jeudi 21 juin 2018

125 - Un travail remarquable sur l'attention en classe


Il y a un peu plus de deux mois, j’ai reçu une demande d’entretien de la part d’un professeur en formation à l’UCO d’ANGERS, Yannick LAINé, à propos du mémoire qu’il préparait sur l’attention en classe de quatrième. Comme j’étais un peu surpris par sa démarche, il m’a confirmé que son travail reposait en partie sur mon livre « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux ». Intéressé par son sujet, je lui ai donc accordé un entretien de deux heures qu’il a soigneusement enregistré. Ses questions étaient très pertinentes et j’y ai répondu volontiers. Je vous mets ici les résultats de cet entretien qu’il a retranscrit en annexe de son mémoire. Cela peut en effet intéresser quelques-uns de mes lecteurs.


Ce mémoire est intéressant par sa mise en perspective historique à propos de l’attention, la rigueur de l’expérimentation menée avec ses élèves et sa conclusion réaliste sans pour autant être pessimiste ; mais il l'est surtout parce qu’il réalise une synthèse bienvenue entre les recherches neuroscientifiques les plus actuelles sur l’attention, notamment celle de Jean-Philippe LACHAUX (voir mon message 104 « Neurosciences et gestion mentale : la suite »), et les descriptions de ce geste que nous devons à Antoine de la Garanderie. Ce mémoire apporte sa pierre à cette recherche de convergence à laquelle j’ai consacré un article publié dans mon message 67 : « Gestion mentale et neurosciences cognitives ».

Avec l’autorisation de son auteur, je mets ce mémoire en ligne pour qu’il connaisse la diffusion qu’il mérite et puisse rendre service à tous les enseignants ou accompagnateurs qui se demandent comment mieux capter l’attention si fugitive et instable de leurs élèves.


J’ai fait part à Yannick Lainé de mes sentiments très positifs à la lecture de son travail. Il a eu le mérite, en fort peu de temps, d’aller au bout d’une démarche cohérente qui a d’ailleurs porté ses fruits en grande partie. Toutefois, le cadre de cette expérimentation était  trop étroit pour accompagner ces jeunes élèves vers une meilleure compréhension du Projet Global d’Apprentissage, avec ses passages obligés de compréhension, de réutilisation problématisée, d’expression élaborée.  Lui seul peut soutenir une attention soutenue et "à longue portée", tellement nécessaire à une bonne réception des contenus transmis dans le cadre scolaire... et en justifier le "coût cognitif". Evidemment cela nécessite pour l’éducateur, outre une connaissance approfondie de ce projet global, d’y consacrer temps et persévérance, au milieu des multiples contraintes de ce difficile métier. J'espère bien que la sortie en septembre de "J'apprends à travailler" (voir Message 122) pourra contribuer à cet accompagnement si particulier, mais si salutaire, en appoint d' "Accompagner le travail des adolescents..." !

Les élèves de Yannick ont et auront beaucoup de chance de l’avoir rencontré comme enseignant d’histoire-géographie, et peut-être davantage : comme éveilleur de leur vie mentale et révélateur de leurs potentialités cachées. C’est certainement de cela qu’ils ont le plus besoin actuellement.

mercredi 20 juin 2018

124 - Je regarde le plafond avant toute opération délicate.


Dans mon message 86 : « J ’ai ouvert mes oreillesintérieures », j’ai décrit une conversation avec un ophtalmologue de mes amis qui me racontait comment, vers ses 15 ans, il avait décidé un beau jour de se mettre au travail et comment il avait alors, et pour la première fois,  "ouvert  ses oreilles intérieures" en lisant un cours de physique qui le rebutait particulièrement. Cette « ouverture », purement mentale, lui avait procuré la compréhension * de cette matière pour laquelle  jusqu’ici il n’éprouvait que peu d’intérêt. À partir de ce jour, il avait  connu le succès dans sa scolarité jusqu’à devenir un spécialiste (et un professeur) reconnu et apprécié de sa clientèle.

Un autre ophtalmologue, chirurgien qui a réalisé dernièrement sur l’un des mes yeux une opération très délicate, m’a raconté lui aussi une anecdote qui fait le pendant à la précédente. C’est également un ami, et de plus un de mes anciens élèves. Je l’avais aidé lorsqu’il était en seconde et que sa scolarité avait pris une bien mauvaise tournure en fin de collège. Avec le groupe dont j’étais le tuteur, je l’avais éveillé à sa vie mentale et à la façon de l’utiliser dans ses études : cela lui a semble-t-il bien réussi puisqu’il est devenu un des chirurgiens ophtalmologues les plus en pointe dans son secteur au niveau international. Voici ce qu’il m’a raconté.

Tout récemment, il a opéré un jeune homme dont la paupière était totalement fermée après une maladie. Comme avant toute opération, il avait fait le dessin très précis de ce qu’il comptait faire. Mais son infirmière de confiance lui a dit après l’opération : « Je savais que ce serait quelque chose de difficile et délicat. » – « Et à quoi l’avez-vous su ? » répondit mon ami. – « Avant l’opération vous êtes resté un long moment silencieux à regarder le plafond !»
« Je ne m’en rends pas toujours compte, mais c’est toujours ainsi que je procède avant une opération qui sort de la routine ou qui présente une difficulté particulière : je me fais le plus exactement possible le film de ce que je vais faire *» me confirma-t-il. «  C’est toi qui me l’as appris en seconde, cela m'a toujours aidé et je n’ai plus jamais cessé depuis. »

Que ce soit à l'occasion d'un évenement de son environnement comme dans le premier cas, ou, dans le second, par une initiation individuelle ou collective à la gestion mentale, l'évocation, qu'elle soit auditive ou visuelle, est bien le passage obligé de toute réussite scolaire ou, comme on le voit, professionnelle. Que les neurosciences redécouvrent actuellement cette qualité essentielle de l’être humain ne peut que nous encourager à continuer à initier le plus grand nombre de jeunes ou de moins jeunes à ce trésor dont les tiennent éloignés toutes les incitations de la vie moderne.

* On a ici une illustration de ce qu'est l'évocation, ainsi décrite par A; de LA GARANDERIE dans le Vocabulaire de la Gestion Mentale :
"Il est des consciences d’êtres humains où, pour être  sentantes, elles se trouvent en passe de devoir utiliser leurs nerfs moteurs soit visuels, soit auditifs, soit tactiles, quel que soit l’objet de sens en question (soit visuel, soit auditif, soit tactile). Ainsi on entendra dire ceci : il faut que je me parle ce que je vois ; ou : il faut que je voie ce que j’entends (Napoléon à ses officiers : faites en sorte que lorsque je vous aurais entendu, je pense avoir vu) ; ou encore : il faut que je me dessine ce que je vois ou j’entends pour le comprendre."

Et aussi :Les objets de connaissances ainsi constitués par l’être humain en situation perceptive peuvent être mis en situation d’évocations selon une modalité différente de celle par laquelle ces objets se sont présentés à lui en perception. Ces images lui sont personnelles et peuvent devenir accessibles à sa conscience par l’introspection.

lundi 30 avril 2018

123 - Comprendre ou mémoriser… Faut-il vraiment choisir ?

