j’accompagnais
une méthode de travail plus performante que ce que je leur voyais faire au
quotidien, la littérature pédagogique n’en était qu’à ses balbutiements, en
France tout au moins. Les ouvrages à disposition du lecteur lambda que j’étais
concernaient tous… la mémoire, dont le grand prêtre était (et se voudrait
toujours…) A. Lieury[2] (le pourfendeur acharné de
l’introspection en général et de la Gestion Mentale en particulier), bientôt
secondé par T. Buzan (le pape des moyens mnémotechniques et des schémas
heuristiques). Rien sur la compréhension… jusqu’à la parution en 1987 de « Comprendre
et imaginer » (Centurion). Ce fut pour moi une vraie
révélation... que j’attendais depuis si longtemps !
Depuis, je me suis efforcé de réintégrer ces deux gestes mentaux, mémoriser et
comprendre, dans un ensemble cohérent. Cela a donné le « modèle des Cinq questions » (dont
le « à quoi ça sert ? » base de toute mémorisation véritable), modèle qui
reprend les projets de sens de compréhension de La Garanderie, associés aux
rythmes de réactivations/remémorations de Buzan, le tout
favorisant ainsi une bonne assimilation de connaissances ET
comprises ET mémorisées ET réactivées...et donc de mieux en mieux comprises en
profondeur...et donc mémorisées dans le long terme... Tout cela, au service de
bonnes réflexions et de bonnes communications, indispensables à toute réussite
scolaire.
Déjà détaillé dans « Accompagner… », on
retrouvera cet ensemble désormais mis à la portée des jeunes eux-mêmes
dans le Cahier d’exercices à paraître à La Chronique Sociale (juillet 2018)
:
« J’apprends à travailler »
ou
<<Jules et les 10 préceptes de
l'Apprenti Sage >>.
[1] Directeur
pédagogique de l’Institut de Mimopédagogie.
[2] Mémoire : théories et résultats,
Mardaga 1975.
Monsieur Sonnois,
RépondreSupprimerVotre livre « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux » m’a beaucoup intéressée parce qu’il m’apportait enfin un début de réponse à des questions posées par mes étudiants comme « madame, je ne comprends pas, j’étudie beaucoup et ça ne marche pas ». J’ai donc suivi une formation en gestion mentale et ce que j’arrive à transmettre à mes étudiants (de futurs enseignants du secondaire et du primaire) les passionne. J’attends d’ailleurs avec impatience votre petit livre «J’apprends à travailler » pour le présenter également à mes collègues et étudiants. Cependant, je sens que je pourrais faire mieux (vos vidéos sont tellement intéressantes) si j’avais plus de bases. C’est pourquoi, je me demande si vous n’organisez pas de formations, de séminaires ou de colloques ouverts au « grand public »?
Très belle journée.
AF Marchand
Belgique
Bonjour Madame. Je suis très touché par votre commentaire. Il témoigne de ce que j'ai atteint la cible que je visais : les personnes étrangères à la gestion mentale et qui du coup y viennent et s'y forment pour le plus grand bien de leurs élèves ou étudiants. Je suis touché que vous preniez autant d'intérêt à mon travail. Je ne suis plus en mesure de proposer des formations, mais vous pouvez en trouver d'excellentes en vous adressant à IF Belgique, sur leur page Facebook : https://www.facebook.com/gestionmentale1/ .
SupprimerJ'essaye de compenser par mon blog et tout ce que je peux y mettre d'outils, vidéos ou autres. La parution de "J'apprends à travailler" va dans le même sens. Il est disponible d'ores et déjà chez l'éditeur : Chronique Sociale, 1 rue Vaubecour, 69002 Lyon.
Je reste à votre disposition pour tout autre échange que vous souhaiteriez. Bien à vous. Guy Sonnois