vendredi 24 mai 2013

63 - Comment transmettre les bienfaits de la Gestion mentale au plus grand nombre ?

Cette première partie de 2013 aura été pour Pégase une période riche et très diversifiée.

Après une conférence dans un collège public proche d'Avranches (Pégase ne craint pas les courses lointaines…), retour à Bordeaux pour la suite de la formation (deux jours, après trois jours en Novembre) de l'équipe d'enseignants de la Seconde spéciale dont j'ai débuté l'accompagnement cette année dans un grand lycée général. Ensuite, troisième stage de l’année avec la classe de seconde méthodo de Toulouse autour du geste de compréhension et de l'autonomie dans le travail intellectuel. Puis nouvelle escapade nordique pour une conférence pour un public très diversifié à l'invitation du Réseau Accompagnement à la Scolarité de la MJC d’Elbeuf en partenariat avec le Réseau d'Éducation Prioritaire local. À l'occasion de ce déplacement, j'ai  rencontré (un peu moins de 2 h chacune) deux classes de troisième d'un collège ECLAIR (1),  à l'invitation d'un professeur qui utilise systématiquement la gestion mentale dans son enseignement, avec les encouragements de son inspectrice. Nouvelle conférence pour l'Association des Cadres Educatifs aquitains. Puis trois jours de stage avec les élèves de la Seconde bordelaise en présence de leurs enseignants, et enfin une journée avec une quarantaine d’élèves volontaires de Terminale (toutes sections générales et technologiques) de ce même lycée, le premier jour des vacances de printemps.

 De la simple conférence pour adultes à plusieurs journées de stage, pour des enseignants ou pour des élèves, en passant par deux petites heures avec des élèves réputés (et réellement…) en difficulté, tout comme ceux de la journée avec les Terminales, à quelques semaines du bachot… Peut-on imaginer géométrie plus variable pour notre monture ailée ? Pendant cette période riche en interventions devant des publics très différents, j'ai pu vérifier une fois encore la pertinence de notre Gestion mentale ainsi que la souplesse de la présentation qu'en permet Pégase.

 Bien sûr, en plus des animations visuelles du Power-Point (schémas animés, rouages, tableaux divers…), toutes ces présentations sont ponctuées d'exemples et d’exercices, de quelques uns en conférence rapidement exploités, à des séries plus étoffées dans les stages, toujours suivis de dialogues pédagogiques collectifs de durée variable. La méthode inductive, la « connaissance par l’expérience » et "la preuve par soi" sont toujours la base de la découverte de la GM. Nous sommes bien là dans la «pédagogie éducative » telle que définie par Antoine de LA GRANDERIE (ADLG) dans le chapitre 6 de « Renforcer l’éveil au sens » (p. 83) : l’éclairage donné à l’élève sur les forces qu’il détient et dont il ne soupçonne pas l’existence (2) . Pégase permet donc, malgré les contraintes de temps, de renseigner directement les élèves sur les capacités que détiennent (leurs) activités sensorielles, tout en leur indiquant comment les utiliser dans des projets d’actes aussi conformes que possible aux réalités de leur scolarité. On verra dans leurs témoignages qu’ils emploient à peu près les mêmes mots qu’ADLG pour constater (et déplorer) avec lui que cela n’est jamais ou trop, trop peu souvent, proposé à l’enfant pour qu’il en fasse son profit. 

 Mais j'entends déjà les critiques : peut-on prétendre diffuser ainsi la gestion mentale et la mettre à la disposition du plus grand nombre en aussi peu de temps ? Ne s'agit-il pas d'un « placage » superficiel au détriment de la prise en compte de la gestion mentale de chacun ? N'est-ce pas réducteur et donc dangereux pour la compréhension en finesse d'une approche aussi riche et complexe de l'activité mentale ?

 C'est bien là le problème. Il peut s'énoncer en trois points :
a/ présenter la gestion mentale, dans un temps toujours trop court, et ce de façon suffisamment complète pour ne pas laisser les auditeurs ou les stagiaires « au milieu du gué » par une approche tronquée (évoquer/réactiver/restituer… et quoi après ?) de l'activité mentale ,
b/ en même temps leur permettre de prendre conscience, et si possible d'ébranler et de faire évoluer leurs représentations erronées ou "trop courtes" des enjeux scolaires,
c/ tout en leur permettant de découvrir les potentialités individuelles et la manière de les ajuster à ces enjeux désormais mieux repérés.

En effet, il y a déjà longtemps,  je me suis rendu compte que, tout au moins dans le cadre scolaire, la gestion mentale s'épuisait trop souvent à proposer un éclairage sur le potentiel individuel des élèves…, alors même qu’ils ignoraient ou se trompaient lourdement sur les objectifs au service desquels ils tentaient de mobiliser ces capacités mieux reconnues… mais qui restaient du coup trop souvent inefficaces, difficilement transférables…. Avec les déceptions qui ne manquaient pas d’en découler. Quel effet durable pourrait bien avoir une formation à la GM sur des élèves qui resteraient persuadés au fond d’eux-mêmes que le seul objectif de l’Ecole serait de restituer fidèlement au professeur les savoirs reçus de lui ? « Tu sais ta leçon, donc tu dois pouvoir réussir ce contrôle, cet examen… Si tu n’y réussis pas, c’est donc que tu n’as pas travaillé ou alors que tes limites sont atteintes… ! » 

Quant aux professeurs, leur proposer, avec quelque chance d’effets durables, un regard aussi individualisé sur leurs élèves, tout en interrogeant, quitte à les déstabiliser quelque peu, leur expérience (leurs propres études, leurs années d’université ou d'enseignement…) et leur modèle pédagogique de référence (le vase vide à remplir..., la pâte à modeler..., l'évaluation de la seule restitution (3)... ) qui sous-tendent inconsciemment leurs pratiques  ) … et ce dans l’état actuel de leur formation initiale ou continue… c’est quasi mission impossible…. Est-il raisonnable d'envisager qu’afin que la gestion mentale soit largement utilisée par les enseignants, il leur faille passer plusieurs années en formation ? Mais alors, comment leur présenter cette approche si particulière de la connaissance de façon utilisable, sans déformation majeure, dans les futures Ecoles Supérieures du Professorat et de l'Education (E.S.P.E) quelles que soient leurs appellations à venir ? Sans compter la nouvelle concurrence de la « neuropédagogie », tellement à la mode depuis quelque temps… et relativement plus facile à proposer, sinon à utiliser...

Par ailleurs, la Gestion mentale possède deux visages.  D'un coté, une description détaillée des particularités individuelles à l’œuvre dans l’accès à la connaissance : les projets de sens personnels ; de l'autre, un « modèle » de l’apprentissage à base de « lois de la vie mentale » communes à tous et qui constituent les actes de connaissance : les gestes mentaux. Le premier permet à chacun de nous de trouver le sens de son être dans son rapport avec le monde et de le développer, le second de mieux comprendre le sens des études et de s'y réaliser pleinement. Les deux sont étroitement liés, complémentaires. C’est cette complémentarité essentielle, cet équilibre  qu’il s’agit de préserver.

C'est donc pour tenter de résoudre le problème d’une diffusion tenant compte des contraintes de temps, sans détruire ce fragile équilibre, que j'ai imaginé le « modèle » Pégase (4) . Depuis une bonne vingtaine d'années maintenant, il constitue le fil rouge de toutes mes formations, de tous mes stages, et de tous mes entretiens. J’accompagne des équipes de professeurs sur plusieurs années consécutives et je peux constater leur évolution. Elle est réelle. Parallèlement, je parviens à suivre l’évolution de certains des jeunes avec qui j’ai travaillé. Ils réussissent ( et pas seulement scolairement !) de façon satisfaisante… bien plus qu’ils ne l’espéraient avant les stages. J'ai soigneusement enregistré les évaluations formulées par toutes les personnes, enseignants, parents, jeunes eux-mêmes, avec qui j’ai utilisé ce modèle. S’il ne s’agit pas de statistiques scientifiques au sens strict, il s'agit tout de même de plusieurs centaines de témoignages, toujours anonymes pour éviter tous biais de manque de sincérité. Je peux compter sur les doigts de mes deux mains ceux qui contiennent quelques réserves… Mais aucun n'est complètement hostile. J'en ai déjà publié un certain nombre dans « Accompagner… » et dans certains messages de ce blog. Au vu de tous ces résultats et évaluations directes, je peux avancer l’idée que ce « modèle », loin d’être « plaqué », ce qui à coup sûr serait source d’inefficacité et de rejet, produit bien chez jeunes et adultes les effets attendus de la gestion mentale.

J'ai bien sûr récolté une nouvelle moisson de réactions depuis le début de cette année. On retrouve dans les témoignages des élèves les habituels « j'ai repris confiance en moi », « je suis plus motivé(e) pour mon travail », « Ah ! Si j'avais su ça plus tôt »… Mais il y a parfois des détails plus révélateurs de ce qui s'est passé en eux.  Les retours des enseignants sont plus variés et approfondis après les deux sessions de formation (j'avais animé une première journée avec les élèves en présence des stagiaires adultes, pour leur montrer la manière d'utiliser certains des éléments transmis). J'extraie quelques passages de ces évaluations, qui présentent quelques notes plus révélatrices.

 Enseignants de la classe de Seconde spéciale, auxquels s'étaient joints quelques collègues de collège et de primaire :

« Cinq jours très enrichissants pour plusieurs raisons :
- j'ai pu approfondir la découverte de la gestion mentale,
- réflexion sur mes habitudes de travail et d'enseignement,
- pistes pour utiliser Pégase en classe avec les secondes mais aussi avec les collégiens,
- je vais me recentrer sur mon rôle de « facilitateur d'apprentissage » qui est parfois laissé de côté (temps, programmes). Je considérais déjà que chaque élève était capable (par la plasticité de son cerveau) de réussir. Le fait de travailler à partir de cela dans une équipe entière, de se former pour développer cette approche était une attente de ma part. C'est maintenant fait ! Merci ! »

« Le stage, le contenu des jours où on était entre nous aussi bien que la journée avec les élèves, a répondu complètement à mes attentes. J'ai compris ce que vous présentiez, je cherchais à y mettre un sens et je pensais à des réutilisations pratiques avec les élèves. Je me sens très stimulée, encore plus enthousiaste. À chaque fois que j'avais des doutes, je posais des questions auxquelles je recevais des réponses claires qui faisaient sens pour moi, donc je ne me sens pas déboussolée. »

« J'étais déstabilisée par la première partie de formation. J'ai trouvé cela très positif et c'est ce que j'attendais de cette formation : une remise en question de mes pratiques. Avec le temps on «ronronne», on fait ce que l'on sait faire, on connaît nos points forts et on contourne nos points faibles. Cette formation m'a ouvert les yeux, m'a fait bouger. »

« Après cette formation, je ressens un ensemble de chocs suite à un sentiment de tremblement de terre. Certains acquis retrouvent leur place. Par exemple, l'importance du « pourquoi » dans la compréhension. Je savais déjà l'importance de cette motivation, mais après la formation je ressens encore mieux sa nécessité. Je trouve que les schémas sont passionnants ainsi que les exemples car ils concrétisent et favorisent la mémorisation et la visualisation de l'apprentissage. »

« Pour l'instant tout reste encore un peu confus et je ne sais pas ce qu'il en restera dans quelques mois. Cependant, je retiens l'importance essentielle de préciser le sens de  l’enseignement et le projet de l’élève. Je travaillerai donc d'abord dans ce « sens »,  en essayant de ne pas me faire trop vite rattraper par les considérations parasites que sont les programmes à finir, les notes, être un bon prof… J'ai apprécié que vous vous mettiez en situation avec les élèves, c'est un risque que prennent peu de formateurs. »

Classes de 3° ECLAIR  (témoignages oraux en cours d’un travail d’1 heure trente environ. Je leur ai présenté et fait vivre, avec des schémas et des exercices adaptés, les trois grands "moments" de leur "métier d'élève": comprendre les informations reçues en classe, les conserver durablement, les retrouver "au bon moment" dans les contrôles).