Un vieux débat, une querelle stérile comme les français en ont le secret, traverse depuis près d'un demi-siècle notre pédagogie hexagonale, un peu à la manière de celle des « anciens » et des « modernes » : vaut-il mieux comprendre d’abord et mémoriser ensuite... si on y pense et si on en prend le temps ... ou bien plutôt mémoriser d’abord et comprendre ...peut-être... par la suite en faisant confiance au temps ?
Les partisans de la première solution, les « modernes », pensent que mémoriser quelque chose que l’on n’a pas compris est non seulement difficile, mais surtout peu efficace pour les réutilisations qui suivent et qui ne sont plus, ou alors très peu, de la simple récitation mot à mot. Au contraire les partisans de la seconde, les « anciens », considèrent que la compréhension est une lente digestion et qu’il faut d’abord ingérer l’aliment et le maintenir en soi avant qu’il ne soit totalement assimilé.
Pour sa part, Antoine de la Garanderie confiait qu’il mémorisait des textes entiers dont au départ il n’avait pas une parfaite compréhension, laquelle lui venait avec le temps par des confrontations avec d’autres lectures, par d’autres réflexions. Mais il précisait toutefois qu’il mémorisait avec le projet de comprendre plus tard : une synthèse entre anciens et modernes… ? On peut comprendre cette position, mais à une condition : faire confiance au temps, et tout simplement avoir le temps de cette compréhension/digestion aboutie. Cela est tout à fait envisageable dans la vie ordinaire, quand rien ne nous presse trop, ou dans les méditations d’un philosophe qui a du temps devant lui. Cela est moins facile à admettre lorsque les réutilisations de ce qui doit être mémorisé sont à court ou moyen terme, ce qui est le cas de la mémorisation scolaire - que d'ailleurs l'on ne se soucie plus d'accompagner dans le temps).
On sait par ailleurs que les élèves se montrent encore plus radicaux : certains comprennent ce qu’ils apprennent mais ne se soucient nullement de le mémoriser, alors que d’autres mémorisent ce qu’ils apprennent sans prendre le temps ni même chercher à le comprendre. Quels sont donc les liens à établir entre ces deux activités fondamentales de l’apprentissage scolaire ?


Un texte déjà ancien (1994) éclaire ce débat d’un jour intéressant car pour une fois il nous vient d’ailleurs que des "spécialistes" de l’école. C’est un extrait d’un texte plus important qu’Yves Beaupérin [1] consacre à Marcel Jousse, un anthropologue de la mémoire dont les recherches sur les traditions de style oral ont fait l’objet de plusieurs publications (notamment « Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs », 1925) et de cours donnés à la Sorbonne sur ce sujet dans la première moitié du siècle dernier. Dans cet extrait intitulé  « Système scolaire et mémorisation », véritable plaidoyer pro-mémorisation, il est question notamment de son rapport avec l’intelligence et de la création d’automatismes (sur ce dernier point on ne peut éviter de faire le lien avec le texte d’Antonio Damasio cité dans mon message 121 : « Neurosciences et pédagogie : les exercices d’entraînement »). 


Cet extrait me semble être un bon reflet, venu d’un point de vue inhabituel, de cette querelle et de sa responsabilité dans l’état actuel de notre Ecole. On notera que de compréhension il n’est nullement question explicitement, sauf tout à la fin pour signaler l’importance des automatismes pour comprendre. Il n’est question que d’intelligence… souvent confondue avec la compréhension, ce geste mental si important, mais si peu étudié et décrit... jusqu'à ce qu’Antoine de la Garanderie ne s’y intéresse spécifiquement.
On trouvera ainsi dans ce texte, entre autres :
-  l’importance de la mémorisation pour l’intelligence, la science, la création… : « Il n’y a pas d’intelligence sans mémoire »... (ni, donc, de compréhension...)
-  la question du rejet par l’école du « psittacisme » (apprentissage mécanique façon perroquet, rabâchage, élèves "photocopieurs"…) au profit de la seule compréhension, après le tournant des années 1970 : toujours l'exclusion plutôt que la synthèse...
- le rejet de la répétition au moment de la mémorisation, mais sa nécessité dans les réactivations, ces remémorations répétées indispensables à une bonne assimilation des connaissances (la " rumination" dans le processus de digestion...),
- l’importance des habitudes et des automatismes : «Créer des automatismes est une condition de l'intelligence » (de la compréhension ?),
- la dictature « du programme » et les rythmes scolaires actuels (1994... !) comme la vie moderne en général et la culture adolescente de l'immédiateté, peu propices à la mémorisation comme à ses réactivations/remémorations nécessaires à une compréhension post-mémorisation.


Pour une sortie par le haut de ce débat stérile.
Lorsque j’ai commencé à me préoccuper de fournir aux élèves que j’accompagnais une méthode de travail plus performante que ce que je leur voyais faire au quotidien, la littérature pédagogique n’en était qu’à ses balbutiements, en France tout au moins. Les ouvrages à disposition du lecteur lambda que j’étais concernaient tous… la mémoire, dont le grand prêtre était (et se voudrait toujours…) A. Lieury[2] (le pourfendeur acharné de l’introspection en général et de la Gestion Mentale en particulier), bientôt secondé par T. Buzan (le pape des moyens mnémotechniques et des schémas heuristiques). Rien sur la compréhension… jusqu’à la parution en 1987 de « Comprendre et imaginer » (Centurion). Ce fut pour moi une vraie révélation...  que j’attendais depuis si longtemps !


Depuis, je me suis efforcé de réintégrer ces deux gestes mentaux, mémoriser et comprendre, dans un ensemble cohérent. Cela a donné le « modèle des Cinq questions » (dont le « à quoi ça sert ? » base de toute mémorisation véritable), modèle qui reprend les projets de sens de compréhension de La Garanderie, associés aux rythmes de réactivations/remémorations de Buzan, le tout favorisant ainsi une bonne assimilation de connaissances  ET comprises ET mémorisées ET réactivées...et donc de mieux en mieux comprises en profondeur...et donc mémorisées dans le long terme... Tout cela, au service de bonnes réflexions et de bonnes communications, indispensables à toute réussite scolaire.


Déjà dét
aillé dans « Accompagner… », on retrouvera cet ensemble désormais mis à la portée des jeunes eux-mêmes dans le Cahier d’exercices à paraître à La Chronique Sociale (juillet 2018) : 

 

« J’apprends à travailler »
ou
<<Jules et les 10 préceptes de l'Apprenti Sage >>.

 


 

[1] Directeur pédagogique de l’Institut de Mimopédagogie.

[2] Mémoire : théories et résultats, Mardaga 1975.

 


jeudi 12 avril 2018

122. J'apprends à travailler ; version "élèves" d'Accompagner le travail des adolescents."


En 1991, mon premier livre s'appelait : «Découvrez votre méthode de travail» (Le Rocher). Il proposait à des lycéens et jeunes étudiants de construire une méthode personnelle de travail dont je m'étais aperçu, depuis longtemps déjà, qu'ils en manquaient cruellement. J'étais encore en cours de formation au Profil pédagogique à l 'Institut Supérieur de Pédagogie avec Antoine de la Garanderie, après deux années de formation de formateur avec Christiane Pébrel qui a été mon initiatrice en Gestion Mentale. Cet ouvrage était en quelque sorte mon mémoire de fin de formation. Réédité en 1994, il est maintenant épuisé (on en trouve en occasion sur plusieurs site internet). 

Depuis, j'ai pas mal approfondi et élargi ces premières incursions dans les insondables richesses de l'activité mentale et la manière de la guider avec des jeunes (ou des moins jeunes…), grâce à l’accompagnement de milliers d’adolescents (en individuel ou petit groupe, en classe entière, en stages divers) ainsi qu'à des formations complémentaires, en GM comme dans d'autres approches pédagogiques. Les apports des neurosciences aidant, en 2009 j'ai pu rassembler mon expérience dans un deuxième ouvrage publié à la Chronique Sociale : « Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux », qu'Antoine de la Garanderie a bien voulu préfacer. 

