dimanche 20 mars 2011

29 MARASME LYCEEN, AUTONOMIE, COMPREHENSION APPROFONDIE.


ou RETOUR D'UN STAGE FATIGANT... MAIS FORT INSTRUCTIF !

J’ai donc rencontré, jeudi et vendredi derniers, et pour la troisième fois de l’année scolaire, la classe de méthodologie dont je vous ai déjà parlé. J’ai évoqué dans le message  10 le problème de la motivation de ces élèves et l’impact qu’avait  eu sur beaucoup d’entre eux la découverte du geste de réflexion et de l’activité de communication, écrite particulièrement. Plusieurs d'entre eux déclaraient au bilan de ce 2° stage qu’ils avaient eu "le déclic", qu’ils avaient "trouvé le but" qui leur manquait après le premier stage. J’étais donc reparti confiant, comptant que, comme pour les années passées, la classe allait se mettre au bon niveau d’activité, et que j’allais la retrouver disponible pour accéder aux activités complexes de la compréhension.

Le mercredi,  comme avant chaque stage,  le professeur principal de la classe m’avait signalé la difficulté de l’équipe enseignante à mobiliser les élèves : "ils n’apprennent pas, ou bien ils apprennent mal". Par ailleurs, je recevais le même soir un mail d’un des élèves, dont le frère, l'année dernière, avait tiré un excellent parti de son année dans cette classe : "tu vas devoir faire fort pour motiver la classe !"

Ambiance dans ma chambre d’hôtel !

La problématique pour moi était simple : plutôt que "d'en  remettre une couche" de méthodologie (ou du moins avant d’y consacrer du temps), il me fallait creuser un peu plus profond vers l’origine de ce marasme persistant.

Le mieux à faire était alors de me laisser guider par les élèves eux-mêmes. À leur avis que se passait-il ? Chacun exprima sa difficulté à se mettre au travail malgré les bonnes intentions prises avant Noël, et l’accompagnement quotidien d’une équipe professorale qui s’efforçait de réactiver les apports méthodologiques des deux précédents stages. Un des élèves, l’auteur du mail,  précisa qu’il lui était bien difficile d’accéder à l’autonomie dans son travail. Je n’avais pas prévu d’aborder ce thème que je ne traite pas d’habitude, du moins en détail, avec les jeunes. Je saisis pourtant la perche (intuition ?) et  me lançai dans une réflexion collective autour de ce terme. Qu’est-ce que c’est pour vous "être autonome" ?


Voici une synthèse des propositions recueillies.

Autonomie  = refus de toute dépendance, évacuation « des autres ».
Se gérer, se débrouiller tout seul,  faire seul sans avoir besoin de quelqu’un d’autre , sans que quelqu’un me dise quoi faire (bonjour la méthodologie...),  ne pas compter sur quelqu’un,  ne pas être dépendant des autres,  prendre ses responsabilité  sans aide extérieure, se prendre en main, pouvoir faire des actions complexes sans l’aide de quelqu’un, , faire  preuve de maturité, savoir ce qu’on a à faire.

Je précisai que ces formulations correspondaient plus à la définition d' "l’autarcie » qu’à celle d' "autonomie". J’expliquais le sens de ce mot à partir des racines grecques (voir message numéro 21). En bref, "les autres" sont totalement absents dans l'autarcie, alors qu'ils sont à la base de l'autonomie.

Mais il y avait aussi, pour une minorité :
 Être autonome, c’est faire des choix, prendre des initiatives, prendre des décisions. Je précisais à ce propos que "décider" avait la même origine latine (cisere) que "ciseaux" : toute décision est un renoncement, une "coupure", cela peut être douloureux, ça peut "saigner".  Accéder à l’autonomie a toujours un prix !  Dans quoi dois-je couper ? Où dois-je trancher ?  A quoi dois-je renoncer ? À mon enfance, à mon petit confort, à mes illusions ? Quitter sa « bulle » est difficile, elle est si douillette…

Ce travail obtint de la part de l’ensemble des jeunes une attention soutenue,  un intérêt manifeste. Il semblait bien que j’avais trouvé le point sensible. Après réflexion, et dans le trajet du retour, je dus bien reconnaître que cette intuition de réfléchir à l’autonomie n’était jamais que le fruit de mes réflexions de ces dernières semaines : qu’est-ce qui m’avait poussé à relire et à vous communiquer ces articles vieux de plus de 15 ans ? D’où viennent nos intuitions si ce n’est de nos réflexions antérieures, même inabouties ?

Ma deuxième intuition  ce jeudi matin fut alors de leur demander ce qu’ils mettaient sous le mot "apprendre" (sans relire leur cahier de stage, en laissant simplement venir les mots ou les idées suscitées par ce mot). Je m’attendais à ce que, plus ou moins fidèlement, ils se souviennent des éléments des deux premiers stages et particulièrement du second autour de la réflexion et de la communication à autrui…  Déception. ! Voici ce qui est ressorti (j'ai regroupé) du second tour de table :

Apprendre  =  mettre dans sa tête.
Mettre beaucoup de connaissances dans sa tête ; évoquer quelque chose pour le restituer plus tard ; comprendre, retenir et savoir le redire ;  mémoriser des solutions pour les réutiliser en cas de problème.

Il y eut aussi, mais très minoritairement : se fixer un but, anticiper l’interro, évoquer un futur de réutilisation, réutiliser.

