vendredi 17 mai 2019

141. Lutter contre le stress au moment des contrôles : est-ce possible ?


Lutter contre le stress au moment des contrôles : gestion mentale et neurosciences à la rescousse ! 


Dire que les jeunes sont stressés à l’école est, hélas, désormais un cliché. Et dire qu’ils stressent particulièrement au moment des contrôles, une triste réalité. A tel point qu’on pourrait légitimement s’interroger sur la valeur des notes dont notre système scolaire n’arrive pas à se débarrasser : quel coefficient de stress comportent-elles, et alors que signifient-elles réellement ? Pour qu’une évaluation soit vraiment éclairante et « formatrice » (selon NUNZIATTI ), ne faudrait-il pas éliminer tout paramètre autre que l’information sur une progression et la seule prise en compte des erreurs et de leur correction ? L’évaluation fait partie intrinsèque de l’apprentissage d'un élève en tant qu'il jalonne et régule sa progression,  à l'exclusion de toute autre chose que l’on se plaît à y rajouter extrinsèquement et qui en brouille considérablement le sens : notation, classement, orientation, dossier, information de tiers, …ou pire, pression ou sanction (sans notes « ils » ne travailleraient pas… n’est-ce pas ?)! J'ose à peine parler des "zéros" utilisés comme moyens disciplinaires ou pour sanctionner une absence, voire "pour les motiver" (!).. si, si, ça arrive ! (même dans les "grandes" classes où ils peuvent si illégitimement "plomber" un dossier et compromettre un avenir estudiantin mérité par ailleurs...) : quelles indications ces sanctions apportent-elles sur une progression ou sur la valeur d'une production ? Ces procédés insultent la raison et donnent une excellente occasion aux jeunes - si sensibles à l'injustice - qui en sont les victimes de secréter une violence qu'ils ont parfois du mal à contenir ! Qui pourrait les en blâmer ?

Mais, hors ces cas extrêmes, pourquoi les élèves stressent-ils autant ? De quoi ont-ils si peur ? Et surtout, comment les aider à moins redouter ces rendez-vous anxiogènes, en leur rendant leur vrai sens, plus positif et plus proche de la réalité ?

Une simple question de vocabulaire ?
Pour répondre à cette question, il faudrait remonter très loin, aller jusqu’à traiter de la problématique de l’évaluation en France. Trop vaste sujet pour ce message ! (On peut consulter sur ce sujet mon message 26 : "Gestion mentale et évaluation"). Sans entrer dans le détail, on peut s’interroger simplement sur la manière dont on nomme ces moments d’évaluation toujours nécessaires, mais dont la finalité est si souvent mal comprise par les jeunes… et pas seulement par eux. Certaines de ces appellations sont pour le moins ambiguës : "test" (combien d’élèves en ont déjà passé chez un « psy », et qui font spontanément l'association ?), "contrôle" (de quoi : d’identité ? d’alcoolémie ? Présentez-vos papiers ! Du travail effectué en fonction des "objectifs", comme à l'usine ? Non ? De l'intelligence, alors ? etc...), "devoirs" sur table (DST), "brevet ou bac blanc" (pas comme neige... plutôt "blanc de peur")…  BRRR !… Ces - fausses - dénominations portent en elles-mêmes une sorte de menace, d’ambiance angoissante, de danger confus. Les élèves, dans leur ignorance des enjeux réels, imaginent qu’ils sont jugés dans leur personne (un « test », n’est-ce pas fait pour « mesurer une intelligence », cerner une « personnalité », la réduire à une note elle aussi ? J'ai eu 90 au QI... même pas la moyenne !) et non dans leur travail : s’ils réussissent ils disent « Je suis bon ! Je suis le meilleur !» ; s’ils échouent : « Je suis nul ! ».  Dans les deux cas ils ont tort ! Très rares sont ceux qui disent : « J’ai raté à tel endroit, il faut que je m’améliore sur tel point pour la prochaine fois et, maintenant, je sais mieux comment bien faire ! ». 