Ce livre en est à sa cinquième édition (en 2022). Je sais qu'il rend service à beaucoup d'accompagnateurs et de « coaches » divers, aussi bien qu'à des professeurs, depuis les classes primaires jusqu’aux premières années du Supérieur. Cette large audience, dans le public ou le privé, est le signe de la transversalité de la Gestion Mentale dans les disciplines scolaires , tout comme de sa verticalité dans les âges. Elle confirme aussi la validité et la grande pertinence de cette approche « mentaliste » pour la réussite scolaire et la lutte contre le décrochage (elle n'est pas une pédagogie de plus, mais une "méta-pédagogie", qui s'adapte à toute forme de conduite de l'apprentissage). Il est d'ailleurs constant de trouver de la part de chercheurs en neurosciences, très actuels et très médiatisés, des confirmations très "scientifiques" des intuitions et des descriptions de cette démarche d'inspiration philosophique, que ces mêmes milieux avaient pourtant tant décriée lors de sa divulgation, vers 1980 ! Et qu'ils continuent d'ignorer...tout en la plagiant bien souvent ...

Mais si "Accompagner..." est utile pour les adultes, il manquait un outil à l'usage des ados eux-mêmes, ne serait-ce que pour compléter ce second livre et faciliter ainsi le travail des accompagnateurs, en groupe ou individuellement.

J'avais donc tout d'abord pensé rassembler dans une sorte de mémento, les fiches méthodologiques que je donnais à mes propres élèves dans les stages que j'anime avec des lycéens ou des jeunes étudiants. Et puis, un ancien d'un de ces stages (Poisy, 2007), bel exemple d'ado à haut potentiel, très investi actuellement (USA, Canada…) dans la conception de jeux vidéo et autres médias d'animation, m'a suggéré un « storytelling » d'initiation, avec un mentor, un héros et ses amis, des épreuves à surmonter, des ennemis à combattre… 

J’ai donc imaginé la rencontre entre un adolescent (Jules) dépité par de mauvais résultats et des difficultés d’apprentissage, accompagné de ses deux inséparables amis (Juliette et Maxi), et un Vieux Sage (condensé de plusieurs grands noms de l’apprentissage, en premier lieu Antoine de la Garanderie). Je vous laisse découvrir par vous-mêmes le reste de l’histoire, les conseils donnés  par le Mentor et les combats victorieux menés par nos jeunes amis contre de redoutables "virus", ennemis acharnés de leur réussite. 

Tout cela a abouti à la publication en septembre 2019, à la Chronique Sociale dans la série "Cahier d'exercices", d'un petit ouvrage de 80 pages  intitulé :

« J’apprends à travailler »
avec en sous-titre
« Jules et les 10 préceptes de l’Apprenti Sage ».

On y trouvera une partie d'explication (réduite mais que j'ai voulu aussi complète que possible... je m'adresse à des personnes douées d'intelligence !), mais aussi quelques exercices, des fiches et des conseils de méthodes le tout animé par des petits dialogues style BD entre les personnages dessinés par la sœur de Jules. Car le "héros" existe en vrai, bien qu’il ne soit pas vraiment en difficulté… C'est un jeune ami et il ne m'en veut pas d'avoir un peu noirci la réalité ..., il est actuellement en prépa PTSI, et profite pleinement des enseignements du Vieux Sage….

Bonne lecture !



samedi 7 avril 2018

121. Neurosciences et pédagogie : les exercices d’entraînement.


Les informations émanant des laboratoires de recherches en neurosciences cognitives envahissent la presse et les médias audio-visuels, pour le meilleur parfois…mais pas toujours (Voir l’article d’A. Giordan avec ses deux suites en fin d'article). Devant l’abondance de ces « révélations », le pédagogue est souvent démuni : «Comment intégrer toutes ces connaissances dans ma pratique quotidienne, et en faire profiter mes élèves ?» s’interroge-t-il.  Pourtant, il y a peu de choses réellement nouvelles dans ces découvertes, leur principal intérêt se trouvant, dans la validation de certaines pratiques ( voir les propos du Pr. Mercier), directeur du Neurolab de l' UQAM). Ces pratiques, souvent très anciennes, sont le résultat de l’observation et du bon sens des pédagogues de terrain, de la " vieille sagesse des peuples", mais que l’éclairage scientifique vient valider et renforcer. En voici un exemple particulièrement intéressant, autant pour la personnalité de son auteur que pour son importance pour l’apprentissage scolaire : la pratique des exercices d’entraînement et la création d’automatismes constituant la mémoire procédurale, non consciente.

Les exercices sont en effet un passage obligé du « métier d’élève » et constituent une part importante de leurs "devoirs". Certains s’y investissent avec intérêt, trouvant là l'occasion de satisfaire leur projet de compréhension tourné prioritairement vers l'application dans des cas concrets (les mains dans le cambouis). Alors que d’autres élèves satisfont leur besoin de sens dans l’explication, la démonstration, l’historique ou l’origine des savoirs, davantage que dans leur  "mode d’emploi ". On cherche parfois comment intéresser ces expliquants aux séries d’exercices qu’on leur propose.

Voici qui pourrait y aider : une démonstration d’Antonio Damasio, célèbre neuroscientifique américain, sur une réalité du cerveau extraite de son livre : L’autre moi-même, O. Jacob, 2012,p.326. Dans cet extrait, l’auteur s’interroge sur le rapport entre la partie consciente du contrôle de nos actions et la "machinerie" ( ce que l'on fait "machinalement"...) qui l’accompagne dans la partie non consciente du cerveau, "le sous-sol…, les souterrains … de l’esprit",  ou pour d'autres "l’inconscient cognitif" (à ne pas confondre avec l’inconscient freudien).

  C’est moi qui ai rajouté les notes en italique et entre parenthèses et souligné certains passages plus importants pour nous :

« Il existe deux types de contrôles des actions, conscient et non conscient, mais le contrôle non conscient peut en partie être façonné par le contrôle conscient. Si l’enfance et l’adolescence humaine durent aussi longtemps, c’est justement parce qu’il faut beaucoup, beaucoup de temps pour éduquer les processus non conscients de notre cerveau et pour créer, au sein de l’espace cérébral non conscient, une forme de contrôle pouvant de façon plus ou moins fiable, opérer en fonction d’intentions et d’objectifs conscients. Cette lente éducation est un processus en vertu duquel une partie du contrôle conscient se transfère à un assistant non conscient ; ce n’est pas un abandon du contrôle conscient aux forces inconscientes (l’inconscient freudien) qui, assurément, peuvent semer le chaos dans le comportement humain.

(…) La conscience n’est pas dévaluée par la présence de processus non conscients. Sa portée s'en trouve même étendue. (…) Les processus non conscients (automatismes) sont devenus de bons moyens d’exécuter des comportements et de donner à la conscience plus de temps pour analyser et planifier davantage (réflexion, décision, mise en projet...). » *

 (…) Bien sous-traiter à l’espace non conscient, c’est ce que nous faisons lorsque nous avons tellement affûté un savoir-faire (exercices, répétitions...) que nous ne prenons plus conscience des étapes techniques qu’il a fallu franchir pour en être capable. Nous développons des habiletés en toute conscience, mais ensuite nous les laissons devenir clandestines, dans le vaste sous-sol de notre esprit, où elles ne viennent pas encombrer le périmètre étroit de notre espace de réflexion consciente. »

Damasio emploie  souvent des expressions de ce genre : « L’espace réduit de raisonnement conscient »… « Le périmètre étroit de notre espace de réflexion consciente ». Notre champ de conscience est vraiment étroit...Le recours à des processus non conscients est donc indispensable à toutes les activités de réflexion, de création, de jugement… C'est vrai pour tous les actes de notre quotidien. Ça l'est aussi - et bien davantage - pour les apprentissages scolaires.

