Dans mon message n° 15, je fais
état de la présentation par Antoine de La Garanderie d'un article publié dans
la Lettre de l'IIGM (Institut International de Gestion Mentale) et dans
lequel je relatais mon expérience de la conduite d'un groupe de
"grands" lycéens dans un stage de pré-rentrée tels qu'ils sont
organisés depuis une vingtaine d'année, fin août, par certaines Associations IF
(Initiative et Formation) (voir le site de la fédération des IF http://www.ifgm.org/Associations/associations.htm).
L'enjeu de ce séjour est important pour les jeunes (et leur famille...) qui
font l'effort de consacrer une semaine de leurs vacances d'été à cette
réflexion sur eux-mêmes et sur le sens de leur scolarité. Cela vaut bien
que l'on réfléchisse à ce qui leur est proposé en échange d'un tel sacrifice.
Pour ma part, j'ai longtemps animé le groupe des aînés entrant en première et
terminale de lycée, ou ayant déjà obtenu le baccalauréat, certains ayant
même effectué une première année d'enseignement supérieur. Ce groupe
comportait, selon les années, de 10 à13 garçons et filles, de toutes séries
générales et technologiques. J'étais aidé dans ma tâche par des observateurs,
personnes en cours de formation approfondie qui veulent « voir la gestion
mentale en action » et qui me soulageaient, lors des dialogues individuels, de
la prise de notes indispensable pour le bilan final mais qui ralentit toujours
le rythme de ces échanges, ou qui charge à l’excès la mémoire du formateur.
Voici cet article qui tente d'expliciter la problématique de ce type
particulier d'accompagnement qui propose "en concentré" ce que j'ai
repris plus en détail, et sur une plus grande durée, dans
"Accompagner...".
UN STAGE DE METHODOLOGIE EN GESTION
MENTALE.
RECIT
Le premier jour du stage est consacré au voyage, à l'installation et à la prise
de possession des lieux ainsi qu'à la constitution du groupe et à sa mise en
projet pour le reste de la semaine. Suivent deux journées très denses où les
séquences de méthodologie du matin (trois heures) font place l'après-midi à des
séances d'éducation physique qui permettent le transfert de ce qui a été
découvert de façon un peu théorique le matin, mais qui sont aussi
l'occasion d'autres découvertes qui seront reprises lors du bilan du soir et le
lendemain. Des ateliers diversifiés sont aussi proposés aux stagiaires pour
leur permettre d'autres terrains d'expérimentation et de nouvelles découvertes.
Chaque soir un bilan permet de relier ces diverses expériences et de stabiliser
les acquisitions de la journée . En milieu de semaine, une journée spéciale,
différemment aménagée selon les stages, offre une sorte d’aération. Après cette
rupture, encore deux journées de méthodologie avant le bilan final qui permet à
chacun de ressaisir l'ensemble de la semaine et de se projeter dans l'année qui
vient.
Avec ce groupe de grands adolescents, je poursuis deux objectifs :
- d'une part les aider à reconnaître leur personnalité
cognitive c'est-à-dire leurs habitudes évocatives et les projets de sens
qui les animent implicitement et qui leur ont permis d'arriver à ce stade
de leur développement intellectuel ;
- d'autre part leur faire découvrir les lois
de la vie mentale, les objectifs "cachés" (et
«transdisciplinaires ») de la scolarité secondaire, objectifs que le plus
souvent ils ignorent ou dont ils se font une fausse idée : 'je travaille
pour montrer au professeur que j'ai travaillé".
En effet au fil des années et de mes entretiens avec
des centaines de jeunes collégiens ou lycéens, je me suis aperçu que les échecs
à ce niveau d'âge provenaient moins d'insuffisances dans leur potentiel
personnel, où certains jeunes manifestaient même un "trop plein" souvent
encombrant, ou de maladresses dans la gestion de ces potentialités, que, pour
tous les stagiaires, de véritables contresens au sujet des attentes - si
peu explicites - de leurs professeurs et des études en général. J'ai développé
cet aspect de l'aide que je leur apporte à ce sujet dans un atelier lors du
Colloque de l'IIGM 2009, et on en trouvera le protocole complet dans mon message n° 19.