Hamza : « je me rappelle, un jour en sortant de classe, je savais tout. Sans le faire exprès, j'avais fait dans ma tête ce que vous venez de nous montrer. C'est vrai que ça marche ! ».

Soukaina : « j'ai réalisé que je peux faire des schémas dans ma tête pour mieux comprendre. Ça va beaucoup m'aider. »

Princeton (témoignage extra-scolaire sollicité par moi pour introduire le geste de mémorisation) : « Je me souviens, au football, notre entraîneur nous a montré comment il fallait se placer pour recevoir le ballon et pour pouvoir le passer à nos camarades. J'écoutais ce qu'il disait et en même temps j'imaginais que je le faisais sur le terrain dans le prochain match. » Outre l'essence même du geste mental de mémorisation (vivre son avenir de réemploi dans son présent d'apprentissage), ce jeune nous fournit une excellente métaphore  du  juste "positionnement" de l''élève : recevoir et "traiter" des objets de savoir en les destinant par avance à des utilisations futures et à une bonne communication avec "les autres" en bout de chaîne... On a là en réduction toute la dynamique de Pégase. Merci Princeton pour cette image très révélatrice du véritable "sens du jeu scolaire" ! Sans le savoir clairement, ces jeunes possèdent en eux les moyens de leur propre réussite : les forces qu’il détien(nen)t et dont il(s) ne soupçonne(nt) pas l’existence. Encore faut-il les aider à s'en rendre compte... sans trop compter sur le hasard. Cela ne contribue-t-il pas fortement à une meilleure égalité des chances ?

Classe de Seconde de Lycée général à Bordeaux, après trois jours et demi autour de Pégase (quelques témoignages écrits, anonymes et particulièrement représentatifs sur une trentaine ) :

 « Si j’avais su cela avant, j’aurais sûrement mieux réussi mon collège ». 

 « Cela fait plusieurs mois que je me posais énormément de questions. J'ai enfin toutes les réponses. Tout ce que j'ai appris durant ces trois jours me servira beaucoup. Je me sens bouleversée, je ne pensais pas que d'autres personnes se posaient les mêmes questions, par exemple : pourquoi y a-t-il des élèves qui réussissent et d'autres non ? Pourquoi apprendre sans comprendre ? Ce stage est précieux et tout le monde devrait le faire. » 

 « Aujourd'hui, j'ai appris beaucoup de choses sur mon cerveau, sur sa capacité à emmagasiner les choses. Cette formation de gestion mentale était bien. On a fait beaucoup d'exercices et c'est ce qui nous a permis de mieux comprendre ce que vous disiez. » 

 « Je pense que la formation s'est révélée utile en ce qui concerne le fonctionnement personnel de notre cerveau et les problèmes ou les mauvaises habitudes prises par lui, par exemple pour apprendre les leçons. » 

 « Après (cette) formation avec vous, je suis contente d'avoir pu mettre des mots, des phrases sur mes raisonnements, d’avoir pris conscience de ce que je fais au lycée. Je pense que cette année j'avais déjà trouvé mon système d'apprentissage, mais vous m'avez aidé à en donner le sens. » 

Volontaires de Terminale après une journée (quelques-unes des évaluations écrites anonymes):

« Cette journée a été très intéressante. En effet, durant notre scolarité de nombreux conseils nous sont donnés mais en désordre et non expliqués. Je trouve ça inutile, autant ne rien dire. Cette journée permet de structurer notre tête, cela est plutôt pas mal. » 

 « Pour moi, cette journée m'a permis de découvrir les outils de la réflexion. Cette journée, je pense, a été nécessaire et aurait dû être faite plus tôt. J'aurais aimé qu'elle soit plus longue mais je suis très contente d'y avoir participé et de m'avoir ouvert les yeux sur mes erreurs que je vais éviter de refaire. » 

 « Cette journée a été très intéressante car cela m'a appris comment vraiment travailler, avec quelles méthodes et quels outils de réflexion, chose que nous n'avons jamais appris auparavant, ce qui est bien dommage.» 

 « C'était vraiment sympa et enrichissant. Le travail sur la réflexion de comment fonctionne la mémoire a été intéressant car on ne nous explique pas cela dans l'éducation moderne. » 

 « Aujourd'hui, j'ai trouvé cette formation très intéressante car j'ai pu apprendre beaucoup sur la manière de travailler et je me suis rendu compte que finalement avec des méthodes (les évocations) que l'on connaît mais qu'on ne met pas en pratique, ou qu'on ne prend pas le temps de mettre en pratique, cela devient beaucoup plus simple. Grâce à vos explications, je vais pouvoir mettre en pratique pendant les cours du lycée mais aussi pour plus tard car maintenant que je sais, ça me servira toute ma vie.» 

 Et enfin celui-ci qui me touche plus personnellement : « Cette journée a été très intéressante. Elle m'a permis de mieux comprendre comment appréhender les différents problèmes et comment bien réfléchir : ce que l'enseignement oublie de nous apprendre. Je vais réutiliser votre schéma sur la compréhension des énoncés et les problématiques, je vais aussi essayer d'utiliser la technique de se remémorer le travail fait en fin d'heure. Merci de votre intervention, continuez comme cela, il faut plus de gens comme vous ! »

 Même si je sais bien que "Pégase", bien qu'approuvé et encouragé par ADLG (5),  n’est pas le tout de la Gestion mentale, au moins permet-il de la proposer à des cercles élargis du coté du monde scolaire, avec des résultats probants, et surtout, il donne envie à ceux qui y ont goûté d’aller plus loin. Finalement, n'est-ce pas ce qu'on lui demande ?

Notes. 
(1) réseau ECLAIR : Ecole Collège Lycée Ambition Innovation Réussite.

(2) Bien plus que les exercices (en formation) ou les tâches (en classe) auxquels on invite les élèves et qu’ils faut bien sûr choisir avec soin , ce qui compte vraiment pour la bonne transmission de la GM comme pour celle des contenus scolaires, c’est la manière dont on amène les jeunes (tout comme les adultes…) à « abstraire » du concret de ce qu’ils viennent de faire, l’enseignement qui y est contenu, les structures mentales qu’ils ont investies dans leur travail et qu’ils peuvent faire revenir à leur conscience : leurs forces insoupçonnées. C’est là le rôle du Dialogue Pédagogique, collectif en stage ou conférence, individuel en entretien, qui doit toujours suivre ces moments d’activité. Et c’est la seule manière de pratiquer cette « pédagogie éducative » dont Pégase se réclame explicitement.

 (3) Voir message 24 et page spéciale :"Pédagogie du sens, sens de la pédagogie"

(4) … et non la « méthode » Pégase comme je l'entends ou le lis parfois… Cette déformation linguistique n'est pas neutre ! Un modèle permet de rendre compte d'une façon simple d’une réalité complexe, ce qui est bien le cas de la Gestion mentale. Simplification n'est pas simplisme ni réduction. Une méthode se rapproche davantage d’une procédure à mettre en œuvre… sans forcément en connaître les dessous et les enjeux réels. Dans "Accompagner..." j'ai effectivement donné des pistes d'application des concepts de la Gestion Mentale, mais ces "comment peut-on faire" n'étaient que des exemples et ils complétaient toujours des explications détaillées du "pourquoi" et du "pour quoi le faire" de ces procédures.

(5) La belle préface écrite par Antoine de LA GARANDERIE  pour  "Accompagner..." , livre  dans lequel Pégase est présenté de façon très détaillée, ne laisse guère de doute sur cette approbation tout à fait explicite.

lundi 4 mars 2013

62 - Pauses structurantes, pauses évocatives, rythmes d’apprentissage.



A l’heure où les partenaires de l’éducation s’affrontent autour du serpent de mer des rythmes scolaires et où la « pause méridienne » fait débat dans les salles de professeurs, on peut s’interroger : la question des rythmes d’apprentissage doit-elle concerner seulement les pauses à ménager entre les temps de travail ou se poser aussi au cœur du temps de travail lui-même ?

Dans mon  message 24 à propos de la « pédagogie du sens » j'écrivais : « À  l'école... il s’agit alors de préparer les jeunes générations à affronter les flux d’informations de toutes sortes dont ils sont bombardés en permanence, de procéder à leur interprétation réflexive (en leur laissant le temps de cette activité toute subjective) …». Arrêtons-nous sur ce temps nécessaire à cette interprétation, source de sens. Quelles en sont les conditions cérébrales et mentales, comment l’organiser pour lui assurer sa meilleure efficacité ?

Les pauses structurantes.

Il y a une quinzaine d'années, une expérience menée en laboratoire sur des rats faisait apparaître le bénéfice pour la mémoire d’un temps de repos suivant un apprentissage. Deux groupes de rats A et B étaient mis dans une même situation d’ « apprentissage » : dans un labyrinthe trouver l’itinéraire pour atteindre des graines. Le groupe A était ensuite mis  au repos alors que le cerveau des rats du groupe B était stimulé par de légères  impulsions électriques (semblables à l’influx nerveux). Quelque temps après, on remettait les deux groupes dans la même situation. Le groupe A retrouvait l'itinéraire appris avec un très faible pourcentage d'erreur. Le groupe B, semblant avoir tout oublié, recommençait  l'apprentissage à partir de zéro.

Plus récemment, une expérience assez concordante a été menée à l'université de Liège, mais cette fois avec des humains. Un groupe de 36 volontaires des deux sexes a été invité à visionner une liste d'une centaine de mots dont certains seulement étaient à retenir. L’activité du cerveau des « cobayes » était enregistrée (IRMf)  pendant l'expérience, ce qui a permis d’observer une activité plus importante de  l'hippocampe selon que le mot était à retenir ou non. Ensuite, la moitié de ces personnes a bénéficié d'une nuit de sommeil normal, les autres restant éveillées toute la nuit, occupées avec des jeux de société ou des visionnages de films. Trois jours plus tard l'ensemble a été de nouveau convoqué.  On a demandé à tous les participants de repérer dans la même liste les mots dont ils devaient se souvenir et ceux qu'ils avaient pour mission d'oublier. Les personnes qui n'avaient pas pu dormir se sont très mal sorties de l'épreuve « confondant beaucoup  les deux catégories de mots et se caractérisant surtout par un large excédent de ceux retenus alors qu’ils auraient dû ne pas l’être ».  