Mais ces « habiletés », ces automatismes, doivent être développés en pleine conscience avant qu’ils ne deviennent "clandestins" et agissent en dehors de notre contrôle . Les exercices d’entraînement doivent donc être pratiqués en y accordant la plus grande attention (et non pas de façon mécanique, en enchaînant des séries de cas… en pensant à autre chose). Et cela jusqu'à l'automatisation, ce qui n'arrive qu'au bout de "beaucoup, beaucoup de temps". Dans Accompagner…   j’ai proposé une manière de procéder qui respecte cette recommandation, et je l’ai reprise dans J’apprends à travailler .

Beaucoup d’élèves, même de très bons et jusqu’à des niveaux élevés d’études, se plaignent de "fautes d’étourderie", d’erreurs de calcul inexpliquées qui viennent polluer leur réflexion au moment des évaluations importantes, dans lesquelles il faut pourtant aller très vite. L'un d’entre eux, très "expliquant", en classe préparatoire PTSI, se plaignait récemment d’avoir été perturbé pendant une colle importante par des erreurs de calcul relevant de la double distributivité… étudiée vers la classe de cinquième. Voici le conseil que je lui ai donné, après lui avoir expliqué en substance le texte précédent :

 « Ton travail pourrait être de repérer toutes les occasions où tu commets des erreurs de calcul, ou autre ; de prendre un peu de temps pour revenir en pleine conscience (évocations dirigées) sur les automatismes qui ont mal fonctionné (par exemple la double distributivité, mais ça pourrait être aussi bien les identités remarquables, ou d’autres  "must" du programme de collège…) ; de retrouver la logique de ces mécanismes (le pourquoi du comment) et de la mémoriser, éventuellement de faire quelques exercices... Si ce sont des erreurs que tu reproduis souvent, ça vaudrait vraiment le coup que tu y consacres un peu de temps. »

Affaire à suivre... (Il a terminé en Aout 2023 ses études d'ingénieur acousticien à l'Université Technologique de Compiègne et il a aussitôt été engagé par une grosse entreprise d'insonnorisation industrielle.)

* On pourrait rapprocher les considérations de ce "neuroscientifique", bien actuel, de celles d'un "anthropologue de la mémoire", du début du XX°siècle, Marcel Jousse, cité par Yves Beaupérin, dans un texte intitulé "Système scolaire et mémorisation" (intéressant pour nous dans le cadre de la dispute si stérile entre compréhension et mémorisation ) : 


"La mémorisation...(est) ce montage interactionnel, souvent inconscient, dont on prend claire conscience, et qu'ensuite on «laisse aller»  dans les mécanismes (inconscients, donc...) gestuels et rythmiques (...). Alors l'intelligence pourra être infiniment plus souple, plus ardente, plus combattive, plus victorieuse. C'est cela la vraie mécanique humaine. L'homme Ie plus «homme» est celui qui a le plus d'habitudes, montées en lui avec intelligence, et qu'il laisse retomber dans l'inconscient pour que, toujours, l'intelligence plus libre puisse veiller, tendue vers un point donné".

L'intelligence  "tendue vers un point donné"... c'est à  dire l'intelligence " au travail" selon l'interprétation de ce mot, plus proche de la notion de projet que de celle de torture communément admise ( voir message 120 : " Non le travail n'est pas une torture"). Tout se retrouve qui converge vers une même  vérité...

mardi 3 avril 2018

120 - Le travail, une torture ? Non ! Un projet !


J’ai toujours été gêné par l’origine communément admise du mot « travail » selon laquelle il viendrait d’un instrument de torture des Romains, le « tripalium ». D’une part parce que l’étymologie proposée me semblait assez éloignée de la forme du mot français (tra viendrait de tri… et vail de pallium…). D’autre part, parce que, pour moi, le travail est loin d’être aussi négativement connoté. En cavalier assumé, j’avais trouvé plus intéressant de rapprocher ce mot de l’appareil utilisé par un maréchal-ferrant pour soigner ou ferrer un cheval un peu nerveux  et qu’on appelle également un travail. Dans « Accompagner le travail des adolescents…» j’avais donc inséré un encadré sur le sens du mot travail accompagné de photos d’un tel appareil…comme on peut en rencontrer à l’occasion de promenades à la campagne.

Aussi ai-je été très heureux de trouver un article de blog sur ce sujet  qui allait dans mon sens. L’auteur y fait état de l'interprétation d'une chercheuse en linguistique qui va bien plus loin que je ne l’avais fait moi-même (tout en signalant ma propre interprétation « cavalière »). Voici quelques extraits de cet article :

 « En effet, le passage du latin tripalium à l’ancien français travaillier, proche ancêtre du verbe moderne travailler, via un verbe hypothétique tripaliare, est hautement improbable »

« … d’autres éléments invitent à se tourner vers une autre histoire génétique du verbe travailler, d’où découle le nom travail. En particulier, l’étude faite par Marie-France Delport des mots hispaniques médiévaux trabajo (= travail) et trabajar (= travailler), dont elle montre qu’ils expriment une « tension qui se dirige vers un but et qui rencontre une résistance ». L’auteure propose de rapprocher cette description sémantique du préfixe latin trans-, qui se réduit souvent à tra- (tramontanetraversertraboule, etc.), et qui exprime un principe de passage d’un état vers un autre. »

« On peut en déduire que travailler s’est formé sur une base lexicale exprimant un mouvement, qui s’articule au préfixe tra- exprimant la notion de passage assortie d’une résistance »

« Il est préférable de rechercher une source qui serait commune à l’anglais travel et au français travailler, en imaginant une bifurcation vers l’idée du voyage – accompagnée de l’idée d’effort ou d’obstacle à franchir – et une autre vers l’idée plus générale de « tension vers un but rencontrant une résistance ». 

Toutes les personnes intéressées par la gestion mentale ne peuvent qu’adhérer à cette nouvelle interprétation, bien plus cohérente par rapport à l’esprit des travaux d’Antoine de La Garanderie « une tension qui se dirige vers un but et qui rencontre une résistance » et aussi « un mouvement ». N'a-t-on pas là une définition assez proche de ce que nous appelons "projet mental" ? Ce qui m’a amené à préciser dans « J’apprends à travailler » que pour « se mettre au travail » (leur problème récurrent…) il fallait que les jeunes apprennent à « se mettre en état de projet » par rapport à la tâche à entreprendre.

On note par ailleurs un rapprochement intéressant avec le mot anglais « travel », avec l’idée de voyage. Est-ce par pur hasard que j'appelle mes formations sur (le travail de) la compréhension approfondie "Voyage dans l'univers du sens" (message 117)...?

Alors, travailler, à l’école ou ailleurs, serait un voyage, un mouvement, une tension vers un but (désiré), le passage d’un état à un autre (croissance, développement) au prix de résistances ou d’obstacles à surmonter (efforts, obstacles "didactiques" ou "épistémologiques"). Si de telles conditions ne sont pas réunies, chez un élève, dans une classe ou dans une entreprise, alors il ne convient plus de parler de travail mais... de besogne, de "turbin", d’exploitation ou d’esclavage. 

