En cette période hivernale (enfin, il paraît… avec une
vingtaine de degrés dans l'après-midi, ici c'est plutôt le printemps…), on est amené
à faire quelques rangements. En triant de vieux documents, je tombe sur un
encart qui avait "sauté" lors de l'envoi à la Chronique sociale du manuscrit d'
"Accompagner…" . Et pourtant je tenais
beaucoup à cette anecdote qui me ramène loin dans mon passé, à mes premiers
essais d'accompagnement, bien avant ma rencontre avec la gestion
mentale. C'était avant 1970. Depuis plusieurs années déjà, je m'intéressais
aux difficultés scolaires des élèves dont j'étais responsable au quotidien,
d'abord au collège puis au lycée. Voici ce que vous auriez pu lire si cet
encart avait été édité :
"Un collègue, professeur de mathématiques, avec qui j'échangeais souvent sur mes réflexions pédagogiques, me dit un jour en parlant d'un élève dont je m'occupais particulièrement : "Philippe ? C'est un bon garçon, il travaille beaucoup, mais en contrôle si je ne suis pas derrière lui pour lui dire la règle à employer, il ne peut commencer son travail ".
En clair : cet élève ne
savait pas réfléchir (choisir le bon outil au bon moment) ! Mon ami
professeur ne savait pas comment l'aider, à part lui conseiller de faire
beaucoup d'exercices pour s'entraîner (un professeur "appliquant"
s'il en est, comme je l'ai compris par la suite au cours de mes formations en gestion
mentale). Cet élève devait par la suite arrêter ses études. Ce cas est resté
pour moi un triste souvenir. J'avais cherché un peu partout ce qui pourrait
m'aider à comprendre cette situation où un élève est "à l'arrêt" devant son
énoncé alors qu'il connaît son cours, qu'il travaille bien, bref, qu'il remplit
bien son "devoir d'élève". Et je ne parle pas de la dégradation personnelle
qui résulte de cette situation.
En ce temps-là, juste après le bouleversement
de 1968, il n'y avait pas grand-chose à la disposition des personnes qui
s'occupaient de l'accompagnement des jeunes gênés dans leur réussite scolaire.
Il est vrai que le besoin était moins criant qu'aujourd'hui. La vie active ou
l'apprentissage était encore une solution envisageable pour les jeunes en
délicatesse avec l'école. La littérature disponible traitait surtout et quasi
exclusivement de la mémoire. D'ailleurs, elle continue. De la réflexion, il
n'était (il n'est...) jamais question. Ou si peu. De la compréhension encore
moins. Il a fallu qu'un jour, presque par hasard, je découvre les travaux
d'Antoine de la Garanderie pour avoir les premières réponses à mes
questions (voir "Une pédagogie de l'Entraide" *, 1974, Chapitre 1 :
"L'origine sociale de l'acte de réflexion"). Depuis, et grâce à
lui, je n'ai plus jamais laissé autour de moi un enfant se désespérer de
ne pouvoir faire la preuve de son intelligence à l'école.
Pour aider cet élève, il aurait fallu que je connaisse
les détails de l’acte de réflexion en résolution de problème
- notamment les étapes d'évocation, d'analyse et de problématisation des
énoncés - qui permettent le retour des acquis et leur tri, et qui était juste ce qui manquait à cet élève. J’ai mis quelques années à découvrir cette opération si
indispensable à la réussite scolaire, avec mes observations, mes lectures et
mes formations de gestion mentale. J’ai par la suite particulièrement travaillé
ce "geste mental" complexe, pour en isoler tous les
invariants qui permettent de l’adapter à toutes les disciplines, à toutes les
situations, abstraites ou concrètes, de résolution de problèmes ; et à tous les
âges des personnes dotées d'un esprit et d'une conscience et des moyens d'en
user.
On trouvera le détail de cet "acte de connaissance" si
fondamental dans Accompagner..., dans J'apprends à
travailler, ainsi que dans le message 18 de ce blog "L'apprentissage de la réflexion". Ou encore, en video sur la Page "Spécial Enseignants", avec un groupe de lycéens, au cours d'un stage d'été. Et aussi, la différence entre les exercices et les problèmes, qui mobilisent deux mouvements de la réflexion en sens inverse, dans mon message 13 : "Exercice ou problème ? Il faut choisir ! De la maîtrise au transfert des acquis", où je reprends cette anecdote de l'élève qui ne sait comment démarrer son devoir.
Une pédagogie de l'entraide* est donc le premier ouvrage qui m'a permis de débloquer beaucoup d'autres
élèves, et surtout m'a mis sur la voie de la gestion mentale dans laquelle je
suis entré, plus tard et beaucoup plus précisément, avec Les profils
pédagogiques qui ont suivi, en 1983. Si la gestion mentale s'est
considérablement étoffée et complexifiée par la suite, la relecture du premier
écrit purement pédagogique d'Antoine de la Garanderie est un vrai bonheur
: avec une étonnante préscience des évolutions à venir dont nous sommes
aujourd'hui les témoins, il y rassemble tous les éléments nécessaires pour
construire une pédagogie du XXIe siècle. Certains de ces éléments, certes, sont encore à l'état d'embryon en 1974, mais l'inspiration est bien là : à nous de la
(re)saisir et de la faire fructifier pour le meilleur bénéfice des jeunes et de
leurs accompagnateurs, y compris les enseignants (s'ils se veulent vraiment
"pédagogues" et pas seulement transmetteurs de savoirs),
d'aujourd'hui et surtout de demain.
Former des jeunes pour les années 2050 et au-delà demande plus que des recettes de laboratoire de neurosciences ou des outils techniques, aussi élaborés, et même partiellement pertinents, soient-ils. Il faut retrouver ce qui fait l'essentiel de l'être humain : sa conscience et son "pouvoir de sens" (pour A. de LA GARANDERIE), son "esprit créateur de culture" comme le dit Damasio **, en deçà et au-delà de son intelligence elle-même. Des intelligences, les laboratoires savent de mieux en mieux en fabriquer qui, bien qu'artificielles, sont bien plus rapides et bien plus fiables que les nôtres. Des consciences, basées sur la prise en compte des émotions et des sentiments, capables "d'initiatives", d'intentionnalité, d'anticipation... jusqu'à preuve du contraire, ils sont encore loin de pouvoir en fabriquer. La voie est libre, profitons-en.
Former des jeunes pour les années 2050 et au-delà demande plus que des recettes de laboratoire de neurosciences ou des outils techniques, aussi élaborés, et même partiellement pertinents, soient-ils. Il faut retrouver ce qui fait l'essentiel de l'être humain : sa conscience et son "pouvoir de sens" (pour A. de LA GARANDERIE), son "esprit créateur de culture" comme le dit Damasio **, en deçà et au-delà de son intelligence elle-même. Des intelligences, les laboratoires savent de mieux en mieux en fabriquer qui, bien qu'artificielles, sont bien plus rapides et bien plus fiables que les nôtres. Des consciences, basées sur la prise en compte des émotions et des sentiments, capables "d'initiatives", d'intentionnalité, d'anticipation... jusqu'à preuve du contraire, ils sont encore loin de pouvoir en fabriquer. La voie est libre, profitons-en.
* A. de LA GARANDERIE, Une pédagogie de l'entraide. Chronique Sociale,1974, réédition 1994.
**A. DAMASIO, l'Ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture. O. Jacob. Nov 2019
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