Outre le rôle de l'hippocampe et du sommeil dans la constitution des souvenirs, cette  chercheuse, Géraldine Rauchs, confirme par cette expérience que la faculté d'oubli est essentielle à la structuration de la mémoire et qu’elle s’opère durant des moments de repos ou de pause, lorsque le cerveau est moins sollicité.  Je cite la fin de l’article : ‘’Elle en tire un conseil précieux à l’usage des étudiants : avant l’examen, mieux vaut dormir que de passer une nuit blanche en révisions de dernière minute « car les connaissances trop fraîches, encombrées de souvenirs inutiles, ne peuvent que nuire à l’esprit de synthèse »’’. Nous traduirions, en gestion mentale, qu’elles nuisent à l’exercice de la compréhension approfondie et de la réflexion, activités dont nous savons qu'elles nécessitent  interprétation et discernement, qu’elles s’effectuent dans la durée moyenne ou longue et sont donc toujours consommatrices de temps.  C'est là une expérience familière à tous les accompagnateurs du travail scolaire. Si l'on interroge les élèves  aussitôt après une phase d’apprentissage, ils éprouvent généralement de la difficulté pour en témoigner de façon organisée. Au bout de quelques minutes, le témoignage apparaît déjà plus structuré. Alors après une bonne nuit… ! Les chercheurs appellent ce temps de prise de recul, de maturation cérébrale et purement biologique,  involontaire et non consciente, une « pause structurante ».

On pourrait rapprocher ce type de pauses des « vacuoles » préconisées par Yves citton [2] et qu'il définit ainsi : « Il faut avoir de la place (vide) et du temps (disponible) pour se livrer au travail d'interprétation inventrice qui est au cœur de la production du nouveau. » Ces temps de silence[3] et de recueillement, où l’activité est suspendue,  ménagés hors de la circulation incessante de données, du flux ininterrompu d'informations qui empêche la réflexion, sont à ses yeux indispensables. « Tout autant que de permettre que ça communique, l'impératif est de s'assurer que ça ne communique pas partout et tout le temps : il relève d'une exigence à la fois intellectuelle et politique qu'on puisse bloquer la communication, s’en protéger, se retirer au sein d'une vacuole qui soit hors d'atteinte des flux de sollicitations, de stimulations et de demandes variées. » Ce que cet auteur dit de la surcommunication peut aussi bien s’appliquer à la suractivité extérieure et accaparante, le « faire pour faire »,  le « nez dans le guidon »,  qui a besoin elle aussi de moments d’inactivité extérieure apparente,  d’évaluation de l’action passée et d’anticipation réfléchie d’une action plus pertinente, mieux ajustée à la réalité…

La découverte des pauses structurantes et la nécessité reconnue des vacuoles semblent donc confirmer la nécessité de ménager des temps de « vacance » séparant les séquences d’apprentissage et influant légitimement sur le choix des rythmes scolaires. Elles sont d'ailleurs corroborées par la découverte du "mode par défaut" mis en avant par Francis Eustache, circuit cérébral indépendant mis en route dans la rêverie, la pensée flottante, et particulièrement propice à la créativité ! Pour autant, sont-elles les seules à devoir être prises en compte ?

Les pauses évocatives

Mieux encore que des vacuoles, des pauses structurantes ou même le mode par défaut, au contenu non précisé et le plus souvent non conscient, Antoine de LA GARANDERIE  préconise des moments de pleine activité intérieure, tout-à-fait consciente elle : les « pauses évocatives ». Toutefois ces pauses sont à ménager au sein même des séances d'apprentissage et plus seulement entre elles. De quelle activité s’agit-il donc ?

Pour faire comprendre  aux élèves le  mécanisme de l’oubli dont on a vu plus haut la nécessité concernant les informations inutiles ou parasites « nuisant à l’activité de synthèse », j'utilise une métaphore : la mémoire agit comme une ménagère exigeante qui ferait constamment du ménage et du rangement dans notre cerveau, dès que cesse l’activité consciente (de veille), notamment la nuit. Elle semble nous demander alors : « Ce souvenir est-il important,  est-il à conserver,  est-il destiné à quelque chose de précis ? Où  et comment dois-je le classer ? » Si elle ne reçoit pas de réponse, positive et assez précise, le souvenir est détruit. Principe d’économie ! Mais comment peut-elle savoir qu'un souvenir est important  et comment elle doit le classer ? Parce qu'il est associé à une situation de réemploi. Notre réponse pourrait être : « Oui, il faut le garder,  il me servira à telle action plus tard ». Cette association entre une connaissance et son avenir de réemploi, construite, consciemment ou non,  par la personne au moment de son apprentissage, constitue  l’« étiquette » et l’ « adresse » du souvenir qui facilitent son classement et son rappel au bon moment.  Autrement dit, une information qui n'est pas encadrée par un projet précis de réemploi a toute chance de ne pas être conservée longtemps, ni rappelée convenablement quand bien même elle aurait été en partie comprise, et même automatiquement stockée, au moment de sa réception.

Praticiens de la gestion mentale,  avant toute action d’apprentissage, nous invitons les élèves, à prendre le temps,  et nous leur accordons ce temps, de se mettre en projet, c’est-à-dire d’anticiper par l’imagination aussi bien le but qu’ils vont essayer d’atteindre (déduit de l’analyse de la consigne ou de l’ « objectif » annoncé) que les meilleurs moyens pour eux d’y arriver, et au-delà, l'emploi futur qui pourrait être fait de ce qu'ils auront ainsi appris. Mais nous leur proposons aussi, après l’action, qu’elle soit ou non couronnée de succès, de  pratiquer des retours  volontaires et conscients sur ce qui vient d'être fait pour en recueillir le « contenu d’évocations ». Ces moments d’activité purement mentale, au cours desquels les actions physiques externes sont comme « suspendues »,  nous les appelons des « pauses évocatives ». Tous les professeurs ou formateurs qui font pratiquer ce genre de pauses par leurs élèves sont surpris par la qualité, la densité, la profondeur du silence qui s'installe alors dans la salle. Au point que certains émettent l'hypothèse que l'énergie dégagée par les ondes cérébrales produites par ce moment d'intense activité neuronale collective pourrait être mesurée par les instruments actuellement à la disposition des scientifiques… Quel chercheur serait disposé à mener une expérience dans ce sens ?

Ce qui vient d'être « tenu » par l’attention et la compréhension est ainsi appelé à être revisité, réactivé, « tenu une deuxième fois », c'est-à-dire « re-tenu », et intégré dans le cadre d'un projet de réemploi, qu’il est nécessaire de rappeler (ou de former ... il n'est jamais trop tard !) à ce moment-là. C’est cette intégration, cette projection dans un avenir dûment imaginé d'utilisation de ce tenu-retenu, qui constitue véritablement l’acte ou le geste de mémorisation. Sans trop savoir si c'est l'hippocampe ou non  qui est en jeu (mais c'est bien lui !), nous  permettons ainsi aux élèves, dans une première « réactivation »[4], de stabiliser biologiquement la trace neurale de ce qu’ils viennent de « mettre dans leur tête », c’est-à-dire des informations qu’ils viennent de traiter « en évocation » pour accéder à leur compréhension. Mais nous leur permettons aussi, sur ce qui est désormais pour eux « une connaissance », d’apposer une étiquette « à conserver » qui permettra de la classer dans leur mémoire (sémantique) à long terme, ainsi que l’« adresse » nécessaire pour la  retrouver au moment opportun dans l'avenir qu’ils ont anticipé et où elle sera déjà là, arrivée avant eux, par la force de la pensée, au temps et au lieu de sa réutilisation. Encore mieux que Chronopost !

Après une séance d’apprentissage menée de cette manière, il est bon que le cerveau des élèves connaisse un temps de repos, ce qui d'habitude est le rôle dévolu aux inter- cours ou aux récréations… qui n'ont pas vocation à remplacer les moments de pause évocative, sauf peut-être chez certains (bons ?) élèves que l’on voit alors se recueillir, s'ils n'ont pas pu le faire pendant le cours précédent, pendant que leurs camarades « s’éclatent » dans des jeux plus ou moins violents… et oublient la plus grande part de ce qu’ils viennent d’apprendre (?), aussi bien l’inutile que l’utile !

En alternant ainsi des pauses évocatives et des pauses structurantes, les élèves auront  de bonnes chances d’avoir leur mémoire au mieux de sa forme, et cela dans le temps même où ils sont présents à l'école, au collège ou au lycée plutôt que de renvoyer ce travail de stabilisation et de structuration de la mémoire aux aléas des activités périscolaires (utiles, mais pour d’autres raisons) ou du travail du soir à la maison.  A l’inverse, on peut facilement imaginer l’état de la mémoire d’élèves qui « apprennent » (?)  sans projet précis, ou avec des projets faux ou trop courts, jamais explicités ni donc corrigés, à qui on ne donne pas durant les cours le temps de se « poser » pour évoquer et re-évoquer, et qui sont sollicités sans véritables pauses, ni structurantes  ni évocatives, pendant  6 heures et plus par jour…  Heureusement il leur reste les nuits…. quand, adolescents, ils pensent à se ménager des temps suffisants de sommeil… Mais sans des réactivations systématiques dans la journée précédente, le sommeil ne suffira probablement pas à lui seul à organiser des souvenirs, quand bien même ils auraient survécu jusque-là,  qui n'auraient pas été spécifiquement constitués auparavant.

Il est donc surement légitime et nécessaire de réfléchir aux rythmes scolaires et de les adapter aux réalités désormais mieux connues de l’activité biologique des élèves.  Mais on ne peut se contenter de décider du rythme et de la durée des pauses à ménager entre les séquences d’apprentissage, courtes ou longues.  A défaut de se préoccuper aussi du rythme à donner aux séances d’apprentissage elles-mêmes, à l'activité mentale des élèves à accompagner,  notre remontée dans les enquêtes  internationales de toutes sortes ne sera pas pour bientôt.


[2].  Yves CITTON enseigne la littérature française à l'université Stendhal-Grenoble. Il est l’auteur de nombreux livres et de articles consacrés à une réflexion large et profonde sur la modernité occidentale, se situant à l’articulation entre une lecture des textes du XVIIIe siècle et des questions de philosophie politique contemporaine. Les citations utilisées dans ce message sont tirées de son ouvrage "L'avenir des humanités (Economie de la connaissance ou cultures de l'interprétation ?) Éditions La Découverte 2010. Il y décrit les conditions de l'interprétation, indispensable à l’être humain pour ne pas être submergé par les "autoroutes de l'information" de la révolution numérique. Pour lui, l'aménagement de « vacuoles protectrices » ou de « chambre à soi » (référence à Virginie Woolf) est nécessaire. Le retrait, le ralentissement, l'écart, les vacuoles, l'interruption de la chaîne de l'information ou de l’activité trop accaparante est nécessaire à toute interprétation.

