mardi 14 janvier 2020

148 - Blocage de la réflexion : remédiation - Laura et la phobie des règles !


Depuis quelques années déjà, je ne reçois plus d’élèves en entretien. Toutefois, à leur demande et bénévolement, je reçois des enfants d’amis ou de connaissances. Je rencontre ainsi Laura pour la troisième fois. Jusqu’alors, au milieu d’un discours qui s’évade en permanence du sujet traité, un point essentiel était apparu : le refus de Laura de se plier à toute règle quelle qu’elle soit. Pour elle, la seule chose intelligente à faire avec une règle est de la contourner. Pour Laura, toute règle, toute loi empêche de grandir. Elle a donc une grande difficulté à s’y soumettre et à les respecter, cherchant toujours le meilleur moyen d’y échapper… alors que toute sa scolarité l’invite, à l’inverse, à en tirer bénéfice, notamment dans une réflexion aboutie. Nulle trace en cela d’une visée créatrice qui chercherait à s’épanouir ; juste un refus de toute autorité et des déboires répétés qui finissent par l’atteindre moralement.

Précédemment, ayant constaté que la source de ses difficultés était une réflexion inexistante (avec la conséquence directe dans une expression écrite maladroite), j’avais tenté de lui montrer l’intérêt des règles, et en quoi elles constituent l’essentiel de sa scolarité, et donc la source principale de ses difficultés quand elle ne les respecte pas. Nous en étions restés là.

Cette fois-ci, pour essayer de la ramener "aux choses mêmes", j’ai entrepris dès le début de notre entretien de la rapprocher du socle des évocations qu’elle se donnait dans ses actions ordinaires : comment avait-elle retrouvé l’itinéraire pour venir jusqu’à chez moi, sur quelle base évocative s’était-elle assurée ? Première réponse, automatique : "Parce que j’ai regardé mon GPS avant de partir" *. Après quelques difficultés pour prendre conscience de son activité évocative, il s’est avéré qu’elle utilisait principalement des évocations visuelles en troisième personne, comme un décor qu’elle voyait se dérouler devant elle, des principaux points de repères : magasins, poteaux de couleur, escalier, tourner à gauche etc. Elle voyait ce décor "comme en vrai" et s 'imaginait, se ressentait s'y déplacer.

Puis, je lui ai demandé de me parler de son dernier devoir. C’était un devoir d’allemand. Après les tentatives habituelles de discours explicatif "autour de la chose", elle est parvenue à se fixer sur les évocations de son devoir : la feuille de papier, ce qu’elle avait écrit, dont elle ne voyait distinctement que certains mots (ceux sur lesquels elle avait hésité, où elle avait fait des fautes), l’écriture était la sienne. Elle voyait également en rouge à gauche les corrections du professeur, en bas à gauche la note, 14/20. À ma demande, après quelques difficultés pour les fixer, elle a zoomé sur certains mots, les épelant à l’endroit puis à l’envers, mais avec un temps d’hésitation (elle se parlait pour assembler les deux parties d’un mot composé). L’image était bien formée, précise, toujours avec sa propre écriture.

Je lui ai fait faire ensuite un exercice autour du mot "bathyscaphe" que je lui ai énoncé oralement. Immédiatement, une association s’est faite en elle autour du son "Baptiste" auquel elle a ajouté "kaff" -peut-être influencée par l’exercice précédent sur son devoir d’allemand ? Elle m’a demandé s’il s’agissait d’un prénom. Voyant sur quelle fausse piste elle partait (mouvement habituel chez elle de tentative de compréhension orientant toute action évocative) je lui ai épelé le mot. Elle l’a alors écrit mentalement sans autre difficulté, mais en se répétant le mot pour en assurer la forme visuelle. Elle m’a bien sûr demandé sa signification. La lui ayant donnée, je lui ai aussi fourni les explications étymologiques de la fabrication de ce mot avec ses deux racines grecques, ce qui lui a apparemment beaucoup plu, valorisant ainsi son fort projet de compréhension expliquante déjà repéré précédemment *.