Par ailleurs, la pression sociale pour la réussite scolaire s’est aggravée au fil des années. Aujourd’hui, le diplôme, le plus élevé possible, est devenu le sésame de toute espérance d’emploi et de vie matérielle confortable ou de vocation réalisée. Sans lui, la réussite dans la vie semble bien compromise. Alors, toute évaluation est un raccourci de cette "course à l'échalote" qu’est devenue la scolarité. Elle porte en réduction toute la charge affective investie par la famille et la société dans la réussite scolaire. Tant de parents deviennent "managers" de leurs enfants et chaque note est reçue comme un pronostic pour l’avenir : le podium ou le désastre !  Quand ce n'est pas eux-mêmes qui se sentent jugés à travers leurs enfants dont beaucoup ont du mal à se distinguer ("lui c'est lui, moi c'est moi" n'est pas toujours leur mantra préféré)...  Autant dire que certains élèves jouent leur bonheur actuel et leur future carrière dans chaque contrôle, à chaque examen…  On conçoit bien que cette "pression d'enjeu" n’engendre pas la sérénité propice à une activité intellectuelle épanouie… toujours nécessaire à la réussite ! Cette pression sociale et familiale, supposée créer une "motivation" chez les élèves (la peur du bac pour "les mettre au travail"...), les détourne de ces échéances à haut risque… et tend à augmenter leur démotivation et leur fuite … et à empêcher la réussite si attendue ! Cercle vicieux s'il en est !

A quoi alors servent tous ces rendez-vous, toutes ces corrections professorales, toutes ces occasions de stress ?

Nous savions déjà et j’y reviens systématiquement dans mes stages, que la mémoire s’entretient par des réactivations (ré-évocations actives et non relectures passives) régulières des informations qui ont été dûment mémorisées une première fois (mises à la disposition d’un futur de réutilisations anticipées) le plus tôt possible après leur réception dans un cours, dans une lecture… C'est la raison (en plus d'amorcer une attention de qualité et de favoriser une meilleure compréhension) des réactivations de début et de fin de cours préconisées par la pédagogie des gestes mentaux. Mais cet incontournable méthodologique était tout empirique et ne reposait pas sur une base scientifique bien établie…  Il me manquait un "pourquoi", un "d'où vient que", une cause et une origine neuronale convaincante susceptible d’éclairer mes élèves (et leurs enseignants) sur le vrai sens de leurs évaluations et de les aider à les considérer sous un jour plus positif. Du moins jusqu’à la lecture des deux derniers ouvrages de Stanislas Dehaene. J’y ai trouvé le mécanisme neuronal qui permet non seulement d’entretenir une bonne mémoire, mais aussi de la mobiliser au moment voulu dans son meilleur état possible, au moment donc des évaluations.

Dans son tout dernier ouvrage, ApprendreStanislas Dehaene précise que "se tester" est un très bon moyen de "muscler" sa mémoire (il n’avait pas lu ce qui précède quant au mot "test"… mais "se" tester est moins anxiogène qu' "être testé" ; et puis Dehaene est un scientifique, pas un pédagogue...).


Apprendre. page 282 : Se tester pour mieux apprendre.
Le fait de tester régulièrement ses connaissances, est l’une des stratégies pédagogiques les plus efficaces. Se tester régulièrement maximise l’apprentissage à long terme. Le simple fait de mettre à l’épreuve sa mémoire la rend plus forte – c’est l’effet direct des principes d’engagement actif et de retour sur erreur décrit plus haut. Passer un test (aie !) oblige à se frotter au réel et à se rendre compte de ce qu’on sait pas.

L’idée que les tests sont des moments clés d’apprentissage ne va pas de soi. La plupart des enseignants et des élèves considèrent les contrôles (re-aie !) et les examens comme de simples moyens de notation, une évaluation des connaissances acquises ailleurs, durant le cours ou pendant les révisions. Or la recherche montre que les tests jouent un rôle au moins aussi important que le cours lui-même.

Apprendre. page 283. Alterner régulièrement l’apprentissage et le test oblige (les élèves) à rester actifs et à recevoir un feed-back explicite : je connais telle chose, mais je n’arrive jamais à me souvenir de telle autre (l'évaluation est ainsi "objective" et non plus "subjective"). Cette connaissance de soi, cette  "métamémoire" est utile car elle leur permet, lors de la (...) séance d’apprentissage (suivante), de mieux se concentrer sur les mots difficiles (dans l’exemple précis de cette expérience sur des listes de mots, mais qui vaut pour toute autre connaissance). L’effet est manifeste : plus on se teste, mieux on retient le cours (c'est moi qui souligne).