Que le passage paraît encore difficile d’une école où le travail est pour trop de jeunes synonyme de torture à une autre où il serait source de réalisation et d’épanouissement de soi, ce qui ne se réalise jamais dans l’oisiveté et la facilité... Ni seul... mais c'est  là un autre aspect du  problème.




mardi 20 mars 2018

119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !


J’ai fait part dans mon message 117 de mon étonnement, de ma tristesse et d'une certaine colère, en constatant combien les jeunes que j’accompagne en début de lycée se sont depuis longtemps détournés de l’activité de compréhension lorsqu’il s’agit d’objets scolaires à apprendre, ce qu’ils font (quand ils le font encore …) sans aucun  plaisir, et bien sûr sans aucune efficacité. On comprend mieux alors qu’ils se détournent d’un apprentissage qui  leur procure aussi peu de satisfaction intellectuelle.

Je raconte comment ces ados de 15 -16 ans ont été surpris et très intéressés par l’exemple que je leur ai donné en guise d’ introduction du stage consacré à la compréhension approfondie (les 5 questions), nécessaire à tout transfert ultérieur de leurs connaissances. Je leur ai cité l’explication de la règle d’orthographe* « m devant m-b-p », que j’avais trouvée dans l'excellent blog « Azraelle au CE2 » (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87145520). Leur réaction a été immédiate et unanime, presque agressive : « Pourquoi ne nous a-t-on pas expliqué ça plus tôt ? J’aurais tellement aimé travailler de cette façon ! ». Et aussi : « J’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher à comprendre, mais ça ne m’intéresse pas du tout ! ».

Du comportement si naturel du jeune enfant avec ses « pourquoi ? », les années d’école et de collège les auraient ainsi fait passer à un « comportement appris » d’application sans questionnement ni discussion de ce qu’ils apprennent (si mal, du coup).  « Fais ce qu’on te dit, ne cherche pas à comprendre ! Tu m’ennuies avec tes questions ! » Et l’enfant s’habitue à ne plus chercher à comprendre… à l’école.  « Une règle c'est une règle point ! Il n'y a qu'à l'appliquer ! *», me rétorque-t-on chaque fois que j’aborde cette question en stage d’adultes. Ou " Ils sont trop jeunes pour comprendre ces explications !" Surtout si l’adulte les ignore lui-même ! Alain, le philosophe également enseignant, ne disait-il pas  : «  Pour enseigner il faut supposer chez l’enfant toute l’intelligence du monde » ?

Le reste du stage a été pour ces jeunes  une découverte vraiment « révolutionnaire », la découverte qu’ils  pouvaient investir leur intelligence dans leur apprentissage, qu’ils  pouvaient s’autoriser à comprendre ce qu’ils apprenaient, sans forcément attendre que la lumière leur soit donnée de l’extérieur. Bien sûr la "machine à comprendre" est encore un peu rouillée, mais leurs témoignages de fin de stage, la lumière dans leurs yeux, leur redressement physique même, étaient des signes évidents que ces jeunes s’étaient réveillés et remis en route après tant d’années d’anesthésie intellectuelle.

J’ai voulu en savoir un peu plus sur les raisons d’un tel marasme et je me suis demandé comment on apprenait aujourd’hui ce genre de règles en primaire et au collège, en partant de l’exemple d’Azraelle,  de niveau CE2. J’ai donc consulté sur Internet tous les sites qui en faisaient état. Je n’ai pas été déçu : on trouve en abondance, sur les blogs spécialisés ou les sites officiels, des fiches-leçon, des exemples, des exercices et même des évaluations.  Le résultat est à la hauteur de mes craintes : AUCUN de ces sites (hors celui d’Azraelle) ne fournit ne serait-ce qu’une tentative d’explication rationnelle de cette règle.

 Pourtant, leurs auteurs rivalisent d’imagination, de couleurs (Ah ! Les couleurs …ça explique tellement bien !), de schémas avec des flèches, des ronds et des carrés, de dessins, de figurines plus ou moins humoristiques, de fiches standard  ou « à manipuler » (géniales certaines !), de jeux, de moyens mnémotechniques les plus insolites… jusqu'à  des vidéos et même un film d'animation...Quel boulot ! Ces professeurs des écoles, ou leurs formateurs, sont vraiment admirables,  d’acharnement, d’inventivité et de temps passé ... bénévolement bien sûr... pour essayer de faire entrer cette règle dans le crâne de leurs jeunes élèves. Mais quand l'essentiel est perdu de vue, les moyens, même les plus sophistiqués, s'accumulent sans fin (au sens de finalité, pas de finitude...) ! Voici une petite sélection  de mes trouvailles (j’ai conservé les plus élaborées) :

Des fiches de leçons, données en modèles…

Des jeux…

Des poissons et des monstres

Des fiches animées , appelées « lecons à manipuler (LAM) »  (quel travail !) :

Des exemples à profusion…

Des efforts « d’innovation » (Ah ! Ah ! mon intérêt s’éveille !) pour « donner du sens » : la famille à la rescousse… Papa-Maman-Bébé …

Des vidéos, avec grands sourires enjôleurs…, voix lentes…, syllabes bien détachées (on doit mieux comprendre quand c’est lent…), des « je m’explique » mais sans l'explication annoncée…, Jusqu’au recours à « l’allergie » qu’éprouverait le « n » pour ses voisines « m-b-p »…et même une petite attention pour les « visuels »  (Ah ! la gestion mentale…c’est si simple !) On trouve vraiment de tout, avec des feutres, des tableaux, des petites ampoules (la lumière…ça aide à comprendre, non ? Euréka !):

Même un petit film d’animation (quelle patience !…pour le regarder jusqu’au bout...dans l'attente - vaine - de l'explication tant espérée...) :

Jusqu’à la presse qui s’en mêle (ou qui « s’emmèle », même avec m devant m…) !

Et le poMpon (mais pas le boNbon… ! Tiens au fait, pourquoi ?) :
On trouve aussi à profusion des modèles d’exercices et d’évaluations : de toutes les sortes, de tous les formats, de toutes les longueurs, avec même des dictées spéciales…

Là, je trouve un modèle d’évaluation dont la première question débute par: « Explique pourquoi… : » Ça y est ! Je suis enfin au bout de mes peines ? Je vais voir la fiche-leçon  qui correspond  pensant y trouver enfin l’explication tant espérée… Déception ! Il n’y a rien…. L’explication (en fait il s’agît plutôt d’une « justification »….mais on na va pas chipoter sur les mots, n’est-ce pas ? on est à l’école quand même, et c'est juste des enfants... !) est à la seule charge de l’élève… à qui l’on n’a pourtant rien expliqué ! Et cela,  à 7- 8 ans… dans le stress d’un de ces moments forts de l’apprentissage si prisés des Inspecteurs… Chapeau ! Il fallait y penser !


La leçon (à visée pas expliquante du tout) :

Poursuivant  ma recherche je tombe quand même sur une page intitulée : « La langue française et ses caprices » :

Chance ! Ça démarre très bien. L’auteur semble aller dans mon sens avec sa première phrase : «Si jamais votre enfant vous demandait pourquoi il doit écrire certains mots avec un N et d’autres avec un M, que lui répondriez-vous? » Je crois tenir enfin mon Graal ! Las ! D’explication, d’origine, il n’est nullement question. L’auteur énumère un certain nombre de recherches dans de vieux manuels savants avant de donner sa langue au chat : « Il doit pourtant y avoir une raison pour laquelle ces  n sont devenus des m.  Mais personne n’en souffle mot. » Ça c’est bien vrai et j’en fais foi ! Et ça  ne date donc pas aujourd'hui  ! Et l’auteur de se contenter d’expliquer… toutes les exceptions à la règle !