Puis, j’ai mis la conversation sur l’objet de sa visite, ses difficultés et ses progrès récents en mathématiques. Elle était passée de  1/20  (avant l’entretien précédent), à 7 et 8 tout récemment. Comment avait-elle fait ? Elle avait demandé à une amie, meilleure en maths, de l’aider. Celle-ci lui avait expliqué d’une manière telle qu’elle avait compris le principe des fonctions : elle avait eu un déclic. Comment cela s’est-il passé ? L’ayant incité à revivre la scène en évocations, elle me raconta qu’après lui avoir expliqué vainement plusieurs fois le principe au niveau des écritures mathématiques, son amie s’était levée et lui avait montré les mouvements effectués par une fonction, mimant avec ses bras les trajets ascendants et descendants des courbes sur les axes orthonormés. Ces mouvements lui avaient permis la compréhension du principe lui-même. Elle avait alors compris qu’il fallait qu’elle vive mentalement les choses qu’elle voulait comprendre, au plus près des mouvements qu’elle pouvait s’en donner par elle-même.

Incidemment, j’ai appris qu’elle rencontrait depuis quelque temps une psychologue à propos de sa difficulté avec les règles et les lois, avec les limites en général. Laura avait compris avec elle que lorsque l’on veut modifier les règles dans un système donné, il était préférable de rentrer d’abord dans le système puis ensuite de chercher à obtenir l’accord des autres participants pour essayer de faire un peu évoluer, de "décaler légèrement", dit-elle, des règles qu’elle trouvait trop contraignante. Cette explication semblait la satisfaire. Mais la question revenait donc à savoir comment, malgré sa répugnance, entrer dans le système des règles pour éventuellement les faire évoluer. Je lui ai alors proposé une relecture des cinq questions de la compréhension (elle avait lu le livret J’apprends à travailler). Pour subvertir une règle de l’intérieur, il faut d’abord y entrer en profondeur, en pénétrer les tenants et les aboutissants, les raisons et les finalités, leur utilité, les relations avec leur environnement, et même (ce qui n’est pas sa tasse de thé) la manière de la faire fonctionner en s’y exerçant. Loin donc d’une soumission désagréable à des règles venues d’ailleurs ou de quelqu'un d’autre, on peut alors mieux saisir l’intérêt des règles et leur justification, notamment pour un fonctionnement social satisfaisant. Ayant ainsi compris les règles de l’intérieur, on est plus à même de les faire évoluer lorsqu’elles ne correspondent pas, ou plus suffisamment, aux réalités qu’elles sont censées faciliter ou organiser (régir). Les règles étant des créations humaines, elles peuvent être réévaluées, et éventuellement modifiées voire même supprimées, au vu d’une réalité qui ne cesse de changer. Mais en maths, il est dangereux de se livrer trop souvent à ce petit jeu… même si l’on cherche à réinventer actuellement une nouvelle écriture mathématiques mieux adaptées aux avancées toutes récentes de la physique, notamment cosmique. Mais c'est encore loin des programmes scolaires...

Nous en sommes venus ensuite à se demander ce que le mot "autorité" signifiait. Je lui ai dévoilé l’origine étymologique du mot, latin, "auctoritas" : la racine "auc" ou "aug", ou "act" qu’on retrouve dans "augmenter" : l’autorité, c’est "rendre auteur ou acteur", c’est "aider à grandir",  à croître. Assez loin, donc, de sa propre représentation de  "lois qui empêchent de grandir" ou d'être soi-même…

Je lui ai alors donné le texte extrait de "Accompagner… " ( pages 211-213) :

Laura est repartie avec une autre vision des règles, plus positive (de son propre aveu).

Elle m’avait aussi annoncé, à son arrivée, qu’elle avait décidé de son projet d’orientation confortée tout récemment lors de sa visite de ce matin au salon de l’étudiant. Elle souhaitait devenir professeure des écoles : "pour aider les élèves à ne pas vivre ce que j’ai vécu à l’école et à être plus heureux que moi dans leur apprentissage scolaire". Projet de compensation personnelle… mais qui en vaut bien d’autres moins "personnalisés" ! Il y a toujours quelque chose de soi dans un vrai bon projet d’orientation. Je lui ai alors raconté l’histoire de la fiche de "m"  devant m, b, p »,  dans mon message 115 : "Compréhension expliquante : une fiche de grammaire originale et stimulante !"

 Cette anecdote l’a beaucoup amusée. Je ne doute pas que cette vision d’avenir associé à une meilleure compréhension de l’apprentissage des règles qui font le fond même de toute scolarité (et la manière d’aider les élèves à mieux les comprendre) ne permettent à Laura d’assumer la sienne et d’y trouver un sens que jusque-là elle cherchait… désespérément.

* Une réponse débutant par un "parce que" à une question visant le "comment" entraîne une hypothèse, à vérifier bien sûr, de compréhension expliquante.

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