[3] Je me souviens avec un peu d'émotion d'un homme assez extraordinaire qui vers 1950 avait voué sa vie et sa fortune personnelle  à constituer, dans une propriété proche de Bordeaux, un lieu de vacances, véritable refuge pour les enfants défavorisés de la capitale girondine. Jeune « moniteur » désargenté, j'y passais moi-même mes vacances, à peu de frais, me consacrant à organiser l'accueil et les loisirs de ces enfants, déjà à cette époque surexcités et difficiles à cadrer et à calmer. C'est là qu'un jour, au milieu des cris joyeux d'une grosse centaine de jeunes, et, déjà, de quelques bagarres inévitables, le maître des lieux me parlait de la construction d'une volière au cœur même des animations, afin que les enfants puissent contempler et écouter le chant des oiseaux. Du haut de l'inconscience de mes presque 18 ans, je trouvais cette idée un peu décalée… pour ne pas dire farfelue. Mais j'étais encore loin d'imaginer que quelques années après, il créerait une salle exclusivement réservée au silence, en y consacrant des moyens importants alors que l'équilibre du budget de l'association était perpétuellement menacé. Je mesure aujourd'hui combien cet homme en plus d’être idéaliste était visionnaire. Il avait compris avant tout le monde le besoin vital de ces enfants de trouver un lieu de ressourcement où se recueillir et se trouver eux-mêmes. On voit actuellement au cœur de certains quartiers d'affaires s'ouvrir des salles de silence exactement sur le même modèle… Cela suffira-t-il à faire baisser un peu le bruit du monde ?

[4] Lorsqu'une information perçue par l'un ou l'autre ou plusieurs de nos sens de perception est traitée dans un second temps par une activité évocative, spontanée ou volontaire, il se crée dans le cerveau un réseau complexe de contacts synaptiques faisant intervenir une quantité importante de neurones dans l'ensemble de notre système cérébral. Ce réseau n'a pas vocation par lui-même à durer au-delà du temps nécessaire au travail entrepris (il dure le temps nécessaire à l'évocation, à la réflexion, la compréhension… etc.). Si l'on veut qu'il perdure au-delà de ce temps relativement bref de la « mémoire de travail » appelée autrefois « mémoire à court terme », il convient de l'activer plusieurs fois, permettant ainsi aux synapses et aux neurotransmetteurs chimiques qui les composent, de se stabiliser et de constituer un véritable « souvenir » de l’une de nos « mémoires à long terme ». À défaut de ces réactivations, les neurones sont utilisés pour d'autres tâches et les contacts synaptiques modifiés en conséquence. On connaît depuis longtemps les rythmes les plus efficaces de ces réactivations. Un psychologue anglais, Tony Buzan dès les années 1970  (Une tête bien faîte , Ed . d’Organisation) en a fait une description très précise : après une dizaine de minutes, le soir même avant de dormir, le lendemain, au bout d'une semaine, le mois suivant, etc. Certaines de ces réactivations sont assurées par le rythme des interrogations, contrôles divers qui jalonnent l'année scolaire. Mais les élèves ne le savent pas et ne profitent pas toujours au mieux de ces incitations régulières à se « repasser dans leur tête » leurs évocations…

mardi 19 février 2013

61 - Enseigner avec la Gestion Mentale : Apprendre à "faire apprendre" !

Je publie ici un article écrit pour "La Lettre", organe de la Fédération des Associations "Initiative et Formation" qui forme les formateurs et les praticiens en Gestion Mentale ( voir le site de la Fédération : http://www.ifgm.org/).



Depuis plus de 20 ans, je rencontre les enseignants pour les former à la gestion mentale, et pour une partie, je travaille avec eux dans des stages ou dans leur classe même. Cette expérience m'inspire quelques réflexions que je vous livre ici.

En premier lieu, il ne faut pas confondre "enseigner la gestion mentale" et "enseigner avec la gestion mentale". Il arrive qu'après leur stage, les nouveaux formés  proposent à leurs élèves une initiation à l'évocation, aux gestes mentaux d'attention et de mémorisation. Parfois on va un peu plus loin avec des entrées dans les gestes d'imagination,  de compréhension. Plus rarement on aborde celui de réflexion  : quand l'Ecole ne reconnaît pas aux élèves le droit à l'erreur, pourtant constitutive de tout apprentissage, ce geste mental, avec sa complexité et son environnement d'incertitude et de prise de risque, a de quoi en effet inquiéter autant l'enseignant que l'élève. Toutefois cette initiation, au demeurant indispensable, se déroule assez souvent en dehors des cours habituels dans divers dispositifs d’aide : modules, temps d'accompagnement personnalisé, séances d'accompagnement individualisé…  Quant à ce qui se passe pendant la classe elle-même, après les quelques semaines qui suivent une formation, où les professeurs tentent d'appliquer quelques-unes de leurs découvertes (pauses évocatives, incitation à évoquer, timides tentatives de dialogue pédagogique, exhortations à mémoriser…), on constate bien souvent le retour plus ou moins rapide aux vieilles habitudes. Dans les années 80, au début de "l'aventure" de la gestion mentale, certains auteurs (mal informés…)  avaient beau jeu de lui reprocher d'être trop souvent "une béquille du cours magistral".

C'est vrai qu'il faut aller assez loin dans la compréhension de cette approche pédagogique pour qu'elle puisse modifier de manière substantielle le positionnement même d'un enseignant dans son cœur de métier : la transmission. De sa mission de "transmetteur de savoirs" il lui faut en effet passer à celle  "d'accompagnateur d’apprentissage". La formation actuelle des enseignants, en France tout au moins, consiste  essentiellement à transmettre des savoirs acquis pendant leurs années d'université. Fort peu, trop peu, d'intérêt et de temps est consacré à s'intéresser à leur réception par les élèves. Mais qu'est-ce qu'une transmission qui ne se soucie pas d'être bien reçue ? Dans toute transmission, il faut considérer autant le pôle émetteur que le pôle récepteur. C'est bien là le problème que nous avons : des enseignants de plus en plus experts dans la maîtrise de leur discipline (disciplines par ailleurs de plus en plus cloisonnées du fait même de leur approfondissement), et dans le même temps de moins en moins avertis des problématiques liées à la réception des savoirs qu'ils ont mission de transmettre.

La gestion mentale se réfère explicitement à la phénoménologie. Dans mes formations actuelles j'utilise deux textes d'Heidegger. J'en extrais ici deux citations pour aider à comprendre le changement de positionnement induit par une formation à la gestion mentale. Dans un premier texte, Heidegger compare enseigner (l’émetteur) et apprendre (le récepteur) : 

« Enseigner est encore plus difficile qu'apprendre. On le sait bien, mais on y réfléchit rarement. Pourquoi enseigner est-il plus difficile qu'apprendre ? Ce n'est pas que celui qui enseigne doit posséder une plus grande somme de connaissances et les avoir toujours disponibles. Enseigner est plus difficile qu'apprendre, parce qu'enseigner veut dire "faire apprendre". Celui qui véritablement enseigne ne fait même rien apprendre d'autre qu'apprendre. »[1]

On imagine les réactions inquiètes qu’une telle déclaration peut susciter chez des enseignants qui n'ayant à leur disposition que leurs connaissances à transmettre se sentent fragilisés par un tel discours. Mais si notre école  éprouve aujourd'hui autant de difficultés à enseigner ces savoirs de plus en plus complexes et volumineux, n’est-ce pas qu'il y a un problème au niveau de leur réception, c'est-à-dire du pôle "apprendre" ? Comment alors résoudre ces difficultés ?

Dans un deuxième extrait, Heidegger nous amène plus loin encore. Il définit ainsi ce qu'à ses yeux doit être le "véritable apprendre" et en conséquence le véritable "enseigner" :

« Ce véritable apprendre est ainsi un prendre dans lequel celui qui prend ne prend que ce qu'au fond il a déjà. À cet apprendre correspond aussi l'enseigner. Enseigner, c’est donner, offrir. Mais ce qui est offert dans l'enseignement n'est pas ce qui peut être appris ; ce qui est donné à l'élève, c'est seulement l'indication lui permettant de prendre par lui-même ce qu'il a déjà. Quand l'élève ne fait que prendre possession de quelque chose qui lui est offert, il n'apprend pas. Il ne commence à apprendre que lorsqu'il éprouve ce qu'il prend comme ce qu'il a déjà lui-même en propre. Là seulement est le véritable apprendre, où prendre ce qu'on a déjà, c'est se-donner-à-soi-même, et où cela est éprouvé en tant que tel. Enseigner ne veut donc rien dire d'autre que laisser les autres apprendre, c'est-à-dire se porter mutuellement à l'apprendre. »[2]

Je suis resté longtemps à chercher ce que Heidegger voulait dire par ce « prendre par lui-même ce qu'il a déjà lui-même en propre. » J’étais dans l’idée que ce qui comptait  pour qu’un élève réussisse était une bonne réception des savoirs transmis, mais cela ne correspondait en fait qu’en une simple "prise de possession de ce qui lui était offert", et donc, selon Heidegger, il n’apprenait pas vraiment. Certes, je savais avec Bachelard que celui qui apprend n'est pas un vase vide que l'on cherche à remplir, qu'il a déjà en lui des conceptions, des connaissances avec lesquelles doivent forcément composer les acquisitions nouvelles. Je savais aussi combien ces connaissances préalables peuvent être des obstacles importants à toute compréhension du nouveau. Je savais aussi avec La Garanderie qu’il possédait "au fond" de lui les moyens de son apprentissage et qu’il fallait seulement lui "donner les indications" nécessaires à son activité mentale, à la pratique des gestes mentaux. Mais cela signifie seulement qu’on ne peut "prendre" qu'avec ce que l'on a déjà (et donc, parfois, "contre" ce qu'on a déjà). Cela ne correspondait donc pas tout à fait à la pensée d'Heidegger : "se-donner-à-soi-même".

C’est en retravaillant, pour une formation à Lausanne, le geste de compréhension autour du modèle des "cinq questions" [3], qui sont pour moi les opérateurs  de la recherche de sens qu'un sujet adresse à l'objet qu'il veut comprendre, que je crois avoir approché un peu mieux ce que recouvre l’expression d’Heidegger. En effet, qu'est-ce que l'élève a "déjà en lui-même en propre" avant de rencontrer l'objet à "prendre" pour le comprendre ? L'élève ne peut comprendre que ce qui correspond à sa capacité  naturelle de sens, à  ses projets de sens déjà installés au fond de lui, projets qui orientent sa demande de sens dans une direction spécifique et dont la satisfaction provoque un "euréka" jubilatoire. Ce sont ses propres projets de sens qui lui permettent de "se-donner-à-soi-même" ce qu’il prend et comprend.  Quant à "ce qu'il a déjà lui-même en propre", c'est sa qualité d' "être-au-monde" et son "pouvoir être" qui lui procure un accès direct à l'objet de sa compréhension, par la familiarité qu'il entretient avec le monde qui l'entoure et avec lui-même en tant qu'il "se comprend comprenant". Le pouvoir de sens vient de lui, est en lui, déjà, avant même que son effort de compréhension ne lui permette de s'en aviser, par les projets de sens qu'il forme spontanément, ou qu'on peut l'aider à découvrir et à s'habituer à adresser aux objets et aux êtres qui l'entourent. Là se trouve  le ressort intime et originel de l’autonomie véritable dans l’apprentissage, ou mieux dans la "connaissance", toujours accompagné d’un sentiment très fort de libération et de plaisir lorsque ce prendre par soi même  est "éprouvé comme tel". "On n’entend (au sens de comprendre) que ce qu'on attend " se plaisait à dire Antoine de LA GARANDERIE. J'ai pensé aussi à la phrase de Pascal sur un tout autre sujet : "tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé."