Je me tourne alors vers des sites « extrascolaires ».  Peut-être seront-ils plus explicites sur "le pourquoi du comment"… Un début d’explication m’est aussitôt fourni par « Pourquois.com » (intéressante, l’orthographe de ce mot... invariable ! Heureusement les enfants ne lisent pas ce genre de site...ils ont tellement d'autres occupations sur internet...). On y trouve un début d’explication par le passage du latin au français,  et la transformation de syllabes latines en diphtongues françaises…mais ça reste un peu vague et surtout difficile à exploiter en CE2.

Enfin, un site, québécois (c’est vrai que vis-à-vis de leur langue d’origine, nos amis canadiens ont su garder un certain respect et peut-être conserver quelques secrets que, trop sûrs de nous, nous aurions perdus dans "la Mère Patrie"…). J'y trouve une explication plus explicite à partir de la phonétique,  lui aussi faisant référence au latin avec la distinction des consonnes nasales et labiales :

Et c’est tout !

Finalement, la seule fiche-leçon qui fournisse à la fois l’origine exacte et simple de la règle et son exploitation  judicieuse avec des enfants, c’est donc Azraelle qui la propose au prix d’une recherche personnelle… que tous les autres auraient pu mener en s’en donnant juste la peine : il m’a fallu deux clics ( en tout cas c'est bien  moins chronophage et plus efficace que des vidéos ou des films d'animation, tous ces supports soi-disant "pédagogiques"...).  Azraelle précise ainsi la raison qui l’a poussée à aller plus loin que ses collègues: « Voilà, tous les ans je me prends la tête sur cette règle que tous les élèves connaissent par cœur... sans jamais l'appliquer !»  

Et elle indique plus loin, dans les commentaires : «  Mes élèves ont été très réceptifs à ces explications, ils se sont appliqués à prononcer les lettres en faisant attention à la position des lèvres. Ils avaient l'air convaincus » et encore : « Je peux vous confirmer que mes élèves ont non seulement été capables toute cette année de rappeler l'origine de la règle, mais que son application a été plus facile pour eux ! CQFD ! » Tant il est vrai, aujourd’hui comme hier, qu’"un ordre (ou une règle…) dont on a compris et approuvé les raisons sera appliqué avec conscience et efficacité. Un ordre (une règle, un théorème…) subi à contrecœur, sera saboté inconsciemment ou non ! » Vieux principe parfaitement applicable à nos "chères têtes blondes...ou pas".

On notera que la fiche d’Azraelle n’est pas surchargée de schémas, de couleurs, de personnages plus ou moins drôles **, pas d’animaux bizarres, ni de poissons ou de méchants monstres, pas non plus de trains et de chef de gare, toutes choses destinées à séduire plutôt qu’à convaincre. Une explication rationnelle, facilement assimilée par des enfants, lui suffit pour atteindre son objectif, avec en prime l’intérêt et l’amusement de ses élèves (et de mes ados, donc). Elle "prend" ses élèves  par l'intelligence***, pas par la séduction. 

Bravo à vous, Azraelle ! Il ne reste plus qu’à souhaiter que vous fassiez largement école dans votre futur métier de formatrice. Certes, il y a toujours eu des professeurs qui, comme vous, cherchent à éveiller, à stimuler la curiosité naturelle de leurs élèves. Mais il faut qu'ils soient de plus en plus nombreux. A quelques réactions portées à ma connaissance, ils semble que d'autres professeurs expliquent comme vous la règle à leurs élèves… quand ils en connaissent eux-mêmes la raison (après avoir consulté votre fiche ?). Certains me disent qu'ils le font, mais qu'ils ne pensaient pas nécessaire de l'indiquer dans les fiches qu'ils mettent en ligne. Je m'en  réjouis. Mais alors pourquoi abonder autant dans l'application, les exemples, les évaluations… et si peu, voire pas du tout dans l'explication ? Serait-ce considéré comme secondaire, inutile, superflu, superfétatoire (on a si peu de temps...) ? Alors que c'est si fondamental pour tant de personnes ! Et si, pour certains, "cela va sans dire"... disons leur que "ça va aussi bien (et même beaucoup mieux...) en le disant"...surtout aux élèves !

A l'heure où l'intelligence artificielle s'annonce comme la prochaine révolution de nos vieilles civilisations, il est plus que jamais nécessaire de stimuler et de développer, en premier lieu à l'École,  celle si naturelle de nos enfants. 

En tout cas, en attendant,  vous m’avez bien aidé à débloquer une classe de seconde qui s’est remise, en partie grâce à vous, à espérer atteindre le sens de ce qu’on apprend au lycée. Et de cela, je tiens à vous remercier tout particulièrement.

* Une règle à toujours une histoire ou une explication. Il n'y a que les postulats qui n'en aient pas. Et il n'y en a pas tant que ça dans les programmes scolaires...

** Généralement , je donne aussi d'autres exemples, comme celui de l'origine de l'orthographe du mot "bathyscaphe" (il y en a tellement d'autres de ces mots bizarres à l'étymologie pourtant très éclairante...), celui de la règle d'accord des participes passés employés avec les auxiliaires être ou avoir, celui du théorème de Pythagore ou encore celui des identités remarquables... On les trouvera détaillés dans "Accompagner le travail des adolescents...", pages 212-228. Mais celui d'Azraelle, que j'utilisais pour la première fois, est plus rapide et son effet est immédiat ! En plus, il est plus "ancien" que les autres dans l'histoire personnelle de ces jeunes et il les renvoie au plus loin de leurs souvenirs de difficulté scolaire... Et donc il est bien plus "percutant" !

***Juste une image d’Astérix… Normal pour une règle qui nous vient des Romains… Mais notre petit gaulois national ne l’a donc pas  envoyée en l’air d'une pitchenette négligente, comme il le faisait si allègrement des malheureux  légionnaires de Jules César ! Dommage, penseront  peut-être quelques écoliers… ou d’autres.

**** Dans " La formation de l'esprit  scientifique" G.Bachelard cite un auteur ancien : "Un homme qui raisonne, qui démontre  même, me prend pour un homme, je raisonne avec lui, il me laisse la liberté de jugement et ne me force que par ma propre raison. Un homme qui crie " voilà  un fait " me prend pour un esclave".

samedi 17 mars 2018

118 - Compréhension Maths : La corde à 13 noeuds... et, surtout, 12 intervalles !

Je trouve sur le net cette video "Cours de mathématiques au Château : la corde à 13 noeuds" qui va bien dans le sens de la fiche d'Azraelle (m devant m-b-p),  sur la compréhension expliquante, cette fois à propos de quelques éléments de Mathématiques... Mais aussi pour une compréhension d'éléments abstraits appuyée sur du paramêtre 1, celui des évocations concrètes, démarche normale de l'abstraction...

Notez l'origine du mot "multiplier" du la latin " multi-plicare (multiplication...) = plier plusieurs fois la corde à 13 noeuds....  à rapprocher de l'origine de :
- "expliquer", du latin "ex-plicare" ( explication) = déplier, mettre à plat, tout dévoiler (ce qui donc ne se voit pas d'emblée) de l'histoire, des causes et des raisons, des conséquences prévisibles ou connues d'une chose à comprendre...
- "appliquer", du latin "ad-plicare" (application) = "plier vers"... plier ou "fléchir" une connaissance sur des situations, des objets..., ou encore l'adapter à... (un exemple concret).

