« Parlons passion » diffusée par la CASDEN. Une professeur de SVT raconte comment elle a donné un conseil à l'une de ses élèves de 1° qui "travaillait beaucoup et n'arrivait pas à avoir de bonnes notes". Elle ajoute que ce conseil lui a permis de "doubler sa note". Quel est donc ce conseil "magique" ? Travaillez donc davantage ? Ayez plus de méthode ? Recopiez trois fois, répétez cinq fois votre leçon ? Non ! Elle lui a dit tout simplement « de se faire un petit film dans sa tête du texte qu'elle était en train de lire », ce qu'elle n'avait jamais pensé à faire d'elle-même. Et le professeur, modestement, déclare que ce n'est là qu'un « tout petit truc », semblant s'étonner de son efficacité. Notons au passage qu'elle aurait pu tout aussi bien conseiller à son élève de « se raconter ce que le texte voulait dire », par exemple. Il n'empêche, le conseil, bien que n'ouvrant qu'une seule voie de solution, est tout à fait judicieux.
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On voudrait féliciter chaudement ce professeur, d'abord de se pencher avec intérêt sur les élèves qui ne réussissent pas, ensuite de leur donner de si bons conseils. Pourtant, on aurait aussi envie de lui dire que, non Madame, ce n'est pas "un petit truc" que vous avez donné à votre élève, c'est beaucoup plus que cela : c'est une porte sur l'essentiel que vous lui avez ouverte. Une porte qui lui permet d'accéder à sa propre conscience, cette conscience que 60 ans de béhaviorisme a écartée des lieux d'apprentissage, avec tous les dégâts que l'on peut constater aujourd'hui dans notre école. Cette conscience qui est le lieu incontournable de toute compréhension, où s'élabore le sens du monde et de soi-même. Ce « petit truc », comme vous dites, est le seul chemin pour que cette élève accède à son "pouvoir être" un être humain, et non un animal réagissant instinctivement à ses émotions brutes ou à des stimulations venant de l'extérieur et des autres, y compris ses professeurs. Vous lui avez permis d'accéder à cette instance d'elle-même où le "sens est senti" en tant que tel, où l'être humain "sent qu'il sent" et s'en réjouit (source de la motivation intrinsèque), ce qui le distingue radicalement de l'animal qui, lui, se contente de sentir au premier degré (c'est vrai que c'est un être doué de sensibilité, comme cela est actuellement en débat en d'autres lieux, mais il ne peut aller plus loin que ce senti-réaction). Par cette capacité de "sentir le sens", l'être humain peut adapter librement sa conduite et son comportement, et ainsi échapper au déterminisme des réactions instinctives et strictement émotionnelles que nous partageons avec d'autres créatures. Il peut aussi entrer dans l'univers sans limite de la temporalité, ce qu'il est seul à pouvoir faire. Et accéder à toutes les "fonctions cognitives supérieures" qui sont à sa disposition : anticiper, raisonner, analyser, réfléchir, transposer ses émotions en sentiments et les exprimer, selon ses besoins, ses intérêts, les buts qu'il choisit librement. Vous avez guidé votre élève hors de la dépendance dans laquelle la maintenait l'ignorance de sa conscience et de la manière de l'utiliser. Vous le voyez, loin d'être un "petit truc", votre conseil n'est-il pas le "talisman" que tout éducateur devrait donner à ceux qu'il éduque ? ( "éduquer" = mener hors de. Hors de la dépendance, particulièrement)
Alors, si c'est ainsi, Madame, que vous envisagez votre mission, non seulement il faut vous féliciter, mais il faut aussi vous donner en exemple à tous les enseignants de France, à qui cette dimension de leurs élèves échappe trop souvent.