Au cours des séances de travail, il s'agit donc
d'amener les stagiaires au regard introspectif que permet la gestion mentale ce
qui, même à cet âge, est toujours une découverte passionnante et enrichissante.
Les dialogues pédagogiques, qui suivent chaque mise en situation sont les
moments forts de ce travail. Avec ces adolescents, il s'agit de les mener
suffisamment loin pour que chacun découvre son monde mental et sa spécificité,
mais de savoir les arrêter assez tôt pour éviter la lassitude et la rupture
d'attention du groupe. La voie est étroite, et il faut constamment soutenir
l'activité de celui que l'on aide à expliciter sa gestion mentale tout en
maintenant l'attention des autres jeunes, notamment par des incitations à
comparer ce que dit leur camarade avec leur propre auto-observation. Le but
n'est pas de dresser avec chacun d'eux un "profil pédagogique"
abouti, mais de permettre à tous de contacter et d'observer leur activité
mentale. Au fil des exercices, chacun affine à son rythme la connaissance de
cette partie de lui-même jusque-là le plus souvent méconnue.
En ce qui concerne les « objectifs cachés » de la scolarité, c’est-à-dire les
gestes mentaux tels qu’Antoine de LA GARANDERIE les a décrits, il y en a un
auquel j'attache la plus grande importance. La plupart de ces jeunes éprouvent
des difficultés parce qu'ils imaginent que dans leurs travaux lycéens ils sont
appelés à faire la preuve « qu'ils ont travaillé », « qu'ils ont appris leur
cours ». Le seul imaginaire d'avenir qu'ils puissent alors donner à leur
mémorisation est la perspective d'une simple restitution d'un savoir plus ou
moins bien intégré. Par la suite, ils sont totalement démunis dans les travaux
de synthèse qui leur sont demandés, et pour lesquels il faudrait qu'ils mènent
une réflexion rigoureuse, seule capable de leur permettre les choix judicieux
des connaissances à utiliser. Et c'est précisément là que je les attends. Car
de la réflexion ils n'ont aucune idée. Alors comment pourraient-ils l'anticiper
au moment de mémoriser ? La découverte que leur projet de restitution est la
raison de leurs échecs, provoque chez certains d'entre eux un mouvement de
révolte qu'ils ont parfois du mal à maîtriser : "Pourquoi personne ne nous l'a dit avant !?" C’est
autour de cette confrontation entre leur conception erronée des enjeux lycéens
et la découverte de la réflexion, et de ce qui en découle, que j'organise la
progression pédagogique du stage.
Dans la conduite du groupe pendant la semaine, les deux premiers jours se
passent relativement sans difficulté. La constitution du groupe, la
connaissance mutuelle, la prise de conscience de la diversité des
fonctionnements mentaux, la découverte de la possibilité de se mettre en projet
volontairement, consciemment, avant une activité intellectuelle ou physique, la
pratique des gestes d'attention et de mémorisation, tout cela ne pose pas de
problème majeur, si ce n'est que la projection dans l'avenir n'est pas
l'activité la plus familière pour ces jeunes qui vivent plutôt dans l’immédiateté
de l'instant. Tout au plus les jeunes sont-ils surpris par l'intensité et le
rythme des activités. La randonnée représente pour eux une pause bienvenue,
mais aussi une expérience riche d'enseignements.
Dans ce groupe les vraies difficultés viennent le quatrième jour de travail.