La pédagogie n'est-elle pas l'art d'aider à comprendre, d'expliquer, de dévoiler aux élèves ce que n'est pas visible à l'oeil nu ?  Et même  le pourquoi du comment....Pourquoi pas ?


mardi 13 mars 2018

117 - Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.


Apprendre à comprendre. Voyage dans l’univers du sens.

Je rentre d’un stage sur la compréhension approfondie avec les élèves de seconde que j’accompagne dans des stages répartis au long de l’année. Je mesure une fois de plus combien ces jeunes sont démunis vis-à-vis d’une activité aussi importante que la compréhension.

On pense généralement que la compréhension est une faculté très complexe liée à l’intelligence, et que comme cette dernière, elle n’est pas donnée à tous de la même façon et surtout qu’elle ne s’apprend pas. On comprend ou on ne comprend pas, c’est tout ! Lorsqu’un élève ne comprend pas, ses professeurs ou ses proches, et bien sûr lui-même, commencent à douter de son intelligence : « Il rencontre ses limites… ! » dira-t-on avec résignation. Et pourtant il n’en est rien. Comprendre peut s’apprendre comme tout le reste. Reste à savoir comment, et c’est vrai que ce n’est pas une mince affaire. Voici le récit de ce dernier stage et la façon dont les élèves ont réagi à mes propositions.

Mais tout d’abord il faut se rappeler que lorsque l’on propose des méthodes de travail inspirées de la gestion mentale, il faut se garder de plaquer des modèles qui viendraient de l’extérieur, comme imposés par quelque autorité. Voici ce qu’en dit Antoine de la Garanderie dans Plaisir de connaître, Bonheur d’être, Une pédagogie de l’accompagnement, Chronique Sociale, 2004, page 46 – 47 (c’est moi qui souligne quelques expressions et en rajoute quelques autres en italique) :

« Il y a donc deux missions pour l’enseignant (ou le formateur) :
-          faire découvrir  à l’élève la qualité de l’acte cognitif dont il a fait usage à son insu pour qu’il lui soit rendu présent,
-          lui proposer  des actes cognitifs dont il n’a jamais pensé qu’ils pouvaient être à sa disposition, l’aider à faire ces actes vraiment siens, afin qu’il vive la teneur de plaisir qui les habite. C’est, en effet, en l’invitant à les mettre en œuvre qu’il en saisira les qualités épanouissantes et, en même temps, révélatrices du sens qu’il a à leur donner pour qu’ils atteignent leur fin.

Nous estimons que l’enseignant aura beaucoup à insister, car l’élève en situation d’échec ou de sentiment de doute à l’égard de ses capacités est très, très loin de lui-même et de pouvoir imaginer qu’il en recèle ; (nous estimons) qu’il faudra du temps non pour le convaincre car ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais pour qu’il consente à se reconnaître dans les actes qui ont à être les siens. L’enseignant est en effet tenté de penser que l’éclairage donné, le conseil proposé devrait avoir des effets immédiats… Il n’en sera rien. L’élève a pris l’habitude d’aller chercher dans les lointains de quelque transcendance des potentialités qui sont, en fait, trop proches de lui pour qu’il les voie ! Le travail qui est demandé à l’enseignant est d’une autre forme que celui auquel il s’est accoutumé : rapprocher l’élève des capacités qu’il possède à son insu… lui permettre d’apprendre ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser.

Ce n’est pas un placage de modèle que l’enseignant a à déployer… c’est à puiser dans l’intelligence de sa propre intériorité les propositions que l’élève aura à s’adresser à lui-même ! L’enseignant a à décrire l’acte de connaissance  tel que la conscience du moi vivant a à l’inscrire pour que la chose prenne sens en elle. L’élève peut commencer par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple. La suggestion qui lui est faite, il la ressent comme n’étant pas susceptible d’apporter la réponse à ses échecs : "ce n’est pas cela qui me permettra de comprendre… la règle de trois !" La pensée de l’élève que la conscience de l’échec assiège est la proie d’arguments négatifs qui le détournent de la prise en compte des moyens cognitifs et positifs dont il dispose naturellement et donc il n’imagine pas qu’ils sont ceux grâce auxquels, à l’avenir, il connaîtrait le plaisir de comprendre. »

Loin, donc, d’un plaquage de modèle, l’apprentissage de la compréhension doit passer par "l'épreuve par soi", par l’expérience personnelle de l’élève qui doit reconnaître "ce qu’intuitivement il a les moyens de réaliser" et, s’il ne l’a déjà fait spontanément mais inconsciemment, qu’il pourrait mettre au service de son travail scolaire. Il peut ensuite s’inspirer des témoignages de ses camarades et des descriptions qu’on peut lui faire, pour aller au-delà de ses capacité naturelles et acquérir des moyens auxquels il n’aurait pas pensé pour parfaire sa compréhension. Mais il y aura des obstacles à surmonter car l’élève commencera bien souvent « par penser qu’il n’est pas en mesure d’accomplir cet acte si simple ». Il faut donc ménager une progression qui permette à l’élève non seulement de prendre conscience
-          de ce qu’il fait déjà lui-même, "intuitivement", dans sa tête pour comprendre (bien qu’il ne l’utilise pas forcément à l’école),
-          mais aussi de ce qu’il pourrait faire et qu’il ne se connaissait pas,
-          tout en surmontant la croyance qu’il ne pourra pas y arriver.

Voir le détail du contenu du stage sur la compréhension dans le message 95 - Comprendre "comme un pro". Troisième stage en Seconde de méthodologie.

Un grand chamboulement intérieur.
Ce stage a débuté par un bilan de l'état actuel des élèves vis-à-vis des acquisitions méthodologiques travaillées depuis Septembre, soit les étapes de Pégase (être attentif, comprendre au premier niveau, mémoriser ce que j'apprends, réfléchir et réutiliser mes connaissances, exprimer ma pensée correctement à l'écrit ou à l'oral).  Puis j'ai introduit le travail des journées suivantes autour de cette question : « Pour réaliser tout cela le mieux possible, comment faudrait-il dès le départ que je comprenne de façon plus approfondie ce que j'apprends ? »

A suivi l'habituel débat autour de la question : « Où est le sens ? ». La plupart des élèves ont répondu sans hésitation, : « En nous ! ». Cette croyance justifie les expressions inexactes : « Donner du sens… Faire du sens… » En réalité, le sens réside dans les choses que nous nous efforçons de comprendre, dans le monde qui nous entoure, dans les situations que nous vivons, et bien sûr dans les objets scolaires que nous apprenons. Mais si le sens est hors de nous, il nous appartient, nous les êtres humains, d'aller le chercher, de nous efforcer de le conquérir pour le combiner avec celui nous avons déjà constitué en nous : c'est ce qu'on appelle "comprendre". C'est dans l'interface dehors/dedans, dans l'interaction du sujet comprenant et de l'objet de sens à comprendre que se joue notre accès au sens. Pour cela la nature nous a dotés des « outils intellectuels intérieurs » (A. Jacquard) nécessaires, et ce sont eux que nous utilisons lorsque nous cherchons à comprendre. Ce sont ces "outils" que le reste du stage a proposé à ces jeunes d'abord de découvrir en eux-mêmes, puis de perfectionner pour les porter à leur meilleur niveau d'efficience.

