Compte rendu du
deuxième stage de "méthodologie" - novembre 2015
Durant ce second stage avec la classe de seconde "méthodologie" de Bordeaux, nous avons abordé l’activité de réflexion
en résolution de problème et la communication orale et écrite.
Une profonde
réorganisation de l’activité mentale des élèves.
Après avoir réactivé les acquis du premier stage (projet
mental, évocations, attention, compréhension et mémorisation), j’ai montré aux élèves que
l’enjeu à partir de maintenant n’était plus de restituer les connaissances apprises en les récitant aux
professeurs, mais de les réutiliser
pour résoudre des problèmes. Il ne s’agit pas d’un simple changement de vocabulaire, c’est une profonde réorganisation de la perspective de sens qu’ils donnent à leur
apprentissage et, en conséquence, un réajustement de leur activité mentale. Au détour d’un échange avec les professeurs présents, le
désintérêt des élèves pour l’activité de restitution a été mis en évidence,
alors même qu’ils ignorent quoi faire d’autre, d’où leur passivité
intellectuelle. Certains professeurs, par souci de progressivité, leur demandent
encore une simple récitation de ce
qu’ils ont appris (vocabulaire, définitions…). Mais d’autres complètent cette pure restitution par des tâches plus réflexives comme l’analyse
d’un document ou la solution d’un petit problème ; et pour cette seconde
évaluation, comme certains l’ont dit, « il n’y a plus personne ».
L’apprentissage de
la réflexion méthodique.
C’est donc bien à une
activité systématique de réflexion que les élèves sont invités
à partir de la classe de seconde et jusqu’à la fin de leurs études. Nous avons
mis en évidence les six étapes d’une réflexion méthodique visant à la résolution
d’un problème (voir message 18 de ce Blog). La formulation et la résolution d’une
bonne « problématique » devient
la compétence dorénavant évaluée (mais pour autant est-elle véritablement "formée" ?). Cela, bien sûr, ne supprime pas la nécessaire
vérification de l’apprentissage des connaissances dont les élèves auront à se
servir pour cette réflexion. Mais il s’agit de dépasser ce premier travail : s’il
est toujours nécessaire de savoir avec précision ce que l’on apprend, c’est surtout
pour s’en servir plus tard dans le cadre d’une problématique que ces mêmes
connaissances aident d’ailleurs à bien poser. Le « projet » de
mémorisation (la projection dans l’avenir) s’en trouve profondément modifié. Ce saut
cognitif est absolument indispensable, mais il a de quoi faire peur aux élèves
les plus craintifs. Réfléchir est une activité pleine de risque d’erreurs, de
prise de décisions et de choix à opérer : une vraie pédagogie de l’erreur
est alors le meilleur des accompagnements (voir note en fin de message).
Toute réflexion
débute par une bonne lecture de l’énoncé .
Plusieurs exercices ont montré aux élèves l’importance de
cette première étape, que le plus souvent ils négligent « pour gagner du temps
». La plupart des bilans de fin de stage reviennent sur ce principe de méthode
fondamental : prendre son temps au bon moment pour en gagner par la suite. Les
élèves ont eu l’occasion de jouer à résoudre plusieurs petits problèmes de
logique après en avoir à chaque fois mémorisé l‘énoncé projeté au
vidéoprojecteur, selon le protocole suivant : l’énoncé est projeté quelques dizaines de secondes
pour lecture et évocation, éteint pour
un temps de réévocation, reprojeté pour vérification, puis de nouveau éteint pendant tout le temps
de la résolution du problème.
Soigner son
expression orale.
Mais à quoi bon bien réfléchir, si personne n’en est témoin
? Nous ne vivons pas sur une île déserte et, à l’Ecole qui nous prépare à la vie en société (ou prétend le faire...), notre réflexion ne vise pas à une action solitaire. Après toute réflexion « scolaire »,
il faut en laisser « une marque », selon l’expression d’un des élèves. Toute résolution d’un
problème scolaire doit donc être suivie d’une activité de communication
orale ou écrite : c’est l'un des principaux enjeux de l’école, au moins française. Plusieurs exercices ont entraîné les
élèves à cette obligation : après avoir trouvé un résultat (première réflexion),
organiser (deuxième réflexion) sa communication par oral à la classe : "comment présenter ma réflexion aux autres pour qu'ils me comprennent et m'approuvent ?". La nécessité de
justifier et d’argumenter s’est alors révélée au cœur de ces exercices.