Je devais donc me rendre à l’évidence : ni les ouvertures sur la perspective de sens « secondaire » à donner à leur intégration des savoirs, ni les éléments méthodologiques qui en découlaient, n’avaient été intégrés par la presque totalité des élèves, malgré ce qu’ils en avaient dit dans leurs bilans de décembre. Les professeurs les leur avaient rappelés régulièrement ; les élèves les connaissaient, ils pouvaient les décrire, mais ils ne les avaient pas encore intimement intégrésapprouvés ; ils ne se les étaient pas encore "appropriés". Ils étaient "sus", ils n’étaient pas "assimilés".  Ni les six jours de stage précédents, ni les rappels systématiques n’avaient réussi à faire changer leur façon de "couper leur bois" héritée de 12 ou 13 ans de fréquentation scolaire (voir message 24).  N'est-il pas vrai qu'au bout de tout ce temps "on sait ce qu'on a à faire"...?

Voila un excellent exemple des effets néfastes de l’interprétation communément admise : "apprendre = prendre pour soi" (id, message 24) .

Ainsi, "comprendre" se résumait pour eux à aller chercher dans leur environnement le sens qui leur convenait, qui leur "importait". C'est-à-dire qu’ils ne laissaient entrer en eux que ce qui satisfaisait leurs besoins de l'instant. Dans la seule perspective de sens limitée au "prendre pour soi", seul est intégré ce qui satisfait les besoins que l’on se reconnaît soi-même, souvent immédiats et primaires. Dans le meilleur des cas, seuls sont donc servis, et le plus souvent inconsciemment, les projets de sens "naturels". Cela est cohérent avec la conception faussée de l’autonomie-autarcie. D’où des compréhensions superficielles, inabouties ou incomplètes, toujours inefficaces à un moment ou un autre des rendez-vous scolaires.

Mais comment alors ouvrir ces jeunes à d’autres projets nécessités, non plus seulement par leurs besoins  personnels à trop court terme, mais par les nécessités d’un environnement social et professionnel futur auquel le travail scolaire prétend les préparer  (et qu'ils désirent confusément, ce dont je m'étais assuré auparavant) ?

J’entrepris de leur présenter de nouveau Pégase (vive le PPT (power-point) !) en faisant ressortir le lien qu’il fallait absolument considérer entre les savoirs à intégrer et les occasions de les réutiliser dans l’activité de réflexion (problèmes posés par d’autres ou par l’environnement) et dans celle de communication à autrui. Et donc la nécessaire prise en compte des "autres"... Je pense que cette deuxième présentation eut plus d’effet que la première, trois mois plus tôt.

Je m’attelais ensuite - avec la métaphore de la barque, décrite dans Accompagner… p.198-200 - à favoriser leur prise de conscience des opérations d’une compréhension approfondie, élargie, destinée à anticiper ces besoins scolaires qui leur étaient étrangers, nécessités par ces "autres" dont ils venaient de dire que toute leur ambition était de les évacuer de leur univers (mental, tout au moins) ! Plusieurs mises en situation et exercices permirent de rassurer les plus craintifs d'entre eux… ou les plus "appliquants". C’est toujours le moment de vérité pour beaucoup d’élèves.

Dans l’après-midi de vendredi, la fatigue du groupe était perceptible (et la mienne… !). Pour les encourager à aller au bout de l’effort, je leur ai proposé cette autre métaphore, empruntée à Michel Serres (Le Tiers Instruit ) : qu’est-ce qu’un bon nageur ? Pour eux, c’est celui qui exécute bien les mouvements, celui qui flotte bien…  Pour M. Serres, le bon nageur c’est celui qui, arrivant au milieu du fleuve qu’il traverse et prenant conscience de se trouver si loin de la rive qu’il vient de quitter, domine sa peur en réfléchissant que le chemin à parcourir pour revenir au départ est aussi long et périlleux que celui qui l’amènera sur l’autre rive. J’ai eu droit à des regards  et des sourires entendus … qui m’ont rassuré.

Malgré ses effets déstabilisants et inconfortables, voire inquiétants, ce détour par la mise au jour et la remise en question des conceptions bloquantes - le "complexe impur des intuitions premières" de Bachelard, voir message 23 -, loin d’être une perte de temps, fut l’occasion d’une prise de conscience très éclairante pour l’ensemble de ces jeunes. Ce travail a permis de mettre en évidence le lieu du blocage, véritable "goulet d’étranglement" formé par ces deux interprétations erronées de l’autonomie et de l’apprentissage (comme deux piliers d'un portail étroit "calibrant" avec parcimonie ce qu'il laissait entrer ...).  C’est ce véritable "verrou" qui s’opposait à l’intégration par ces élèves de ces nouveautés lycéennes, trop larges pour leurs habitudes, que sont  la résolution méthodique de problème et les activités de communication argumentée. A eux maintenant de poursuivre ce travail de "déconstruction-reconstruction" d'une perspective de sens plus libérante à donner à leur activité mentale.

Les professeurs de la classe, qui ont assisté avec étonnement à ces réflexions, ont eux-aussi découvert le lieu des difficultés de leurs élèves. Ils ont désormais un nouveau terrain d'accompagnement pour les semaines à venir.

Rendez-vous au bilan de Juin pour vérifier le bien-fondé de mes intuitions… Je ne manquerai pas de vous en tenir informés !

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