Le paradoxe, c’est que ni les étudiants ni leurs professeurs n’ont conscience de ces effets. Si on leur demande leur avis, tous considèrent que c’est l’étude qui importe, pas le test. C’est pourquoi ils prédisent exactement l’inverse de ce qui est observé expérimentalement : selon eux, plus on étudie mieux on réussit. Spontanément, les étudiants consacrent d’ailleurs tout leur temps à lire et à relire les cours, en stabilotant chaque ligne des couleurs de l’arc-en-ciel… Des stratégies bien moins efficaces que de se mettre à l’épreuve en passant un bref texte.

Soit ! donc, offrons à nos élèves des occasions de se tester régulièrement (ces "testing" diffèrent des simples "réactivations" personnelles en ce qu'elles font intervenir la réflexion (réutilisation), au lieu d'une simple remémoration des acquis (restitution). Mais si la peur envahit leur cortex préfrontal (lieu de leur activité consciente, de l'activation volontaire de leurs "fonctions exécutives" de haut niveau), bonjour l’engagement actif et le geste de réflexion ! C’est là qu’intervient une explication neuroscientifique qui pourrait peut-être aider les élèves à sortir de leurs émotions négatives, paralysantes (le "trou noir") ou précipitantes (le "faire n'importe quoi" pour éviter de penser), et à retrouver toutes leurs potentialités réflexives.

Dans un autre ouvrage, Le Code de la conscience, Stanislas Dehaene nous éclaire sur le mécanisme neuronal à la base de l’efficacité de ces tests. Il explique très finement le mécanisme de l’activité consciente du cerveau, et de ses liens étroits avec l’activité neuronale inconsciente qui la sous-tend en permanence. Il explique particulièrement le détail de cette activité consciente (quel que soit son nom : "espace de travail neuronal global", siège de toute activité cognitive organisée consciemment, "fonctions exécutives", ex-"mémoire de travail" ou encore "mémoire active" ou "vive" par opposition à la "froide" mémoire à long terme…et pour nous, tout simplement "activité mentale"...). Selon lui, elle est constituée par des neurones géants à très longs axones pouvant se lier à toutes les autres aires cérébrales quel que soit leur rôle spécifique et où qu’elles soient situées dans le cerveau. On sait par ailleurs que nos souvenirs sont stockés et conservés dans l’hippocampe, cette région au cœur du cerveau consacrée à la mémoire à long terme (avant de passer pour la postérité dans l’ARN du noyau cellulaire… après quand même au moins quelques décennies voire davantage...). Or, les neurones de l’hippocampe sont d’un format différent (axones courts) de ceux de l’espace de travail global conscient (axones plus longs). Un peu comme si nos souvenirs avaient été "compressés" pour les stocker en mémoire à long terme ("mémoire froide", inconsciente mais conscientisable à la demande). Un peu comme lorsqu'on "compresse" un fichier pour qu'il occupe moins de place dans notre disque dur, ou qu'il soit plus aisé à transférer. On trouve également une description encore plus détaillée de ces mécanismes de compression/décompression chez Antonio Damasio (dans L'autre moi-même, 2010). 

Le Code de la conscience, page 269 à propos de ces souvenirs anciens (c'est moi qui souligne) : Nous ne pouvons pas y puiser directement, parce que leur format diffère radicalement des configurations d’activité neuronale qui représentent nos pensées conscientes (activité mentale). Pour qu’un souvenir remonte à la conscience, nous devons d’abord le convertir de l’état latent à la forme active . Au cours de l’accès à la mémoire, nos synapses permettent la reconstitution d’une assemblée neuronale proche de celle d’origine - ce n’est qu’alors que nous prenons conscience de cette réminiscence. Un souvenir conscient n’est que la reconstruction approximative d’une configuration de décharges neuronales qui a traversé notre cerveau par le passé. L’imagerie cérébrale confirme que les souvenirs latents doivent être convertis en configurations explicites d’activité qui envahissent le cortex préfrontal et les régions associées au moment précis où nous reprenons conscience d’un épisode passé de nos vies.