Pour enseigner avec la gestion mentale, il s’agirait donc d'organiser la transmission des savoirs au-delà de leur seule bonne réception (vérifiée par une simple et un peu servile "restitution" de ce qui a été "offert"), mais bien plutôt autour de leur "véritable" apprentissage par les élèves, de façon à ce qu'ils "se donnent à eux-mêmes" ce qui est à apprendre au moyen de leurs propres projets de sens (source d'une "réutilisation" autonome bien plus satisfaisante). Il ne s’agit plus seulement alors d’enseigner avec la gestion mentale, mais bien d’enseigner par la gestion mentale des élèves eux-mêmes. Comment faire ?  Il y a à Lausanne une école qui recrute uniquement des élèves à haut-potentiel en difficulté avec une scolarité traditionnelle et qui a la Gestion mentale pour principe pédagogique à tous les niveaux : L'Ecole La Garanderie. Il se trouve que son jeune directeur suivait la formation ; il m'a appris que les professeurs utilisaient régulièrement avec les élèves, qui travaillent de façon  totalement autonome, les "cinq questions" de la compréhension [3],  traitées sous forme de schémas heuristiques et qu'ils commençaient à introduire le geste de réflexion opérateur de la réutilisation de ces savoirs "bien-acquis". Par ailleurs, Georges Gidrol a rendu compte de l’utilisation qu’il faisait de ce même modèle en cours de Physique dans la dernière Lettre d’IF. De son côté, Yves Lecocq, professeur d'histoire-géographie, décrit dans un numéro récent des Cahiers pédagogiques [4], la manière dont il organise, dans une classe traditionnelle de lycée, le travail de ses élèves autour de leur confrontation personnelle avec des textes, desquels ils sont amenés à dégager le sens par eux-mêmes. Enfin, dans un Collège du Sud-Ouest [5], c’est l’ensemble des enseignants, en équipe autour de leur Directeur, Mikel Erramouspé, lui-même formateur en GM, qui s’efforce de pratiquer une pédagogie qui permet de "laisser les élèves apprendre" (voir un exemple donné par un professeur de Mathématiques de ce collège dans mon message 77). Ce ne sont là que des exemples que je connais, en plus de celui de la classe de méthodologie de Toulouse dont j’ai souvent rendu compte dans ce blog. Il y en a sûrement beaucoup d’autres. 

Cette pédagogie semble remplir de bonheur les enseignants qui s’y consacrent. Mais, et Yves LECOCQ  le souligne bien [6], c'est aussi au prix d'un dessaisissement provisoire de la "multiscience" de l'enseignant, avec ce que cela provoque de déstabilisation, d'incertitude, de questionnement, d’inconfort…  L'enseignant n'est jamais tout à fait sûr de ce que l'élève "se donne à lui-même" de ce qu'il voudrait  (devrait …) lui transmettre. Il n'y a pas ici de méthode infaillible, l'enseignant qui travaille ainsi est dans une constante inquiétude qui est le lot de tout apprentissage puisqu'il n'a jamais fini d'apprendre à enseigner de cette façon : chaque élève possède un pouvoir de sens qui lui est propre et qu'il faut l'aider à découvrir... et ils sont tous différents à ce niveau. Mais qu'il se rassure, Heidegger l'encourage dans cette voie : « Celui qui enseigne ne dépasse les apprentis qu’en ceci qu’il doit apprendre encore beaucoup plus qu’eux, puisqu'il doit apprendre à "faire apprendre". Celui qui enseigne doit être capable d'être plus docile que l'apprenti. Celui qui enseigne est beaucoup moins sûr de son affaire que ceux qui apprennent de la leur. C'est pourquoi dans la relation de celui qui enseigne à ceux qui apprennent, quand c'est une relation vraie, l'autorité du "multiscient" ni l’influence autoritaire de celui qui a une charge n'entrent jamais en jeu.[1]»  Et de conclure : « Le véritable enseignant ne se distingue de l’élève qu’en ce qu'il peut mieux apprendre et a plus authentiquement la volonté d'apprendre. Dans tout enseigner c'est l'enseignant qui apprend le plus.[2] »

Alors enseigner avec la Gestion mentale, facile ? Pas tout-à-fait. Enthousiasmant ? Assurément, autant pour l’enseignant que pour ses élèves. Et, en plus, très efficace.



[1]  Qu’appelle-t-on penser ? M. Heidegger, PUF, 2007
[2] Qu’est-ce qu’une chose ? M. Heidegger, Gallimard, 1988
[3] Dans le chapitre sur le geste de Compréhension dans, Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des Gestes mentaux, G. Sonnois, Chronique Sociale, 2009
[4]  Cahiers Pédagogiques, N°493, décembre 2011, Le Lycée, entre collège et supérieur, Y. Lecocq, « Lorsque Pégase donne des ailes ». L'auteur développe son approche du modèle pédagogique Pégase, dans son volet « enseignants ».
[5] Collège Saint-Michel Garicoïtz, à Cambo, Pyrenées Atlantique. Un projet pluriannuel autour du modèle pédagogique « Pégase », qui concerne toute la communauté éducative, enseignants, parents, élèves.
[6 Dans son article, Yves Lecocq écrit notamment ceci : « Ce qui m'est apparu comme le changement le plus important et le plus lourd de conséquences, par rapport à ma pratique antérieure, a été ma décision de ne plus être source des savoirs à apprendre par les élèves. Dans ma discipline, histoire-géographie, si propice à des péroraisons sans fin, il s'agit d'un renoncement qui peut sembler étrange, voire suicidaire, mais qui m'a, en fait ouvert un espace de liberté extraordinaire. »

dimanche 23 décembre 2012

60 - Dialogue pédagogique avec un lycéen : le sens de l'écriture et de la lecture

Les relations de ce type de dialogue avec des adolescents entrant au lycée, ou qui y sont déjà bien engagés, ne sont pas très nombreuses. Je livre à mes lecteurs ce bref résumé d’une rencontre récente avec un des ces jeunes qui n’ont pas bien compris ce qu’on attend d’eux et qui s’efforcent si maladroitement  de faire ce qu’ils croient devoir faire… pour des résultats bien décevants, pour tout le monde.

Maxime  est élève de seconde générale. Je le rencontre pour la première fois. Il vient pour tenter de résoudre des difficultés d'expression écrite et de lecture d'énoncés. Il s'exprime facilement à l'oral mais se trouve très démuni à l'écrit. Il a de mauvais résultats, particulièrement en histoire, matière pour laquelle il a pris des cours particuliers avec un professeur qui me connaît, et qui me l'a envoyé pour trouver une solution à son « problème de méthode de travail ».

Maxime précise qu'il apprend facilement ses cours « par cœur » en les répétant plusieurs fois : il les sait bien mais il ne les comprend pas toujours… et les oublie aussi vite qu’il les a appris. Il ne lit pas beaucoup, sauf ce qui est imposé par l'école. Il lui arrive de lire des pages entières et de se rendre compte qu'il n'a rien compris de ce qu’il vient de lire. Toutefois, il lit régulièrement l'hebdomadaire « Courrier international ». Je demande si, dans ce cas, il comprend ce qu'il lit : oui, il  s’entend dire les mots « dans sa tête » et en garde une trace assez précise, il voit certains mots s'écrire comme sur une feuille blanche, ou alors il conserve une image assez précise de la forme générale du texte, dans laquelle il peut retrouver certains mots plus lisibles alors que les autres sont flous. Avec ces mots qui se sont imprimés dans sa tête sans qu'il ne l’ait clairement voulu, il essaie de constituer un sens. C'est de cette façon que généralement il travaille.

Pour préciser cette première approche, je lui propose de lire comme il le fait d'habitude le premier paragraphe du texte « Une importante découverte » tiré de l'ouvrage de Jacques Lacretelle : « Silbermann ». Dans ce texte l’auteur raconte sa première rencontre avec les évocations concrètes à partir d‘un texte littéraire intelligemment récité par l’un de ses camarades. Cette lecture lui prend un temps qui me paraît assez long. Ayant terminé, je lui demande de me dire ce qu'il a lu : sa compréhension est superficielle et incomplète. Il me dit qu'il a lu deux fois le texte, ce qui explique le temps qu'il a mis.

Je n'oublie pas sa demande initiale de méthode pour lire des énoncés. Je lui précise alors ce que l'on met sous le mot « projet » : l'intention que nous mettons en œuvre dans une action et qui dirige notre activité mentale dans un sens bien précis. Puis je lui explique la différence de projet entre une première lecture de compréhension (évoquer à partir du texte), et une lecture de vérification (comparer ses évoqués avec le texte : similitudes-différences-manques). Je lui propose ensuite de procéder à une relecture du même paragraphe pour s’assurer par lui-même de la justesse de sa première compréhension en comparant ses premières évocations (les mots qu'il voit dans sa tête) avec ce que le texte dit en réalité. Il se rend compte alors qu'il a "zappé" un certain nombre de détails qui lui permettent maintenant une compréhension un peu plus approfondie et plus précise du texte. Je lui demande alors ce qu'il a dans sa tête à propos de ce texte : ce sont toujours des mots, le texte lui-même est comme "photographié" avec maintenant davantage de mots lisibles mentalement.

Je parle alors à Maxime du sens de la lecture : l'auteur a traduit par des mots (ici, écrits) ce qu’il avait "dans sa tête" : des scènes, des actions, des personnages,  ou des idées…. C'est ainsi que les humains opèrent lorsqu'ils veulent communiquer leurs pensées aussi bien par oral que par écrit. Le rôle du lecteur est alors de retrouver dans sa propre tête, à sa manière,  les mêmes scènes, actions, personnages ou les mêmes idées à partir des mots écrits qu'il est en train de lire. Je lui demande si c'est le cas dans le travail qu'il vient de faire dans ses lectures successives. Il convient qu’il n'a peut-être pas été jusque-là.

Hypothèse. Je constate que Maxime utilise pour sa lecture un fonctionnement verbal de reproduction (P2), prolongé par les évocations visuelles de mots (P2). Est-ce là son  fonctionnement naturel ? Je veux tester sa capacité à utiliser aussi des évocations visuelles concrètes (P1) ou une verbalisation plus personnelle (P3-P4).

 Je lui demande s'il pratique une activité en dehors de l'école : oui, il joue au tennis. Qu'a-t-il appris dernièrement ? Avec son professeur il a travaillé "la volée". Je lui demande de me décrire ce qu'est une volée. Il décrit le geste avec précision. Je lui demande de décrire son évocation du geste : il en a une image très précise, comme un film avec du mouvement et il est lui-même en scène, et il se commente la position de la raquette.