Tout d'abord, j’ai introduit les notions de compréhension appliquante et expliquante, cette dernière à l’aide de la fiche trouvée sur le blog d’Azraelle (azraelle.eklablog.com/m-devant-m-b-p-a127198034#comment-87086090) dont j’ai déjà fait état dans mon message 115 - Compréhension expliquante : une fiche de grammaire  originale et stimulante !

Puis, après avoir exploité la métaphore de la barque, j'ai montré qu'il y avait cinq directions principales à toute recherche de sens, correspondant aux 5 questions fondamentales : C'est quoi ? Avec quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Comment ? (Voir Comprendre et réutiliser ses connaissances, article publié en  1994 dans la revue de Gestion Mentale n°6)

À la fin de la journée les élèves étaient dans un état de grand trouble manifesté par un comportement inhabituellement agité de certains d’entre eux.  Je savais qu’il traduisait le grand chamboulement intérieur qu’ils vivaient, et que plusieurs ont pu exprimer à peu près ainsi : « Je me rends compte que depuis l’école primaire j’ai pris l’habitude d’apprendre sans chercher à comprendre. J’aurais tellement aimé connaître le pourquoi de ce que je devais appliquer ! ». Cela en effet a de quoi  provoquer quelques rancœurs rétroactives, et le constat de leur « anesthésie intellectuelle » (apprise) était quasi insupportable pour beaucoup. Jusqu’à en vouloir à celui qui leur avait révélé cet état en leur ouvrant une perspective «aveuglante» sur la recherche du sens, désormais de leur seule responsabilité.

Platon à la rescousse.
Le lendemain matin, j’ai proposé aux élèves un temps de relecture de leur ressenti de la veille et je leur ai proposé de l’analyser à la lumière de l’allégorie de la caverne de Platon. Ils se trouvaient dans un état comparable à celui des hommes enfermés dans la caverne, victimes d’une vision déformée et illusoire de la réalité de l’école ainsi que des mauvaises habitudes de travail que cela avait entraîné. Et voilà que quelqu’un les appelait à une autre vision de l’apprentissage et à une autre manière d’apprendre, plus complexe et plus exigeante, sans doute plus efficace et "libérante", mais aussi très dérangeante par rapport à leur « zone de confort » habituelle. Ils avaient de quoi, en effet, en vouloir à cet initiateur qui les dérangeait si fort.

La recherche autonome du sens.
Maintenant, ils étaient placés devant un choix décisif pour eux : ou bien continuer à avancer dans ce nouveau monde de la recherche autonome du sens qui s’ouvrait devant eux, ou bien revenir à leur état  antérieur (ou se laisser rattraper par ce qui les retenait prisonniers jusque-là). Le tour de table qui a suivi fut d’une profondeur et d’une sincérité peu communes. Seuls deux élèves ont fait état de leur hésitation à passer la porte de la caverne et à affronter l’aventure de la recherche du sens…

Dans la « zone proximale de développement ».
Cette prise de conscience individuelle et collective s’est traduite par un engagement et une maturité nouvelle dans les exercices qui ont suivi autour du modèle des « 5 questions » de la compréhension. Ce modèle n’a pas été imposé de l’extérieur par une «autorité », comme un comportement plaqué de façon artificielle. Nous l’avons construit ensemble à partir de ce que les élèves reconnaissaient être en capacité de comprendre déjà par eux-mêmes : les questions qu’ils se posaient spontanément, même si beaucoup ont cessé -certains depuis très longtemps - de le faire pour les objets scolaires. Apprendre sans chercher à comprendre n’est pas un comportement naturel, c’est un « comportement appris » comme on dit en psychologie, comportement façonné par des années de scolarité où ils s‘étaient interdits (où on les avait empêchés ?) d’exercer leur capacité naturelle de compréhension, leur recherche naturelle de sens. Voir message 119 - Quand l’Ecole anesthésie l’intelligence des élèves !

Bien sûr cette capacité naturelle est forcément limitée aux seules questions qu’ils se posent habituellement, à leurs projets de sens naturels, fruit de choix inconscients souvent hérités de l’environnement familial, et qui spécifient leur personnalité cognitive toujours singulière. Le but du jeu était donc de leur montrer non seulement qu’ils avaient le droit de se servir de leurs questions personnelles, mais qu’ils pouvaient aussi s’en poser d’autres auxquelles ils ne pensaient pas (mais que certains de leurs camarades se posaient tout aussi naturellement qu'eux…), et que cela leur ouvrait une qualité de compréhension bien plus large et plus approfondie, couvrant la totalité du sens de ce qu’ils ont à apprendre.

C’est donc à partir de l’existant et par des mises en situation de difficulté progressive (dans la « zone proximale de développement » de Vigotsky : d’abord avec mon aide, puis avec les copains en petits groupes, puis seul dans de petits exposés) que le modèle des cinq questions a été décrit et intériorisé petit à petit par les élèves. Beaucoup d’entre eux ont alors changé radicalement de comportement vis-à-vis du travail et même vis-à-vis de moi. Je pense donc avoir atteint mon objectif de les aider à quitter leur état d’irresponsabilité intellectuelle, inefficace bien que confortable, pour accéder à celui d’une vraie autonomie intellectuelle dans le travail, plus risquée et dont les résultats ne se verront qu’au prix d’efforts et de persévérance de leur part.

Deux témoignages qui reflètent assez bien la tonalité générale des bilans des élèves.
"Actuellement, j’ai l’esprit tout chamboulé. Je ne sais plus si dans ce que je faisais avant tout était mauvais ou si je peux garder certaines choses. Mais une partie de mon esprit s’est éclairé, j’ai compris certaines choses : se poser les bonnes questions, avoir un but, que pour comprendre il faut comparer… Merci d’avoir mis la lumière dans notre potentiel. Je vais essayer d’appliquer cette gymnastique de cerveau. "

"Ce stage a été le plus compliqué (très philosophique) mais le plus intéressant ! C’était très instructif et formateur car pour moi, avant, il n’y avait rien à comprendre à tout ce que l’on m'apprenait ! L’image de la caverne, l’idée d’en sortir, m’a beaucoup marquée car ça me fait prendre conscience qu’il faut encore plus partir à la découverte du monde et éveiller sa pensée. Les 5 questions vont beaucoup m’aider car j’ai du mal à me faire comprendre à l’écrit et à expliquer ma pensée. En tout cas, de mettre des mots sur ce qui n’était pas forcément explicite m’a permis de réaliser que je faisais déjà des choses automatiquement et d’autres non ! Donc celles que je ne fais pas automatiquement, je vais les mettre en place pour encore mieux réussir le troisième trimestre. Merci beaucoup".

Ajout de 2022. La quasi totalité de ces élèves, jugés à leur sortie de troisième inaptes aux études supérieures, ont eu, certains au prix d'un redoublement, des scolarités de lycée "normales",  avec un taux de réussite au Bac identique à celui du reste de leur promotion ; ils ont fait des carrières professionnelles conformes à leur souhait, plusieurs avec des réussites inespérées même de leur entourage : ingénieurs de toutes disciplines, psychologues, orthophonistes, carrières juridiques, médicales ou sociales...

193. Notes de (re)lecture du livre "Les Profils pédagogiques - Discerner les aptitudes scolaires" d'Antoine de La Garanderie (1980)

  Fascinante actualité des premières intuitions d'un « enfant à besoin particulier » du siècle dernier… Pour préparer un podcast avec An...