Lorsqu'ils sont confrontés au geste de réflexion et que cette découverte vient
heurter de plein fouet leur conception où la simple restitution est la seule
perspective de sens donné à leur travail. On est là au cœur d'un « conflit
cognitif » douloureux pour beaucoup mais également éclairant et libérant pour
la plupart, une fois dépassé le premier mouvement de refus. En effet, certains
jeunes, tels des chevaux craintifs, « refusent l'obstacle », n’acceptant pas
d’entrer dans cette zone de turbulence et d'incertitude que représente la
réflexion. On voit apparaître une zone d'insécurisation affective, comme
toile de fond de leur activité intellectuelle. Le formateur devient alors un
véritable « passeur ». Il doit être sensible à cette fragilité. C'est à ce
moment que le climat de confiance constitué dans le groupe dès la première
rencontre va servir de cadre sécurisant et permettre le « passage ».
L'accompagnement de cette phase est capital pour la réussite du stage dans son
entier. Si un jeune n'accepte pas cette nouvelle façon de concevoir son travail
scolaire, il risque de rester bloqué longtemps sur ce qui l’a jusqu'alors
rassuré à bon compte : un apprentissage mécanique, dans lequel il n'est pas ou
peu investi, dans lequel il ne prend pas de risque... mais qui n'a aucune
chance d'être efficace à ce niveau d'études. Et qui est fort peu motivant.
Je présente ensuite ce que j'appelle un « projet d'apprentissage global au
lycée » qui propose une globalité cohérente des différents gestes mentaux
(activités par essence internes) débouchant sur les productions externes de
communication orales et écrites sur lesquelles les élèves sont finalement
évalués. Le sens de ces activités est absent ou dévié, les élèves
s'imaginant toujours écrire pour le compte d'un professeur qui les juge
(qui peut aimer cela ?) Ils n'envisagent jamais que ces productions
puissent être des entraînements « à blanc » de ce qu'ils auront à faire dans
leur vie citoyenne ou professionnelle : se soucier du besoin de compréhension
des autres lorsqu'ils écrivent ou qu'ils s'adressent à eux oralement. On
appelle cela « l’altérité » : ce n'est pas une attitude innée mais plutôt un
effet de la formation, de l'éducation. Un atelier d'écriture emprunté aux
Ateliers de Raisonnement Logique d’Higelé vient concrétiser le projet de sens à
mettre en œuvre dans l'écriture : chaque jeune est à tour de rôle écrivain et
lecteur. L'évaluation de la qualité de l'écriture est ainsi directement
donnée par un pair et non plus par un supérieur hiérarchique. Effet éclairant
assuré !
Enfin, nous travaillons le geste de compréhension. Pourquoi si tard ? Parce que
le degré d'investissement dans la compréhension est l’effet non seulement des
projets de sens mis en œuvre inconsciemment par la personne, mais également de
l'anticipation de besoins futurs et anticipés de réflexion et de communication.
Pourquoi, en effet, se "prendre la tête" à comprendre en profondeur
une connaissance que l'on prévoit simplement de restituer au professeur,
ce véritable "retour à l'envoyeur" ? Et si
"comprendre" veut dire "prendre avec soi", comme on le dit
faussement parfois, alors les seuls projets de sens habituels seront
satisfaits, sans même qu'on ait besoin d'y penser... à l'exclusion des autres
projets, d'où des compréhensions incomplètes, superficielles, et des
incompétences à venir. La pratique consciente et méthodique des activités
de réflexion et de communication implique qu'en amont les connaissances
aient été intégrées dans toutes leurs dimensions de sens, notamment par un
processus d'abstraction et de généralisation qui fait des connaissances
enregistrées de véritables outils conceptuels réutilisables à
volonté ( = compétences). Cela a un coût ; et on ne le consent qu’à hauteur de
ce que l’on en escompte. Cette séquence, toujours délicate à mener en fin de
stage, permet à chacun d'identifier les projets de sens à l'œuvre dans sa
compréhension spontanée et de l'enrichir par l'adoption d'autres projets
auxquels il n'aurait pas pensé tout seul. C'est un moment lui aussi très fort
pour ces jeunes, très motivant le plus souvent. Beaucoup réalisent alors que
pour des raisons diverses de leur histoire personnelle ou scolaire ils se
sont coupés de leur projet de sens fondamental, notamment d'explication…, quant
aux autres ils n'en avaient même pas idée.