Communiquer sa
pensée à quelqu’un d’absent (ou d'invisible).
Une situation particulière d’exercice a permis aux élèves d’éprouver la difficulté
de communiquer sa pensée à quelqu’un que
l’on ne voit pas. Deux élèves A et B
sont face au tableau, séparés par un écran qui les empêche de se voir.
L’élève A a devant lui un dessin un peu complexe : il doit donner oralement des
consignes à l’élève B, de l’autre côté
de l’écran, pour qu’il reproduise le dessin à l’identique. Les premiers essais,
peu concluants, ont démontré la difficile
nécessité de préciser son langage et son vocabulaire pour se faire bien comprendre.
En revanche le dernier exercice a été parfaitement réussi. Interrogé sur ce qui
s’était passé « dans sa tête » pendant qu’il donnait ses consignes, l’élève A déclara : « j’ai imaginé mon camarade en train de dessiner et j’ai guidé sa main
en lui donnant les consignes ». Cette déclaration a servi de transition
avec la dernière séquence autour de l’expression écrite : communiquer sa pensée
à quelqu’un qu’on ne voit pas, qui n’est pas physiquement présent devant nous, mais que l'on imagine et dont on "guide" la pensée à distance (temps et espace) par son écrit.
Communiquer sa
pensée par écrit. (Exercice décrit dans "Accompagner..." pages 191-192)
Un exercice « d’écriture en vrai » a permis aux
élèves de découvrir l’enjeu de l’expression écrite : transmettre sa pensée à
quelqu’un (qu’on ne voit pas, qu'on ne connaît pas ) qui nous lira ailleurs et plus tard, et qui ne sait rien de ce qu’on lui transmet.
Il s’agit alors de penser non seulement à ce qu’on va lui dire, mais surtout de
prendre en compte son besoin de compréhension : « que faut-il que je lui dise pour qu’il comprenne bien, comment
organiser mon écrit pour qu’il suive aisément mon raisonnement, pour qu’il soit
convaincu ? ». Nécessité de précision, d’organisation, de clarté,
d’argumentation, de justification… Les élèves ont éprouvé cette réalité de « la
présence de l’autre » dans leur tête pendant leur exercice d’écriture après la
résolution d’un petit problème. Les rédactions ont ensuite été échangées et commentées
entre élèves à tour de rôle, écrivain et lecteur. L’évaluation de leur écrit par un camarade en direct représente
pour ces jeunes une expérience tout à fait inhabituelle, alors qu’ils sont
toujours dans la crainte paralysante du
jugement d’un professeur lorsqu’ils rédigent une copie. Les bilans font
également ressortir l’impact de cette découverte sur la plupart d’entre eux.
Bien entendu, tout cela leur a déjà été dit cent fois par leurs professeurs… sans que pour autant ils en soient éclairés et modifient leurs
mauvaises habitudes. Comme le dit l’un d’entre eux dans son bilan : "je pense que je savais tout cela, mais je
n’en avais pas encore pris conscience." Voilà qui maintenant est
fait !
Grandir en
autonomie.
En conclusion de ce deuxième stage, pleinement satisfaisant
de mon point de vue, j’ai amené ces jeunes à réfléchir à la notion d’autonomie. La racine
grecque « autos » a été
trouvée par l’un d’eux. J’ai rajouté la seconde, le « nomos », la Loi du genre humain : sortir du cocon
douillet et déresponsabilisant de
l’enfance pour affronter les turbulences mais aussi les profondes satisfactions
de la relation avec les autres. En cela, l’expression écrite n’est pas qu’une
affaire d’exigence scolaire, c’est l’accès à l’altérité, cette compréhension du
besoin de l’autre qui guide ma conduite. Le silence pendant mon explication
était particulièrement intense : ces jeunes ont bien senti que je leur parlais de quelque chose d'essentiel pour chacun d'eux. Ils ont bien compris, je crois, qu’il
leur appartenait désormais de se saisir de tous ces éclairages sur eux-mêmes et
sur leur formation scolaire, pour en faire le tremplin de leur
« croissance en autonomie ». Ils ont désormais, selon la belle
formule d’Antoine de LA GARANDERIE, l’intelligence de leurs moyens et les moyens
de leur intelligence (dont ils ne manquent assurément pas !) : à eux
de s’en servir, s’ils le désirent vraiment.