A cette description, on comprend bien que cette "conversion - reconstitution - reconstruction", " puisse prendre un peu de temps et qu'elle ne s'opère pas sans qu'une bonne raison ne l'exige : par exemple un problème à résoudre par une réflexion ! On conçoit bien également qu'un état émotionnel négatif puisse perturber en profondeur ces délicates opérations neuronales...

Par conséquent, lorsque l’on veut réactiver un souvenir plus ou moins ancien, notamment pour l’utiliser dans une réflexion actuelle (ou dans une évaluation), il s’agit de le "décompresser", de le remettre au bon format pour qu’il puisse être réutilisé consciemment.  Le mécanisme de récupération est délicat, il n’est pas instantané, il faut s’y entraîner méthodiquement et régulièrement : c’est le rôle primordial bien que totalement méconnu des évaluations régulières et de l’activité de réflexion qui s’y déploie (ou le devrait...). Ce geste mental de réflexion méthodique nécessite que les souvenirs anciens puissent être mobilisés à la demande (rendus "mobiles", dont le parcours cérébral doit être fluide et aussi rapide que possible au moindre appel). Cette récupération délicate et sélective explique aussi que lorsque l’on veut, juste avant une évaluation importante, se souvenir de tout ce que l’on sait dans le domaine concerné, comme embrasser d’un coup toutes ses connaissances "pertinentes", c’est le trou noir et le stress qui nous envahit : ce rappel global et instantané est impossible ! 

Il est crucial pour la bonne marche de leurs apprentissages, que les jeunes soient informés de ces réalités "cérébrales" que les neurosciences nous permettent désormais de décrire et qui donnent toute leur valeur et tout leur pouvoir aux indications "mentalistes" que nous sommes appelés à leur fournir, et qui devraient être la base de tout enseignement qui cherche réellement à être un véritable "faire apprendre" selon les termes d’Heidegger (voir mon message 61 « Enseigner avec la Gestion Mentale : « apprendre à faire apprendre ».) 

C'est même une obligation si l'on souhaite qu'ils assument pleinement leur "responsabilité pédagogique", qu'ils deviennent pleinement "pédagogues d'eux-mêmes".

Pour conclure, laissons la parole à celui qui a tant fait pour aider les jeunes à accéder à cette responsabilité : « Au lieu de se faire mutuellement peur, enseignants, parents, élèves prendront conscience de la crainte de manquer à cette vocation de témoin de la vérité. La crainte n'est pas la peur. Il ne faut pas confondre l'étourdissement qui aveugle et le trouble d'une lumière qui se dessine et qui se confie à nous pour que nous la protégions, ni un monologue désespéré avec un dialogue qu'esquisse la promesse, ni une chute dans l'abîme avec le premier pas d'un enfant qui appelle une main... La peur est dépendance ; la crainte est responsabilité, commencement de sagesse : toute conscience l'éprouve qui sent passer sur elle l'appel de la vérité ». Et aussi : « Au lieu de s'infliger mutuellement des humiliations, enseignants, parents, élèves communieront dans l'humilité qu'ils ont à pratiquer pour répondre à cet appel que la vérité leur adresse, sitôt que le devenir d'une personne est en jeu » (A. de LA GARANDERIE, Apprendre sans peur, 1999, page 46)

Pour y contribuer à ma modeste mesure et tendre "la main à ces enfants qui l'appellent", et ne pas vivre la crainte de manquer à cette vocation de témoin de la vérité, j'ai proposé à mon éditeur de recomposer, dans une éventuelle réédition, la page 40 du Cahier "J'APPRENDS à TRAVAILLER" : voici un aperçu de l'ajout proposé. Bien entendu, j'ai raccourci la démonstration, mais les accompagnateurs que vous êtes sauront bien proposer aux intéressés l'explication que j'ai essayé de présenter moi-même dans ce message, et dont le Vieux Sage propose en quelque sorte un bref résumé.

1 commentaire:

  1. Vanham Catherine12 avril 2023 à 19:35

    Merci pour ces si bonnes analyses en P3 sur P2 qui nous permettent de créer un P1 pertinent de la situation des jeunes !

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