Je lui demande ensuite s'il y a des matières qu'il aime plus que d'autres ou dans lesquelles il réussit habituellement au lycée. Oui, il aime bien l'économie qui est une matière nouvelle de cette année. Je dresse l'oreille à cette précision de la nouveauté : peut-être utilise-il pour cette discipline récente un fonctionnement différent de ses vieilles habitudes peu efficaces ? Je lui demande de retrouver un élément récent qu'il a appris en économie. Il me parle de la notion de "revenu des ménages". Après qu'il m’a précisé de quoi il s'agit, je lui demande comment il fait actuellement pour se souvenir de cette définition. Il me dit qu'il a dans sa tête l'image d'une maison dans laquelle deux personnes sont en train de remplir une déclaration d'impôts avec leurs bulletins de salaire sur la table. Cette image est très nette et elle porte en elle le sens de la définition qu'il m'a donnée et expliquée avec des mots qui sont les siens plutôt que ceux d'une définition apprise par cœur.

Je lui fais remarquer la différence qu'il y a entre ce souvenir (évocations verbales de paramètres 3 sur évocation visuelle de paramètres 1), et ce qu'il m'a dit précédemment de la manière dont il lit ou étudie ses cours (évocations verbales ou visuelles exclusivement de paramètres 2). Il convient que dans les deux derniers cas le sport et l'économie, il utilise spontanément des images visuelles et concrètes sur lesquelles il se parle à lui-même, ce qu’il ne fait pas pour les autres matières.

Hypothèse vérifiée. Il semble donc que le fonctionnement habituel de Maxime soit verbalo-visuel, avec mélange de paramètres 1 et 3. Mais il ne l’utilise pas pour sa compréhension des contenus scolaires… sauf en économie. Il a développé par ailleurs une bonne habitude de paramètre 2 qu’il pourrait continuer à utiliser dans un projet de pure mémorisation "mot pour mot" (poème, théâtre, définitions et règles, théorèmes...).

Je laisse provisoirement de côté ce constat avec l'intention d'y revenir un peu plus tard. Je lui demande comment il s'y prend dans d'autres disciplines ? Il me dit qu'en mathématiques il revoit assez facilement les schémas du professeur. Je note cette indication sans approfondir davantage. Je demande aussi comment ça se passe en contrôle : c'est justement là qu'il a des difficultés, le professeur donnant des exercices qui ne ressemblent pas à ceux qu'il a faits pour se préparer et qu'il s'est efforcé de mémoriser fidèlement (toujours avec le paramètre 2…). Devant un énoncé, il cherche dans sa mémoire les exercices qui ressemblent le plus à ce qu'on lui demande ; il se dit par exemple : "tiens, cet énoncé ressemble à celui de l'exercice numéro 52".

Remarque. Ce mauvais projet de sens est courant : c’est lui qui amène les élèves à déformer les énoncés pour les faire "coller" avec le souvenir d’un exercice qui leur paraît proche. Si "ça ne colle pas" ils décrètent qu’ "il y a une erreur dans l’énoncé"…

 Je lui demande alors s’il est bien sûr que la demande de son professeur soit de refaire indéfiniment les mêmes exercices. Il paraît troublé par ma question mais convient assez vite que ce n'est probablement pas cela que le professeur attend. N'ayant pas le temps d'entrer dans la démarche de la réflexion lors de cette première rencontre, je me propose d’y revenir plus tard. Mais déjà ma question à semé les germes du doute dans l'esprit de Maxime et c'est ce que je cherchais. Il sera plus demandeur lorsque je lui proposerai de découvrir le geste de réflexion.

Revenant à la lecture, je propose alors à Maxime d'essayer de lire le texte qu'il a déjà lu mais cette fois en essayant de traduire les mots en images concrètes. Il termine sa lecture plus rapidement que je ne le pensais. Je crains qu'il ne soit pas arrivé jusqu'aux images. Tout au contraire, il me décrit très précisément les images qu'il a produites, images mobiles, précises, reflets fidèles de toutes les subtilités du texte, avec juste une difficulté à intégrer les éléments faisant implicitement référence à la guerre de Troie. Je l'aide à retrouver dans sa mémoire les souvenirs de cet épisode de l'histoire grecque, ce qu'il fait en retrouvant des bribes de son programme d’Histoire de cinquième, du moins le croit-il. Il se souvient vaguement de l'histoire du cheval… Mais, à l'exception de cette difficulté "culturelle", sa "lecture-cinéma" a parfaitement fonctionné. Je lui demande quand il a le mieux compris : avec cette lecture-ci ou bien avec les précédentes ? Sans hésiter, il constate qu'il a beaucoup mieux compris cette fois-ci.

Remarque. Nous nous trouvons devant un cas assez classique de "collage" à la forme du contenu scolaire : l'élève est comme "sidéré" par la forme extérieure de ce qu'il doit apprendre, il ne s'autorise pas à la transformer, à dépasser les mots pour se faire ses propres commentaires ou pour se donner les images qui correspondent, à aller au-delà de la mémorisation de la "photographie" des exercices particuliers. Son intelligence n'est pas investie dans ces actions. Lorsqu'on l'y invite, il découvre qu'il utilise alors d'autres fonctionnements plus naturels chez lui, et qui, eux, lui permettent d'investir ses potentialités, bien réelles mais ignorées.

Il y a eu bien d'autres choses importantes révélées par ce premier entretien : rapport défectueux aux règles, qu’il ne comprend pas et qu’il mémorise mal ; intérêt pour les schémas qu’il "visualise" aisément et fidèlement…. Je compte bien y revenir lors d'une prochaine rencontre. Je n'ai relaté ici que ce qui concernait le "faux fonctionnement" de Maxime, c'est-à-dire ce faux projet de sens concernant les "choses de l'école",  tel qu'il est malheureusement tellement fréquent chez nos élèves. D'où vient-il ? D'où vient cette conception trop étroite de "l’apprendre", de quelle histoire de la transmission des savoirs, de quel fantasme collectif, de quelle obscurité - soigneusement entretenue par l'Ecole - sur la réalité de l’activité de la conscience humaine, de l'esprit humain…? Il pourrait être intéressant de formuler des hypothèses sur les causes de ce phénomène. Mais cela nous éloignerait du cadre de ce que doit être un dialogue pédagogique : recherche des moyens habituellement utilisés par une personne dans ses activités réussies et d'une meilleure adaptation de ses fonctionnements naturels aux tâches - le plus souvent  d'ordre culturel et abstrait - dans lesquelles elle est en difficulté.

Les "pourquoi" de causalité des difficultés constatées (causes psychologiques, sociales, etc.) sont certes à mettre de coté dans ce type de travail ("l'époké", la mise entre parenthèse provisoire des phénoménologues pour isoler les seules phénomènes mentaux). En revanche, les "pour - quoi  faire", les "à quoi cela te sert de faire ceci ou cela" de finalité sont tout à fait bienvenus. Ils sont l’expression des projets de sens mis en œuvre par une personne. C’est cela qui fera l'objet des entretiens suivants, avec une meilleure connaissance des gestes mentaux à produire en fonction des tâches et des situations scolaires mieux comprises.

Remarque finale. Si une personne ne peut porter à sa conscience qu'une petite partie de son activité mentale, de son côté celui qui l'écoute ne peut entendre qu'une partie de ce qui est réellement dit. C'est la limite et la contrainte de notre position dans le dialogue pédagogique. Mais le peu que nous pouvons entendre de ce que la personne peut observer en elle et verbaliser lui permet déjà de s'ouvrir des horizons insoupçonnés sur "les moyens de son intelligence". À elle ensuite de se saisir de ces découvertes et de les intégrer dans le monde toujours mystérieux de son activité mentale, avec l'espoir que cela pourra lui procurer un peu plus "d'intelligence de ses moyens".

vendredi 29 juin 2012

59 - Les premiers pas d'Antoine de La GARANDERIE : Un vieil article d'un jeune chercheur...


En faisant une recherche internet sur Albert Burloud, je viens de tomber sur un vieil article d'Antoine de La Garanderie, daté de 1991 et paru dans une revue de l'INRP* (article contemporain, donc, de la sortie de mon premier livre : « Découvrez votre méthode de travail » aux éditions du Rocher) :

"DE L'INTROSPECTION EXPÉRIMENTALE A LA PÉDAGOGIE DE LA CONNAISSANCE" 

Certains diront : rien de nouveau… Pourtant la lecture de ces quelques pages déjà anciennes permet de préciser, rapidement et finement, l'essentiel des bases de la gestion mentale, notamment de son « instrument méthodologique » : le dialogue pédagogique au service du profil pédagogique. Avec aussi des phrases très précises et éclairantes sur les concepts essentiels : la différence entre perception et évocation, la fausse distinction "visuels" et "auditifs" (lumineux clin d'oeil à Mozart...), l'opposition entre habitude acquise (Profil pédagogique) et structure innée (catégorisation, typologie...), la description des paramètres d'évocation (avec leur spécificité scolaire ou non), la recherche des structures de sens à l'origine des habitudes évocatives, l'effort entrepris pour décrire de façon "pédagogique" les concepts fondamentaux de la psychologie cognitive (attention, mémorisation, compréhension,réflexion, imagination) aboutissant, à la fois, à la définition et au "mode d'emploi" de "gestes mentaux" bien spécifiques...

Les personnes qui se forment actuellement à la gestion mentale, tout comme les anciens qui ont suivi l'évolution de cette longue et passionnante recherche trouveront de l'intérêt à retrouver ses premiers pas retracés ici par son auteur lui-même. La compréhension de la complexité que la gestion mentale semble avoir atteint désormais (et qui a de quoi effrayer un peu les néophytes...) trouve une aide précieuse dans la remise en perspective historique et le rappel de la simplicité (et non le simplisme !) de l'intuition des origines.

>>>>> Lire l'article

* Itinéraires de recherche,Perspectives documentaires en éducation, n° 24, 1991

lundi 18 juin 2012

58 - En route vers l'autonomie... Bilan d'année de la classe de méthodologie toulousaine.