Ce qui caractérise l'atmosphère de fin de stage, la même chose est constatée
chaque année, c’est l'enthousiasme devant tant de découvertes : chaque jeune
voudrait tout mettre en œuvre à la fois. C'est sympathique, mais c'est aussi
la meilleure garantie de l'échec du transfert de ces acquisitions trop
fraîches. Chaque stagiaire est au contraire invité lors de son bilan personnel
final à choisir une ou deux microdécisions à mettre en œuvre dès la rentrée.
Au mois de décembre, lors d'un bilan dit « de trois mois » que les stagiaires
sont invités à renvoyer à leurs formateurs, c'est sur ces décisions que portera
en premier leur auto-évaluation.
Ce "programme" de "réconciliation scolaire" est ambitieux,
il demande aux jeunes un gros effort de concentration que l'atmosphère générale
du stage, toujours très positive et chaleureuse, les aide à consentir. On se
pose, bien sûr, la question des résultats d'un tel investissement. Il n'y a pas
d’effet miraculeux. Une quinzaine d'années de mauvaises habitudes de travail ne
sont pas gommées par magie en une semaine. Il est toutefois remarquable que les
jeunes repartent toujours du stage motivés pour la rentrée prochaine. C'est
déjà un résultat important. Plus tard, « le naturel revient au galop », surtout
dans les moments de stress : le corps a la mémoire de ces moments de désarroi
profond et il les reproduit fidèlement.... Et quel que soit l'éclairage que
l'élève possède sur ce qu'il conviendrait de faire pour réussir et sur ce qu’il
pourrait faire personnellement pour cela, il est souvent envahi par ses
émotions paralysantes ou précipitantes habituelles. Des réactivations sont
nécessaires (c'est la raison essentielle du bilan de décembre et des traces
écrites conservés dans le cahier spécial remis à chaque stagiaire en début de
stage). Mais globalement les témoignages recueillis depuis plus de vingt ans
permettent d'affirmer qu'il ne s'agit ni d'argent ni de temps dépensés en vain.
Le processus de changement peut être lent. Toutefois, le stage permet à chaque
stagiaire d’implanter en lui un ferment de transformation qui poursuit son œuvre au fil du temps. En tout cas, devant les difficultés qu’il rencontrera,
il saura qu'il a quelque part des éléments de solution à sa disposition. Il
s'en servira, s'il le veut. Personne ne saurait l'y obliger. À titre d'exemple des effets d'un tel stage, voici un témoignage parmi bien
d'autres, reçu quelques semaines après la rentrée, des parent d'un stagiaire
(ce qui n'est pas habituel à cet âge) :
"Simplement un petit mot pour vous remercier du fond du cœur. Vous avez su (vous et tous les adultes qui ont entouré ces jeunes) redonner à Thomas une confiance, un amour vrai de lui-même qu’il avait perdu au fil du temps. Ce n’est plus le même ado écorché que nous avons laissé en début de semaine. Nous retrouvons un jeune adulte apaisé, en accord avec lui-même et qui a à nouveau confiance dans les adultes. Nous retrouvons notre fils… merci de nous l’avoir rendu… celui qu’il était devenu n’était pas Thomas… vous lui avez permis de retrouver son identité, et de s’aimer à nouveau. Merci pour lui, pour sa sœur, pour ses parents. Sachez que vous êtes à ses yeux une de ces rares pierres blanches qui jalonnent un parcours et qui nous guide avec bonne humeur pour trouver le bon chemin. Nous vous serons à jamais reconnaissant du regard que vous avez su lui porter. Thomas sourit à nouveau…"
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