Quelques extraits
significatifs des bilans.
« Ce
stage fut pour moi un trésor. Je pense réellement que tout ce que vous nous
dites est résonnant ( ?) de vérité. »
« J’ai
très bien vécu ce deuxième stage dans la joie, l’apprentissage, la connaissance
du travail mental et les petits secrets pour bien réussir à l’école »
«
J'ai découvert sur moi-même que je pouvais mieux faire les exercices en
réfléchissant mieux. Mais aussi de me mettre à la place de celui qui me lit. Ce
que j’ai découvert sur l’école, c’est que je n’écrirai plus pour moi ou pour le
professeur mais pour les autres. Ce qui va m’aider à grandir en autonomie est
que je me tourne vers les autres. Je sors du cocon de l’enfance. Je n’ai pas
envie de grandir mais je le ferai »
«
J’ai pu découvrir que je ne lisais pas assez bien les énoncés et que je pouvais
avoir une meilleure réflexion. J’ai découvert que, lorsque je m’exprime dans
une expression écrite ou à l’oral, je devais penser aux autres pour qu’ils me
comprennent et que je dois m’exprimer clairement »
«
J’ai découvert comment répondre à un problème et toutes les étapes qu’il faut
réaliser. Je me suis rendu compte que je ne savais pas lire un énoncé et qu’il
fallait y répondre après l’avoir lu »
«
Ce qui va m’aider à grandir en autonomie c’est de mieux m’exprimer pour moi,
mes camarades, mes professeurs et mes amis et à mieux me poser lors des
interros »
«
J’ai appris à être plus précise dans mes arguments et à me mettre à la place
des autres. Je pense que le fait de plus m’ouvrir aux autres m’aidera à
grandir. »
« J’ai
découvert qu’il y a plusieurs manières de lire auxquelles je n’étais pas
habitué, et aussi qu’il faut toujours lire les énoncés en entier et les mémoriser pour ne pas perdre de temps.
»
«
J’ai découvert que justifier n’était pas ce que je faisais, je fais toujours
les choses trop vite. Durant toutes ces années on a eu des tonnes de choses que
l’on a rabâchées mais qu’au final je ne sais plus, des « méthodes » qui
étaient des fois totalement fausses »
«
J’ai compris qu’il fallait que je me concentre plus sur les énoncés. Je suis
plus motivée à travailler. J’ai compris que l’école nous faisait grandir. »
«
J’ai découvert que les professeurs me donnaient les informations qu’il faut que
j’utilise pour me faire comprendre »
«
J’ai appris que je ne lisais pas correctement les énoncés et que j’étais
persuadée de tout savoir. J’ai appris comment mieux réfléchir. »
Et enfin ce dernier qui résume bien
tous les autres :
«
Ce stage a été très éprouvant car nous avons appris des choses très importantes
qui vont sûrement être dures à appliquer au début car ce ne sont pas encore des
habitudes. Je vais essayer dès demain de mettre certaines de ces règles en
application comme mettre les consignes dans ma tête pour gagner du temps, et faire
en sorte que les autres puissent comprendre ce que je dis ou que j’écris. »
Note : une expérience récente en psychologie a montré qu'il y avait autant de plaisir ressenti dans le cerveau de quelqu'un qui, ayant commis une erreur, est en mesure de la corriger seul ou avec l'aide de quelqu'un, qu'il y en a à donner immédiatement une bonne réponse. Ce résultat devrait encourager les professeurs à pratiquer cet accompagnement de la correction des erreurs, trop souvent laissé aux aléas de l'accompagnement familial.
Note : une expérience récente en psychologie a montré qu'il y avait autant de plaisir ressenti dans le cerveau de quelqu'un qui, ayant commis une erreur, est en mesure de la corriger seul ou avec l'aide de quelqu'un, qu'il y en a à donner immédiatement une bonne réponse. Ce résultat devrait encourager les professeurs à pratiquer cet accompagnement de la correction des erreurs, trop souvent laissé aux aléas de l'accompagnement familial.
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