L'année se termine avec l'arrivée des beaux jours ( ? )... Je viens de faire,avec les élèves et leurs professeurs, le bilan de cette année 2012 dans la classe de méthodologie toulousaine dont j'ai souvent parlé ici (elle regroupe des élèves jugés en difficulté, parfois sérieuse, à la fin du collège). Année difficile pour certains élèves, qui ont dû opérer une reconversion presque totale de leurs (mauvaises) habitudes de travail, mais dont tous sortent grandis, plus confiants, plus mûrs et heureux. Les orientations ont été facilitées par un accompagnement très attentif des "tuteurs" (chaque professeur prend en charge 3 ou 4 élèves et les rencontre régulièrement tout au long de l'année, notamment au moment des conseils de classe). Tous les élèves ont pu ainsi affiner leur projet d'avenir et sont satisfaits des décisions prises pour l'année prochaine. Il n'y a qu'un seul doublant, mais ses progrès en autonomie notamment à la maison, sont réels et son année de redoublement sera sûrement positive Et en prime, il n'a plus « la haine pour  l'école »…(voir message 49)

Je publie ce bilan sur mon blog  parce qu'il témoigne de ce que la gestion mentale peut accomplir lorsqu'on s'en donne vraiment les moyens : neuf journées de stage réparties dans l'année (avec le coût financier, les problèmes d'organisation pour l'équipe enseignante comme pour le reste de l'établissement, et, pour les élèves, une fatigue certaine lors de ces longues et intenses journées, jointe à l'inconfort d'une recomposition en profondeur de leur « culture scolaire »), une équipe de professeurs dûment formés, volontaires pour un tel accompagnement qui n'est pas toujours facile et qui  les déstabilise parfois au cours de l'année. Comme le dit un élève, il y a eu « des hauts et des bas » (pour tout le monde), mais la tonalité générale des bilans personnels, anonymes, dont je publie les extraits les plus significatifs, témoigne de la satisfaction générale pour ce qui est pour ces adolescents un véritable « passage initiatique » : leur accès à l'autonomie intellectuelle et affective est en bonne voie, et ils s'en montrent particulièrement réjouis. De son côté l'équipe enseignante est satisfaite du résultat obtenu… et oublie les difficultés et les moments de doute.

>>>>>  Lire le bilan.

Dans les propositions des élèves pour améliorer le projet de cette classe spéciale, on notera, plusieurs fois signalé, le regret que les contenus des stages, les méthodes nouvelles, certes dûment reprises pendant les heures d'accompagnement personnalisé, ne se retrouvent pas suffisamment pendant les cours eux-mêmes. À cela je vois plusieurs raisons.

D'une part, les enseignants constatent qu'avec ces élèves ils adoptent un rythme moins soutenu que dans leurs autres classes du même niveau. Ils aident les  élèves à pratiquer les réactivations évocatives en début et en fin de cours, il orientent l'activité attentionnelle vers les évocations individuelles, ils se soucient de satisfaire les différents projets de compréhension, ils proposent  des éléments facilitant les mises en projet de mémorisation, ils appellent régulièrement à une réflexion organisée... Toutes ces activités mentales ont été découvertes, "abstraites" et explicitées lors des stages, mais souvent hors du contexte précis des disciplines scolaires de ce niveau du lycée. Ces éléments pourraient donc ne pas être toujours bien reconnus par certains élèves, sous leur forme recontextualisée, au milieu d'autres exigences particulières liées aux épistémologies disciplinaires ? Il ne s'agit pas de "copier-coller" des exercices qui ont servi à la découverte des gestes mentaux pendant les stages, ce qui complique quelque peu le transfert par les jeunes de ce qu'ils ont acquis avec moi. Toutefois on notera que les résultats très nettement améliorés dans les contrôles "lourds", identiques dans toutes les classes de seconde, prouvent bien que ce transfert de compétences a  commencé : peut-être en partie à l'insu des élèves eux-mêmes ? Les témoignages des anciens montrent bien qu'il se poursuit les années suivantes, jusqu'aux études supérieures... Patience, donc !

D'autre part,  malgré tout (leur bonne volonté, la formation que j'ai pu assurer auprès d'eux, leur réflexion personnelle et, désormais, leur expérience) les professeurs restent  "corsetés" par des programmes dont la densité et la quantité ne leur laisse que peu d'initiative et de temps pour modifier substantiellement leurs propres méthodes de travail. Et sans doute aussi sont-ils victimes de la représentation traditionnelle de "l'enseignant source de tout savoir", et éprouvent-ils quelques difficultés à aller jusqu'au bout de leur changement de posture. C'est un fait, il s'appliquent à enseigner "avec" la gestion mentale et ses apports : pratique de l'évocation, reconnaissance des projets de sens, connaissance des gestes mentaux, accompagnement de l'autonomisation des élèves. Ainsi, c'est vrai,  ils  "apprennent" mieux à leurs élèves. Mais ils hésitent encore, et le cadre institutionnel ne les y aide pas vraiment,  à franchir le pas et à accepter de "laisser leurs élèves apprendre" par eux-mêmes, c'est-à-dire d'enseigner "par" la gestion mentale de leurs élèves (voir plus bas *). Je conviens que c'est là une chose très difficile, très déroutante, très déstabilisante. Mais à terme c'est sûrement la formation la plus conforme aux besoins d'une société en changement profond et accéléré. La vraie formation intellectuelle des jeunes d'aujourd'hui n'est-elle pas de leur donner les moyens d'apprendre par eux-mêmes chaque fois qu'ils en auront nécessité pour une meilleure adaptation au monde qui sera le leur ? Et cela commence avant la vie professionnelle : particulièrement au lycée. Pour les enseignants, il s'agit là d'une véritable "révolution culturelle". Il ne serait pas honnête de leur reprocher de ne pas l'accomplir en totalité, sans être assurés d'y être accompagnés positivement par les autres acteurs  (familles, direction, collègues, inspecteurs…), ce qui est encore loin d'être le cas, tant cette conception de l'enseignement est éloignée des standards sur l'Ecole. Tout au moins en France et aujourd'hui…

* J'ai développé un peu plus cet aspect de la formation en Gestion mentale, à partir de deux extraits d'Heidegger dans un article pour la dernière Lettre de la Fédération Initiative et Formation, sur le thème "Enseigner avec la gestion mentale". Voir message 61.

samedi 18 février 2012

57 - Le retour de la dimension subjective dans l'apprentissage scolaire.


Cet article a été publié dans le numéro spécial (103, octobre 2010) de la  Lettre de la Fédération Initiative et Formation, consacrée à Antoine de LA GARANDERIE disparu le 27 Juin de la même année. 

Le retour de la dimension subjective de l’élève à l’école
ou
 La pédagogie des gestes mentaux pour retrouver le sens des apprentissages scolaires

Après des incidents violents dans quelque ville de France, peut-être dans le cadre d'un collège ou d'un lycée..., des jeunes, témoins de ces actes, sont interrogés par des journalistes. « Ça sert à rien ce qu'ils ont fait là », disent-ils en choeur. « Ça sert à rien... »  Ils ne disent pas : « c'est mal », ou « c'est scandaleux » ou bien « ils ne se rendent pas compte du mal qu'ils font à d'autres qui ne leur ont rien fait » comme auraient dit leurs parents. Non. "Ça sert à rien" leur suffit. Autrement dit, " ce qu'ils ont fait n'a pas de sens, on n'en voit pas la finalité". Et ils ont tout dit...  Pourtant ils n’ont jamais entendu, encore moins lu Antoine de la Garanderie quand il affirme avec sa véhémence coutumière : « l'être humain est un être de sens et de finalité. Il n'y a pas à sortir de là. »

Trop vite et maladroitement médiatisée donc réduite, simplifiée, dénaturée, détournée et ainsi aisément caricaturée, la pensée de ce philosophe et pédagogue a malgré tout séduit bon nombre d'enseignants dans les années 1980. Et pourtant, elle n'a pas joué, ou trop timidement, le rôle qu'elle aurait pu tenir dans la mutation nécessaire d’une institution scolaire engluée depuis le début des années 90 dans la problématique de la perte du sens (« à quoi ça sert l'école ? ») dont on voit actuellement et quotidiennement les ravages. On en est trop souvent resté aux premiers ouvrages à vocation purement pédagogique, aux premières intuitions d'une recherche qui jusqu'à ce triste 27 Juin 2010 n'a cessé de gagner en ampleur et en profondeur, notamment lorsque son auteur, à la suite de Husserl et d'Heidegger, a clairement revendiqué son appartenance, jusque là implicite, à la démarche de la phénoménologie. Dans les ouvrages qui ont suivi les premiers succès, Antoine de LA GARANDERIE n’a cessé de traquer, au plus profond, le contenu de ce qui permet à une conscience d’être humain, donc à un élève, de capter le sens du monde et de lui-même. Y compris dans les plus modestes des tâches scolaires.

Particulièrement, la notion de « projet » - qui implique la nécessaire relation à l’avenir et introduit donc à la temporalité source d’humanité - a rejoint les concepts d’intentionalité et d’intuition du sens. Antoine de LA GARANDERIE cherche inlassablement à décrire la nature du rapport intime entre une conscience (source de toute connaissance) et son environnement ("toute conscience est conscience de quelque chose"), rapport qui lui permet de décrypter le sens du monde. Cette relation d’un sujet et d’un objet, scolaire ou non, n’est nullement statique, c’est une dynamique, un mouvement de l’esprit dans le monde mental ; pour autant, elle n’est pas irréelle, elle ne s’établit pas dans un vide immatériel, elle a une consistance dans l’espace et surtout dans le temps, elle a une forme que l’on peut saisir et décrire. De plus, ce rapport de sens entre un sujet (visant le sens) et l’objet (qu’il vise) se présente comme une véritable structure. D’où le concept de "structure du projet de sens" qui devient la base incontournable de véritables "gestes mentaux" dont la bonne exécution assure la qualité de notre vie intellectuelle. Ainsi se trouve précisée une véritable "gestuelle " de l'esprit humain, que l'on a si mal nommée "gestion mentale", ou, mieux, "pédagogie des gestes mentaux".  Tous nos actes de connaissance sont l’expression de cette relation, ils sont tous le fruit d’une structure de projet de sens spécifique. En connaître la nature, la forme qui sous-tend chacun de ces actes et la configuration particulière qu’elle revêt pour chaque sujet, c’est cela qu’il cherche à mettre à la disposition des enseignants et de leurs élèves (il n’a jamais oublié que c’était pour eux qu’il travaillait). ll s’agit là de la prise en compte de la subjectivité dans le monde de l’apprentissage, particulièrement de l’apprentissage scolaire dont on l’avait écarté pour les raisons idéologiques1.  On est loin des applications paresseuses ou carrément fausses : « visuels, regardez bien ce que je vous montre »  ou « auditifs, écoutez bien ce que je vous dit » ! Loin des catégorisations faciles… et qui n’ont jamais mené à rien de bon.