Il faut ajouter toutefois une petite remarque. Si vous êtes tellement étonnée de l'efficacité de votre "petit truc", c'est que vous ignorez sur quoi repose cette efficacité. Vous ignorez ce que vous avez touché chez cette élève. Et cette ignorance vous amène à imaginer des raisons extérieures à ce succès : comme vous le dîtes : "ce qui les touche, c'est qu'un professeur leur accorde une heure de son temps pour travailler avec eux, et que s'il le fait, c'est qu'il y croit" et vous ajoutez "avec l'expérience je crois que c'est un facteur important de la réussite de ces entretiens". J'ai, moi aussi, une certaine expérience de ce genre d'entretien que j'ai pratiqué abondamment dans toute ma carrière. Je sais tout l'intérêt qu'il y a à manifester de l'intérêt à la personne de chacun de nos élèves et les effets toujours positifs de ce type de relation. Mais ayant eu l'occasion d'expérimenter, dans un tel contexte de proximité affective, plusieurs contenus à mon aide individuelle, je peux vous assurer que la plus efficace est bien celle qui vise et suscite explicitement la vie mentale intérieure des élèves. Et j'en connais la raison : la sollicitation de la conscience connaissante toujours prête à s'exprimer pour peu qu'on la sollicite. Il est évident qu'un contexte positif est un élément facilitateur de cette efficacité ; mais on peut dire tout aussi bien qu'il est la conséquence de ce que l'élève est reconnaissant à son professeur de lui avoir permis d'exploiter ses capacités propres. On retrouve ici les recommandations d'Antoine de la Garanderie dans Pédagogie de l'Entraide, p.37 : « Beaucoup d’élèves ne démarrent pas, faute de connaître les instruments pédagogiques dont ils doivent se servir, ni les modes de leur usage. … L’élève manque d’assurance quand on lui demande de s’emparer d’un objet de connaissance, alors qu’on lui laisse ignorer avec quoi il peut le faire ». Et aussi p. 36 : « La réflexion, l’attention, la mémoire, etc. s’enseignent. Ce sont des valeurs culturelles et non pas seulement naturelles. 4 - Les actes qui mènent à la connaissance s’enseignent. Dans PE p.37 : « Beaucoup d’élèves ne démarrent pas, faute de connaître les instruments pédagogiques dont ils doivent se servir, ni les modes de leur usage. … L’élève manque d’assurance quand on lui demande de s’emparer d’un objet de connaissance, alors qu’on lui laisse ignorer avec quoi il peut le faire ». Et aussi p. 36 : « La réflexion, l’attention, la mémoire, etc. s’enseignent. Ce sont des valeurs culturelles et non pas seulement naturelles. Trop souvent on a voilé une carence pédagogique sous le manteau de la lacune mentale, moyen commode de se dispenser d’un effort d’élucidation pédagogique. N’est-il pas curieux qu’on puisse se référer sans cesse à ces concepts principaux que nous venons d’énumérer et ne jamais les caractériser, encore moins les définir ? Réfléchissez donc, dit le maître. Et si l’élève demandait : « qu’est-ce que ça veut dire réfléchir ? » Ou encore : « comment faire attention ? Comment faire pour apprendre et retenir ? Comment faire pour comprendre ? » Le pédagogue hanté par le souci de l’acquisition du programme s’est fort peu penché sur le discernement des moyens. Il s’est attaché, presque exclusivement, à l’objet du connaître. Le pédagogue a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »N’est-il pas curieux qu’on puisse se référer sans cesse à ces concepts principaux que nous venons d’énumérer et ne jamais les caractériser, encore moins les définir ? Réfléchissez donc, dit le maître. Et si l’élève demandait : « qu’est-ce que ça veut dire réfléchir ? » Ou encore : « comment faire attention ? Comment faire pour apprendre et retenir ? Comment faire pour comprendre ? » Le pédagogue hanté par le souci de l’acquisition du programme s’est fort peu penché sur le discernement des moyens. Il s’est attaché, presque exclusivement, à l’objet du connaître. Le pédagogue a les mains pures, mais il n’a pas de mains. » Eh ! Oui, Madame ! Les actes qui mènent à la connaissance s’enseignent. Mais on n'a pas jugé bon de vous transmettre ces "vieilleries dépassées" au temps de votre formation ! Cela n'enlève rien aux compliments précédents. Juste un petit conseil à mon tour : et si, à défaut des nombreux ouvrages d'Antoine de LA GARANDERIE lui-même, vous lisiez le livre "Accompagner le travail des adolescents..." ? C'est juste ce dont vous avez besoin pour rendre encore plus efficaces le temps que vous accordez si généreusement à vos élèves.
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