Pour toutes sortes de raisons, on ne s’est pas toujours rendu compte, hors du cercle des « aficionados » convaincus, de l'évolution d'un homme qui, il est vrai, n'a pas trop joué le jeu des connivences ou des soumissions institutionnelles qui lui auraient peut-être permis d'occuper une place plus déterminante au Panthéon des rénovateurs de l'école. Pourtant sa pensée revêt aujourd’hui un intérêt tout spécial, alors que notre Ecole (au sens large) ne sait plus trop bien ni ce qui lui arrive, ni comment faire face à un délabrement qui s’accélère. Le sens à déserté les salles de classe et, là où il y en a encore, les salles d’étude. La merveilleuse capacité de sens de l’être humain ne trouve plus à s’y employer et ceux qui en sont le mieux pourvus sont souvent les premiers à s’enfuir… ou à dépérir. Ce sens n'a pas pour autant émigré vers les différentes structures de soutien scolaire hors l'école, dans les cabinets de « coaching » ou autres officines…

Est-il encore temps de renverser la tendance ? Heureusement oui et de nombreux exemples nous sont donnés, dans nos collèges et nos lycées, de réalisations où l’objectif est d’aider les jeunes à retrouver le sens de leurs apprentissages 2. Mais il est indispensable, absolument vital pour l'école, que ce soit au plus près de la transmission des savoirs, c'est-à-dire en classe même, avec les professeurs, premiers concernés par cette mission, que le sens de l'apprentissage scolaire soit retrouvé.  La « pédagogie des gestes mentaux » n’est pas un « supplément » qui viendrait s'ajouter, en les chargeant encore un peu plus, aux dispositifs très variés que les enseignants mettent déjà à la disposition de leurs élèves en délicatesse avec le sens de l'école. Elle est le moyen qui permet à tout dispositif quel qu'il soit d'aller à l'essentiel, c'est-à-dire d'aider les élèves à rencontrer le sens des actes qu’ils sont appelés à produire pour la bonne intégration des contenus scolaires (attention, compréhension), leur conservation dans la durée (mémorisation) et leur réutilisation pertinente (réflexion) dans des résolutions de problèmes ou dans l’acquisition des différentes compétences qui sont l'enjeu de leur formation intellectuelle, y compris les moyens de la communication avec leurs semblables (expression pour autrui). Cela ne peut s’opérer qu’en réintroduisant dans tous les apprentissages la dimension subjective de l’ « apprenant », accès incontournable à la connaissance, que permet si bien la pédagogie des gestes mentaux.  C'est précisément et uniquement cela qui permet aux jeunes de répondre au mieux aux attentes de leurs enseignants, de réussir leurs apprentissages primaires, secondaires et supérieurs, et d’accomplir ainsi leur formation intellectuelle, enjeu majeur dans notre société « de la connaissance ».  

Voila ce que j’ai retenu d’Antoine de LA GARANDERIE, dont la rencontre, au début des années 1980, m’a ouvert un formidable espace d’accompagnement de jeunes que la détresse de sens rongeait de l’intérieur et amenait à des comportements les plus regrettables. Nous avons tous, à notre mesure et à notre place, à nous saisir de cet héritage, à le transmettre autour de nous et ainsi à prolonger l’œuvre de celui qui fut pour moi bien plus qu’un maître, un ami. « Nous ne tolèrerons aucune démission », comme il disait !

                                                                                                                           Guy SONNOIS

Notes :
1.      Il n’est pas sans intérêt de constater que des neurologues qui publient sur leurs travaux les plus récents à propos des maladies neurologiques et des lésions cérébrales, se réfèrent explicitement et de façon très appuyée à la phénoménologie et plaident pour le retour à une conception plus « subjective » de l’activité cognitive. Ainsi Lionel NAKACHE, dans un essai savoureux « Perdons-nous connaissance ? », O. Jacob, Janvier 2010, précise p.71: « La connaissance se joue toujours au cœur de nos subjectivités respectives et singulières qui, malgré leur diversité, obéissent à des lois communes ». Et, p. 196, l’auteur plaide pour que soit facilitée « cette prise de conscience fondamentale » et que soit délivré « aux lycéens de toutes les sections …  un enseignement  sur les grands principes des « neurosciences » de la subjectivité. »  Par ailleurs, certaines descriptions relevées dans le très récent livre de F. Eustache et B. Desgranges, « Les chemins de la mémoire », Le Pommier, Juin 2010,  sont très proches de la terminologie de la « gestion mentale ». La réintégration de la dimension subjective dans les apprentissages scolaires, considérés comme permettant l’accès à la connaissance, nous viendrait donc également de la recherche scientifique… qui l’avait pourtant si  soigneusement écartée depuis plus de cinquante ans….

2.      A la demande de J.M Zakhartchouk , j’ai relaté une de ces réalisations où la Pédagogie des Gestes mentaux est investie  dans le hors-série numérique  des « Cahiers pédagogiques » :  http://www.cahiers-pedagogiques.com/affiches/hsn_accompagnement_auteurs.pdf

lundi 13 février 2012

56 - Comprendre et réutiliser ses connaissances.

Ou comment faire le "pont" entre ses connaissances et leurs réutilisations futures.


Je mets en ligne un texte  publié dans le numéro 6 de la revue Gestion Mentale (Bayard Editions, 1994). Il contient en germe toute la problématique d'"Accompagner..." , ouvrage dans lequel je m'efforce de mettre en évidence ce lien fondamental de l'activité d'apprentissage scolaire, notamment au Lycée et après: comment apprendre de façon à pouvoir réutiliser ses connaissances dans des problématiques futures.

Je développe dans cet article une démonstration un peu longue que je n'ai pas pu reprendre dans "Accompagner..". Notamment j'expose les cinq projets de la compréhension : les « cinq questions » qui ont été évoquées plusieurs fois dans ce blog . Il m'a paru nécessaire de donner aux lecteurs davantage d'information sur ce "modèle pédagogique", même si je l'ai davantage développé dans le livre.

Résumé de l'article.

La question la plus fréquemment posée par les lycéens : « Comment dois-je apprendre pour être sûr de pouvoir réutiliser correctement mes connaissances le jour d'un contrôle ? » Pour y répondre, il faut considérer d'une part ce qui est en jeu lors de l'apprentissage lui-même et, d'autre part, l'activité de réutilisation, qui est toujours à ce niveau une réflexion dans le cadre d'une résolution de problème. D'un côté, il s'agit d'un projet de compréhension aussi large que possible. De l'autre d’une réflexion rigoureuse, d'une stratégie de résolution méthodique : les "apprenants" y mettent du temps, les "experts" le font quasi automatiquement... mais sous ces apparences de facilité, ils réfléchissent quand-même mais plus rapidement ! Au milieu, des questions dont la réversibilité assure la liaison et l'articulation entre ces deux moments-clés de l'activité scolaire et de sa réussite.

Mots-clés

Compréhension-réflexion-réutilisation-questionnements-réversibilité.


samedi 11 février 2012

49 - Accompagnement et prise de confiance


Je vous parlais récemment (message 47) du second stage avec la classe de seconde «à projet méthodologique» que j’accompagne. Dans le compte-rendu de ces journées, j’insistais sur la découverte par les élèves de leur pouvoir de transformer leur stress négatif en énergie positive. L’un d’entre eux m’avait particulièrement frappé le premier jour en déclarant tout-de-go «J’ai la haine pour l’Ecole». En cours de stage son comportement avait changé, il était très attentif à tous les travaux, participait volontiers. Au bilan final, il insistait sur les peurs qui l’habitaient et le bloquaient encore. Quelques jours plus tard, je lui avais envoyé un message d’encouragement sur Facebook, où je retrouve ces jeunes dans leur moyen d’expression (!) favori. Et j’ai eu la surprise de recevoir en retour un message de ses parents. Je vous le livre comme illustration des effets d’un accompagnement qui éclaire sur les enjeux de l’Ecole et les moyens personnels à mettre en œuvre dans l’apprentissage (ce qui est l’unique objet de ces rencontres).

« Mon mari et moi tenons à vous remercier particulièrement pour le soutien que représentent vos stages pour A…. Il en revient chaque fois transfiguré. C'est un phénomène nouveau pour lui (et pour nous), sa scolarité a été jalonnée de déceptions pour lui et d'appréciations péjoratives de la part de ses professeurs de collège. C'est un adolescent très agréable à vivre, et la seule ombre au tableau (et pas la moindre) est l'école! Aussi même si on nous a prédit une seconde médiocre l'année dernière, nous le voyons très heureux à (nom du lycée)et vos conseils lui ont donné une confiance inconnue jusqu'alors.»

Ou comment travailler sur le "cognitif" peut induire des effets positifs sur "l’affectif" .Et au passage, on notera les ravages provoqués par des "pronostics professoraux" aussi hasardeux que négatifs sur l’avenir d’un jeune. Nous avons tous des exemples de ces véritables fautes pédagogiques…

vendredi 3 février 2012

55 - Un nouvel article sur PEGASE (enseignant) dans le dernier "Cahiers Pédagogiques".

Yves Lecocq signe dans la dernière livraison des  "Cahiers Pédagogiques" un article sur la mise en place dans ses classes d'Histoire et Géographie du modèle pédagogique Pégase, dans sa version enseignants : ou comment faire vivre Pégase par ses lycéens dans le cadre des cours eux-mêmes, au coeur de la transmission/approriation des contenus scolaires les plus "officiels". L'auteur décrit précisément le rêve qui l'a conduit à s'intéresser à Pégase, à se l'approprier, à l'intégrer dans ses pratiques (déjà bien élaborées par des années de recherche et de transformation personnelle, notamment par la Gestion Mentale dont il est un formateur académique reconnu et apprécié à Rouen). Il décrit également en détail la manière dont il s'y prend avec ces jeunes pour que le SENS irrigue et vivifie leur apprentissage, individuellement ou en groupes. Il ne cache rien de ses difficultés, de ses hésitations ou même de ce qu'il n'a pas réussi à mettre en place. Cette honnêteté est à elle seule un gage de réussite. Tous les enseignants, qu'ils soient en formation de Gestion mentale ou non, trouveront de l'intérêt à cette lecture (mais il faut pour cela acheter le n° 493, de Décembre 2011, des Cahiers, ou le télécharger sur (www.cahiers-pedagogiques.com). Il en vaut la peine !

Jusqu'à la couverture dans laquelle on peut voir un clin d'oeil aux trois rouages de notre monture ailée préférée... N'est-ce pas en effet le rouage central de Pégase, celui de la Réflexion méthodique, qui fait le lien entre Collège et Supérieur ? N'est-elle pas, cette réflexion, au coeur de l'apprentissage lycéen (au moins de façon plus explicite qu'au collège) et la base de la réussite ?

Mais en toutes choses, même les meilleures, il y a une limite. Pour cet article d'Yves, je la trouve dans le fait qu'il renvoie à plusieurs reprises au "Pégase apprenant", objet du livre "Accompagner...", mais sans décrire cet ensemble complexe (bien sûr, il n'en avait pas la place dans le cadre de cette communication d'expérience). Pour ceux qui n'ont pas encore lu cet ouvrage (Oh ! Il y en a donc ?...), Yves présente brièvement le Projet Global d'Apprentissage Scolaire (ou PEGASE apprenant) dans la page "Documents pour la classe".  A consulter très vite... (comme les autres productions de la "communauté Pégase" !

Par ailleurs, on trouvera dans la page "SPECIAL ENSEIGNANTS" un précédent article  écrit pour le numéro spécial des Cahiers Pédagogiques consacré à l'Accompagnement. J'y retrace une expérience menée avec une équipe d'enseignants d'un lycée de Toulouse auprès d'une classe de Seconde "de méthodologie" que j'accompagne avec la Gestion Mentale depuis plusieurs années déjà : ensemble nous accompagnons ces élèves à maîtriser "Pégase-apprenant" avec, en plus d'un certain succès, un plaisir et une motivation qui ne se sont pas démentis depuis plus de six ans...

193. Notes de (re)lecture du livre "Les Profils pédagogiques - Discerner les aptitudes scolaires" d'Antoine de La Garanderie (1980)

  Fascinante actualité des premières intuitions d'un « enfant à besoin particulier » du siècle dernier… Pour préparer un podcast avec An...